Il faut un tribunal des marchés financiers (fr)

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Auteur : Anne-Valérie Le Fur
Professeur à l'Université Versailles Saint-Quentin
Auteur : Dominique Schmidt
Agrégé des facultés de droit, avocat au barreau de Paris
Rédigé en Février 2014 sur le site du cabinet de Me Dominique Schmidt


1. Aujourd’hui la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) n’est pas pleinement un tribunal. Pourtant, elle présente tous les traits qui caractérisent une juridiction : elle est créée par le législateur qui définit sa compétence et prévoit les mesures assurant l’indépendance de l’organe et l’impartialité de ses membres ; elle tranche de façon permanente les différends selon les règles procédurales applicables aux tribunaux : ses décisions sont motivées et rendues à l’issue d’une procédure contradictoire dans le respect des droits de la défense. Mais elle n’est pas une juridiction « au regard du droit interne»[1], alors qu’elle est un «tribunal » au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, et pourrait aussi être une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE si l’on transpose la solution adoptée par la Commission des sanctions de l’ACPR[2]. Ainsi, selon le texte considéré, la Commission des sanctions de l’AMF tantôt est une juridiction, tantôt ne l’est pas, mais elle fonctionne comme une juridiction. Cet état du droit peine à trouver une cohérence.

2. Notre propos ne consiste pas à chercher la cohérence, encore qu’elle soit souhaitable ; il consiste à se demander s’il convient de parfaire le statut de la Commission des sanctions en lui conférant celui d’un tribunal en charge de tout le contentieux des marchés financiers. Cette interrogation part du constat de l’éclatement de ce contentieux puisqu’un même fait, par exemple la diffusion de fausses informations sur le marché, peut donner lieu à trois procédures distinctes, devant la Commission des sanctions, devant le juge pénal et devant le juge civil, ainsi qu’à des voies de recours ventilées entre la Cour d’appel de Paris et le Conseil d’État. De plus, la coexistence, voire le cumul de ces procédures, ne permettent pas d’assurer la réparation juste et rapide du préjudice causé par une infraction aux règles du droit financier.

3. Aussi, lorsque l’inefficience de l’organisation actuelle du contentieux des marchés financiers sera vérifiée (I), nous proposerons que le traitement de ce contentieux soit assuré par une juridiction unique, le Tribunal des marchés financiers issu de la Commission des sanctions de l’AMF (II).


I. L’inefficience de l’organisation actuelle du contentieux des marchés financiers

L’organisation actuelle de ce contentieux se caractérise par deux traits. D’une part, la Commission des sanctions occupe une place paradoxale car elle connaît de ce contentieux bien avant les juridictions civiles et pénales et rend le plus grand nombre de décisions ; elle présente cependant certaines faiblesses (A). D’autre part, lesdites juridictions ne traitent pas ce contentieux de façon efficiente (B).


A. La situation paradoxale de la Commission des sanctions au sein du contentieux actuel

4. La situation paradoxale de la Commission procède de ce que son champ d’intervention est particulièrement vaste (1) alors que sa compétence est limitée au prononcé de sanctions administratives (2) et que son fonctionnement actuel est susceptible de porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs (3).


1) Un vaste champ d’intervention

5. Le champ d’intervention de la Commission des sanctions est déterminé par la combinaison des articles L621-14-I et L621-15-II et du Code monétaire et financier. Sans entrer dans l’exposé détaillé des personnes et des actes visés par ces textes, il importe et il suffit de rappeler que la Commission peut prononcer une sanction à l’encontre de « toute personne » qui, sur le territoire français ou à l’étranger, s’est livrée à « tout manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs et au bon fonctionnement du marché ». La Commission se prononce au vu d’un dossier élaboré par les services de la Direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF ; ces services disposent de pouvoirs d’investigation très étendus récemment renforcés par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013.

6. Le rapport annuel 2012 de l’AMF révèle que la Commission des opérations de bourse puis l’AMF ont achevé 1941 enquêtes depuis 1990 et ont ouvert, au cours de cette période, 314 procédures de sanction[3]. La Commission publie sa « jurisprudence » des marchés financiers dans un recueil énonçant « les principes directeurs issus de la jurisprudence 2003 – 2012 ». Les juridictions civiles et pénales ne disposent ni d’une telle expérience ni d’une telle expertise en cette matière.


2) Une compétence limitée au prononcé de sanctions administratives

7. Dès lors, on ne peut que regretter que la compétence de la Commission des sanctions soit limitée à la seule constatation du manquement administratif et à la sanction de l’auteur. La Commission n’a pas le pouvoir de caractériser et de sanctionner une faute pénale réprimée par les articles L465-1 et suivants du Code monétaire et financier ; elle n’a pas le pouvoir de caractériser une faute civile pour violation des textes visés par les articles L621-15-II et L621-14-I précités ; et elle n’a pas le pouvoir d’ordonner la réparation du préjudice causé par ces fautes. Du reste, la personne qui se plaint d’un dommage causé par un manquement n’est pas recevable à intervenir dans la procédure devant la Commission des sanctions[4].

8. La situation de cette Commission est bien paradoxale : un champ d’intervention extrêmement vaste et un pouvoir très restreint. Ce pouvoir se trouve lui-même fragilisé par l’évolution des règles de fonctionnement de l’AMF qui font de celle-ci une partie à l’instance.


3) La suspicion d’une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs

9. Tandis que la séparation entre les fonctions de poursuite et de jugement perd en étanchéité à mesure que le législateur renforce les pouvoirs de l’AMF, l’organisation structurelle ne parvient plus à tempérer le risque d’une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs[5].

