L'indemnisation de l'héritier pour l'aide et l'assistance de ses parents à leur succession (fr)

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Auteur : Me Anthony Bem, avocat au Barreau de Paris

Mai 2017



L’héritier a-t-il droit à une indemnisation, lors de la succession de ses parents, en contrepartie de l’aide et de l’assistance qu’il leur a fournie ?



Au décès d'une personne, ses héritiers se retrouvent juridiquement propriétaires en indivision de ses biens et patrimoine.


Les conflits familiaux sont alors fréquents pour déterminer les droits de chacun sur l'héritage laissé par leurs parents au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession.

A cet égard, certains héritiers sollicitent de l'indivision successorale le paiement d'une indemnité en contrepartie du temps et des soins qu'ils ont consacré à leurs parents avant leur décès.

Or, selon l'article 205 du Code civil, les enfants "doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin", en fonction de leurs ressources.

Ainsi, l'enfant qui prend en charge ses parents ne fait qu'accomplir un devoir moral et ne peut espérer une quelconque compensation sur l'héritage, faute de dispositions testamentaires du défunt en sa faveur.


Cependant, malgré l'absence de texte particulier, la jurisprudence admet, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, la possibilité d'indemniser le dévouement exceptionnel d'un enfant envers ses parents jusqu'à leurs décès.

Ainsi, la Cour de cassation a assoupli ce devoir moral et reconnait dans certains cas l'existence d'une créance successorale compensatrice d'assistance aux parents âgés.

Le cas échéant, l'indivision successorale peut être amenée à devoir à l'un des héritiers une indemnité pour dévouement exceptionnel dont il a fait preuve envers ses parents.

Pour se faire, la jurisprudence exige une assistance "ayant excédé les exigences de la piété filiale".

La piété filiale signifie d'être bon envers ses parents, d'en prendre soin, de leur démontrer de l'amour, respect et soutien.

Toutefois, à l'heure actuelle, il n'existe pas d'outils d'appréciation objectifs d'une assistance ou d'une piété familiale "normale", et il est difficile de quantifier le devoir d'assistance des enfants envers leurs parents.

A titre d'exemple, le 23 janvier 2001, la cour de cassation a jugé que le devoir moral d'un enfant envers ses parents n'exclut pas que l'enfant puisse obtenir indemnité pour l'aide et l'assistance apportées dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations fournies ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents (Cour de cassation, première chambre civile, 23 janvier 2001, n° de pourvoi: 98-22937)

En l'espèce, après le décès de Madame X, son fils a assigné sa sœur pour voir dire qu'il était créancier de l'indivision successorale d'une somme d'argent au titre de l'aide et de l'assistance qu'il avait apportées à leur mère durant les dernières années de sa vie.

Les juges ont rejeté sa demande car ils ont estimé que l'aide et l'assistance fournies n'avaient pas excédé les facultés contributives de l'héritier ni entraîné pour lui de graves conséquences sur ses activités habituelles, ses ressources et sa situation de fortune.


En effet, la cour de cassation a jugé que :

« Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a exactement énoncé que le devoir moral d'un enfant envers ses parents n'exclut pas qu'il puisse obtenir indemnité pour l'aide et l'assistance apportées dans la mesure où les prestations fournies, ayant excédé les exigences de la piété filiale, ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents ; que c'est donc à juste titre que la cour d'appel a recherché si l'aide apportée avait dépassé ces exigences et a estimé que tel n'était pas le cas ; qu'ensuite, pour estimer que M. Y... ne justifiait d'aucun appauvrissement, la cour d'appel a relevé l'aide apportée à tous égards et n'a pas pris en compte les seules dépenses effectuées par celui-ci ; que, par des motifs non critiqués, elle a constaté que cette aide ne constituait que la contrepartie de l'avantage substantiel dont M. Y... avait bénéficié, en vivant avec son épouse dans la maison familiale sans payer de loyer et en s'étant ensuite vu attribuer par sa mère la quotité disponible de ses biens ».

Il ressort de cette décision que le principe est que les sacrifices d'un enfant au profit de ses parents, même s'ils excédent la mesure commune de la piété filiale, correspondent à l'exécution volontaire d'un devoir moral personnel qui en constitue la cause et exclut l'exercice de l'action de in rem verso.

Ce ne sont donc que les sacrifices des enfants envers leurs parents qui peuvent pouvoir être qualifiés " d'appauvrissement " et dont ces derniers s'en trouvent corrélativement " enrichis " qui peuvent donner lieu à une indemnisation.

Les exigences de la piété filiale font que la mutation professionnelle, l'assistance constante, la présence régulière auprès des parents ne sont pas considérés comme un appauvrissement ni un enrichissement susceptible de donner lieu à une indemnisation par la succession.


Pour résumer, l'octroi une indemnité suppose que :

- l'aide et l'assistance apportées par les enfants à leurs parents excédent les exigences de la piété filiale,

- les prestations fournies aient réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents.