Infidélité et mariage...pas vraiment incompatibles en réalité (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Olivia Chalus,
Avocate au barreau de Nice
2014


L’obligation de fidélité évolue. Les arrêts de jurisprudence sous l’influence d’une société en pleine mutation façonnent un concept plus large, moins charnel et d’avantage moral. L’infidélité n’est plus une automatiquement une faute et la fidélité devient une obligation du mariage qu’il est possible d’aménager.

Comment, ceux qui se marient de nos jours, entendent-ils les versets du Code civil lorsqu’ils sont égrenés par le Maire ? Hétéro, Homo…une fois la bague au doigt passée, quelle acception les mariés ont-ils du concept de fidélité ? Entre ceux qui ne peuvent s’épanouir dans la monogamie du mariage, ceux qui sont habitués à une pluralité sexuelle avec ou sans leur partenaire, ceux pour qui tromper est un mode de vie…il y a certainement mille et une conceptions du devoir de fidélité. Et il est probable que chacun une fois marié, interprète selon sa propre gamme les variations de cette notion aux contours bien flous.

Pourtant le Code civil est clair :

Article 212 du Code civil : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance »

La fidélité est une obligation issue du droit canon et inscrite dans l’inconscient collectif comme le corolaire du mariage, hétérosexuel en tout cas[1].

Pour autant il n’y a pas, en droit, ni dans le Code civil, ni dans les arrêts de jurisprudence, de définition de « la fidélité ». Les arrêts, se contentent de sanctionner ce qui, au jour où ils sont rendus, est considéré comme de l’infidélité. Mais la notion a déjà changé et elle est en train d’évoluer à grands pas avec l’arrivée du mariage pour tous qui devrait accélérer sa métamorphose.

Mais à l’heure de la liberté sexuelle, du poly amour, des unions gays sans parler des libertins et échangistes, la question peut se poser de savoir si de nos jours l’obligation de fidélité s’accorde toujours avec l’engagement du mariage ou si au contraire n’est pas venue l’heure d’autoriser son interprétation et d’accepter officiellement les pactes de liberté.

L’étude de la jurisprudence témoigne d’une tendance marquée vers un respect des choix de vie personnelle et sexuelle des époux.

Il faut se rappeler pourtant qu’avant 1975 l’infidélité était une infraction pénale et une cause péremptoire de divorce (c’est-à-dire que le divorce était obligatoirement prononcé si la preuve de l’infidélité était rapportée)[2].

De nos jours il s’agit toujours d’une des principales obligations du mariage. C’est également une obligation d’ordre public dont il est impossible de déroger ou de s’en décharger d’une quelconque manière que ce soit. Vraiment ? Ceci est la théorie. La réalité est toute autre.

Avec la libération des mœurs les tribunaux ont eu à se prononcer sur des questions telles que : Un contrat signé entre les époux les déchargeant de l’obligation de fidélité est-il valable ? Le mode de vie libéré adopté par les époux a-t-il des conséquences sur l’obligation réciproque de fidélité ? La connivence des époux dans les relations extra conjugales interdit-elle de se plaindre de l’infidélité de l’autre ?

La tendance est telle que certains auteurs vont jusqu’à préconiser de supprimer l’obligation de fidélité des obligations du mariage ou même de permettre à chacun de l’aménager comme il l’entend. L’idée est développée suivant laquelle la véritable fidélité ne se situerait plus dans l’exclusivité sexuelle mais dans la loyauté de son rapport à l’autre. L’obligation de fidélité se diluerait ainsi dans le devoir de respect (autre obligation de 212 du Code civil). Le respect serait entendu comme le respect de l'autre, de sa personnalité, de sa liberté et de sa part d'autonomie, alors que la fidélité, au sens de loyauté impliquerait plutôt le respect de ses propres engagements à l'égard de l'autre. L'obligation de fidélité pourrait donc tout aussi bien être un aspect du devoir de respect.

Par exemple la Cour d'appel de Bordeaux dans une décision du 10 avril 1996[3] a considéré que l'entretien par le mari d'une relation sentimentale avec un autre homme était une atteinte à l'obligation de fidélité et de loyauté dues pendant le mariage alors même qu'il n'y avait pas eu de relations physiques, ce qui justifiait le prononcé du divorce à ses torts.

Par exemple, pour une relation entre deux femmes : Cass. 2e civ., 17 avr. 1975 : DS 1975.

Si cette tendance se confirmait la fidélité concernerait à la fois les rapports physiques et les relations intellectuelles. Or, « L’intellectualisation de l’obligation de fidélité va de pair avec sa contractualisation »[4].

La jurisprudence publiée sur ces questions permet de se rendre compte des larges avancées faites en la matière.  

