La prestation compensatoire (fr)

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Compte-rendu de la Conférence « Campus 2013 » réalisé par la rédaction de Lexbase,

Intervenants : Myriam Cadart, vice-présidente du TGI de Paris, Céline Cadars-Beaufour, avocate au barreau de Paris,
Campus 2013



I - L’accès à la prestation compensatoire

Myriam Cadart, vice-présidente du TGI de Paris

La nature de la prestation compensatoire

Rappel du principe exposé dans l’article 270 du Code civil, «le divorce met fin au devoir de secours». Le cadre est, ainsi, circonscrit, à savoir celui du mariage, cette prestation ne concerne pas les concubins. La prestation compensatoire et ses règles décryptées lors de cette conférence ne s’adressent qu’aux époux et écartent ainsi la moitié des couples. Qu’est-ce que la prestation compensatoire? L’article 270 du Code civil affirme le que «l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives».

Cette prestation a une nature indemnitaire, comme son nom l’indique elle sert à «compenser», mais elle a, également, une nature alimentaire. La Cour de cassation s’est appuyée sur cette double nature pour dire que cette prestation est insaisissable et sans remise de délais de paiement.

Modalités de fixation de la prestation compensatoire

La prestation compensatoire doit être demandée en même temps que le divorce, c’est le seul moment où la demande peut être faite. Pour autant, dans le cadre d’un appel général pour une première fois, la prestation peut être demandée devant le juge (Cass. civ. 1, 14 mars 2012, n° 1113.954, FSP+B+I (N° Lexbase : A8865IE3).

Pour fixer la prestation, ce qui doit être pris en compte, en premier lieu, c’est l’élément de disparité qui doit exister fût-il sommaire. Il va falloir, pour le juge, évaluer cette disparité à partir des éléments de ressources fournis par les parties. Le juge n’a pas à suppléer la carence des parties, il n’a pas vocation à devenir une sorte de «juge d’instruction» pour connaître les ressources des parties. Néanmoins il peut être parfois délicat, lorsque le lien conjugal se dissout, de connaître précisément les ressources de l’autre partie. Elle déplore que les avocats ne demandent pas plus souvent aux juges des injonctions, notamment pour connaître des pièces fiscales qui donnent un bon aperçu des ressources respectives, du moins en France.

Lorsque les patrimoines le permettent, la prestation compensatoire à vocation à amortir la chute des conditions de vie. Il faut évaluer, au préalable, le «minima à vivre» c’est-à-dire les dépenses pour se nourrir, se loger, s’habiller, se soigner (comprenant, également, les garanties frais de santé) mais, en outre pour payer ses charges : les impôts sur le revenu, l’impôt sur la fortune, le loyer, etc.. Le juge va essayer de déterminer un forfait des charges mutuelles, qui diffèrent selon le train de vie. Les charges spécifiques, telles que l’entretien des enfants, le versement d’une précédente prestation compensatoire ou la charge de parents âgés, vont venir diminuer la partie disponible des ressources pour la prestation compensatoire.

Cette évaluation doit être aussi objective possible. Le Professeur Hauser parle de distinguer entre la disparité conjoncturelle, qui résulte de l’exécution des obligations nées du mariage, de la disparité structurelle qui dépend des ressources et de la qualification des époux ainsi que du régime matrimonial choisi.

«Vivre à deux c’est mélanger ces ressources et donc les trains de vie et on ne peut exiger des parties de reprendre leur train de vie antérieur à la vie de couple». Il est évident qu’un époux qui a une profession moins rémunérée va plus pâtir de la séparation que l’autre partie. Finalement ces appréciations sont de l’ordre du cas par cas. La compensation du déséquilibre sera plus forte que la disparité constatée va résulter ou non du passé commun.

La date d’appréciation de la disparité est celle de l’appréciation des revenus au moment où le juge statue. Mais le juge doit, par ailleurs, prendre en compte «l’avenir prévisible». Il faut rester vigilant et le juge doit, parfois, se reporter en amont car il arrive qu’au moment de l’audience de conciliation certain époux ait la tentation d’apparaître «ruiné», l’époux qui a le plus d’argent peut vouloir le «protéger». La Cour de cassation a estimé dans un arrêt rendu le 21 février 2013 (Cass. civ. 1, 21 février 2013, n°1214.440, FP+B (N° Lexbase : A4372I8G) que la seule dissimulation de revenus hors manœuvre destiné à corroborer mensonges constitue une fraude qui relève de l’article 595 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6752H79). Dans cette affaire, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait retenu qu’il n’y avait pas de manoeuvres frauduleuse mais un simple mensonge qui ne suffit pas à établir la fraude. La Haute juridiction estime qu’à partir du moment où l’appréciation du patrimoine est un élément déterminant pour statuer sur la prestation compensatoire, le simple mensonge suffit pour réviser la prestation.

La jurisprudence confirme, également, que les juges du fond peuvent examiner les revenus perçus quelques années avant la séparation de fait pour constater un changement dans les ressources avant et après la séparation de fait. La Cour de cassation confirme la validité d’une telle mise en perspective entre le revenu actuelle et celui antérieur à la séparation de fait. Cela s’apparente à du bon sens.

