L'actualité jurisprudentielle des marques de forme (fr)

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La Commission ouverte Propriété intellectuelle (COMPI) a tenu, le 7 janvier 2015, sous la responsabilité de Maître Fabienne Fajgenbaum, avocat au barreau de Paris, une réunion ayant pour thèmes "L'actualité jurisprudentielle concernant les marques de forme (marques tridimensionnelles, marques de position, conflit entre marques et dessins et modèles)" à laquelle est intervenue Martine Karsenty-Ricard, avocat à la cour.


Les éditions juridiques Lexbase, présentes à cet événement, vous en proposent un compte rendu.
Auteur: Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition affaires




Mots clefs : marques tridimensionnelles, marques de position, Directive 2008/95 du 22 octobre 2008, Règlement n˚ 207/2009 du 26 février 2009, code de la propriété intellectuelle


Deux grandes parties seront ici développées : les marques tridimensionnelles et les marques de position. La jurisprudence en la matière est assez fluctuante et ne permet pas de donner des avis tranchés. Très influencée par les décisions communautaires, qui ont dégagé des critères laissant les spécialistes parfois perplexes, elle est marquée par une vision assez restrictive de ces marques et de leur validité.


Les marques tridimensionnelles

Les marques constituées par la forme du produit ou son conditionnement

Les textes. Les textes communautaires et français sont assez semblables. Il s'agit, tout d'abord, de la Directive 2008/95 du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (N° Lexbase : L7556IBH), et du Règlement n˚ 207/2009 du 26 février 2009, sur la marque communautaire (N° Lexbase : L0531IDZ), selon lesquels peuvent, notamment, constituer une marque la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.


Reprenant à peu près les mêmes termes, le Code de propriété intellectuelle dans son article L. 711-1 (N° Lexbase : L3710ADR) dispose que constitue une marque, un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale ; peuvent constituer de tels signes les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement.


Le principe est donc qu'une marque peut être valable si elle est constituée par une forme ou son conditionnement. Elle peut, toutefois, être refusée à l'enregistrement ou annulée dans un certain nombre de cas. Cela ressort tout d'abord de l'article 3 de la Directive 2008/95 et de l'article 7 du Règlement n˚ 207/2009 qui indiquent que sont refusées à l'enregistrement ou sont susceptibles d'être annulées les marques dépourvues de caractère distinctif et les signes qui sont exclusivement composés :

- par la forme imposée par la nature même du produit ;
- par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ;
- par la forme qui donne une valeur substantielle au produit, ce troisième cas étant assurément le plus obscur.

Ces notions sont reprises par l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3711ADS).


Il doit être précisé que, dans le cadre des dispositions communautaires comme dans le cadre des dispositions nationales, pour ces marques composées de signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle, le caractère distinctif ne peut pas s'acquérir par l'usage.


Ces marques tridimensionnelles ont donc deux caractéristiques spécifiques : la forme ne doit pas donner au produit sa valeur substantielle (1.1.1) et la forme ne doit pas être imposée par la nature ou la fonction du produit (1.1.2). L'objectif de ces dispositions est de ne pas détourner la finalité du droit des marques en protégeant par ce dernier ce qui relèverait en réalité d'une protection conférée par le droit d'auteur ou le droit des dessins et modèles. Par ailleurs, il existe une condition commune à toute les marques : un caractère distinctif, c'est-à-dire que le signe doit être apte à remplir la fonction d'identification d'origine des produits (1.1.3).


L'exclusion par le droit des marques de la forme qui donne sa valeur substantielle au produit

"La forme qui donne sa valeur substantielle au produit" est une notion qui manque de clarté et qui induit le plus souvent une analyse du comportement du consommateur : la forme du produit est-elle indifférente à son choix ? Si la réponse est positive, la forme n'est pas déterminante et ne sert qu'à distinguer un produit d'un autre. La marque, dans ce cas, pourrait être valable. En revanche, si le consommateur s'est déterminé essentiellement (terme retenu par la jurisprudence) en raison de la forme du produit, la protection au titre du droit des marques sera refusée puisque c'est cette forme qui donne sa valeur substantielle au produit.


L'exclusion s'applique donc lorsque l'esthétique de la forme, son design, etc. déterminent la valeur intrinsèque marchande du produit.


