Discrimination syndicale et médiation : le champ des possibles est géré par le principe de réalité (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Shabname Meralli-Ballou Monnot,
Avocate au barreau de Paris et responsable de la Commission ouverte du barreau "Discrimination"
Site de Me Shabname Meralli-Ballou Monnot
27 octobre 2014


Mots clefs : Droit social, droit du travail, entreprise, employeur, salarié, organisation syndicale, discrimination, préjudice, médiation judiciaire


Introduction

Aujourd’hui, tous les dispositifs légaux favorisent la concertation et le dialogue entre les organisations syndicales, leurs représentants et l’employeur au sein de l’entreprise à partir d’un certain seuil. Or, sur le long cours de la fonction salariale, à laquelle s’ajoute parallèlement l’exercice d’un mandat syndical, il arrive souvent que se révèle une inégalité de traitement de certains représentants syndicaux au sein des entreprises. Cette situation ne peut pas être abordée dans un dialogue binaire entre l’employeur et la personne concernée. En effet, ce dialogue est généralement court-circuité par les affects, les ressentis, les tensions de part et d’autre. La divergence des points de vue des protagonistes sur l’existence et la preuve d’une discrimination syndicale devient trop conflictuelle pour les deux parties. Elle fait alors l’objet de litiges qui arrivent devant les juridictions prudhommales.

Se pose alors la question du choix stratégique entre l’expertise et la médiation.


La mission d’expertise

Certains Conseils des Prud’hommes désignent un expert en droit de la discrimination, car seule une expertise pointue, portant sur la vérification de l’évolution de la carrière des salariés rentrés à la même date que celui qui s’estime discriminé au sein de l’organisation privée, permet de révéler de façon objective une inégalité de traitement en raison de l’appartenance syndicale. La mission de l’expert consistera alors à :

- Se faire communiquer les éléments utiles à la comparaison de la situation du salarié demandeur au regard de celle de ses collègues ayant appartenu à la même entreprise, ayant une ancienneté, une qualification, une rémunération d’origine équivalents, en incluant les formations reçues ainsi que les augmentations individuelles accordées par l’employeur, tant dans la présente instance qu’à l’Inspection du travail, et comprenant les données nominatives des salariés.

- Établir sur cette base des tableaux comparatifs et graphiques démontrant le rythme comparé d’évolution des carrières et des rémunérations des salariés comparés.

- Donner son avis sur la qualité des informations transmises et sur les éléments pouvant venir les compléter utilement dans le but de résoudre ce litige, le panel échangé entre les parties devant nécessairement comprendre un comparatif de salariés ayant, au sein de l’entreprise, une ancienneté, une progression de carrière, des niveaux de classification et de qualification, une formation initiale et des formations complémentaires (…) équivalents à la situation des salariés concernés par la présente instance.

- Vérifier que les tableaux comparatifs prennent en compte tous les avantages et accessoires payés directement ou indirectement, en espèce ou en nature par l’employeur en indiquant les modalités d’attribution des primes accordées.

- Vérifier si les dispositions des accords collectifs sur le droit syndical ont été respectées en ce qui concerne le salarié.

- Donner ainsi son avis sur l’existence d’une discrimination syndicale ou encore une différence de traitement qu’aurait subie le demandeur.

- Le cas échéant donner son avis sur le préjudice subi par le salarié en terme de rémunération et d’indice sur les droits à retraite, ainsi que sur la reclassification sollicitée au regard de la convention collective applicable, en précisant le moment à partir duquel cette reclassification devrait intervenir.

En effet, l’article 145 du Code de procédure civile dispose :

« S’il existe un motif légitime de conserver avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »


La mission de médiation judiciaire

Parfois le Conseil des Prudhommes, statuant en départage, va proposer aux parties mettre en place une médiation judiciaire sur le fondement de l’article 131 du Code de procédure civile :

« Le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, désigner une tierce personne afin d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose.

Ce pouvoir appartient également au juge des référés, en cours d'instance. »

Le médiateur qualifié désigné aura pour mission d’établir un dialogue ternaire, rendu possible par sa présence en tant que tiers impartial et neutre. Il recevra chacune des parties, accompagnées de leur avocat-conseil, lors d’entretiens individuels, puis lors de séances plénières qui se dérouleront dans un endroit strictement neutre.