Par contre, ne doit pas être pris en compte dans l’écoulement du temps : la vocation successorale, le versement d’une pension de réversion.

Pour l’évaluation de la prestation compensatoire, le juge ne prend pas en compte les mesures provisoires prises. L’article 271 du Code civil établit une liste de critères pour bénéficier de la prestation compensatoire, mais ce ne sont que des critères indicatifs. Aux termes de cet article «le juge prend en considération notamment : la durée du mariage ; l’âge et l’état de santé des époux : leur qualification et leur situation professionnelle : les conséquences des choix professionnels fait par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne : le patrimoine estimé ou prévisible des époux : leurs droits existants ou prévisibles ; leur situation respective en matière de pensions de retraite.»

Concernant le critère de la durée de la vie commune, la jurisprudence est assez claire et précise sur ce sujet. En 2010 il a été clairement affirmé qu’on ne pouvait pas tenir compte de la vie antérieure au mariage. La jurisprudence a retenu que le juge pouvait tenir compte de la durée du mariage postérieur à l’ordonnance de conciliation.

Les composants du patrimoine sont toutes les sommes perçue qu’elles soient en provenance d’un bien propre frugifère ou pas. Le revenu ne suffit pas on doit regarder tout ce qui contribue aux conditions de vie. Une assurance-vie, par exemple, peut être prise en considération.

L’article 271 du Code civil parle des éléments du patrimoine «estimés ou prévisibles» sans autre précision.

La Cour de cassation a retenu que le juge du divorce est compétent pour statuer sur le régime matrimonial ce qui est cohérent avec l’article 255 9° et 10° du Code civil (N° Lexbase : L2818DZE).

L’assiette de revenus

Lorsqu’il s’agit de compenser une perte de revenus cela rentre, a priori dans l’assiette ; quand il s’agit d’indemniser le préjudice c’est exclu de l’assiette.

Rentrent dans l’assiette les revenus suivants : l’allocation chômage ; l’indemnité de fonction perçue par le maire ; la prestation compensatoire versée à un précédent époux ; la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ; le RMI, RSA ; la pension d’invalidité de militaire.

Ne sont pas pris en compte dans l’évaluation des ressources : toutes les allocations familiales (GED, PAJE...) ; les allocations reçues au titre du devoir de secours ; les sommes reçues à titre de réparation d’un accident, notamment en cas d’accident du travail qui compense un préjudice personnel ;

Le montant de la prestation compensatoire

S’agissant de la méthode pour fixer la prestation compensatoire, Madame Cadart s’est créée un tableur pour mettre en chiffres les prestations compensatoires qu’elle accorde. Pour créer ce tableur elle est partie de la méthode établie par maître David puis celle de maître Depont.

Il y a un a priori contestable de ces méthodes qui est de dire qu’on raisonne sur du temps. Or, manifestement, dans l’article 275 du Code civil le raisonnement sur les huit années sont réservées aux modalités de paiement, on ne peut pas dire qu’elles régissent toute la conception de la prestation compensatoire car sinon il n’y aurait jamais de rente viagère.

Ces méthodes s’appuient sur des différents chiffres notamment sur la déclaration d’impôt le net imposable. Concernant l’impôt sur le revenu, il est fait l’impasse sur les petits revenus, mais s’y intéresse lorsque les revenus sont conséquents. Le grand intérêt de l’application de ces méthodes est de traiter des dossiers qui sont cohérents les uns par rapport aux autres. Pour autant, chaque fois qu’une case de ce tableur est remplie, c’est en fonction d’une appréciation personnelle. A titre d’exemple, sur la durée de la charge des enfants, il y aura une estimation «grosso modo» le temps que ces enfants resteront à la charge de leurs parents, selon la situation de ces derniers si leurs enfants seront amenés à faire des études ou pas.

Finalement, même si des juges ont les mêmes méthodes d’appréciations, selon leur appréciations ils peuvent être amenés à ne pas chiffrer de la même manière.

Ces méthodes sont plus ou moins sensibles à la durée du mariage. Elles permettent d’établir une fourchette pour le juge pour établir la prestation compensatoire.

En réalité, plus il y a de méthodes, plus cela démontre qu’il n’y a pas de méthode parfaite de calcul. Ces chiffres permettent d’avoir une fourchette haute et une fourchette basse et après il appartient au juge d’estimer que tel montant permettra de compenser la disparité de vie.


II - Les modalités de paiement de la prestation compensatoire

Céline Cadars-Beaufour, avocate au barreau de Paris

Modalités de paiement en cas de prestation compensatoire convenue

Il faut opérer une distinction entre une prestation compensatoire convenue ou non. Une prestation compensatoire peut être convenue entre les parties soit lors d’un divorce par consentement mutuel soit lors d’un accord intervenant dans le cadre d’une passerelle où on va demander l’homologation. Lorsque la prestation compensatoire est convenue, le législateur laisse le champ libre aux parties, notamment pour fixer les modalités de paiement. Cette liberté de marge de manœuvre a pour but d’inciter les époux à négocier. Ainsi, les époux peuvent décider de verser un capital en une fois, en autant de fois que voulu, en rente temporaire ou viagère, ou bien encore de cumuler rente avec capital.