Il ressort de la jurisprudence que l'interprétation de cette notion est faite par les juges au cas par cas. L'un des arrêts les plus récents et qui examine vraiment pour la première fois ce motif d'exclusion a été rendu le 18 septembre 2014 par la CJUE concernant une chaise pour bébé (CJUE, 18 septembre 2014, aff. C-205/13 N° Lexbase : A6131MWY). La question qui se posait était ici de savoir si cette "forme qui donne une valeur substantielle au produit" doit être considérée comme la valeur principale ou prépondérante par comparaison avec d'autres valeurs (telles que, s'agissant des chaises pour enfants, la sécurité, le confort et la qualité du matériel), ou si, en dehors de cette valeur, il existe d'autres valeurs de ce produit qui doivent également être considérées comme substantielles. Pour la Cour, même si la forme du produit qui constitue la marque confère d'autres qualités que l'esthétique, la marque n'est pas valable et doit être refusée à l'enregistrement.


Deux considérants sont importants car ils résument la position actuelle de la jurisprudence communautaire : considérer la forme comme donnant une valeur substantielle au produit n'exclut pas que d'autres caractéristiques du produit, par exemple la sécurité, le confort ou la qualité, puissent conférer également une valeur importante à celui ci. Ainsi, l'application du motif de refus ne peut pas être automatiquement exclue lorsque, en dehors de sa fonction

esthétique, le produit assure également d'autres fonctions essentielles. Enfin, pour apprécier si une forme donne une valeur substantielle au produit, la perception du signe par le consommateur moyen n'est pas élément décisif, mais peut tout au plus constituer un élément d'appréciation utile. D'autres éléments peuvent entrer en compte tels que la nature de la catégorie concernée des produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d'autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d'une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause.


Ainsi, par exemple, afin de déterminer si la forme donne sa valeur substantielle au produit les juges vont se pencher sur la stratégie marketing et la politique de prix. Si ces dernières mettent en avant la forme du produit, il sera possible de considérer que le titulaire du droit a donné une valeur substantielle au produit par cette forme et la marque sera donc annulée ou refusée à l'enregistrement.


Il ressort de cette jurisprudence que l'enregistrement sera refusé lorsque la forme de l'objet a plusieurs caractéristiques qui confèrent différentes valeurs substantielles.


Dans un autre arrêt rendu le 6 octobre 2011 dans l'affaire "Bang & Olufsen" (TPIUE, 6 octobre 2011, aff. T-508/08 N° Lexbase : A5938HYL), le Tribunal de l'Union européenne a confirmé, de façon justifiée, le refus à l'enregistrement d'une enceinte très design en estimant que pour le consommateur moyen l'élément décisif qui est un trait caractéristique de la stratégie de la marque est l'esthétique et non d'autres éléments tels que la qualité du son ou l'acoustique. Il précise, en effet, que les caractéristiques esthétiques de cette forme sont soulignées en premier, et qu'une telle forme est perçue comme une sorte de sculpture pure, élancée et intemporelle pour la reproduction de musique, ce qui en fait un élément substantiel en tant qu'argument de promotion de vente.


De même, l'OHMI dans sa décision "Baccardi" du 23 mai 2013 a estimé, pour refuser une bouteille de vodka à l'enregistrement, que l'esthétique particulièrement forte de la bouteille était particulièrement mise en avant dans la communication, peu important ce qu'elle contient et les qualités gustatives du contenu. Cette décision peut sembler étonnante dans la mesure où de nombreuses décisions considèrent, notamment pour des parfums ou de l'alcool, que la forme du contenant est moins importante que le contenu.


Si les critères d'appréciation utilisés laissent perplexes, notamment ceux relatifs à la stratégie commerciale du titulaire de marque, il convient tout de même de les prendre en compte puisqu'ils représentent un véritable risque d'annulation.


