Jurisprudence européenne: Protection des consommateurs, Denrées alimentaires, Allégations nutritionnelles et de santé, Communication à caractère commercial adressée exclusivement à des professionnels de santé (eu)

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Date: Octobre 2016



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Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Landgericht Munchen I (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 1er §2 du règlement 1924/2006/CE concernant les allégations nutritionnelles et de sante portant sur les denrées alimentaires (ci-après « le règlement »), lequel détermine les allégations nutritionnelles et de sante couvertes par le règlement.

Dans l’affaire au principal, une société, dont le gérant est un médecin, a commercialise un complément alimentaire et a adresse exclusivement à des médecins un courrier présentant celui-ci, sa composition, son prix de vente et des informations sur le traitement journalier. Apres qu’une association ait soutenu que le courrier en cause comportait des allégations de sante interdites par le règlement, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si l’article 1er §2 du règlement doit être interprété en ce sens que relèvent de son champ d’application les allégations nutritionnelles ou de sante formulées dans une communication à caractère commercial portant sur une denrée alimentaire destinée à être fournie en tant que telle au consommateur final, lorsque cette communication est adressée non pas au consommateur final, mais exclusivement à des professionnels de santé.

● S’agissant, en premier lieu, du libelle de l’article 1er §2 du règlement, la Cour constate que, aux termes de cette disposition, le règlement s’applique aux allégations nutritionnelles et de sante lorsque, d’une part, ces allégations sont formulées dans des communications à caractère commercial, qu’elles apparaissent sous la forme de l’étiquetage des denrées alimentaires, de la présentation de celles-ci ou de la publicité faite à leur égard, et que, d’autre part, les denrées alimentaires en question sont destinées à être fournies en tant que telles au consommateur final.

Si le règlement ne contient pas de définition de la notion de « communication à caractère commercial «, il ressort du considérant 4 du règlement que cette notion vise, également, une communication qui poursuit des fins de promotion. Dans ces conditions, la notion de « communication à caractère commercial « doit être comprise comme visant, notamment, une communication effectuée sous la forme de la publicité faite à l’égard des denrées alimentaires, destinée à promouvoir, directement ou indirectement, ces denrées. Ainsi, la Cour estime qu’une telle communication peut prendre la forme d’un courrier publicitaire que des exploitants du secteur alimentaire adressent à des professionnels de santé, contenant des allégations nutritionnelles ou de sante, afin que ces professionnels recommandent, le cas échéant, à leurs patients d’acheter et/ou de consommer les denrées.

En outre, l’article 1er §2 du règlement ne comporte pas de précision sur le destinataire de la communication à caractère commercial et ne distingue pas selon qu’il s’agit d’un consommateur final ou d’un professionnel de santé. Dès lors, la Cour considère que c’est le produit lui-même qui doit être destiné au consommateur final et non la communication dont il fait l’objet. Par conséquent, la Cour constate qu’il résulte du libelle de cette disposition que le règlement s’applique aux allégations nutritionnelles ou de sante formulées dans une communication à caractère commercial adressée exclusivement à des professionnels de santé.

● S’agissant, en deuxième lieu, de l’analyse du contexte dans lequel s’insère l’article 1er §2 du règlement, la Cour relève que, si certains considérants et des dispositions du règlement, notamment les considérants 1, 9, 16, 29 et 36, ainsi que l’article 5 §2 du règlement, visent expressément les consommateurs, sans mentionner les professionnels, l’absence de mention des professionnels dans ces considérants et ces dispositions ne saurait signifier que le règlement ne s’applique pas dans la situation ou une communication à caractère commercial est adressée exclusivement à des professionnels de santé. En effet, dans une telle situation, cette communication entre les exploitants du secteur alimentaire et les professionnels de santé vise principalement le consommateur final, afin que celui-ci acquière la denrée alimentaire faisant l’objet de ladite communication, à la suite des recommandations données par ces professionnels. De plus, il ne ressort d’aucune disposition du règlement que celui-ci ne s’applique pas aux communications commerciales adressées aux professionnels de santé.

● S’agissant, en troisième lieu, des objectifs poursuivis par le règlement, ceux-ci confortent l’interprétation selon laquelle ce dernier s’applique aux communications à caractère commercial adressées exclusivement aux professionnels de santé. Ainsi que cela ressort des considérants 1 et 18 du règlement, la protection de la sante figure parmi les principaux objectifs. A cette fin, il convient, notamment, de fournir au consommateur les informations nécessaires pour lui permettre d’effectuer des choix en connaissance de cause. Le règlement prévoit ainsi une procédure permettant de vérifier si une allégation est scientifiquement justifiée.

La Cour souligne que les professionnels de santé peuvent être considérés comme disposant de connaissances scientifiques supérieures à celles d’un consommateur final, entendu comme un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avise, ainsi que l’énonce le considérant 16 du règlement. Cependant, ces professionnels ne sauraient être regardés comme étant en mesure de disposer en permanence de l’ensemble des connaissances scientifiques spécialisées et actualisées nécessaires pour évaluer chacune des denrées alimentaires et les allégations nutritionnelles ou de sante employées dans l’étiquetage, la présentation de ces denrées ou la publicité faite à leur égard. Par conséquent, la Cour estime qu’il ne saurait être exclu que les professionnels de santé soient eux-mêmes induits en erreur par des allégations nutritionnelles ou de sante inexactes, ambiguës ou trompeuses.

Dès lors, ces derniers risquent de transmettre, en toute bonne foi, des informations erronées relatives aux denrées alimentaires faisant l’objet de la communication commerciale aux consommateurs finaux avec lesquels ils sont en relation. Ce risque est d’autant plus notable que lesdits professionnels sont susceptibles, en raison du rapport de confiance qui existe généralement entre eux et leurs patients, d’exercer une influence marquante sur ces derniers. En outre, la Cour relève que si les allégations nutritionnelles ou de sante adressées à des professionnels de santé n’entraient pas dans le champ d’application du règlement, avec la conséquence que de telles allégations pourraient être utilisées sans nécessairement reposer sur des preuves scientifiques, il existerait un risque que les exploitants du secteur alimentaire contournent les obligations prévues par le règlement en s’adressant au consommateur final par l’intermédiaire des professionnels de santé, afin que ceux-ci recommandent leurs denrées auprès de ce consommateur. Par conséquent, la Cour considère que l’application du règlement aux allégations nutritionnelles ou de santé formulées dans une communication à caractère commercial destinée à des professionnels contribue, dans le cadre du marché intérieur, dont le règlement vise à assurer le fonctionnement efficace, à un niveau élevé de protection du consommateur.

Partant, la Cour conclut que l’article 1er §2 du règlement doit être interprété en ce sens que relèvent du champ d’application de ce règlement les allégations nutritionnelles ou de santé formulées dans une communication à caractère commercial portant sur une denrée alimentaire destinée à être fournie en tant que telle au consommateur final, lorsque cette communication est adressée non pas au consommateur final, mais exclusivement à des professionnels de santé.

(Arrêt du 14 juillet 2016, Verband Sozialer Wettbewerb eV, aff. C-19/15)