Un représentant du Collège présente des observations à l'audience devant la Commission des sanctions, demande des sanctions, apporte la contradiction à la personne poursuivie : le Collège exerce ainsi les prérogatives d'une partie à l'instance. En outre, ce représentant a la possibilité d’être assisté des services de la Direction de «  l’Instruction et du Contentieux des sanctions » de l’AMF. Le rôle du représentant du Collège ne peut donc être assimilé, comme cela a été proposé, à celui d’un procureur, lequel fait partie de l’autorité judiciaire, n’élabore pas la règle dont il demande la sanction, ne peut solliciter qu’une application stricte de la loi pénale et ne s’appuie pas sur une enquête non soumise aux règles procédurales protectrices des droits fondamentaux. Il faut ajouter que la possibilité pour le Président de l'AMF d’exercer avec l’accord du Collège un recours contre la décision de la Commission des sanctions achève de convaincre de la légitimité du doute sur l’existence d’une « muraille de Chine » entre les deux organes de l’AMF, seule apte à garantir l’impartialité de l’organe sanctionnateur.

10. La juxtaposition de pouvoirs d'enquête et de sanctions conforte l’impression d’une absence d’indépendance de la Commission. D’aucuns relèvent que, notamment avec le nouveau manquement d’entrave, l’AMF pourrait « plus facilement se faire rendre justice par la Commission des sanctions»[6]. Cette absence d’une séparation clairement marquée des fonctions et surtout l’apparence de partialité ainsi créée pourraient être invalidées par la CEDH qui, par un arrêt du 11 juin 2009, a étendu son contrôle à toute « impression » de pré-jugement susceptible de naître dans l'esprit du justiciable[7]. Or, la représentation du fonctionnement de l’AMF que se fait aujourd’hui le justiciable est celle d’un seul organe qui a la personnalité morale, avec deux composantes, le Collège et la Commission des sanctions : quand le Collège élabore la norme, c’est l’AMF qui le fait ; quand le représentant du Collège présente des observations, c’est l’AMF qui devient partie ; quand la Commission décide, elle agit comme organe de l’AMF ; quand le président exerce un recours, c’est l’AMF qui le fait. En bref, le principe de la séparation du juge et de la partie n’est plus assuré.


B. Le traitement inefficient du contentieux financier

11. La part du contentieux qui échappe à la Commission des sanctions ne trouve un traitement satisfaisant ni dans le cumul des procédures administrative et pénale pour ce qui concerne la répression (1) ni dans la coexistence de la procédure civile avec les procédures pénale et administrative pour ce qui concerne la réparation du dommage (2).


1) L’insatisfaisant cumul des responsabilités administrative et pénale

12. Le cumul des procédures et sanctions pénales et administratives présente le risque d’être combattu par le droit européen (a). Or, ce risque s’avère bien inutile au constat des lacunes du traitement pénal des infractions boursières (b).


a) Le risque d’une invalidation du cumul des procédures administrative et pénale par le droit européen

13. Le principe non bis in idem interdit qu'une personne puisse être condamnée, mais aussi poursuivie, pour un même fait. Principe de droit interne, il figure également à l’article 4 du protocole additionnel n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (CSEDH), à l'article 14 § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ainsi qu'à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le droit positif français admet qu’une personne soumise à une procédure administrative devant la Commission des sanctions de l’AMF puisse être, pour ces mêmes faits, poursuivie par la justice pénale au titre d’une infraction pénale. Il limite le champ d'application du principe aux poursuites exercées au sein d'un « même ordre » répressif : tel est le sens de la réserve française à l’article 4 du protocole n°7.

14. Pourtant, la position française est fragile au regard de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). D’une part, dans une série d’arrêts, la Cour considère que le principe non bis in idem s'applique si les faits sont en substance les mêmes, sans considération de la nature de la sanction[8]. Or, on peut difficilement considérer, par exemple, que le manquement d’initié et le délit d’initié sont des infractions essentiellement différentes. D’autre part, la réserve faite par la France au principe non bis in idem pourrait bien être invalidée par la CEDH. En effet, la Cour a rejeté la déclaration interprétative autrichienne, prévoyant que « les articles 3 et 4 du protocole n° 7 se réfèrent uniquement aux procédures pénales dans le sens du Code pénal autrichien », car elle n’offre pas un degré de précision suffisant[9]. Cette disposition est très proche de la réserve française. En définitive, le risque d’une condamnation européenne porte atteinte à la sécurité juridique[10], alors même que le cumul des sanctions présente peu d’intérêt.


b) Un risque inutile au constat des lacunes du traitement pénal des infractions boursières

Le traitement pénal des infractions boursières est insatisfaisant pour plusieurs raisons.

15. D’abord, le rapport annuel de l’AMF de 2012 laisse à penser que le juge pénal français ne s’intéresse guère aux infractions boursières. En effet, les chiffres de l’annexe 3 montrent que les poursuites pénales sont très rares en pratique : ainsi, en 23 ans, sur 459 dossiers transmis au Parquet par la COB et l’AMF, seule une douzaine d’affaires est passée en jugement ! A quoi bon accumuler les procédures et laisser au tribunal correctionnel une compétence qui n’est pas utilisée ?

