Le Plan de Sauvegarde de l'Emploi (fr) (uk)

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Auteur : Alain-Christian Monkam
Avocat au barreau de Paris et Solicitor of the Senior Courts of England & Wales
Actualisation d'une chronique "Plan de sauvegarde de l’emploi : verrou ou flexibilité" publiée le 23 décembre 2014 dans la revue Jurisprudence Sociale Lamy n°377 et 378
Blog de droit du travail anglais (Blog de Monkam Solicitors)



Mots clefs : Droit social, droit du travail, licenciement économique, entreprise, plan de sauvegarde de l’emploi



Lors du débat du 29 janvier 2014 à l'Assemblée Nationale portant sur l'évaluation de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi, le Ministre du Travail se félicitait que "le nombre des PSE en 2013 se situe autour de 950, chiffre qui varie peu par rapport à 2012 ou 2011 (...)". [1]

En fait, lorsque l'on observe les dernières statistiques officielles publiées par la DARES (Direction de l'Animation, de la Recherche, des Etudes et des Statistiques) de novembre 2014, loin de demeurer stable, la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) a dramatiquement chuté en France depuis l'adoption de la loi précitée du 14 juin 2013. De juillet 2012 à juin 2013, la DIRECCTE (Directions régionales des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) recevait des notifications de PSE à un rythme moyen de 87 PSE par mois. Or, sur une période équivalente commençant depuis l'adoption de la loi, c'est à dire de juillet 2013 à juin 2014, ce chiffre tombe à moins de 50 PSE validés ou homologués par la DIRECCTE, ce qui constitue une baisse de près de 42% ! [2]


Ce pourcentage est à peine moins élevé si on devait se baser sur les PSE notifiés à la DIRECCTE -et non seulement ceux validés ou homologués- puisque le taux de refus d'homologation des PSE unilatéraux est de l'ordre de 10%.


Dans une précédente chronique, [3] nous nous étonnions déjà que les licenciements pour motif économique, qu'ils soient individuels ou collectifs, ne représentaient que 2,6% des entrées cumulées à Pôle-Emploi. En conséquence, dans une économie française qui est en panne (la croissance cette année 2014 se situera entre 0% et 0,2%), nous pouvons nous interroger sur le fait de savoir si la bonne voie est de "verrouiller" la législation sur les plans de sauvegarde de l'Emploi au point que les entreprises, pourtant en difficulté économique, soient découragées d'y recourir. Les dernières jurisprudences rendues cette année 2014 en la matière autorisent également des réflexions équivalentes. Encore que nous comprenons que le projet de loi pour la croissance et l'activité, dite 'Macron' et présentée le 10 décembre 2014 en Conseil des Ministres, entend apporter des précisions, notamment sur la fixation du périmètre d'application des critères de l'ordre de licenciement ou sur les conséquences de l’annulation d’une décision de validation ou d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi pour insuffisance de motivation. [4]

En revanche, de l'autre côté de la Manche, les britanniques (dont la croissance économique en 2014 sera proche de 3,2% en tête de l'Union Européenne, à l'exception de la Lettonie - source FMI) a adopté le chemin inverse en amendant en 2013 leur législation pour plutôt accélérer les procédures de licenciements collectifs. Ainsi, la France fait le choix de privilégier la discussion avec une multiplicité d'acteurs afin de convenir, le cas échéant, d'un PSE; à l'autre extrémité, l'Angleterre favorise plutôt la flexibilité et la rapidité afin que l'entreprise en restructuration puisse adapter au plus vite ses effectifs. Dans cette approche comparative entre la législation des deux pays, il sera intéressant d'examiner la définition du licenciement collectif (I) avant d'aborder la procédure d'adoption des plans de sauvegarde de l'emploi (II).