Finalement, la seule réserve c’est l’homologation. En effet, aux termes de l’article 278 du Code civil (N° Lexbase : L8783GS8S) «le juge, toutefois, refuse d’homologuer la convention si elle fixe inéquitablement les droits et les obligations des époux». En réalité, les juges vérifient que les époux ont été informés correctement et leur consentement librement donné. Il s’agit là d’une des manifestations de la contractualisation du droit de la famille.

Modalités de paiement en cas de prestation compensatoire judiciaire

En revanche, en cas de prestation compensatoire judiciaire, le juge fixe les modalités de paiement dans un cadre précis. Le montant doit être inscrit dans le jugement, et la Cour de cassation n’hésite pas à censurer les cours du fond qui n’aurait pas fixé le montant de la prestation compensatoire.

Le principe lorsque la prestation est fixée par le juge est celui d’un versement sous forme de capital (C. civ., art. 270 al. 2). Le législateur a limité le recours à la rente qui est l’exception. L’article 276 du Code civil (N° Lexbase : L2843DZC) impose au juge qui souhaite établir une rente de motiver spécialement sa décision, en raison de l’âge ou de l’état de santé du créancier et non du débiteur. La Cour de cassation est intransigeante sur cette contrainte procédurale (Cass. civ. 1, 16 mars 2004, n° 0117.757, FPP+ B (N° Lexbase : A5656DB4).

Le juge a la possibilité de fixer un paiement «mixte» à condition de motiver sa décision. L’article 276 alinéa 2 précise que «le montant de la rente peut être minoré lorsque les circonstances l’imposent d’une fraction en capital».

Le juge peut décider que le capital doit être versé au maximum sous huit années (C. civ., art. 275. Pour échelonner ce capital il faut que le débiteur ne soit pas en mesure de le verser dans les conditions de l’article 274 du Code civil et qu’il y ait demande d’une des parties.

Le juge décide des modalités selon lesquels s’exécutera la prestation compensatoire en capital parmi les formes suivantes : versement d’une somme d’argent, avec possibilité de constitution de garanties prévues à l’article 277 du Code civil (N° Lexbase : L2675ABL) attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’habitation ou d’usufruit. L’alinéa 2 de l’article 274 apporte un bémol «l’accord de l’époux débiteur est exigé pour l’attribution en propriété de biens qu’il a reçus par succession ou donation».

III - L’aspect fiscal de la prestation compensatoire

Fiscalité du capital

Une prestation compensatoire en capital instantanée est le versement du capital dans sa totalité dans les douze mois qui suivent le jugement. Au titre de l’impôt sur le revenu, afin d’inciter les époux au versement rapide et définitif de la prestation compensatoire, il y a un régime favorable lorsque la prestation est «instantanée». Lorsque la prestation compensatoire est versée en argent ou en nature dans les douze mois, l’époux qui reçoit le capital n’est pas imposé, c’est net d’impôt. Et celui qui verse la prestation peut bénéficier d’une réduction d’impôt à savoir 25 % de la prestation versée, dans la limite du plafond de 30 500 euros.

Concernant les frais d’enregistrement, ils sont à la charge de celui qui profite de la prestation.

S’il s’agit de biens communs, c’est le droit de partage de 2,5 %qui s’applique. Pour les biens propres mobiliers le propriétaire doit s’acquitter d’un droit fixe de 125 euros. Si la prestation est réglée par des biens immobiliers, le débiteur doit payer une taxe de publicité foncière de 0,715 % et est soumis à l’imposition au titre de la plus-value. L’exigibilité de ces droits d’enregistrement est d’un mois après le jugement.

Le capital est taxé dans les règles du droit commun de l’impôt sur la fortune. L’instruction fiscale du 23 mars 2012 a spécifié que lorsque la convention ou le jugement prévoit que le versement doit intervenir dans les douze mois, la circonstance que le débiteur reçoit une partie du capital au delà de ce délai n’a pas pour conséquence de faire entrer le capital dans l’article 275 du Code civil. Toutefois, celui qui n’a pas versé dans les douze mois ne peut bénéficier de la réduction d’impôt.

Fiscalité de la rente

La rente est imposable pour celui qui la reçoit et déductible pour celui qui la paie. Il n’y a pas de droits d’enregistrement.

Au titre de l’impôt sur la fortune, il n’y a pas de taxation du créancier (instruction du 27 mai 2008). En revanche, le débiteur va pouvoir déduire de son patrimoine taxable la valeur capitalisée de la rente viagère.

Fiscalité du capital échelonné

Au titre de l’impôt sur le revenu, il n’y a pas de réduction d’impôt. Le capital échelonné est imposable pour le créancier mais déductible pour le débiteur.

Il y a débat au titre de l’impôt sur la fortune, l’administration fiscale considère que ce capital échelonné doit être intégré chaque année à la déclaration.

Voir aussi

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