Jurisprudence Maurice Jarre: Johnny Hallyday pouvait-il déshériter ses enfants grâce à la loi californienne ?(fr) (us)

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Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Février 2018






Un artiste français a-t-il le droit de déshériter ses enfants ?


La question se pose après que l'on vienne d'apprendre que Laura Smet, la fille de Johnny Hallyday ait demandé à ses avocats de contester le testament de son père devant la justice, et de mener toutes les actions de droit pour contester les dispositions testamentaires du chanteur qui confieraient l'ensemble de son patrimoine et l'ensemble de ses droits d'artiste exclusivement à Laeticia, dispositions qui contreviendraient aux exigences du droit français http://www.europe1.fr/culture/laura-smet-veut- contester le testament de son pere johnny hallyday-3572063


L'ensemble du patrimoine de Johnny et l'ensemble de ses droits d'artiste seraient dès lors exclusivement transmis à sa seule épouse Laeticia par l'effet de la loi californienne.


Un classique désormais que ces testaments qui viennent déshériter des enfants au profit de la dernière épouse en s'appuyant sur une loi étrangère.


Le 27 septembre 2017, la Cour de cassation a statué sur ce point dans un arrêt remarquable: "Une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels"


Il s'agissait des dispositions testamentaires du compositeur Maurice Jarre, auteur de la célèbre chanson de Lara entre autres musiques de films, mort le 29 mars 2009, qui était parti aux Etats-Unis en 1953 et qui, bien que français, avait, par testament, légué tous ses biens à sa dernière épouse, Fui Fong Khong, avec laquelle il s’était marié en 1984.


La cour d’appel de Paris avait déjà considéré dans un arrêt du 11 mai 2016, (n° 14/26247) que:


"si la réserve héréditaire est, en droit interne, un principe ancien mais aussi un principe actuel et important dans la société française, en ce qu’elle exprime la solidarité familiale, garantit une certaine égalité entre les enfants, et protège l’héritier d’éventuels errements du testateur, elle ne constitue pas un principe essentiel de ce droit, tel le principe de non-discrimination des successibles en raison du sexe, de la religion ou de la nature de la filiation, qui imposerait qu’il soit protégé par l’ordre public international français".


Elle a donc précisé qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi étrangère applicable, au profit de la loi française, car "si la liberté testamentaire diffère des dispositions impératives du droit français, elle ne contrevient pas à des principes essentiels de ce droit"


La Cour de cassation confirme que le musicien avait le droit de déshériter ses enfants français Jean-Michel et Stéfanie (rappel de l'affaire http://sosconso.blog.lemonde.fr/2017/09/29/maurice-jarre-avait-le-droit-de-desheriter-son-fils-jean-michel/)


Bien sur le droit français ne permet pas de déshériter ses enfants en prévoyant un réserve héréditaire ( Code civil - Article 912 et suivants) , sauf application d'une loi étrangère applicable à la succession.


C'est ce qui risque d'arriver dans ce litige qui devrait néanmoins, étant donnés les intérêts en jeu, continuer de défrayer la chronique quelques temps, d'autant que vont inévitablement se poser les questions de la résidence réelle de Johnny, de la situation d'éventuelle précarité de ses enfants déshérités et de son éventuel état de faiblesse au moment de la signature de son dernier testament...A suivre donc