16. Ensuite, la sanction infligée par la Commission est plus efficace en raison de la rapidité de la procédure administrative par rapport à la procédure pénale[11]. Au « délitement de l’infraction » avec le temps, s’ajoute le fait que le montant de l'amende encourue en l'absence de profit réalisé par l'auteur d'un délit boursier est dérisoire (au plus : 1 500 000 €) par rapport à la sanction pécuniaire que peut infliger la Commission des sanctions (100 000 000 €). Surtout, la peine de deux ans d'emprisonnement prévue par les textes n’est jamais prononcée. Sur cet aspect, la France est aujourd’hui très en retrait par rapport aux États-Unis où les infractions graves sont réprimées par de lourdes peines d'emprisonnement et par des sanctions financières pouvant atteindre des milliards de dollars. Le décalage quant à la durée et au montant de la sanction, entre la décision rendue par la Commission des sanctions et le jugement pénal, pourrait être illustré par nombre d’affaires ; il suffit d’évoquer les plus connues. La diffusion en 2001 de fausses informations au nom de la société Vivendi Universal n’a été sanctionnée pénalement, de façon dérisoire au regard du nombre d’investisseurs lésés, qu’en janvier 2011, après 9 années d’instruction ! Ce volet pénal n’est pas clos, alors que la sanction administrative a été prononcée le 3 novembre 2004. Le procès pour délits d’initiés sur les titres Société générale : 14 années d'instruction, 4 juges saisis…pour aboutir à une seule condamnation et deux relaxes, avec une peine minimale pour le seul condamné de 2,2 millions euros d'amende (montant de son profit). Le Tribunal correctionnel de Paris jugera en 2014 l’abus de marché reproché à Altran commis 13 ans plus tôt. De telles procédures sont incompatibles avec la prévention et la répression des abus de marché. Enfin, le cumul des procédures crée le risque de contradictions des décisions[12].

16. Ces insuffisances de la répression pénale s’expliquent en grande partie par la faiblesse des échanges entre le Parquet et l’AMF[13]. De plus, en dépit d’efforts pour réduire tant les difficultés inhérentes à la technicité de certains dossiers que le présupposé d'inexpérience du juge pénal, le faible nombre d’affaires présentées devant celui-ci explique que, en définitive, la Commission des sanctions est le « juge de droit commun » en matière de répression boursière.


2) La difficile réparation du préjudice civil

17. La réparation du préjudice est une exigence à valeur constitutionnelle qui doit être satisfaite par des moyens appropriés pour remplir de ses droits celui qui subit un dommage ; de plus, elle contribue à la prévention des actes dommageables par son effet dissuasif et ajoute à la répression administrative et pénale, ce en quoi elle participe à la régulation des marchés. En l’état de notre droit, ces moyens font défaut : si trois procédures coexistent pour constater une violation des règles du droit financier, aucune d’elles ne permet la réparation efficiente du préjudice civil causé par cette violation[14].

18. Du fait de la compétence limitée de la Commission des sanctions, cette réparation ne relève actuellement que du juge civil ou pénal et impose de distinguer deux catégories de contentieux. Le premier, de nature contractuelle, oppose devant le juge civil les parties à un contrat de prestations de services d’investissement, le client reprochant à son prestataire un manquement à ses devoirs professionnels. Le second, de nature délictuelle, concerne les faits constitutifs d’un abus de marché et relève des juridictions civiles et pénales.

19. Le contentieux de la première catégorie ne soulève pas de difficultés particulières devant le juge civil qui applique la loi du contrat. Il se réfère aux règles relatives aux devoirs professionnels du prestataire énoncées dans le Code monétaire et financier ainsi que dans le règlement général de l’AMF puisque ces règles constituent des obligations contractuelles à l’égard des clients[15]. Or si ces règles sont connues des magistrats siégeant à la chambre spécialisée du Tribunal de grande instance de Paris, elles le sont moins dans les tribunaux de province. Une importante partie de ce contentieux fait aussi l’objet de procédures de médiation : les rapports annuels du médiateur de l’AMF témoignent de l’intérêt et du succès de cette voie alternative.

20. En revanche, le contentieux de la seconde catégorie soulève de sérieuses difficultés. On constate en premier lieu que les procédures en réparation des préjudices causés par les abus de marché sont rares : alors que la Commission des sanctions a rendu plus de 220 décisions en cette matière depuis 2004, seule une dizaine de procédures en dommages-intérêts ont été introduites par des plaignants. Faut-il en déduire que les abus de marché ne causent pas de préjudice, ou que les investisseurs préfèrent s’abstenir de s’engager dans une procédure à l’issue coûteuse et aléatoire ? On constate en deuxième lieu que les procédures en réparation ont été placées, à défaut de juridiction spécialisée à compétence exclusive, devant les tribunaux du domicile du plaignant ou du siège de l’auteur de l’abus, ce qui ne favorise pas l’éclosion d’une jurisprudence claire et unifiée. On constate en troisième lieu que les procédures en réparation ont souvent une durée incompatible avec l’exigence de justice. Ainsi, par exemple, les procédures civiles en réparation du préjudice causé par la diffusion en 2000 et 2001 de fausses informations au nom de la société Vivendi Universal sont toujours en cours aux États-Unis et en France ; de même, les procédures civiles relatives à l’abus de marché imputé à la société Marionnaud en 2002 et 2003 sont encore pendantes ; de même, les procédures concernant l’abus de marché commis en 2002 et 2003 introduites à l’encontre des dirigeants de la société Gaudriot viennent seulement à terme.

21. La rareté et la durée des procédures en réparation s’expliquent par la conjugaison de deux facteurs. D’une part, le plaignant doit devant le juge civil démontrer la faute délictuelle ; cette tâche lui est souvent facilitée par la décision déjà rendue par la Commission des sanctions, mais le plaignant ne dispose pas du dossier de l’AMF[16], de sorte que le juge civil se prononce au vu des seules pièces que les parties lui remettent. D’autre part et surtout, le plaignant doit, devant toutes les juridictions, établir son préjudice (a) et le lien de causalité entre la faute ou le manquement et son préjudice (b).


a) La nature du préjudice allégué

22. Un abus de marché peut causer à un investisseur deux sortes de préjudice. En premier lieu, l’investisseur peut soutenir que le comportement de l’initié qui retient fautivement une information privilégiée, ou que le comportement de celui qui diffuse de fausses informations, ou qui induit en erreur en vue de manipuler le cours, a altéré son jugement dans l’arbitrage entre acquérir, vendre ou conserver. L’investisseur perd dans ces cas une chance de mieux arbitrer. En second lieu, l’investisseur peut soutenir que les comportements précités ont exercé une influence sur le cours du titre et que son préjudice consiste en la différence entre le prix artificiel auquel il a acquis ou vendu et le prix estimé juste en l’absence d’abus. Cette différence constitue sa perte financière.