I - Définition du licenciement collectif

 * En Europe 


Avant d'examiner la situation en France et en Angleterre, il convient tout d'abord de rappeler la législation Européenne qu'on a souvent tendance à oublier mais qui pourtant "coiffe" 28 Etats membres à ce jour. Le CEE (aujourd'hui Union Européenne) est intervenue très tôt en matière de licenciements par la directive n°75/129 du 17 février 1975 [5] "concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements économiques". Cette directive, qui est l'une des premières adoptées en matière de droit du travail européen, a été remaniée par la directive n°77/187 du 29 juin 1998. [6]

La directive européenne définit les licenciements collectifs comme "les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les Etats membres : i) soit, pour une période de trente jours:
- au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,
- au moins égal à 10% du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs;
- au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;
ii) soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours: au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés (article 1.1.)."


La directive européenne offre ainsi aux Etats membres la possibilité de choisir entre deux périodes de référence (30 jours ou 90 jours) afin de définir le seuil de déclenchement de l'obligation de consulter les représentants du personnel sur les licenciements collectifs. Selon la directive, cette obligation doit porter notamment "sur les possibilités d'éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d'en atténuer les conséquences par le recours des mesures sociales d'accompagnement visant notamment l'aide au reclassement ou la reconversion des travailleurs licenciés" (article 2.1).


 * En France 


Comme on pouvait s'y attendre, la France a fait le choix du seuil le plus restrictif proposé par l'Union Européenne (à savoir 30 jours) pour déclencher sa législation sur les licenciements collectifs puisque l'article L. 1233-28 du Code du travail énonce que "l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours réunit et consulte, selon le cas, le comité d'entreprise ou les délégués du personnel, dans les conditions prévues par le présent paragraphe". L'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi (incorporant un plan de reclassement et contenant les mesures de nature à éviter les licenciements ou à limiter le nombre) ne concerne cependant que les entreprises d'au moins 50 salariés (article L. 1233-61 du Code du travail).

La France va même au delà des prescriptions de la directive européenne puisque lorsqu'une entreprise envisage également de licencier collectivement pour motif économique moins de 10 personnes sur une même période de 30 jours, l'employeur doit consulter les représentants du personnel sur ce projet (article L 1233-8 du Code du travail). Enfin, afin d'être sûr qu'aucune entreprise ne va contourner les règles sur les licenciements économiques par des "ruptures par petits paquets", le Législateur français a rajouté aux articles L. 1233-26 et L. 1233-27 du Code du travail des seuils de déclenchement spécifique quand (i) une entreprise (assujettie à la législation sur les comités d'entreprise, c'est à dire actuellement ayant au moins 50 salariés) a déjà procédé à plus de 10 licenciements économiques pendant 3 mois consécutifs sans atteindre 10 licenciements dans une même période de 30 jours ainsi que quand (ii) une entreprise (également assujettie à la législation sur les comités d'entreprise) a déjà procédé au cours d'une année civile à des licenciements économiques de plus de 18 salariés sans avoir été tenue de présenter un plan de sauvegarde de l'emploi.

Pour la définition du licenciement pour motif économique, il conviendra de se reporter à la définition complexe donnée à l'article L. 1233-3 du Code du travail, c'est dire "le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques (...)". Comme nous l'avions évoqué (JSL n°365), on peut s'interroger sur la pertinence d'une telle définition visant à la fois les grands licenciements collectifs que les licenciements individuels pour motif économique qui souvent ne concernent que les PME ou les TPE.


 * En Angleterre 


Tout d'abord, la définition britannique du licenciement économique est beaucoup moins restrictive et encadrée qu'en France. On se reportera à la section 139 de l'Employment Rights Act (ERA) 1996 dont il résulte que le motif économique du licenciement individuel en droit anglais est constitué par le seul fait de la disparition totale ou partielle du poste du travail du salarié, peu important l'existence ou non de difficultés économiques dans l'entreprise [7]

Concernant spécifiquement les licenciements collectifs, la législation britannique a adopté une définition encore plus large prévue à la section 195(1) du Trade Union & Labour Relations (Consolidation) Act 1992 (TURLCA 1992). Se conformant à la directive européenne n°77/187 du 29 juin 1998, le Royaume-Uni définit le motif économique du licenciement collectif uniquement comme un motif non lié à la personne du salarié « a reason not related to the individual concerned or for a number of reasons all of which are not so related ».