Le cadre spatiotemporel étant ainsi posé, structurant le lieu et les créneaux horaires des séances de médiation, il convient à présent de mesurer le degré de pertinence de la médiation dans ce champ des droits fondamentaux.

Tout d’abord, la médiation permet de mettre fin au dialogue biaisé, car la discrimination syndicale suit parfois les ondes d’un dialogue de sourds !

En effet, il arrive que le traitement du salarié soit justifié objectivement de la part de l’employeur par des raisons tenant au comportement du salarié lui-même. Dans ce cas-là, de bonne foi, le représentant de l’entreprise est dans le déni de la discrimination, arguant parfois d’un absentéisme ou du manque de motivations personnelles du salarié syndiqué dans l’évolution de sa propre carrière. Et parallèlement, il arrive que le salarié se sente progressivement victime d’une forme de harcèlement, voire du mépris de sa personne en que salarié de la part de l’employeur.

Toute la question de la discrimination – question essentielle de notre État de droit, et qui fait partie de la Charte des droits fondamentaux – apparaît ici de plain-pied.


La question de la discrimination clairement posée

L’espace de médiation va donc servir en premier lieu à restaurer la dignité des personnes qui ont le sentiment d’être discriminées en raison de leur activité syndicale, et pour ce faire le médiateur va poser clairement la problématique de cette discrimination.

C’est également un espace pédagogique pour l’employeur.

En effet, il est important de garder à l’esprit que dans les grands groupes, dans les fusions acquisitions, le directeur présent n’a peut-être pas suivi le dossier, ou n’a pas été le même pendant toute la durée de la carrière du représentant syndical. Il n’a peut-être pas, du fait du contexte spécifique, toutes les données à portée de main. La médiation sera alors pour la direction un espace pédagogique essentiel parce qu’elle va permettre au directeur de prendre connaissance, puis conscience de la mesure de ce dont il s’agit effectivement.

Néanmoins, si le premier objectif de la médiation, qui est de poser ouvertement la question : « existe-t-il une discrimination syndicale ? » est rapidement atteint, la question de la preuve à apporter pour établir une réponse objective demeure pleine et entière. Il va en effet s’agir de mettre sur le tapis des faits tangibles qui permettent d’établir la réalité intelligible, visible et lisible de cette discrimination.

Comment alors l’espace de médiation, qui est un espace de dialogue et non de débat contradictoire, va-t-il pouvoir traiter la question de la preuve ?


La problématique de la preuve clarifiée

L’article 131-8 du Code de procédure civile rappelle : « Le médiateur ne dispose pas de pouvoirs d'instruction. Toutefois, il peut, avec l'accord des parties et pour les besoins de la médiation, entendre les tiers qui y consentent. »

Le médiateur doit donc clairement porter la question de la nécessité de documents pertinents : des panels produits par l’employeur permettront de construire des courbes d’évolution de carrière élaborées des salariés entrés au même moment que le réclamant. C’est au vu de tels documents que le dialogue va pouvoir se co-construire. C’est là l’une des difficultés et spécificités de la médiation : l’acceptation de la nécessité du contradictoire spécifique de médiation, à défaut de quoi le débat est faussé et insatisfaisant pour tous. Le contradictoire dans la médiation devient une nécessité devant la complexité de la question de la discrimination, tant pour la preuve que pour la réparation de l’entier préjudice.

Si les parties acceptent la règle du jeu du respect du contradictoire dans la plus stricte confidentialité de la médiation en présence d’avocats conseil spécialisés dans le champ, un dialogue vertueux va émerger, et la situation de discrimination syndicale va peut-être pouvoir être objectivée, expurgée des affects et ressentis.


Le butoir de la réparation intégrale du préjudice subi

C’est alors que va surgir une autre difficulté : en matière de droits fondamentaux, la Cour de Cassation et la loi exigent une réparation intégrale dans les situations de discrimination syndicale. Or, dès lors que la réalité de la situation de discrimination sera établie grâce à la méthode de triangulation (Soc .28 /06/2006 c/Société G. (n° 04-46419) & Soc.30/04/2009 c/Société S. (n° 06 /45939)), la définition et le sens même de la médiation vont être interpelés : il faudra qu’elle permette d’aborder la question de la réparation. La médiation risque alors de devenir un terrain de négociation entre les parties. Or les droits fondamentaux imposent la réparation du préjudice intégral. Et les droits fondamentaux ne sont pas négociables s’agissant d’ordre public.