La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 30 janvier 2009 (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 30 janvier 2009, n˚ 07/12 419 N° Lexbase : A2173EDT), extrêmement bien motivé a, quant à elle, validé une marque tridimensionnelle pour des chocolats présentés sous la forme de sarments de vigne, estimant, en substance, que cette forme qui indubitablement est étudiée pour être attractive ne constitue pas pour autant la valeur substantielle des produits de la chocolaterie ; en effet, ce n'est pas leur apparence qui constitue leur valeur mais c'est au contraire leurs qualités gustatives, leur consistance et plus généralement leurs qualités intrinsèques qui sont recherchées par le consommateur de chocolat et non pas leur présentation formelle. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt (Cass. com., 26 octobre 2010, n˚ 09-69.687, F-D N° Lexbase : A0381GDH), retenant que l'appréciation de la validité d'une marque doit être portée au regard des produits enregistrés indépendamment des conditions de son exploitation et que cette présentation s'éloigne de façon suffisamment significative de celle adoptée par les autres produits de chocolaterie pour signifier au consommateur l'origine commerciale d'un produit et lui permettre de réitérer sans confusion possible l'acte d'achat auquel il a pu procéder.


Il est vrai que la forme de cette brindille de chocolat était bien plus distinctive qu'un signe tridimensionnel résultant de la combinaison de 18 cubes d'apparence chocolatée, non reliés entre eux, de base carrée et de côtés en forme de trapèze, et d'un support moulé comportant 18 creux ayant chacun la forme d'un chocolat, disposés en trois rangées de six creux chacune dont a été saisi le Tribunal de l'Union européenne. Dans un arrêt du 11 décembre 2014 (TPIUE, 11 décembre 2014, aff. T-440/13 N° Lexbase : A6721M73), il a ainsi confirmé le refus d'enregistrement de cette marque au motif qu'elle est banale et dépourvue de tout élément de nature à lui permettre de jouer, auprès du public pertinent, un rôle d'indication d'origine commerciale. Il doit être relevé que le Tribunal précise, ici, que les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel. Là encore, la jurisprudence communautaire vient introduire des notions très factuelles qui obligent à des réflexions au cas d'espèce. En effet, comment le titulaire du droit va-t-il pouvoir prouver que le consommateur moyen a "l'habitude de présumer l'origine" ? Devra-t-il prouver que rien dans la concurrence n'est semblable, qu'il n'a pas de concurrents qui ont mis sur le marché des produits semblables ? Cela paraît être une condition difficile à manier. Au demeurant, le Tribunal rappelle que seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine, n'est pas dépourvue de caractère distinctif.


L'exclusion par le droit des marques de la forme imposée par la nature ou la fonction du produit

Les critères sont ici plus faciles à manier. L'un des arrêts de principe est l'arrêt "Philips c/ Remington" de la CJCE du 18 juin 2002 (CJCE, 18 juin 2002, aff. C-299/99 N° Lexbase : A9139AY7) concernant des rasoirs dotés de trois têtes rotatives qui avaient été déposées à titre de marque. La Cour énonce qu'un signe constitué exclusivement par la forme d'un produit n'est pas susceptible d'enregistrement, s'il est démontré que les caractéristiques fonctionnelles essentielles de cette forme sont attribuables uniquement au résultat technique, ce qui était bien le cas en l'espèce puisque la forme de ces lames de rasoir était très strictement liée à la fonction du produit. Il est intéressant de noter que, dans cette décision, la Cour écarte le critère de la multiplicité des formes.


Cette question de la forme liée à la fonction du produit était également traitée dans l'arrêt relatif à la chaise pour bébé ayant donnée lieu à l'arrêt du 18 septembre 2014 (CJUE, 18 septembre 2014, aff. C-205/13, préc.). A ce propos, la CJUE rappelle que, pour raisons d'intérêt général, il n'est pas possible de reconnaître un monopole sur des solutions techniques à un opérateur au préjudice de ses concurrents et que la notion de "forme imposée par la nature même du produit" implique que les formes dont les caractéristiques essentielles sont inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit que le consommateur peut rechercher dans les produits des concurrents doivent être refusées à l'enregistrement.


