Dialogues déchirés (fr)
France >
Auteur : Patrick Henry, Ancien président
Publié dans la Tribune d’AVOCATS.BE n°118 du 6 juillet 2017
23 juin 2016. Bruxelles. Sommet européen. Dans la cité interdite . Après avoir contourné la muraille de chaines. Une longue marche ...
En ma qualité de président du Comité des Droits de l’homme du Conseil des barreaux
européens
(C.C.B.E.), je suis invité à participer à une partie du dialogue que l’Union
Européenne entretient avec la Chine sur la question des droits de l’homme.
C’est la deuxième tentative. La première devait se concrétiser en novembre 2016. Elle a
été annulée en dernière minute.
À ma droite, Ellis Mathews,
chef de division au Service européen pour l’action extérieure
(E.E.A.S.)
. Face à lui, Liu Ha, représentante spéciale de la Chine pour les droits de
l’homme. Autour de la table, des parlementaires européens, des a
cadémiques. Derrière
nous des fonctionnaires européens.
Certaines contributions sont
soft. Madame Liu Ha rappelle que la culture chinoise est une
culture d’écoute.
On se réjouit d’être là ensemble. On souligne l’importance de la
réunion. On appelle à un renforcement de la coopération, bien nécessaire dans un monde
où des questions comme le développement durable doivent nécessairement être traitées
à l’échelle de la planète.
D’autres sont plus offensives. Interpellations directes sur
le traitement des minori
tés
ethniques, religieuses, sexuelles, sur la torture, sur la répression des journalistes, des
bloggers
, ...
Il m’appartient de parler au nom des avocats.
Je rappelle l’origine de notre nom, celui que l’on appelle, l’importance de la contradiction,
le caractère essentiel de l’indépendance des juges et des avocats, condition nécessaire de
la sécurité juridique, du développement harmonieux d’un peuple. Je dis le rôle des
barreaux européens. Sans cesse mettre en question les initiatives législatives, les
pratiques de l’exécutif, la jurisprudence des juges. Ici et ailleurs.
Aussi en Chine. Je dénonce, rapporten mains,
les nouvelles (novembre 2016) dispositions en matière de contrôle de la profession : l’obligation de s’affilier à un cabinet, d’obtenir une licence, renouvelable chaque année, ce qui permet d’exclure tous ceux qui
acceptent une « cause sensible », qu’il s’agisse
de contrôle de natalité, d’environnement,
de liberté religieuse, de défense des minorités, ...,
voire
de
simple
mise en cause de la
responsabilité d’un officiel ; l’interdiction de toute expression publique d’une
désapprobation du gouvernement ; la participation obligatoire d’un représentant du parti
communiste à toute prise de décision d’un cabinet, ... Je demande des explications sur le
sort, parmi tant d’autres, de trois de nos confrères emprisonnés, privés de contact avec
leur famille, privés du droit d’être défendus par un avocat qu’ils auraient eux-mêmes
choisi, devant attendre au moins six mois, parfois plus d’un an, pour se voir notifier les
charges retenues contre eux, maltraités, harcelés, torturés,
... Ils s’appellent Wang
Quanzhang, Jiang Tianyong et Xie Yang.
Liu Ha me répond. Le ton monte vite. L’arrogance occidentale, la cécité colonialiste, la
paille et la poutre. Nos faiblesses en matière d’immigration, de lutte contre la pauvreté,
le terrorisme, les droits de douane.
Je réplique. L’avocat écoute. Son client mais aussi son contradicteur. L’avocat parle... À
l’Europe aussi nous réclamons des comptes. Exemples
faciles : immigration, vie privée,
secret professionnel, liberté d’expression. Donnez-nous des faits. Nous écoutons.
Réponse sur la progression du droit pénal et de la procédure pénale, de l’organisation de
la profession d’avocat. Silence sur les questions précises. Sauf sur le cas de Xie Yang.
Profusion de détails. Invérifiables. Parfois contradictoires. Louanges sur les progrès du
système de détention, de prévention de la torture. Affirmation que celle-ci est
sévèrement réprimée, que les surveillants sont maintenant surveillés, étroitement.
Invitation. Venez voir.
Je remercie mon interlocutrice. Je m’empresse d’accepter son invitation. Je me réjouis
qu’elle ait accepté d’entendre
la voix d’
un représentant des avocats européens
. J’aimerais
qu’elle accepte d
’entendre celle des avocats chinois.
Le débat se poursuit : peine de mort, torture, liberté d’expression, minorités, ...
Après quatre heures de discussion, nous nous quittons. Poignées de mains. Sourires
convenus. Promesse de poursuivre le dialogue. Assuranc
e que l’on répondra à nos
questions.
Sentiment mitigé. Certaines O.N.G. avaient invité l’Union à annuler ce dialogue, pointant
sa frilosité dans la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme, craignant qu
e
l’institutionnalisation de ce dialogue ne serve de paravent aux autorités chinoises.
Il est
vrai qu’ici aussi l’Europe ne brille pas toujours par son unanimisme. Ainsi, par exemple,
aux Nations
-Unies, la Grèce vient de
bloquer une proposition commune de motion
dénonçant le
crackdown de juillet 2015 et les poursuites dirigées contre les avocats.
Alors, stop ou encore ? Fallait
-il en être ? Avons-
nous été manipulés, instrumentalisés ?
Derrière ces paroles de façade, pareilles réunions peuvent
-elles avoir un impact positif
pour les défenseurs des droits de l’homme en Chine?
Je ne me sens pas capable d’apporter une réponse définitive à ces questions. Y en a
-t-il
une, d’ailleurs ? Ne doivent
-elles pas être constamment réévaluées ? Casser les ponts
n’est pas nécessair
ement l’option la plus efficace. Mais il faut veiller à ne pas légitimiser,
au nom d’une sorte de
real politik
, d’insupportables violations des droits les plus
fondamentaux.
Bref, pour moi : encore, mais avec une main sur le levier du siège éjectable.
Et
en
scrutant attentivement notre pare
-brise.
Luttons.