Et si l'employeur avait accès au dossier médical de ses salariés (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

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Auteur: Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris


Mai 2017


Et si l'employeur avait accès au dossier médical de ses salariés ?


Il s'agit d'une interrogation pour le moins iconoclaste en France où le dossier médical d'un salarié demeure confidentiel. L'employeur ne peut ainsi avoir accès au dossier médical de ses employés, tout en pouvant cependant recevoir, mais de manière très encadrée, certaines informations médicales de la part du médecin du travail (fiche d'aptitude)


Mais cette question vient de rebondir aux Etats-Unis, puisqu'un projet de loi "preserving Employee Wellness Programs act" présenté en mars 2017 par la députée républicaine Virginia Foxx se propose ni plus, ni moins, de permettre aux entreprises non seulement d'obliger leurs salariés de participer à des programme de santé, mais aussi de subir à cette occasion des tests génétiques les forçant à fournir des données médicales les concernant ainsi que leur famille !


Les employés auraient certes la possibilité de refuser de tels tests et programmes de santé intrusifs, mais ils devraient alors supporter une pénalité financière et des surprimes !


Au delà de la collecte de données médicales personnelles, ce projet de loi n'est néanmoins pas annoncé comme censé permettre de discriminer les employés présentant des anomalies génétiques; on imagine cependant sans peine les difficultés de ces salariés pour éviter licenciement ou discrimination.


La polémique va donc bon train outre-Atlantique sur la pertinence de cette proposition de loi faisant fi de la confidentialité la plus élémentaire de données privées, qui est actuellement examinée par les diverses commissions de loi et doit être également discutée au Sénat (lire How Healthy Are You) et ses dangers pour la vie privée des travailleurs.


Et quand on sait la facilité pour certaines mauvaises idées liberticides des données personnelles d'arriver dans nos contrées (PNR, TES etc.), le pire peut être craint qu'un de nos futurs élus ne décide de transposer en France l'idée d'une ingérence patronale dans les données médicales.


Rappelons qu'en France, toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.


L'article 4 du Code de la déontologie médicale dispose en effet: « le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est à dire non seulement ce qui lui a été confié mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ».


Ce secret médical s'impose à tout médecin et professionnel de santé et le médecin du travail est ainsi soumis aux obligations liées à ce secret professionnel.


L'employeur qui recrute un salarié doit organiser un examen médical d'embauche ( R.4624-10 et suivants du code du travail. La loi El Khomri du 8 août 2016 a notamment remplacé l'ancienne visite médicale par une simple visite d'information et de prévention.


Les salariés affectés à des postes à risques continuent toutefois à passer un examen médical d'aptitude à l'embauche.


A compter de cette visite, un dossier médical est constitué par le médecin du travail et retrace, sous le sceau du secret médical, les informations relatives à l'état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail


Ce dossier médical est strictement confidentiel. Le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est pénalement répréhensible et est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende ( Article 226-13 du code pénal)


Ce dossier médical peut cependant être communiqué au médecin du salarié et à sa demande. Il peut également être communiqué à un autre médecin du travail dans la continuité de la prise en charge, sauf refus du salarié.


Mais il ne peut pas être communiqué à l'employeur (mais, bien entendu , le salarié peut spontanément décider de le communiquer s'il le souhaite)


Cette obligation incombant au médecin du travail doit être combinée avec l'obligation de l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.


Dans un arrêt du 10 juillet 2002, 00-40.209 la Cour de cassation indique que l'employeur ne peut en aucun cas se voir communiquer le dossier médical d'un salarié par le médecin du travail.


Par ailleurs, dans une décision de la chambre sociale du 30 juin 2015 n° 13-28.201, la Cour de cassation précise que l'employeur qui, dans le cadre d'un contentieux l'opposant à un ancien salarié, fait établir une attestation au médecin du travail comportant des éléments tirés du dossier médical afin de la produire en justice commet une faute et le salarié peut donc obtenir le versement de dommages-intérêts.


Le dossier médical du salarié reste donc bien couvert par le secret pour le moment, mais pour combien de temps !


Retrouvez le Employee Wellness Programs Act (HR 1313 du 2 mars 2017)