Dans un arrêt du 27 septembre 2007, rendu sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Versailles a validé une marque tridimensionnelle pour un médicament en l'occurrence le Lexomil. La question posée était de savoir si la forme oblongue d'un comprimé quadrisécable pouvait être directement liée ou non à la possibilité de couper le comprimé. Dans le premier arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, les juges avaient retenu la validité de la marque estimant que cette forme n'était pas nécessaire à la fonction de ce comprimé. La Cour de cassation, le 21 janvier 2004 (Cass. com., 21 janvier 2004, n˚ 02-12.335, FS-P+B+I N° Lexbase : A8758DAM), censure la solution des juges parisiens, reprochant à ces derniers de ne pas avoir recherché si la forme constituant la marque contestée n'était attribuable qu'au résultat technique recherché, peu important l'existence d'autres formes propres à permettre l'obtention de ce même résultat. La cour d'appel de renvoi considère que la forme du comprimé est valable à titre de marque. Pour la cour d'appel de Versailles, en effet, le caractère quadrisécable du comprimé n'est pas imposé par la fonction ou la destination de ce type de médicament, relevant qu'il résulte, notamment d'études scientifiques, que la forme oblongue ne permet pas une meilleure sécabilité que des formes rondes ou ovales et ne procède nullement de contraintes techniques ou pratiques. Cette solution semble, pour Martine Karsenty-Ricard, critiquable au regard de la position de la CJUE.


Pour Fabienne Fajgenbaum, cette affaire doit, toutefois, être replacée dans son contexte particulier. Le litige est né à une époque à laquelle les premiers médicaments génériques apparaissent sur le marché. Le principe actif du Lexomil allait tomber dans le domaine public et les génériqueurs commençaient à lancer sur le marché des génériques de ce médicament. Lexomil est un anxiolytique très connu et, étant destiné par définition à un public anxieux, sa forme en tant que telle était identifiée à la marque verbale Lexomil, de sorte que sans présenter le nom du médicament ou son emballage le patient reconnaissait le médicament. En fait, les conseils avaient plaidé la notoriété, là où la jurisprudence postérieure refuse de reconnaître la distinctivité acquise par l'usage. Le caractère quadrisécable était bien fonctionnel mais le médicament avait en outre des encoches spécifiques et un chanfrein autour. Or, le génériqueur avait reproduit la forme du médicament à l'identique pour le territoire français sur lequel Lexomil était très connu, alors qu'il avait opté pour une autre forme pour d'autres territoires. La cour a, en quelque sorte, sanctionné le parasitisme, dans la mesure où le génériqueur pouvait parfaitement reproduire le principe actif tombé dans le domaine public en adoptant d'autres formes. Il a, en fait, été démontré que la forme n'était pas exclusivement (nous soulignons) liée à la fonction du produit.


Concernant les médicaments, Martine Karsenty-Ricard relève que très récemment, a été introduite dans le Code de la santé publique l'interdiction de protéger une forme d'un comprimé par les dessins et modèles.


Dans l'arrêt "Kit Kat" du 13 décembre 2013, la cour d'appel (CA Paris, 13 décembre 2013, n˚ 13/09 001 N° Lexbase : A2893KRL) valide la marque litigieuse en considérant que, certes les deux barres chocolatées facilitaient le fractionnement du produit, mais que le caractère sécable ne rendait pas pour autant la forme déposée exclusivement fonctionnelle dès lors qu'il existe d'autres moyens de rendre la barre fractionnable. Cette fonction n'est, par conséquent, ni technique, ni essentielle dans la forme de la barre chocolatée. Se pose, ici, la question de savoir si cette décision ne revient pas sur le critère de la multiplicité des formes retenu dans la décision de la CJCE dans l'arrêt "Philips". Il n'est pas sûr que cette décision ait pu passer l'épreuve de la jurisprudence communautaire. D'ailleurs l'INPI avait annulé la marque considérant que la forme déposée était imposée par la fonction de la marque qui était de couper facilement des barres de chocolat.


Autre exemple, le 19 septembre 2012, le Tribunal de l'Union européenne a confirmé le refus à l'enregistrement d'un manche de couteau courbé en forme de poisson (TPIUE, 19 septembre 2012, aff. T-164/11 N° Lexbase : A0254ITL). La solution est un peu particulière car le refus a été motivé par le fait que toutes les caractéristiques techniques étaient décrites dans un brevet. L'existence du brevet était ici une sorte de preuve irréfutable que des caractéristiques fonctionnelles tout à fait liées à la forme du produit existaient, peu importe que la forme rappelle un poisson. D'ailleurs, la décision fait une analyse très précise des caractéristiques techniques.