23. Le problème vient de ce que la chambre commerciale de la Cour de cassation, par arrêt du 9 mars 2010[17], a décidé au visa de l’article L225-252 du code de commerce « que celui qui acquiert ou conserve des titres émis par voie d’offre au public au vu d’informations inexactes, imprécises ou trompeuses sur la situation de la société émettrice perd seulement une chance d’investir ses capitaux dans un autre placement ou de renoncer à celui déjà réalisé (…) ; que l’arrêt retient que le préjudice des actionnaires de la société ne s’analyse pas en la perte d’une chance d’investir ailleurs leurs économies dès lors qu’il est, en réalité, au minimum de l’investissement réalisé ensuite des informations tronquées portées à leur connaissance ; Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». L’utilisation du terme « seulement » signifie que la Cour exclut la perte financière pour ne réparer que la perte d’une chance[18]. Cependant, la chambre criminelle, par arrêt du 15 mars 1993[19], avait approuvé les juges du fond ayant condamné l’auteur de la diffusion de fausses informations à réparer « le préjudice né de la différence de cours ». Et la chambre commerciale avait elle-même rejeté le pourvoi contre un arrêt ayant retenu la réparation de la perte financière[20].

24. L’arrêt du 9 mars 2010 signifie-t-il que le juge de droit commun n’entend plus entrer dans le domaine qui lui est peu familier du « préjudice boursier » et de son évaluation ? En réduisant le préjudice de l’investisseur à la seule perte d’une chance, la Cour suprême ne satisfait pas à l’exigence de la réparation intégrale et limite le montant de l’indemnisation à une évaluation qui participe moins du calcul que de l’arbitraire. On mesure ainsi l’aléa du procès : cet aléa dépend d’une appréciation sur l’intensité de la probabilité de réalisation de l’événement favorable et se trouve accentué par la propension de certains tribunaux saisis par de très nombreux plaignants de prononcer une indemnisation forfaitaire par action plutôt qu’une indemnisation calculée individuellement[21].


b) La preuve du lien de causalité

25. La preuve du lien de causalité entre l’abus de marché fautif et le préjudice s’avère complexe, ce qu’on peut illustrer par le débat habituel lors d’un procès pour diffusion de fausses informations sur le marché. Le plaignant affirme que ces informations lui étaient connues au moment où il a opéré sur le marché ou décidé de conserver ses titres, puis qu’elles ont eu un impact sur le cours et enfin qu’elles ont déterminé son arbitrage. Le défendeur répond que la preuve de la connaissance des informations n’est pas pleinement rapportée, que le cours boursier a évolué par l’effet de la conjugaison de plusieurs autres facteurs et que l’investisseur s’est déterminé en fonction de ces informations mais aussi de multiples paramètres de décision. Dans ce type de différends, la charge de la preuve dicte l’issue du procès. Aussi le droit des marchés financiers devrait-il prendre ses distances avec le droit commun et mettre en place des présomptions[22] qui reposeraient sur la constatation que la diffusion consciente de fausses informations a précisément pour objet de tromper les investisseurs.

26. Ces développements révèlent que la réparation du dommage causé par un abus de marché ne peut pas et ne doit pas être traitée comme dans un procès ordinaire, civil ou pénal, en indemnisation. La spécificité et la technicité de la matière requièrent des magistrats spécialisés en droit financier assistés de professionnels des marchés financiers et éclairés par le dossier d’enquête de l’AMF et par des rapports d’experts. Elles requièrent également une organisation, connue dans maintes législations étrangères, permettant de traiter les réclamations présentées par des centaines d’investisseurs se plaignant d’un préjudice causé par le même fait.

27. En conclusion de cette première partie, on ne peut que déplorer que l’expertise de l’AMF, dans sa mission de contrôle et d’enquête et dans sa mission sanctionnatrice, soit aussi mal exploitée tant pour la répression des fautes pénales que pour la réparation des préjudices. Cette situation résulte de la compétence étroite de la Commission des sanctions et de l’inefficience des procédures répressives et réparatrices. Le remède consiste à transformer cette Commission en un véritable tribunal doté de compétences élargies.


II. Le traitement du contentieux financier par une juridiction unique, le Tribunal des marchés financiers

28. Nous proposons d’ériger la Commission des sanctions en un Tribunal des marchés financiers. Il ne s’agit ni de créer ex nihilo une nouvelle juridiction ni de faire disparaître la Commission, mais fondamentalement d’étendre la compétence de celle-ci, ce qui nécessite que le législateur lui confère le statut d’un tribunal « au regard du droit interne ». Ce dernier serait compétent pour juger les trois aspects d’un même fait : le manquement selon les articles L621-14-I et L621-15-II du Code monétaire et financier et selon le règlement général de l’AMF, la faute pénale selon les articles L465-1 et suivants du Code monétaire et financier et la réparation du préjudice causé par la violation de ces textes du droit financier. Il ne serait pas illogique d’ajouter à cette compétence le pouvoir d’ordonner les visites domiciliaires (L621-12), les séquestres et consignations (L621-13) et les mesures d’injonctions (L621-14-II)[23]. Cette compétence serait exclusive, le tribunal connaissant seul des procédures relatives à l’application des textes précités.

Nous pouvons alors vérifier que le contentieux financier, désormais unifié, est rationalisé (A) ; son traitement est rendu plus efficient tout en assurant une meilleure garantie du respect des droits fondamentaux (B).


A. La rationalisation du contentieux financier

La rationalisation du contentieux financier serait doublement assurée : d’une part, par une nouvelle articulation des voies procédurales (1) d’autre part, par la situation du Tribunal des marchés financiers au sein du contentieux financier (2).