Extensive dans la définition du motif économique (en prenant au surplus soin de différencier licenciement individuel et licenciement collectif), la législation anglaise l'est aussi concernant le seuil du nombre de licenciements déclenchant les obligations consultatives. Sans surprise, la Grande Bretagne a plutôt retenue le second seuil de référence (le plus large) prévue par la directive européenne pour définir les licenciements collectifs pour motif économique, à savoir au moins 20 licenciements sur une même période de 90 jours. A cet égard, la section 188(1) du TURLCA 1992 dispose que: "where an employer is proposing to dismiss as redundant 20 or more employees at one establishment within a period of 90 days or less, the employer shall consult about the dismissals all the persons who are appropriate representatives of any of the employees who may be affected by the proposed dismissals or may be affected by measures taken in connection with those dismissals".

En d'autres termes, la loi anglaise énonce que dès lors que l'employeur envisage de procéder au licenciement collectif pour motif économique d'au moins 20 salariés au sein d'un établissement dans une même période de 90 jours, cet employeur doit procéder à la consultation des représentants du personnel.

La législation britannique opte ainsi pour une solution extensive du seuil de déclenchement des obligations en matière de licenciements collectifs. Très récemment, la question de l'appréciation de la notion d'établissement (fixant le cadre d'appréciation des licenciements collectifs) a défrayé la chronique judiciaire anglaise. Cette question s'était posée dans l'affaire Usdaw v Ethel Austin Limited [8] où deux entreprises (secteur de la grande distribution) en liquidation judiciaire avaient engagé une consultation portant sur le licenciement collectif de 30.000 de salariés. Ces entreprises avaient cru bon d'exclure du processus de consultation tous les magasins ayant moins de 20 salariés (4.400 salariés ont été ainsi exclus). Les syndicats de salariés ont saisi la justice prud'homale et l'Employment Appeal Tribunal a donné tort aux employeurs en estimant que la notion d'établissement visée par la directive européenne n°77/187 du 29 juin 1998 ne pouvait que concerner une entreprise prise dans sa globalité (paragraphe 52 du jugement "to construe establishment as meaning the retail business of each employer") et certainement pas les établissements (composant une entreprise) pris chacun individuellement. Les employeurs ont interjeté appel de ces jugements devant la Court of Appeal, laquelle a saisi, le 14 février 2014, la Cour de Justice de Luxembourg par question préjudicielle afin de préciser la notion d'établissement.

La décision de la Cour de Justice est à cette heure très attendue car outre ses conséquences financières éventuelles (les employeurs anglais avaient été condamnés à des dommages intérêts de 5 millions de livres sterling), elle pourrait avoir des répercussions dans toute l'Union Européenne. Il sera rappelé qu'au niveau de la France, la Cour de Cassation a depuis longtemps estimé que dès lors que "la décision de licencier au moins dix salariés dans une période de trente jours avait été prise au niveau de l'entreprise, dans le cadre d'une restructuration générale de ses activités et de ses services, la cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur était tenu de mettre en place un plan social", peu important le nombre effectif de salariés dont le licenciement est envisagé par établissement. [9] De même, la Cour de Cassation a énoncé que "l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi pesant sur l'employeur, c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doivent être vérifiées les conditions d'effectif et de nombre des licenciements imposant l'établissement et la mise en œuvre d'un tel plan (...)" [10]

II - Procédure d'adoption des PSE

     * En France 


Tableau général


Remaniée par la loi du 14 juin 2013, la procédure française d'adoption des plans de sauvegarde de l'emploi apparaît complexe avec l'intervention de nombreux acteurs (syndicats, comités d'entreprise, DIRECCTE). En synthèse, l'entreprise peut utiliser l'une des trois voies suivantes:
- (i) soit convenir avec les syndicats majoritaires d'un accord collectif qui déterminera "le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (...) ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en œuvre des licenciements", lequel sera soumis à la validation de la DIRECCTE (articles L. 1233-24-1 et L. 1233-57-2 du Code du travail).
- (ii) soit procéder avec un document unilatéral soumis à l'homologation de la DIRECCTE (articles L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du Code du travail).
- (iii) soit opter pour une solution mixte mêlant un accord collectif partiel (portant a minima sur le PSE) complété par un document unilatéral. [11]