Ainsi il n’y pas de faute ni de violation grave et répétée des obligations du mariage, et de l’obligation de fidélité dans les cas suivants :

Connivence entre les époux

La jurisprudence établie de longue date, considère qu’il n’y a pas de faute s’il existe une connivence entre les époux. La jurisprudence, rendue avant la réforme du divorce de 1975 à laquelle il est encore fait référence à l’heure actuelle, retenait la connivence pour exclure la faute. En cas de connivence, un époux ne peut se prévaloir à l’encontre de l’autre de faits dont il s’est rendu lui-même complice.

Pour exemple, le cas d’un couple qui « entretenait des relations érotiques avec un autre couple » la Cour de Cassation rappelle qu’il y a alors connivence entre les époux dans l’adultère qui doit conduire au rejet de la demande en divorce[5].

Ainsi, aucun époux ne peut se prévaloir à l’encontre de l’autre de faits dont il s’est lui-même rendu complice. La cour de cassation a même jugé qu’il n’était pas nécessaire que cette connivence soit réciproque[6].


Mode de vie libéré des époux

Différents arrêts admettent que des époux choisissent de vivre « librement » leur sexualité et s’autorisent entre eux l’adultère pour considérer qu’aucune faute ne peut être reprochée de ce fait.

- Dans un arrêt du 19 novembre 1996 la cour d’appel de Bordeaux[7] a dû juger d’une demande en divorce d’un couple qui vivait de manière non conventionnelle : Le couple vivait dans une grande ville et disposait d’une maison secondaire au bord de mer. L’épouse « menait une vie ponctuée de grands espaces d’indépendance » passant deux jours de la semaine et les week-end d’hiver au domicile conjugal et le reste du temps dans la maison secondaire où elle recevait un amant. L’époux entretenait une maitresse de manière non dissimulée et l’avait installée dans un appartement en ville où il résidait principalement. Mais cependant vis-à-vis des tiers, le couple continuait de présenter l’image d’un couple vivant ensemble, en organisant des réceptions au domicile conjugal ou bien en se rendant ensemble à des invitations, réveillons…Et la Cour a jugé comme suit : « L’étude des différentes pièces montre que les deux époux ont adoptés depuis de nombreuses année un mode de vie comportant pour chacun de grands espaces d’intimité hors couple, ayant progressivement distendu leurs liens au point de les mener à une vie commune avant tout sociale, à s’autoriser l’adultère… …/… Qu’ainsi, les violations que chacun aujourd’hui reproche à l’adversaire en sont pas imputables à l’un ou l’autre mais procèdent de ce mode de vie tout comme elles ne rendent pas la vie commune intolérable puisqu’elles correspondent à l’inverse à une organisation conjugale mutuellement consentie. Que faute de rapporter la preuve de griefs comportant les caractères énoncés à l’article 242 du Code civil les parties seront déboutées de leurs demandes en divorce »

- En matière de libertinage et d’échangisme, un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse[8] a jugé qu’aucune faute ne pouvait être retenue. Les deux époux après avoir été échangistes, se reprochaient l’un et l’autre leur vie dissolue. L’époux accusait sa femme d’avoir eu, en dehors de relations échangistes en sa présence, des rencontres seules avec des tiers en cachette de son mari ; quant à l’épouse elle reprochait à son mari ne cesser de lui proposer des rencontres échangistes. La cour a jugé que : « Chacun des époux ayant participé et s’étant montré complaisant à l’égard des aventures communes ou seules de l’autre il y a lieu de ne pas retenir ces faits à la charge de l’un ou de l’autre époux »

- Dans un contexte de liberté sexuelle tacitement consentie, la Cour d’appel Bordeaux a jugé le 21 mars 2000[9] qu’à partir du moment où le mari avait consenti à la relation adultère de son épouse il ne pouvait plus invoquer cette liaison pour invoquer la faute. En l’occurrence l’épouse avait eu une relation avec un amant. L’époux avait écrit à cet amant en lui indiquant que sa femme souhaiterait faire l’amour avec lui et qu’il ne s’y opposait pas, voir même qu’il souhaiterait participer. Il écrivait aussi que son épouse qui sortait en boite de nuit pouvait à cette occasion s’offrir à n’importe quel homme. La Cour s’exprime ainsi : «  L’époux ne peut invoquer cette liaison adultère de son épouse à l’appui de sa demande en divorce ; qu’en effet, si le manquement de l’épouse à l’obligation de fidélité est établi, ce manquement n’a pu rendre intolérable le maintien de la vie commune, dans la mesure où l’époux avait expressément consenti à cette liaison, allant même jusqu’à regretter de ne pas être présent pour « participer » Dans un tel contexte de liberté sexuelle consentie, Monsieur Z ne peut davantage fonder une demande en divorce pour faute, sur la fréquentation habituelle de boites de nuit par son épouse et sur l’existence de relations intimes qu’elle a pu y nouer, alors qu’in fine dans son courrier Monsieur Z indiquait que son épouse aurait pu offrir de la même manière ses faveurs dans une boite de nuit à n’importe quel homme, ce qui traduit un accord au moins tacite du mari aux relations occasionnelles de son épouse avec des tiers, ôtant à ces relations tout caractère injurieux envers lui ».