Récemment, le TGI de Paris a annulé une marque tridimensionnelle pour une tong, retenant que la forme, dont la protection à titre de marque est demandée pour désigner des chaussures et sandales de la classe 25, et non d'autres objets ou d'autres produits d'autres classes, est l'objet lui-même à savoir une tong dans sa forme la plus banale et que ce signe est manifestement, à l'exclusion de la marque qui y est insérée, un signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit (TGI Paris, 3ème ch., 13 février 2014, n˚ 11/09 481 N° Lexbase : A8584MGZ). Dans cette décision le tribunal a relevé que la marque était déposée sous les mêmes présentations que les dessins et modèles, démontrant la volonté de protéger par la marque un produit qui n'avait pas à l'être autrement que par le droit des dessins et modèles.


L'appréciation du caractère distinctif des marques

Les marques indépendamment des critères vus précédemment doivent être aptes à remplir leur fonction essentielle de garantie d'origine d'un produit. Ici, le critère habituellement retenu par les tribunaux revient à se poser la question de savoir si la marque diverge ou non des habitudes du secteur.


Le caractère distinctif est analysé, assez classiquement, par rapport à l'intérêt général, au produit lui-même et au consommateur d'attention moyenne dont la qualité variera en fonction de celle du produit dont il s'agit.


Ainsi, dans un arrêt du 26 février 2013, la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 26 février 2013, n˚ 11/06 632 N° Lexbase : A5673I8M) a considéré, pour une barre chocolatée, que la marque était suffisamment distinctive car divergente de la forme communément utilisée dans ce secteur. Les portions, en l'espèce, constituent une forme arbitraire immédiatement identifiable pour le consommateur qui peut ainsi attribuer à ce produit une origine déterminée.


Toujours pour des chocolats, la cour d'appel de Paris, le 19 décembre 2012 (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 19 décembre 2012, n˚ 10/21 946 N° Lexbase : A5575IZI), a estimé que la combinaison arbitraire de l'emballage en papier doré et de la caissette en papier plissé sur laquelle la praline est posée n'est pas usuelle en ce qui concerne la présentation des rochers, de sorte que la marque est distinctive. Ce qui est intéressant dans cette solution, qui laisse perplexe, est qu'un sondage a été fourni selon lequel 70 % des gens interrogés attribuaient spontanément cette marque à son titulaire.


La cour d'appel de Paris 10 avril 2013 (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 10 avril 2013, n˚ 12/09 125 N° Lexbase : A8575KB9) a également validé le mors de cheval de la marque Gucci comme marque tridimensionnelle retenant, notamment, que le signe présente intrinsèquement un caractère distinctif au regard des produits visés à l'enregistrement (des chaussures), le mors de cheval, objet du dépôt, ne se confondant pas avec les chaussures, seules en cause, qu'il désigne, et pouvant revêtir, ainsi des formes diverses et variées sans nécessairement représenter le mors de cheval particulier déposé.


Au contraire, le TPIUE a considéré, dans un arrêt du 22 mars 2013 (TPIUE, 22 mars 2013, aff. T-409/13 N° Lexbase : A0703KBN), qu'une marque tridimensionnelle déposée pour un sac était dépourvue de caractère distinctif, dès lors que la forme du sac en question, très proche d'un cabas assez banal, ne divergeait pas de manière significative des normes et des habitudes du secteur. De même, dans l'arrêt "Lindt", la CJUE a annulé le signe tridimensionnel représentant la forme d'un lapin en chocolat avec un ruban rouge et de couleurs rouge, dorée et brune (CJUE, 24 mai 2012, aff. C-98/11 P N° Lexbase : A1582IMK), retenant notamment que la forme d'un lapin assis ou blotti ne diverge pas de manière significative des emballages des produits en question, qui sont communément utilisés dans le commerce, venant ainsi naturellement à l'esprit comme une forme d'emballage typique desdits produits. Par ailleurs, aucun opérateur ne peut s'approprier un monopole du lapin de Pâques au détriment de ses concurrents, l'intérêt général devant ainsi assurer la protection des concurrents contre la reconnaissance d'un tel monopole.


Les marques constituées de formes caractérisant un service

Ces marques sont spécifiquement visées par le droit national (C. prop. intell., art. L. 711-1, alinéa 2, c)) ce qui n'est pas le cas dans les textes communautaires.


