La Cour de Justice de l'Union Européenne précise sa jurisprudence en copie privée (eu)

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Article publié sur la blog ip NEWS
Auteur: Axel Beelen, juriste spécialisé en propriété intellectuelle Date : 17 mars 2015


Mots clefs : copie privé, Europe, jurisprudence, CJUE, droit d'auteur, arrêt Copydan




La Cour de justice de l’Union européenne a eu déjà l’occasion à de nombreuses reprises de se pencher sur la problématique de la copie privée (droit d’auteur). Ce fut encore le cas par l’intermédiaire de l’arrêt Copydan du 5 mars 2015. Voyons les précisions apportées par cet arrêt (assez long).


UNE JURISPRUDENCE BIEN ÉTABLIE

Il est possible de résumer en quelques points les points principaux de la jurisprudence de la CJUE:


1. les États membres sont libres de transposer ou non dans leur ordre interne l’exception pour copie privée de la Directive de 2001;
2. si tel est le cas, ils doivent créer un système permettant de rémunérer les ayants droit pour la perte financière (leur préjudice) qu’ils subissent (la perte financière = ils ne peuvent plus autoriser contre rémunération les reproductions qui tombent dorénavant dans le champ d’application de l’exception pour copie privée);
3. puisque la Directive est muette sur les modalités de ce système, les États membres ont beaucoup de liberté en la matière;
4. normalement, ce sont aux personnes qui profitent de l’exception (autrement dit, les consommateurs) à compenser directement les ayants droit;
5. toutefois, puisque une telle possibilité est pratiquement impossible, les États membres peuvent agir autrement et faire en sorte que le paiement est répercuté sur les importateurs des produits qui permettront et stockeront les reproductions;
6. dans le cas où les reproductions sont réalisées à partir de sources illicites, ces reproductions sont exclues du système;
7. dès qu’un appareil ou un support électronique est mis à disposition des consommateurs, leur simple capacité à réaliser des reproductions suffit à justifier l’application de la redevance pour copie privée sur ces appareils et supports;
8. uniquement les utilisations réalisées par des consommateurs pour leur usage privé rentre en considération pour établir la hauteur du préjudice des ayants droit (et non les utilisations professionnelles des appareils et supports);
9. les producteurs ne peuvent priver les auteurs et artistes de leur rémunération compensatoire via une clause dans leur contrat.

C’est pourquoi, lorsque vous achetez une clef USB vierge, un léger montant est inclus dedans pour compenser les ayants droit pour les possibles reproductions de leurs œuvres que vous mettrez sur cette clef USB.


LES PRÉCISIONS APPORTÉES PAR L’ARRÊT COPYDAN

Nokia contestait devant la société de gestion suédoise Copydan (l’équivalent de l’Auvibel belge ou de Copie France) le fait que les cartes mémoires des téléphones rentrent aussi dans le système de la copie privée. En effet, selon Nokia, ces supports contiennent principalement des reproductions illicites d’oeuvres protégées. Et donc, conformément à ce que nous disions plus haut au point 6, ils ne doivent pas être assujettis à la redevance pour copie privée.


La Cour de justice ne va pas être de cet avis. Elle va considérer que ces supports doivent être assujettis à la redevance pour copie privée. Toutefois, si une étude ou un sondage met en évidence que les utilisateurs ne l’utilisent que de manière accessoire ou secondaire pour des actes qui rentrent dans le champ d’application pour copie privée, alors, la redevance pour copie privée devrait en tenir compte. Voire même dans certains cas être nulle (application du considérant 35 de la Directive de 2001).


La Cour devait aussi répondre à 7 autres sous-questions. Voici, en substance, les réponses de la CJUE (la Cour renvoi à la juridiction nationale afin d’appliquer les principes qu’elle va mettre en lumière):


1. la loi suédoise ne soumet pas les mémoires internes des lecteurs MP3 à la redevance pour copie privée alors que les cartes mémoires externes des téléphones sont dans le système. Nokia contestait cette différence de traitement. Pour la Cour, même si les deux composants peuvent être utlisés pour stocker des reproductions d’oeuvres protégées, il s’agit de deux situations non comparables. En effet, selon la Cour, les supports détachables seraient des supports qui faciliteraient « des reproductions supplémentaires des mêmes œuvres sur d’autres supports » (point 38 de l’arrêt). Dans l’analyse de la situation, la juridiction nationale devra vérifier si, concernant les supports non détachables, les ayants droit perçoivent une compensation équitable sous une autre forme (tout en ne préciser pas ce qu’il faut entendre par « sous une autre forme »…);
2. il n’y a pas lieu de permettre le remboursement de la redevance pour copie privée aux seules entreprises qui se sont enregistrées auprès de Copydan. Ce serait introduire une différence de traitement injustifiée;
3. il relève de la seule compétence des Etats membres de déterminer le niveau du seuil en-deça duquel les ayants droit n’ont pas à être indemniser pour le préjudice qu’ils subissent (précision par rapport au fameux considérant 35 introduisant le concept de préjudice minimum). La Cour ici n’ose pas se mouiller et renvoi la balle dans le camp du législateur;
4. (il s’agit ici de l’explication la plus compliquée de l’arrêt) en Suède, le législateur a exclu du champ d’application matériel de l’exception pour copie privée tout droit, pour les titulaires de droits, d’autoriser les reproductions à titre privé de leurs œuvres. Dès lors, dans le cas où les titulaires de droits autorisent quand même l’utilisation de leurs oeuvres, cette autorisation n’a aucune incidence sur le montant de la redevance pour copie privée;
5. il est loisible aux Etats membres de faire dépendre le niveau concret de la compensation due aux titulaires de droits de l’application ou non de mesures techniques de protection, ceci afin que les titulaires de droitc soient encouragés à les prendre et qu’ils contribuent ainsi volontairement à la correcte application de l’exception pour copie privée;
6. la directive 2001/29 s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit une compensation équitable pour les reproductions effectuées à partir des sources illicites, à savoir à partir d’œuvres protégées qui sont mises à disposition du public sans l’autorisation des titulaires de droits (rappel de la jurisprudence ACI Adam de 2014);
7. de même, la directive 2001/29 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit une compensation équitable pour des reproductions des œuvres protégées qui sont effectuées par une personne physique à partir ou à l’aide d’un dispositif qui appartient à un tiers (par exemple, dans le cas où le matériel est loué) (quid du cas où le matériel est un server situé dans les nuages? = possible assujetissement à la redevance pour copie privée du cloud computing? La Cour ne se prononce pas plus avant).


CONCLUSION

On le voit, petit à petit, la Cour construit un système cohérent qu’elle rappelle à chaque fois avant de l’appliquer au cas qui lui est soumis. Et d’apporter aussi des précisions supplémentaires et utiles. Nous ne pouvons que conseiller au législateur européen d’introduire au plus vite les précisions jurisprudentielles dans sa refonte annoncée de la directive de 2001. Et de profiter de l’occasion pour ajouter des précisions concernant des nouveaux sujets comme le cloud computing par exemple.