1) Une nouvelle articulation des voies procédurales

Le contentieux devient unifié au sein d’une juridiction unique et spécialisée qui se prononce ainsi tant sur la procédure répressive que sur la réparation civile.

29. Une procédure répressive unique serait substituée au cumul actuel des procédures pénale et administrative, lesquelles poursuivent en définitive une finalité très proche. Cette procédure résulte d’une alternative entre deux voies : la voie pénale ou la voie pour manquement. Il s’agirait, par la première voie, de réprimer sévèrement, le cas échéant par des peines privatives de liberté, les infractions intentionnelles les plus graves, c’est-à-dire les abus de marché, prévus aux articles L465-1 à L465-4 du Code monétaire et financier et dans les projets européens[24] : l’utilisation ou la divulgation d'informations privilégiées en connaissance de cause, les manipulations de cours ou d’indice, la diffusion d'informations fausses ou trompeuses. Il s’agit, par la seconde voie, de sanctionner les faits qui relèvent de l’actuelle compétence de la Commission des sanctions : la procédure pour manquement, professionnel ou non, qui remplace l’actuelle procédure administrative, réprime les violations des lois et règlements en application des dispositions de l’article L625-15-II du Code monétaire et financier alors même que l’élément intentionnel peut faire défaut.

30. Parallèlement, le Tribunal des marchés financiers connaîtrait de la réparation du dommage délictuel ou contractuel et ordonnerait la réparation tant de la perte de chance que de la perte financière. La coexistence de cette procédure avec la procédure répressive peut être assurée grâce au modèle de l’action civile et de la constitution de partie civile[25], mais l’investisseur lésé a également la possibilité de réclamer au Tribunal des marchés financiers la réparation de son préjudice en dehors de toute procédure sanctionnatrice engagée. Des moyens supplémentaires pourraient faciliter l’action en réparation : mise en place sur le site de l’AMF de rubriques informant des procédures en cours devant le Tribunal des marchés financiers, ce qui facilite l’opt-in des victimes, élargissement des possibilités actuelles d’actions groupées, ou encore consécration de l’action de groupe en matière financière...


2) La situation du Tribunal des marchés financiers au sein du contentieux financier

La situation du Tribunal des marchés financiers, telle que nous la concevons au sein du contentieux financier, impose de préciser l’architecture de ce tribunal (a) avant de souligner la nécessaire mise en place d’une collaboration avec l’AMF et le Parquet financier (b), cette collaboration s’entendant d’une participation de chacun, selon son rôle et selon sa fonction, à l’œuvre commune de régulation des marchés.


a) L’architecture du Tribunal des marchés financiers

31. Le pragmatisme dicte de conserver l’organisation de l'instance la mieux armée pour apporter aux infractions financières une réponse rapide et adaptée. A cette fin, le Tribunal des marchés financiers comprendrait des magistrats, des professionnels et des représentants des salariés des entreprises du secteur financier.

La technique de l’échevinage[26] mérite d’être conservée, avec une composition des formations de jugement différente selon la nature de la violation des lois ou règlements : infraction pénale ou manquement[27]. Ainsi, la formation qui prononce des sanctions pénales comporterait des magistrats en plus grand nombre. Tandis que la formation qui prononce des sanctions aux manquements ou qui juge uniquement de la faute civile et de la réparation serait composée[28] et fonctionnerait comme l’actuelle Commission des sanctions. Cette composition modulable convient pour apprécier la méconnaissance de règles techniques que les professionnels maîtrisent ; elle est en adéquation avec le caractère disciplinaire marqué et l’objectif de régulation des comportements. Autre emprunt au fonctionnement actuel, on pourrait envisager dans les procédures pour manquement et/ou les procédures civiles, le recours à un rapporteur, désigné parmi les membres de la formation, qui instruirait le dossier et ferait état du résultat de son instruction aux personnes concernées.

Ce tribunal serait, contrairement à l’actuelle Commission des sanctions, totalement détaché de l’AMF sur le plan structurel et organisationnel.


b) La collaboration du Tribunal des marchés financiers avec l’AMF et le Parquet financier

32. Le juge, par la création du Tribunal des marchés financiers, redevient le pivot de la répression et travaille en collaboration d’un côté avec l’AMF, de l’autre avec le Parquet financier. Cette collaboration porte sur l’ensemble du contentieux.


Le traitement pénal

33. Au vu de l’article 705-1 du code de procédure pénale issu de la loi organique du 6 décembre 2013, le procureur de la République financier a sa place au Tribunal des marchés financiers. La détection des infractions pénales relèverait concurremment du procureur financier et de l’AMF, celle-ci étant toutefois mieux dotée pour assurer une surveillance continue des marchés et déceler les indices de comportements répréhensibles. On peut envisager l’articulation suivante : lorsque l’enquête préliminaire fait apparaître des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ou lorsque l’AMF informe le Parquet financier de tels faits, ce-dernier décide s’il y a lieu de mettre en mouvement des poursuites pénales devant le Tribunal des marchés financiers. Dans la négative, le Collège, au vu du rapport de contrôle ou d’enquête, décide ou non de saisir le Tribunal des marchés financiers afin qu’il se prononce sur le manquement[29]. L’information pénale, lorsqu’elle est nécessaire, est confiée à un juge d’instruction, qui décide aussi de la détention et des mesures de sûreté. Les agents de l’AMF, qui souvent ont déjà enquêté, collaborent au stade de l’information judiciaire avec les services de l’instruction. Le procureur financier prend ses réquisitions à l’audience de jugement.