Une décision récente et importante doit être signalée ici. Il s'agit de l'arrêt "Apple" rendu par la CJUE le 10 juillet 2014 (CJUE, 10 juillet 2014, aff. C-421/13 N° Lexbase : A1879MU7). Une juridiction allemande avait posé une question préjudicielle à la Cour tendant à savoir si un service de vente au détail pouvait être enregistré à titre de marque Lexbook - Revues Lexbook généré le 17 mars 2015. p. 5 et si oui quel devait être le degré de précision du dépôt de marque. La marque en question avait été déposée par Apple en classe 35 constituée par un agencement de magasin et la décoration. La CJUE a retenu en substance que la représentation de l'aménagement d'un espace de vente, tel que celui d'un magasin porte-drapeau "Apple", peut, sous certaines conditions, être enregistrée en tant que marque, une telle représentation devant alors être propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises. Elle précise que la représentation, par un simple dessin sans indication de taille ni de proportions, de l'aménagement d'un espace de vente de produits suffit pour être enregistrée comme marque. L'aménagement tel qu'il était reproduit dans l'acte de dépôt était donc suffisamment différent des habitudes du secteur pour constituer une marque.


A l'inverse, dans un arrêt plus ancien, l'aménagement des magasins Séphora n'a pas été validé à titre de marque par la cour d'appel de Paris (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 25 juin 1997, n˚ 96/13 700). En effet pour la cour, la protection à titre de marque de la forme caractéristique d'un bâtiment dans lequel on propose le service désigné au dépôt est légalement possible dès lors que cette forme est précise et arbitraire pour désigner le service en cause. Or, en l'espèce, il semble que l'accumulation de meubles et d'éléments de décoration n'était pas suffisamment distinctives, notamment, que certaines des formes identifiables étaient purement fonctionnelles et nécessaires à l'exposition des produits en matière de parfumerie.


Les conflits entre marques tridimensionnelles et les dessins et modèles

Les textes sont clairs. Selon l'article 25 § 1, e) du Règlement sur les dessins et modèles communautaires (Règlement n˚ 6/2002 du 12 décembre 2001 N° Lexbase : L0711HE3), "un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que [...] s'il est fait usage d'un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur et que le droit communautaire ou la législation de l'Etat membre concerné régissant ce signe confère au titulaire du signe le droit d'interdire cette utilisation". On retrouve une disposition analogue rédigée de façon plus simple dans le Code de propriété intellectuelle à l'article L. 512-4 (N° Lexbase : L3533AD9), aux termes duquel "l'enregistrement d'un dessin ou modèle est déclaré nul par décision de justice [...] s'il est fait usage dans ce dessin ou modèle d'un signe distinctif antérieur protégé, sans l'autorisation de son titulaire".


Dès lors, si un dessin ou modèle reproduit des éléments caractéristiques d'un signe distinctif antérieur, il peut être annulé.


Un seul arrêt relatif à un conflit entre une marque tridimensionnelle préexistante et un dessin ou modèle communautaire postérieur est relevé. Dans cette affaire, une société, titulaire d'une marque figurative et d'une marque tridimensionnelle antérieures représentant un stylo surligneur bien connu demandait la nullité du dessin et modèle communautaire déposé par une société chinoise représentant un stylo surligneur. Dans son arrêt du 27 juin 2013, le Tribunal de l'Union européenne prononce la nullité du dessin et modèle communautaire en raison de la marque tridimensionnelle antérieure en considérant qu'il y a un risque de confusion (TPIUE, 27 juin 2013, aff. T-608/11 N° Lexbase : A5496NCK). Cette décision appelle deux remarques. Tout d'abord, le Tribunal a apprécié le risque de confusion, retenant que s'il n'y avait pas de reproduction à l'identique, il y avait bien en l'espèce une reproduction des éléments principaux. Ensuite et surtout, le Tribunal a demandé des preuves d'usage de la marque antérieure alors que les textes ne l'exigent pas.


A l'inverse, lorsqu'une marque tridimensionnelle reproduit un dessin ou modèle communautaire antérieur, l'article 4 § 4 c) de la Directive du 22 octobre 2008 et l'article 53 § 2 d) du Règlement du 26 février 2009 prévoient que "la marque communautaire est déclarée nulle sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon si son usage peut être interdit en vertu d'un autre droit antérieur selon la législation communautaire ou le droit national qui en régit la protection, et notamment [...] un droit de propriété industrielle". De même l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que "ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment [...] aux droits résultant d'un dessin ou modèle protégé".


