Défaut d'information fiscale et perte de chance, Cass. civ. 2, 3 octobre 2013, Pourvoi n°12-24.957, Inédit (fr)

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Auteur : Olivier Roumelian,
Avocat au barreau de Paris
site de Me Olivier Roumelian
Article publié dans la revue Actuassurance n° 33 Nov-Déc 2013



Cass. civ. 2, 3 octobre 2013, n° 12-24957, Inédit


Selon la Cour de cassation, l’assureur qui n’a pas informé le souscripteur d’un contrat d’assurance vie, âgé de plus de 70 ans lors du versement des primes, de l’application des droits de mutation à titre gratuit a fait perdre à ce dernier une chance d’agir autrement. Même s’il n’est pas démontré comment ce dernier pouvait agir différemment, le bénéficiaire du contrat doit être indemnisé du préjudice subi.


L’assurance vie est une source de contentieux intentés à l’encontre d’assureurs par des souscripteurs ou des bénéficiaires qui peuvent, parfois, témoigner d’une imagination très importante. L’arrêt du 3 octobre 2013 en fournit une illustration et il est, selon nous, regrettable que les différents degrés de juridiction s’en soient fait le relais, y compris la Cour de cassation.

Dans cette affaire, en février 1998, une personne alors âgée de 71 ans souscrit un contrat d’assurance vie au profit de sa concubine en versant une prime de 510.000 francs, soit 77.749 euros. On apprendra des différentes décisions de justice rendues dans cette affaire que les conditions générales valant note d’information du contrat qui lui ont été remises se limitaient à renvoyer à la fiscalité française, sans plus de précision sur le traitement fiscal applicable lors du dénouement du contrat par décès.

Le souscripteur décède en décembre 2006 ; le contrat d’assurance vie se dénoue alors au profit de la bénéficiaire. A cette occasion, cette dernière découvre être redevable d’une imposition de 35.611 euros correspondant aux droits de mutation par décès applicables au taux de 60% (CGI, art. 757 B).

Considérant avoir subi un préjudice correspondant au montant total de l’impôt, la bénéficiaire assigne alors l’assureur en paiement de la même somme au titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de conseil.

Par jugement en date du 26 janvier 2010, le Tribunal de grande instance de Paris lui octroiera la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal. Cette décision sera ensuite confirmée par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 12 janvier 2012, Pôle 5, Chambre 6, n° 10/04585).

Outre le principe même de l’indemnisation reconnu à la demanderesse, on peut également être surpris par le montant retenu qui, s’il est forfaitaire comme toute compensation de la perte d’une chance, est proche du montant de l’impôt.

Devant la Cour de cassation, l’assureur développera une argumentation en trois points qui peut être résumée de la manière suivante. Les juges du fond l’ont condamné à réparer une perte de chance, celle du souscripteur du contrat d’assurance vie d’avoir pu agir autrement et donc de ne pas faire subir un coût fiscal à sa compagne désignée en qualité de bénéficiaire. L’assureur reproche aux magistrats de ne pas avoir déterminé la solution fiscale plus favorable à laquelle ladite bénéficiaire, demanderesse en première instance, pouvait prétendre.

L’assureur relève également que rien n’indique que si le souscripteur avait été dûment informé de la règle fiscale applicable, il aurait agi autrement.

De même que pour les juges du fond, ces arguments n’ont pas convaincu la Cour de cassation dont la décision est critiquable pour les raisons suivantes.

De manière générale et précisément dans cet arrêt du 3 octobre 2013, on est surpris de constater que des magistrats puissent tirer des conclusions définitives en interprétant la volonté de personnes aujourd’hui défuntes.

Au cas d’espèce, comment les magistrats peuvent-ils être certains du fait qu’en février 1998 le souscripteur « ne pouvait que souhaiter faire bénéficier sa compagne des avantages fiscaux les plus importants possibles pour la transmission de son patrimoine » ? Une telle affirmation, exprimée sans nuance, est une négation des aspects civils de l’assurance vie qui préexistent aux effets fiscaux.

En premier lieu, sauf à ce qu’il soit démontré que la bénéficiaire avait accepté la désignation faite à son profit, le souscripteur était donc libre de la modifier à tout moment (C. ass., art. L. 132-9 dans sa version en vigueur lors des faits concernés). Ce n’est pas l’absence de modification bénéficiaire pendant la durée du contrat qui peut contredire cette analyse. Si tel devait être cas, le contrat d’assurance vie litigieux pourrait alors être analysé en une donation indirecte du souscripteur au profit de la bénéficiaire, taxable comme tel. Analyse que nous ne partageons pas mais que la Cour de cassation a déjà faite sienne (Cass. ch. mixte, 21 décembre 2007, n° 06-12769, Bull.).

En second lieu, comment les magistrats peuvent-ils être certains que la souscription d’un tel contrat d’assurance vie était motivée par la recherche d’une économie fiscale ? Aucun élément du dossier ne vient corroborer une telle affirmation réductrice qu’on ne peut donc que regretter. Les magistrats semblent avoir omis que la bénéficiaire n’étant pas liée au souscripteur, à défaut de contrat d’assurance vie ou de disposition testamentaire, elle ne pouvait pas prétendre percevoir une quelconque somme au décès de ce dernier.

Ensuite, l’arrêt critiqué fait sienne la position des juges du fond selon laquelle l’absence d’information fiscale par l’assureur a fait perdre au souscripteur une chance de trouver une solution plus favorable.

Surpris d’une telle affirmation, on est curieux de connaitre le détail d’une telle solution qu’après réflexion on ne trouve pas. Au contraire, le choix du contrat d’assurance vie, souscrit après les 70 ans de l’assuré, a permis à la bénéficiaire des capitaux décès de réduire l’assiette des droits de mutation à titre gratuit de l’abattement de 30.500 euros et du total des intérêts générés par le contrat. Cet arrêt a donc pour conséquence de condamner un assureur pour le défaut de communication préalable du traitement fiscal applicable au contrat, lequel assureur devra réparer une perte de chance même si cette dernière n’existe pas ou à tout le moins n’est pas démontrée par la demanderesse.

Enfin, et si même ce n’est peut-être pas le sens principal de la décision de la Cour de cassation, en reprochant à l’assureur le coût fiscal supporté par la bénéficiaire, on peut se demander dans quelle mesure les plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire ont entendu faire leur la notion d’optimisation fiscale.

Peut-être faut-il y voir une marque d’indépendance des magistrats lors de la période actuelle marquée tant par l’importance des déficits publics devant être comblés par des impôts en augmentation constante que par le récent élargissement au motif principalement fiscal de la notion d’abus de droit ?./.


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