La protection de l'édition de textes anciens (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur: Emmanuel Pierrat, Avocat au barreau de Paris
Septembre 2017




Le 9 juin 2017, la Cour d’appel de Paris a statué sur la protection d’éditions de textes du Moyen-Âge.


L’édition des textes classiques peut en effet générer une nouvelle protection : transcription en français moderne, glossaire, notes, apparat critique, mise en page, maquette, etc. sont autant de créations couvertes par le droit d’auteur. Rééditer, de nos jours de, les Essais de Montaigne pour le grand public nécessite, un important investissement.


Le droit d’auteur ne protège que les œuvres « originales ». Or, l’originalité est une notion dont la définition en propriété littéraire et artistique diverge de l’acception courante, comme l’a rappelé le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 13 juin 2013.


La condition d'originalité n'est pas expressément contenue dans la loi, mais seulement évoquée en deux occasions. Sa définition est donc difficile à tracer. Il s'agit pourtant, selon la jurisprudence, de l’élément le plus indispensable à une protection par le droit d'auteur.


Les juridictions assimilent l’originalité à « l'empreinte de la personnalité de l'auteur ». Il s’agit donc de la marque de la sensibilité de l’auteur, de sa perception d’un sujet, des choix qu’il a effectués et qui ne lui étaient pas imposés par ledit sujet. C’est une sorte d’'intervention de la subjectivité dans le traitement d'un thème. L’auteur a choisi de peindre le soleil en violet, d’écrire un chapitre sur deux en alexandrins, de transposer le petit chaperon rouge dans l’espace, etc. Tous ces partis-pris, qui ne sont pas obligés, témoignent de l’originalité, au sens juridique du terme.


L’originalité n’est ni l’inventivité, ni la nouveauté dont il faut clairement la distinguer. Une œuvre peut être originale sans être nouvelle : elle bénéficiera donc de la protection du droit d'auteur, même si elle reprend, à sa manière, un thème cent fois exploré.


De même, une œuvre peut être aussi originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s'apprécie chronologiquement – est nouvelle l'œuvre créée la première –, l'originalité est donc une notion purement subjective. Dès l'instant qu'une œuvre porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, qu'elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d'auteur.


Ce sont les juridictions à qui il revient de statuer sur ces apports, alors que le travail d’un spécialiste est de ne pas chercher à se démarquer d’une lisibilité conforme au texte initial.


La Cour d’appel de Paris a ainsi, le 9 juin 2017, tranché un litige entre deux éditeurs versés dans l’histoire littéraire et la réédition de textes anciens.


En l’occurrence, une maison d'édition, dont le catalogue était composé d’œuvres du Moyen-Âge et de la Renaissance, avait intenté une action en contrefaçon après avoir découvert que 197 textes provenant de recueils dont elle était l'éditeur étaient repris sur un site internet.


Or, les juges de première instance ont estimé que la société d’édition n'apportait pas la preuve que les textes litigieux, édités sans apparat critique, étaient encore protégés par le droit d'auteur.


L'éditeur avait formé appel contre ce jugement, soutenant que les textes médiévaux en cause auraient un statut particulier : « ce sont des œuvres orales que les scribes ont coupées, modifiées, voire mal comprises ou développées car nombre de textes manuscrits ont été en partie perdus de sorte que l'oeuvre transcrite va reposer sur des choix propres de l'éditeur reflétant sa personnalité quand bien même il effectuera aussi un travail scientifique pour retranscrire fidèlement les œuvres en cause ».


Mais les magistrats d’appel estiment que l'examen de l'originalité doit être réalisé texte par texte et qu'il appartient à l'éditeur de rapporter la preuve que les transcriptions des textes qu'il revendique sont différentes de celles existantes et porteraient l'empreinte de sa personnalité. Ils soulèvent que la maison d’édition n'a réalisé aucun travail d'adaptation dans la langue française actuelle, son public étant celui d'érudits qui ne recherchent pas une traduction mais un texte intelligible pour eux grâce notamment aux commentaires, annotations, glossaire, critiques des éditions antérieures qui accompagnent le texte et que les spécialistes qualifient d'"apparat critique" qui fait la richesse d'un recueil et qui n'est pas en cause pour apprécier l'originalité de l'œuvre ».


De plus, la Cour retient que les analyses produites « émanent notamment d'auteurs qui sont liés contractuellement avec la société et présentent un caractère général sur le travail effectué par l'éditeur sans distinguer le texte et l'apparat critique ». « En outre, ces comparaisons portent sur des éditions réalisées à des époques différentes, avec des connaissances ayant évolué, expliquant ainsi les divergences sans démontrer qu'elles sont le fruit de la créativité de leur auteur ».


En clair, il existe bel et bien un domaine public qu’il est difficile – et c’est souvent heureux – de privatiser, en tout cas par le biais de la propriété littéraire et artistique. Rappelons enfin que d’autres techniques juridiques – de l’action en concurrence déloyale au droit des bases de données - permettent bel et bien de protéger, avec certes moins d’efficacité que le droit d’auteur, un investissement financier et intellectuel.