Une seule décision, de la chambre des recours de l'OHMI en date du 14 février 2012, a été relevée. Dans cette décision concernant des sachets de thés, l'Office a accepté l'enregistrement de la marque postérieurement déposée en considérant qu'il existait des différences suffisantes avec le dessin ou modèle préexistant, relevant qu'étaient notamment différents la forme de la pyramide, le motif en haut de la ficelle, etc..


Les marques de position

Il existe de plus en plus de contentieux sur les marques de position. Aucun texte national ou communautaire ne définit la marque de position. Elle peut alors être définie comme la marque qui vise à la protection d'un signe spécifique placé sur une partie déterminée de la surface d'un produit désigné. Il s'agira soit d'une marque tridimensionnelle, soit d'une marque figurative. Sa spécificité tient au fait qu'elle est déterminée par son emplacement sur le produit et se confond avec l'aspect du produit ou une partie du produit désigné.


A défaut de textes spéciaux, on en revient aux textes vus précédemment, à savoir les possibilités de dépôts de marques tridimensionnelles et les cas dans lesquels la marque n'est pas valable. Le contentieux en la matière, assez abondant, est essentiellement communautaire. Pourtant, une fois encore, la jurisprudence n'éclaire pas de façon pertinente. La plupart des arrêts ne valide pas les marques de position et l'analyse faite par les tribunaux, très subjective, est marquée par un fort aléa.


Il existe des critères assez classiques au premier rang desquels l'on retrouve la distinctivité qui s'apprécie, comme pour les autres marques, par rapport au produit ou service désigné et par rapport à la perception qu'en a le public pertinent. Le signe sera distinctif s'il diverge de la norme ou des habitudes du secteur. La preuve, qui est à la charge du titulaire, est difficile à rapporter puisqu'il s'agit d'une preuve négative.


On retrouve aussi la question de savoir si le signe peut être facilement ou immédiatement mémorisable ou mémorisé en tant que signe distinctif. En outre, le public pertinent peut être un public d'attention variable suivant les produits dont il s'agit. Ainsi, en matière de vêtements le vecteur est placé sur le consommateur censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.


Sur ces marques de position, le titulaire doit rapporter un certain nombre de preuves :

- que le signe diverge des habitudes du secteur ;

- qu'il comporte des éléments permettant de le différencier de l'aspect du produit qu'il désigne ;

- que le signe n'est pas banal ;

- et que la représentation de la marque n'est pas perçue comme un simple élément décoratif.

Une illustration emblématique des marques de position concerne les semelles rouges des chaussures de la marque Louboutin ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 juin 2011 (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 22 juin 2011, n˚ 09/00 405 N° Lexbase : A1343HWN) qui a a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation le 30 mai 2012 (Cass. com., 30 mai 2012, n˚ 11-20.724, F-D N° Lexbase : A5315IMS). Ces arrêts ont été rendus dans le contentieux opposant Louboutin à Zara qui avait commercialisé dans ses boutiques des chaussures avec une semelle rouge. Ces décisions ont reconnu que la marque n'était pas valable car, s'agissant de la couleur rouge revendiquée, celle-ci n'était pas définie par une référence permettant de l'identifier avec précision, et qu'il était impossible, à l'examen de la figure déposée, de déterminer si celle-ci représentait la face extérieure ou la face intérieure de la semelle. Il ne peut s'agir d'un arrêt de principe car la marque n'était pas précisément définie ce qui la rendait inévitablement sujette à discussion voire à annulation comme cela a été retenu. En outre, Louboutin arguait de la notoriété de cette semelle rouge, point sur lequel il est également débouté, les juges considérant que la notoriété de Louboutin était fondée sur un concept d'usage systématique d'une semelle rouge et non sur la forme de la semelle elle-même.

Louboutin a donc, par la suite, déposé au niveau communautaire la semelle rouge en tant que marque communautaire avec un code pantone, l'OHMI considérant que la semelle rouge appliquée sur une chaussure était une marque valable. L'Office a notamment retenu que cette semelle divergeait des pratiques habituelles du secteur et que, par conséquent, le consommateur peut être surpris par cette marque de fantaisie et attribuer une origine particulière au produit lorsqu'il le visualise.


