La résistance des Conseil des prud'hommes (CPH) aux barèmes de plafonnement des indemnités de licenciement de l'ordonnance Macron: Me Thierry Vallat sur LCI le 11 janvier 2019 (fr)

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Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris
Janvier 2019



Le plafonnement des indemnités de licenciement abusif mis en place par les ordonnances Macron a-t-il du plomb du l'aile ?


La réponse est certainement affirmative si l'on en croit quatre récentes décisions qui rejettent le barème, selon elles serait contraire au droit international.


Rappelons que l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail dite "MACRON" modifie sur de nombreux points les droits des salariés.


Un barème d’indemnisation des licenciements qui seraient jugés sans cause réelle et sérieuse par le Conseil de prud'hommes est notamment mis en place et alloue ainsi entre 1 et 20 mois de salaire au salarié, selon son ancienneté et la taille de l'entreprise qui l'employait.


Depuis l’instauration des barèmes, le montant des dommages et intérêts versés au salarié est désormais plafonné, sauf dans les cas de harcèlement moral, de discrimination ou si une violation de liberté fondamentale est constatée.


Depuis le 13 décembre 2018, quatre jugements (CPH de Troyes du 13 décembre 2018, CPH d'Amiens du 19 décembre 2018, CPH de Lyon des 21 décembre 2018 et 7 janvier 2019) ont décidé de ne pas appliquer les nouveaux barèmes de dommages et intérêts prévus pour les salariés dans le cadre d’un licenciement abusif.


Ces décisions prennent en effet en compte:


  • L’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1982, ratifiée par la France, qui précise que si les juges "arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié […], ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée".


A cet égard, le CEDS (Comité Européen des Droits Sociaux) s'est prononcé sur le sens devant être donné à "l'indemnité adéquate" et la "réparation appropriée" dans une décision rendue contre la Finlande le 8 septembre 2016 dans les termes suivants:


"Les mécanismes d'indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient le remboursement des pertes financières subies la possibilité de réintégration des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime"


  • L’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée le 7 mai 1999, selon lequel « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate à une autre réparation appropriée".


En s’appuyant sur ces deux textes, les juges prud’homaux ont pu considérer que lors de l'examen d'un litige ils pouvaient écarter la loi française pour faire prévaloir la Convention de l'OIT, ce principe ayant été confirmé par la Cour de cassation (Cass soc 1er juillet 2008 n°07-44124) et la Charte sociale qui peut être directement appliquée devant le juge français (Cass soc du 14 mai 2010 n°09-6426)


Ces CPH ont donc balayé les barèmes, en précisant que "les indemnités octroyées doivent être en rapport avec le préjudice subi et suffisamment dissuasives pour être conformes à la charte sociale européenne du 3 mai 1996" et prennent en compte, même en cas de faible ancienneté la situation personnelle du salarié (âge, situation de famille, handicap de suspension...) et professionnelle rendant la recherche d'un nouvel emploi plus difficile.


Bien entendu, il ne s'agit que de jugements de première instance susceptibles d'appel et , à terme, ce sera vraisemblablement la Cour de cassation qui sera amenée à trancher...dans quelques années.


Par ailleurs, des conseils de prud'hommes appliquent le barème, comme le CPH du Mans.


Mais, dans l'immédiat, cette situation commence à ré-établir une insécurité juridique pour les employeurs trop prompts à licencier, à laquelle l'ordonnance Macron se proposait de remédier, et de redonner espoir aux salariés licenciés injustement en une meilleure indemnisation plus humaine.


Me Thierry Vallat en a débattu sur LCI le 11 janvier 2019


Jugements des CPH ci-après

  • CPH de Troyes du 13 décembre 2018: [1]
  • CPH de Lyon des 21 décembre 2018 et 7 janvier 2019: [2]