Le traitement du manquement

34. Le fonctionnement actuel de la Commission des sanctions donne satisfaction sur le plan de la répression et il n’y a pas de raison de le modifier. Bien entendu, l’AMF, par le biais d’un représentant, serait partie à la procédure puisque l’obstacle du cumul, sur une même tête, des qualités de juge et partie est désormais supprimé. Si à l'issue de la phase d’information judiciaire, l’infraction pénale ne paraît pas caractérisée, faute par exemple d’élément intentionnel, le Parquet peut renvoyer l’affaire devant la formation du tribunal statuant sur les manquements – l’inverse est également à prévoir si de simples manquements se révélaient des infractions intentionnelles. Enfin, le procureur financier interviendrait à sa demande dans le contentieux du manquement.


Le traitement de la réparation civile

35. L’une des missions de l’AMF consiste en la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers (article L621-1). L’AMF estime à juste titre que cette protection comprend la réparation du préjudice subi par les épargnants à raison d’une violation des règles du droit financier : elle a institué un groupe de travail présidé par J. Delmas-Marsalet et M. Ract-Madoux, membres du collège de l’AMF, chargé de mener une réflexion sur « l’indemnisation des préjudices subis par les épargnants et les investisseurs ». Ce groupe suggère en son rapport du 25 janvier 2011 que l’AMF prête son concours au juge, non seulement au cas par cas, mais aussi en apportant de manière générale sa compétence technique pour l’évaluation des préjudices ; il considère que l’AMF, « en tant que sachant ou expert », permet d’apprécier le préjudice indemnisable avec plus de précision. La mise en œuvre de ces recommandations serait d’application aisée et effective devant le Tribunal des marchés financiers : l’AMF pourrait éclairer le tribunal, soit comme partie dans les procédures pour manquement, soit comme sachant dans les procédures pénales ou civiles. Ainsi, se trouverait pleinement exploitée l’expertise de l’AMF dans le domaine du préjudice et de son évaluation.


B. L’efficience du traitement du contentieux avec une meilleure garantie du respect des droits fondamentaux

Le Tribunal des marchés financiers, supplantant l’actuelle dispersion du contentieux en trois procédures devant des instances différentes, permettrait d’atteindre une réelle efficacité (1) tout en offrant de meilleures garanties (2).


1) L’efficacité des sanctions et de la réparation du préjudice

L’efficacité attendue se mesure par l’impact de la nouvelle organisation du contentieux (a) et par l’économie de temps et de moyens ainsi générés (b).


a) L’impact de la nouvelle organisation du contentieux

36. La mise en place d’un Tribunal des marchés financiers, dans la continuité de la création d’un procureur de la République financier et de l’existence de nombreuses juridictions spécialisées en France, aurait un impact psychologique indéniable. Le recours à « l’appareil toujours effrayant du droit pénal » selon la formule du Doyen J. Hamel[30] est en effet un signal positif pour les marchés et pour la société. Du reste, cette pénalisation accrue est imposée par les textes récents de l’Union Européenne[31]. Il faut donc pouvoir prononcer des peines privatives de liberté pour les comportements les plus graves, ce que seule la création du Tribunal des marchés financiers permet d’assurer dans des conditions nécessaires de délais et de compétence.

Dans le même temps, l’actuelle procédure administrative, transformée en procédure pour manquement, répondrait toujours au double souci de l’efficacité de la répression et de l’adaptation de la sanction. Celle-ci serait menée dans les délais qui sont ceux observés dans les procédures de la Commission des sanctions.

Enfin, le pouvoir conféré au Tribunal des marchés financiers, qui a caractérisé la faute, d’ajouter à la sanction la réparation du dommage subi par les épargnants et les investisseurs aurait pour effet à la fois d’entretenir la confiance de ceux-ci dans les marchés financiers et de contribuer à la moralisation des opérateurs.


b) Un gain de temps et une économie de moyens

37. La répartition des affaires, au sein d’un unique ordre répressif, entre voie pénale et voie pour manquement, évite une accumulation et une redondance des investigations. La rationalisation de l’instruction du dossier – une seule au lieu des trois actuelles – ainsi que la collaboration effective entre le Tribunal, l’AMF et le Parquet financier, suppriment toute duplication d’investigations parallèles réalisées actuellement sans réelle coordination. Il en résulte un gain en temps et en argent. Le gain de temps et l’économie de moyens résultent également d’une bonne maîtrise de la matière financière, garantie tant par l’existence d’une juridiction spécialisée que par la technique de l’échevinage.

38. La rationalisation du contentieux présente en outre l’avantage d’imposer une juridiction unique de recours, la Cour d’appel de Paris. La distinction actuelle entre sanctions disciplinaires et sanctions administratives, résultat de l’absorption du Conseil des marchés financiers ainsi que du Conseil de discipline de la gestion financière par l’AMF, justifiait la dualité des voies de recours contre les décisions de sanction, tantôt devant le Conseil d'État tantôt devant la Cour d’appel de Paris. L’unification des voies de recours serait la bienvenue au constat que, en 2012, le Conseil d’État n’a rendu que deux décisions[32]. Elle supprimerait également le risque de contrariété des décisions entre la juridiction administrative et la juridiction civile[33].


2) Une meilleure garantie du respect des droits fondamentaux

39. Le législateur français a confié, au risque de porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, une compétence juridictionnelle à une autorité administrative. Il n’a pu le faire, aux termes de la validation par le Conseil constitutionnel, qu’à condition que l'exercice de ce pouvoir soit « assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis» mais aussi que la sanction soit « exclusive de toute privation de liberté»[34].

40. Au regard de la première condition, il est incontestable que l’actuelle répression administrative s'est « judiciarisée » en se rapprochant, sous l'impulsion également de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des standards de la procédure pénale. Reste que le recours à une juridiction, plutôt qu’à une autorité administrative, constitue un meilleur garant de la protection des droits fondamentaux. De plus, par la rationalisation du contentieux, on limite le « traumatisme » pour les personnes soumises à des enquêtes répétées, ou confrontées pour les mêmes faits à des accusations multiples ; on exclut tout risque de contrariété des décisions répressives. Les juridictions pénales ont de larges pouvoirs d'individualisation des peines, quant à leur nature, leur quantum et leurs modalités d'exécution ; tel serait le cas du Tribunal des marchés financiers, qui serait autorisé à prendre en compte également la réparation effective du dommage dans la fixation du montant de la sanction.