Accord signé entre les époux

Si l’on en croit le caractère d’ordre public de l’obligation de fidélité, aucune dérogation ne serait valable. Pourtant, la jurisprudence admet que par convention les époux aménagent leur vie privée. Deux décisions, rendues certes dans le cadre des mesures provisoires d’un divorce, acceptent ainsi le principe que les deux époux se déchargent mutuellement de l’obligation de fidélité à compter de la cessation de la vie commune.

- Une première décision, qui a été largement commentée dans les revues spécialisées vient du TGI de Lille[10]. Dans leur convention provisoire de divorce, les deux époux avaient introduit une clause suivant laquelle puisqu’ils vivaient séparément ils « se dispensent mutuellement du devoir de fidélité ». Au regard des effets de cette clause, les commentateurs ont observé que les époux divorçaient par consentement mutuel, mais que s’ils changeaient d’avis cette clause serait sans effet à l’égard du juge du divorce qui a son tour fera ce qu’il voudra. Mais à ce stade, connaissant la jurisprudence énoncée plus haut, il est tout à fait concevable que le juge du divorce considère que les époux soit sont de connivence, soit ont un accord express ou tacite, qui s’oppose à ce que la faute soit invoquée pour un motif d’infidélité.

- Une deuxième décision rendue par la Cour d’appel de Grenoble[11], admet également que les époux, pouvaient se décharger de l’obligation de fidélité dans leur convention de divorce concernant les mesures provisoires. Qu’en l’espèce, les époux ne l’avaient pas fait, et qu’en conséquence l’adultère était une faute pouvant être retenue pour prononcer le divorce : « C’est à bon droit que le premier juge a dit que l’accord signé par les parties le 30 juillet 1996…ne les dispensait pas de leur obligation de fidélité, que l’adultère de Monsieur Z constituait par suite une violation grave et renouvelée des obligations nées du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune, et qu’il a prononcé, en l’absence de grief du mari à l’encontre de l’épouse, le divorce aux torts exclusifs de celui-ci ».

Ces deux décisions autorisent à penser que le pacte de liberté dont il est question depuis les années 70 pourra voir le jour notamment sous l’influence du mariage pour tous et de la nouvelle génération d’époux. La fidélité ne consisterait plus en une soumission à un ordre établi par la bienséance, les conventions ou le Code civil, la fidélité serait celle définie par des engagements propres et singuliers que chacun aura pris envers l’autre. Dans le nouvel ordre moral qui se dessine, gageons que cette question sera au centre des débats.


Notes et références

  1. La fidélité, dans le mariage canonique, est d'abord charnelle : l'union totale des époux est concrétisée par la consommation du mariage sans laquelle il ne peut être parfait (la non-consommation du mariage étant une cause de nullité) ; cette consommation du mariage crée au profit des époux une sorte de droit réel, de droit de propriété exclusif et absolu sur la personne de l'autre que l'adultère remet en cause. Virginie Larribau-Terneyre, Professeur à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, Codirectrice du CRAJ (Centre de recherche et d'analyse juridiques - EA 1919), Jurisclasseurs article 213 & 214 Code civil
  2. Le mari était punissable d’une peine d’amende s’il entretenait sa maîtresse au domicile conjugal. L’épouse était punissable d’une peine d’emprisonnement qui pouvait atteindre son amant (complice). La loi du 11 juillet 1975 a réformé ces dispositions
  3. Cour d'appel de Bordeaux 10 avril 1996 - CA Bordeaux, 10 avr. 1996 : JurisData n° 1996-044067
  4. Catherine Philippe, Quel avenir pour la fidélité, droit de la famille N°5, mai 2003, chron. 16 éditions lexisnexis
  5. Cour de Cassation civile 2, 21 juin 1979, n°78-14005, publié au bulletin
  6. Cour de Cassation civile 2, 4 juillet 1973- Jurisdata 1973-099214
  7. Cour de Cassation civile 2, 4 juillet 1973- Jurisdata 1973-099214
  8. CA Toulouse, 19 février 1997, 1ère chambre, 2ème section, Jurisdata 1997-042943
  9. CA Toulouse, 19 février 1997, 1ère chambre, 2ème section, Jurisdata 1997-042943
  10. TGI Lille, Jaf, 26 novembre 1999, Dalloz 2000. 254- RTDC 2000 p296
  11. CA Grenoble 3 mai 2000- 2ème chambre civile- Jurisdata 2000-119946

Voir aussi

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