Le rôle des syndicats


Concernant l'accord collectif sur le plan de sauvegarde de l'emploi, il sera relevé que la loi du 14 juin 2013 en proposant l'option de la négociation, semble se rapprocher des prescriptions de la directive européenne n°77/187 du 29 juin 1998 (article 2.1) qui énonce que "lorsqu'un employeur envisage d'effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d'aboutir à un accord". On notera cependant que l'employeur n'est pas, à cette heure, obligé d'engager des négociations d'un accord collectif de PSE, avant de recourir au document unilatéral. [12] Pour être valable, l'accord collectif de PSE doit être signé "par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants" (article L. 1233-24-1 du Code du travail). A cet égard, la Cour administrative d'appel de Versailles a récemment relevé que le mandat de délégué syndical prenant fin lors du renouvellement des institutions représentatives dans l'entreprise, le délégué syndical doit donc être redésigné après chaque scrutin organisé dans l'entreprise; que si tel n'est pas le cas, l'accord collectif de PSE perd son caractère majoritaire et la validation accordée par le DIRECCTE doit être annulée. [13]


Le rôle du comité d'entreprise


En cas de plan de sauvegarde de l'emploi, l'entreprise doit procéder à une double consultation du comité d'entreprise: (i) conformément à l'article L. 2323-15 du Code du travail, une première consultation sur l'opération projetée et ses modalités d'application, (ii) conformément à l'article L. 1233-30 du Code du travail, une seconde consultation sur le projet de licenciement économique stricto sensu, c'est à dire le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre des licenciements et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi. [14] [15] [16] [17]

Lorsqu'un accord collectif de PSE a été conclu, les points ayant fait l'objet de celui-ci ne sont pas soumis à consultation (article L. 1233-30 alinéa 4 du Code du travail). Le cas échéant, le comité d'entreprise sera assisté par un expert-comptable (articles L. 1233-34 à L. 1233-37 du Code du travail) pendant la procédure d'information/consultation. [18]

Les deux consultations visées ci-dessus peuvent être menées parallèlement (ou postérieurement) aux négociations engagées par l'employeur avec les syndicats pour conclure l'accord collectif de PSE (instruction 19 juillet 2013, fiche n°1,I,1). Ces deux consultations sur l'opération projetée et le projet de licenciement collectif peuvent également être concomitantes, mais surtout elles sont désormais enserrées dans les mêmes délais (instruction du 19 juillet 2013, fiche n°1,II,1). Il résulte de l'article L. 1233-30, II du Code du travail que "(...) le comité d'entreprise tient au moins deux réunions espacées d'au moins quinze jours. Le comité d'entreprise rend ses deux avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de sa première réunion (...) à : 1° deux mois lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent ; 2° trois mois lorsque le nombre des licenciements est au moins égal à cent et inférieur à deux cent cinquante ; 3° quatre mois lorsque le nombre des licenciements est au moins égal à deux cent cinquante". En l'absence d'avis du comité d'entreprise dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté. L'employeur peut toujours conclure un accord de méthode afin de fixer les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise (instruction 19 juillet 2013, fiche n°1,II,1). On relèvera enfin qu'outre le comité d'entreprise, l'employeur devra selon les cas, consulter également les comités d'établissement, le comité d'entreprise européen et même le comité d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT).