41. Quant à la deuxième condition, qui interdit à une autorité administrative de prononcer des peines privatives de libertés, elle conduit inévitablement à revoir notre organisation du contentieux financier, qui nous est du reste très spécifique. En effet, d’un côté, l’Union européenne nous impose de pénaliser la matière financière avec des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives», de l’autre, seule une juridiction peut prononcer une décision de condamnation privative de libertés. L’instauration d’un Tribunal des marchés financiers permettrait de prononcer une telle sanction dans des délais et avec une expertise compatibles avec une répression efficace.

42. N’a-t-on pas maintes fois vanté les attraits des autorités de régulation indépendantes, notamment leur réactivité et leur compétence technique de sorte que la création d’un Tribunal des marchés financiers représenterait un retour en arrière, où réguler n’était pas juger ? En privant l’AMF de ses pouvoirs de sanctions, n’affaiblit-on pas son rôle de régulateur ?

Nous ne le pensons pas car l’organisation actuelle du contentieux financier a fait son temps. L’Autorité des marchés financiers était considérée, à sa création en 2003, comme une autorité exemplaire de par sa structure duale ; tel n’est plus le cas. L'office du régulateur financier, qui consiste, tout à la fois, à administrer, réglementer, superviser, contrôler, enquêter, jouer le rôle de partie au procès, juger, punir…procède d’une confusion des genres et porte aujourd’hui une probable atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. De plus, les récents projets du droit de l’Union européenne imposent une pénalisation accrue de la matière financière. Le modèle n’est donc plus celui de l’administration mais du procès.

Assurer une coexistence rationnelle des sanctions pénales et des sanctions pour manquement, renforcer la pénalisation et la réparation des préjudices, confier les pouvoirs de sanction et d’indemnisation à des spécialistes de la matière financière et à des magistrats, respecter davantage les principes fondamentaux selon lequel « nul ne peut être juge et partie» et « nul ne peut être jugé deux fois pour le même fait », participent d’une modernisation par l’unification du contentieux financier. L’association de professionnels au traitement du contentieux garantit la célérité et l’efficacité des procédures, en évitant l’encombrement généralisé des tribunaux « classiques ».

Un retour en arrière ? bien au contraire, puisqu’il s’agit de tirer les conséquences de la compétence technique acquise par la Commission des sanctions en la faisant « éclore » en un Tribunal des marchés financiers. La régulation financière se trouve alors renforcée par le lien fonctionnel tissé entre le Parquet, l’AMF et le Tribunal des marchés financiers.