Toute la pédagogie du médiateur consistera alors à faire prendre conscience aux parties des textes légaux, les textes de droit communautaire et français et leur interprétation par la juridiction saisie. Il convient d’avoir à l’esprit l’ arrêt de la CJCE 2 /08/1993, Helen Marschall (affaire C- 271/91) :

« Lorsque, en cas de licenciement discriminatoire, une réparation pécuniaire est la mesure retenue pour rétablir ladite égalité, une telle réparation doit être intégrale et ne saurait être limitée à priori quant à son montant. »

L’article L.1134-5 Code du travail examiné par la Cour de cassation exige une réparation intégrale du préjudice subi. Et si cette réparation ne peut pas être mise en œuvre, le protocole de médiation risque d’être remis en cause, voire annulé par le juge impartial saisi en application de l’article 6 CEDH.

C’est pourquoi la présence d’avocats conseils spécialisés dans le droit de la discrimination est recommandée ! Le protocole de médiation sera alors établi suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, vérifié et soumis aux régimes des cotisations fiscales et sociales, puis soumis à l’homologation du juge en vertu de l’article 131-12 du Code de procédure civile.

Ainsi, la médiation réussit à cristalliser la restauration des droits fondamentaux en connaissance de la complexité des facteurs multiples (temps, durée, aléas et risques, coût et atteinte à l’image de marque de l’entreprise) tout en respectant la confidentialité des données sensibles.

Et comme nul n’est tenu à l’impossible, la médiation aura tout au moins permis la démonstration responsable et consciente aux protagonistes que le dialogue ternaire est incontournable pour aborder des questions réflexives tenant aux protagonistes eux-mêmes.

Le recours au juge est inéluctable et la décision du juge impartial sera d’autant mieux comprise par les deux parties qui auront pu mieux mesurer les enjeux en présence.

Ceci dit, preuve étant faite de l’efficience du dispositif de médiation dans la gestion des conflits cristallisés autour de la discrimination syndicale, la question de la prévention de leur apparition se pose. Quelles sont les méthodes et quels sont les outils qui ont une place efficiente dans l’antériorité du litige, en amont de sa judiciarisation ?


L’audit social : une sage recommandation dans une démarche préventive ?

En effet, on ne peut que conseiller à l’employeur vigilant de pratiquer un audit des risques de discrimination prohibée par une mesure d’expertise des évolutions des carrières, et d’avoir recours en tant que de besoin à un médiateur qualifié indépendant, pour arriver à des reconstitutions de carrières objectives dans un espace de dialogue sécurisé et confidentielle. Les entreprises doivent suivre l’évolution des salariés qui ont des mandats. C’est dans leur intérêt, étant donné qu’en cas de discrimination syndicale avérée, la Cour de Cassation vise la réparation intégrale sur toute la carrière et que s’y ajoutent 30% au titre de préjudice de retraite ! Cela coûte très cher aux entreprises qui n’ont pas toujours suffisamment conscience de ce risque.

La pratique montre aussi que le salarié qui se sent victime de discrimination syndicale n’a pas nécessairement immédiatement le réflexe préventif. Il est donc essentiel qu’il soit lui-même dans cette démarche d’objectivation de la lecture de sa propre carrière : comment évolue-t-il comparativement à ceux de ses collègues qui sont entrés à la même date que lui ? Il doit considérer cette évolution 3 ans avant, 3 ans après. Il lui appartient aussi d’être vigilant sur les évaluations annuelles et de veiller à ce qu’aucune mention concernant l’activité syndicale ne figure sur ces documents, parce que ce serait discriminant. Il doit aussi également vérifier son égalité de traitement dans l’accès à la formation.


Conclusion

La prévention de l’émergence d’un conflit repose sur la conscience, la responsabilité et l’objectivité des protagonistes. Faire en sorte que le dialogue puisse être efficient grâce à l’invitation périodique d’un regard extérieur, celui d’un expert indépendant, et d’un médiateur tiers neutre et impartial, c’est une piste dans la co construction d’un climat social dynamique, fondé sur le principe de réalité en étant conscient, ensemble, des effets délétères des non-dits entre partenaires sociaux responsables et engagés pour la réussite sociale et économique.