Le rôle de la DIRECCTE


Depuis la loi du 14 juin 2013, les pouvoirs de la DIRECCTE se sont vus renforcer puisque désormais, l'autorité administrative est chargée de valider l'accord collectif de PSE (articles L. 1233-57-2 à L. 1233-57-4 du Code du travail) ou d'homologuer le document unilatéral (articles L. 1233-57-3 et L. 1233-57-4 du Code du travail) rédigé par l'employeur en l'absence ou à défaut d'accord collectif. La DIRECCTE procédera à un contrôle global du projet au regard de multiples critères (instruction précitée du 19 juillet 2013), notamment la régularité et la qualité du dialogue sociale ou la proportionnalité des mesures sociales d'accompagnement à la taille et aux moyens de l'entreprise. [19] La décision d'homologation de la DIRECCTE doit être suffisamment motivée. [20] [21] A cet égard, le projet de loi Macron propose un modeste ajustement en son article 102 sur la portée de l’annulation pour insuffisance de motivation " En cas d'annulation d'une décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 en raison d'une insuffisance de motivation, l'autorité administrative prend une nouvelle décision suffisamment motivée, qui est portée par l'employeur à la connaissance des salariés licenciés à la suite de la première décision de validation ou d'homologation, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette information. Dès lors que l'autorité administrative a satisfait à l'obligation d'édiction d'une seconde décision suffisamment motivée, l'annulation pour le seul motif d'insuffisance de motivation de la première décision de l'autorité administrative est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d'une indemnité à la charge de l'employeur. "

On observa que la DIRECCTE intervient très tôt dans la procédure de licenciement collectif puisque l'employeur doit l'informer de l'ouverture des négociations en vue de conclure un accord collectif (article L. 1233-24-1 du Code du travail) ainsi qu'il doit également notifier à la DIRECCTE le projet de licenciement au plus tôt le lendemain de la première réunion du comité d'entreprise (article L. 1233-46 du Code du travail). La DIRECCTE dispose d'un pouvoir d'injonction sur l'employeur de fournir les éléments d'information sur la procédure ou de se conformer aux règles légales et conventionnelles. [22] La DIRECCTE peut faire à l'employeur des observations ou des propositions sur le déroulement de la procédure. [23]


     *En Angleterre 


Le lecteur ne sera pas surpris de relever que contrairement aux lois françaises, la législation britannique en matière de licenciement collectif est largement plus simple. Sans priver les salariés de leurs droits essentiels, la philosophie britannique est d'aider les entreprises à adapter leurs effectifs le plus vite possible à la nouvelle donne ou contrainte économique.


Le rôle primordial des syndicats


Traditionnellement, les syndicats anglais assument les missions d'information et de consultation qui sont dévolues aux délégués du personnel ainsi qu'au comité d'entreprise en France. Il résulte du droit britannique (TURLCA 1992, section 188 (1B)), que lorsqu'une entreprise envisage des licenciements collectifs, elle doit d’abord consulter le ou les syndicats représentatifs dans l'entreprise des catégories de salariés affectés par le projet de compression d'effectif. A défaut de syndicat représentatif, l'entreprise doit alors consulter les représentants du personnel s'il en existe pour les catégories de salariés affectés, ou à défaut, procéder à une élection des représentants du personnel spécialement à cet effet.


Une procédure rapide, simplifiée et souple


Selon la TURLCA 1992, section 188 (1A), la procédure de consultation sur les licenciements collectifs doit démarrer "in good time", c'est à dire au moment opportun avant la prise définitive de la décision de licenciement collectif par l'employeur. La jurisprudence anglaise considère que la consultation doit avoir commencé au plus tard avant le début des délais légaux minimum de procédure pendant lesquels aucun licenciement ne peut être prononcé. [24] Lorsque le nombre de licenciement envisagé est inférieur à 100, le délai légal de consultation est d'au moins 30 jours; lorsque ce nombre de licenciements est égal ou supérieur à 100, le délai légal (qui était de 90 jours) vient d'être réduit à 45 jours par le décret Trade Union and Labour Relations (Consolidation) Act 1992 (Amendment) Order 2013 (nous avons vu qu'en France, pour un nombre de 100 salariés à licencier, il existe plutôt un délai maximum de 90 jours imposé au comité d'entreprise pour rendre ses avis).