Notes et références

  1. CE, du 2 novembre 2005, n° 270826
  2. Comm. sanctions ACPR, 25 novembre 2013, n° 2013-01
  3. Ces chiffres n'englobent pas les contrôles
  4. A titre de comparaison, on observe que, dans le contentieux des opérations de marché, la Cour d'appel de Paris, statuant sur recours contre les décisions de l'AMF, prend soin de convoquer à l'audience toutes les personnes "intéressées" et admet la tierce intervention volontaire
  5. A.-V. Le Fur, Faut-il faire de la Commission des sanctions de l’AMF un tribunal des marchés financiers ?, Mélanges AEDBF VI, Ed. RB Paris 2013, p. 335 s.
  6. CMF, art. L. 621-15-II f). J.J Daigre, le renforcement des pouvoirs de l’AMF : jusqu’où ?, Journal Sociétés, n°114, déc. 2013, p. 3
  7. CEDH, 11 juin 2009, Dubus SA c/ France, n° 5242/04
  8. Dans l’arrêt Gradinger c/ Autriche (CEDH 23 oct. 1995, Série A, n° 328), elle décide que même si les dispositions en cause se distinguent « non seulement sur le plan de l'appellation des infractions, mais sur celui, plus fondamental, de leur nature et de leur but, [... les deux décisions litigieuses se fondent sur le même comportement. Partant, il y a eu violation de l'article 4 du Protocole n° 7 »]. Dans l'arrêt Franz Fischer c/ Autriche (CEDH 29 mai 2001, n° 37950/97, série A, n° 312), elle vérifie si les infractions en cumul ont les mêmes « éléments essentiels », ce qui porterait atteinte à la règle non bis in idem. Dans l’arrêt Zolotoukhine c. Russie (CEDH 10 févr. 2009, n° 14939/03), elle décide que « l'article 4 du Protocole n°7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes ».
  9. Affaire Gradinger c/Autriche, v. note 7.
  10. La décision du 26 février 2013 (Affaire C-615/10, 2011/C 72/23) de la CJUE n’est guère éclairante. En s’autorisant une interprétation autonome et divergente de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux et en admettant le cumul des sanctions lorsque le juge pénal tient compte « d'une manière ou d'une autre » de l'existence préalable d'une sanction administrative, la CJUE valide certes le mécanisme français de double sanction mais entre clairement en conflit avec la CEDH (CEDH 18 oct. 2011, Tomasovic c/ Croatie).
  11. Rapport annuel AMF, p. 132 : « Sur les 25 affaires examinées en 2012 par la Commission des sanctions, 2 ont été examinées en moins de 7 mois, 7 en plus de 9 mois et moins de 12 mois, et 16 en plus de 12 mois. Au 31 décembre 2012, sur les 29 procédures en cours devant la Commission des sanctions, seules 8 étaient antérieures au 1er janvier 2012, ce qui montre les efforts entrepris pour faire en sorte que les procédures de sanction soient examinées dans un délai inférieur à un an ».
  12. Sur la question de l'exploitation d'une information privilégiée:Décision Comm. sanctions du 5 mars 2009 et jugement Trib. corr. Paris du 12 novembre 2010, aff. Nortene. Aj. Cass. 2ème civ. 10 janvier 2013, n°12-30.106.
  13. CPP, art. 40, al. 2 ; CMF, art. L. 621-15-1, al. 1 et L. 621-20-1 ; CMF, art. L. 621-15-1, al. 2 et 3 ; CMF, art. L. 466-1
  14. N. Spitz, La réparation des préjudices boursiers, Ed. RB, Paris 2012, p. 319 s. - CREDA, Les sanctions des sociétés cotées. Quelles spécificités ? Quelle efficacité ?, Ed. Lexisnexis, Paris 2013, p. 212 et s.
  15. Cass. com., 24 juin 2008, Bull. IV, n° 127 ; M. Cohen-Branche, la Cour de Cassation, la finalité de la loi et la nouvelle protection de l'investisseur, Bulletin Joly Bourse 2011, n° 1, page 55.
  16. Ce dossier est confidentiel : art. L621-4-II du code monétaire et financier. Le rapport du groupe de travail AMF présidé par J. Delmas-Marsalet et M. Ract-Madoux du 25 janvier 2011, relatif à l’indemnisation des préjudices subis par les épargnants et les investisseurs, propose de permettre à l'AMF de transmettre au juge, à la demande de ce dernier, les pièces et documents afférents au contrôle ou à l'enquête de l'AMF, sous réserve du secret des affaires et du secret de la vie privée. Cette proposition, si elle est retenue, constituerait une avancée. On observe toutefois que l’article L621-2-II permet au président de l’AMF d’agir au nom de celle-ci devant toute juridiction et que cette faculté n’a pas, à notre connaissance, été mise en oeuvre.
  17. Pourvois n° 08-21547 et 08-21793.
  18. D. Martin, Réparation (intégrale) des préjudices boursiers : sortons du brouillard, Mélanges AEDBF-France VI, Ed. RB Paris, 2013, p. 399 et s.
  19. oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007068419&fastReqId=1333102465&fastPos=1 Pourvoi n° 92-82263.
  20. Cass. com., 22 novembre 2005, pourvoi n° 03-20600 ; CA Colmar, 14 octobre 2003 : RTDcom. 2004, p. 567, obs. N. Rontchevsky.
  21. La Cour d’appel de Paris, par arrêt du 17 octobre 2008 (RTDF décembre 2008, p. 137, obs. E. Dezeuze) approuve les juges du fond d’avoir fixé à 10 euros par action le préjudice subi par les actionnaires de la société Sidel.
  22. Plusieurs droits étrangers connaissent de telles présomptions. Pour le droit américain, voir notamment Eole Rapone, Le droit français doit-il s'inspirer du droit américain pour réparer le préjudice causé par de fausses informations boursières ?, JCP E n° 6, 7 Février 2013, 1099.
  23. On peut aussi envisager à terme le transfert au Tribunal des marchés financiers du contentieux disciplinaire actuellement soumis à l'ACPR
  24. Au sens du projet de directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d'initiés et aux manipulations de marché (Doc. Com. 2011. 651) ; Commission du 8 décembre 2010, Renforcer les régimes de sanction dans le secteur des services financiers, Doc. Com. 2010. 716.
  25. L’AMF (art. L621-2-II) peut aussi se porter partie civile dans les affaires pénales mais seulement dans les conditions prévues par l’article L621-16-1.
  26. Sur l’échevinage et la nécessaire spécialisation des juges, les rapports Coulon (Rapport sur la dépénalisation de la vie des affaires, janvier 2008, page 106) et Marshall (Rapport sur les juridictions du XXIe siècle, décembre 2013, page 62) se montrent favorables à l’échevinage, qui existe déjà dans certaines juridictions pénales, dont la cour d’assises. Le rapport Marshall décrit bien l’intérêt de l’échevinage : « Il convient dans les contentieux techniques économiques et sociaux où l'apport des magistrats issus du milieu professionnel concerné constitue un enrichissement évident au débat et à la décision juridictionnelle, de proposer une synthèse entre cette culture et la culture judiciaire en organisant des compositions mixtes associant magistrats professionnels et magistrats non professionnels dans des formations adaptées à chacun de ses contentieux. Dans les audiences collégiales où ils siégeront, les magistrats non professionnels auront voix délibérative et ils participeront à la rédaction des décisions juridictionnelles. »
  27. Un juge unique pourrait être chargé de décider les visites domiciliaires (L621-12), les séquestres et consignations (L621-13) et les mesures d’injonctions (L621-14-II).
  28. In convient de maintenir la procédure actuelle de récusation
  29. Il est utile, à ce stade de l’affaire, de maintenir la composition administrative confiée à l'AMF par l’article L621-14-1, avec une homologation par la formation du tribunal statuant pour manquement.
  30. Préf. à l'ouvrage collectif Le droit pénal des sociétés anonymes, Dalloz, 1955
  31. V. directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d'initiés et aux manipulations de marché, note 23.
  32. Rapport Annuel AMF 2012, page 134
  33. Ce risque s'est réalisé à propos de l'application à la société absorbante ou issue de la scission du principe de personnalité de la peine. Il peut se réaliser dans l'hypothèse où le COnseil d'Etat et la COur d'appel de Paris jugeraient différemment les mêmes faits reprochés à un professionnel et à un coauteur non professionnel
  34. Il a considéré que ni « le principe de la séparation des pouvoirs » ni « aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle » ne font « obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction ». Déc. n° 89-260 DC du Conseil constitutionnel, 28 juill. 1989, JO, 1er août 1989.9676, rect. JO, 5 août 1989.9896.


Voir aussi

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