Dans une autre décision intéressante car assez atypique, le TGI de Paris a validé la marque constituée par des surpiqûres en forme de "W" sur des poches de jeans (TGI Paris, 3ème ch., 16 mai 2014, n˚ 13/00 860 N° Lexbase : A1665MQQ). Le tribunal retient que s'il est d'usage courant d'apposer une surpiqûre sur la poche arrière des jeans, la multiplication de ces signes sur les poches arrières de jeans ne démontre pas que le signe soit perçu par le consommateur comme étant un élément uniquement décoratif, d'autant plus que deux de ces signes sont eux mêmes des marques déposées pour désigner des vêtements par des fabricants de jeans. Par ailleurs, le tribunal ajoute, dans un point annexe mais qui doit attirer l'attention, qu'un signe est distinctif dès lors qu'il permet de remplir la fonction d'identification d'origine du produit, ce qui n'implique pas que le signe doive en lui même et intrinsèquement permettre d'identifier le nom de la société dont il provient, mais qu'il permette au consommateur de le distinguer d'un produit similaire provenant d'une autre société.


Au contraire, dans un arrêt antérieur, en date du 28 septembre 2010, le Tribunal de l'Union européenne (TPIUE, 28 septembre 2010, aff. T-388/09 N° Lexbase : A4234GA3) a jugé non valable la marque constituée par des surpiqûres sur des poches de jeans considérant qu'il s'agissait d'un élément décoratif et non de l'indication de l'origine des produits, de sorte que le signe litigieux était dépourvu de caractère distinctif. Le Tribunal retient notamment que la marque en cause ne déclencherait pas un stimulus visuel permettant au consommateur moyen de reconnaître l'origine des produits en cause.

De même, dans un arrêt du 15 juin 2010, le Tribunal de l'Union européenne toujours, invalide comme marque la coloration orange de la pointe d'une chaussette, retenant qu'il n'y pas de preuve que le consommateur est habitué à concevoir la pointe de couleur d'une chaussette comme l'indication d'origine commerciale (TPIUE, 15 juin 2010, aff. T-547/08 N° Lexbase : A0951EZA). Le 16 janvier 2014, la même juridiction (TPIUE, 16 janvier 2014, aff. T-433/12 N° Lexbase : A6696KT8), utilisant le même critère de manque de distinctivité, a annulé une marque consistant en la fixation d'un bouton au milieu de l'oreille d'une peluche. Il relève notamment, d'une part, que la forme ronde du bouton est une forme géométrique simple qui ne se démarque en rien des normes ou des habitudes du secteur, et, d'autre part, que bien que les boutons soient fixés sur une partie précise des produits en question, s'agissant ici de leurs oreilles, cette combinaison banale n'est pas à même de susciter l'impression, chez un consommateur moyen, normalement informé, raisonnablement attentif et avisé, et n'ayant aucune expérience particulière avec les produits concernés, qu'il s'agit d'une identification de l'origine commerciale desdits produits.

Enfin, dans un arrêt du 18 avril 2013, qui ne concernait pas un problème de validité de marque, la CJUE a réglé la question de savoir si l'usage d'une marque uniquement au travers d'une autre marque complexe également déposée pouvait valoir ou non usage sérieux (CJUE, 18 avril 2013, aff. C-12/12 N° Lexbase : A1408KC7. Deux marques appartenant à la société Levi Strauss étaient en cause : l'une représentait la poche avec sur le côté une étiquette rouge dans laquelle est apposée le mot "Levi's" ; l'autre était une marque de position dans laquelle on retrouvait les mêmes éléments sans le mot "Levi's". Le titulaire avait attaqué l'usage par un tiers de l'apposition de cette étiquette rouge sur la poche arrière d'un pantalon. Le problème qui se posait était donc celui de l'usage sérieux de la marque complexe sans le nom "Levi's". La CJUE a retenu, ce qui semble désormais être une position de principe, que la condition d'usage sérieux d'une marque peut être remplie lorsqu'une marque enregistrée, qui a acquis son caractère distinctif par suite de l'usage d'une autre marque complexe dont elle constitue un des éléments, n'est utilisée que par l'intermédiaire de cette autre marque complexe, ou lorsqu'elle n'est utilisée que conjointement avec une autre marque, la combinaison de ces deux marques étant, de surcroit, elle-même enregistrée comme marque.