Comme en France, la consultation des syndicats (ou représentants du personnel) britanniques doit porter sur les moyens proposés par l'employeur en vue d'éviter les licenciements, en réduire le nombre et à en réduire les effets. La loi britannique ne prescrit pas un nombre minimum de réunions de consultation ni n’exclue que les parties s’accordent sur leur nombre et le calendrier. Cette consultation doit être guidée par un souci de parvenir à un accord avec les représentants du personnel. Afin que la consultation soit effective, l'employeur britannique doit communiquer aux représentants du personnel un certain nombre d'informations: les raisons du projet de compression d'effectif, le nombre de licenciements envisagés, la description des emplois concernés, les critères de l'ordre des licenciements, le calendrier des licenciements, la méthode de calcul des indemnités de licenciement. [25]

Bien que la loi britannique ne crée aucune obligation légale et générale de reclassement préalable pesant sur les employeurs comme en droit français, il existe un devoir prétorien de reclassement (duty to offer alternative employment) à la charge des entreprises en cas de licenciement pour motif économique. Cependant, la jurisprudence anglaise prend en compte, au cas par cas, la taille et les ressources de l'entreprise afin de déterminer si les efforts accomplis ont été suffisants en cas de licenciement économique. Par ailleurs, la loi ne pose aucune liste indicative des critères de l’ordre des licenciements, la jurisprudence exigeant uniquement que la méthode choisie soit objective et juste. Les critères les plus souvent utilisés par les entreprises apparaissent cependant très personnalisés pour viser prioritairement "les salariés les moins bons": performances et compétences du salarié, capacité d'adaptation, dossier disciplinaire, absentéisme.

Enfin, on notera par ailleurs que les licenciements collectifs, prononcés en violation des prérogatives consultatives des syndicats et ou des représentants du personnel, sont sanctionnés par des dommages intérêts spécifiques d'un maximum de 3 mois de salaires par salarié concerné (protective awards - section 189(4) of TURLCA 1992), ce qui contraste singulièrement avec la sanction française de l'annulation pure et simple de la décision de validation ou d'homologation de la DIRECCTE (le cas échéant de suspension en référé - CE, 21 février 2014 n°374409). Toutefois, certaines jurisprudences britanniques considèrent que le défaut de consultation ou la consultation insuffisante des syndicats peuvent être prises en compte dans l'appréciation du caractère réel et sérieux des licenciements prononcés. [26]


Le rôle minimum de l'Autorité administrative


Le projet de licenciement collectif anglais doit être notifié pour information au Secretary of State en début de procédure en vertu de la section 193(1)(2) of TURLCA 1992 (document dit HR1 dont copie doit être communiquée aux syndicats consultés). L'équivalent des nombreux pouvoirs de la DIRECCTE est inexistant en Angleterre, étant précisé qu'il n y a pas d'inspecteur du travail au Royaume-Uni (au par cas, on peut cependant trouver des organismes de contrôle suivant le sujet intéressé, par exemple the Equality and Human Rights Commission en matière de discrimination).


Une consultation individuelle des salariés


On signalera que la consultation des représentants du personnel sur le projet de licenciement collectif ne dispense pas l'employeur de consulter ensuite individuellement chaque salarié sur le licenciement envisagé, faute de quoi le licenciement sera considéré sans cause réelle et sérieuse. [27]


Perspectives

Le choix de la négociation ainsi que de l'encadrement des délais de procédure en matière de plan de sauvegarde de l'emploi, nouvellement opéré par la France en juin 2013, est salutaire. Toutefois, la procédure française demeure trop complexe et trop lente, alors que les entreprises affrontent un environnement économique agressif et des besoins urgents. Au contraire, l'Angleterre, dont l'insolente économie est très vigoureuse depuis 2 ans, a préféré la souplesse et la rapidité pour aider ses entreprises à s'adapter le plus vite. Entre le verrou français et la flexibilité britannique, il y a probablement matière à réflexion. A cet égard, le projet de loi Macron ne propose que de bien timides avancées.


Notes et références

  1. Compte rendu intégral 1ère séance du 29/01/2014
  2. [1] Données mensuelles brutes sur les dispositifs publics d'accompagnement des restructurations -7/11/2014-
  3. [2] Licenciement économique individuel : " à quand le bon sens " Alain-Christian Monkam, JSL n°365
  4. [3] Projet de loi pour la croissance et l’activité.
  5. JOCE n°48 du 22 février 1975
  6. JOCE n°L.201 du 17 juillet 1998
  7. [4] Licenciement économique individuel : à quand le bon sens » Alain-Christian Monkam, JSL n°365.
  8. [5] USDAW v Ethel Austin Ltd (In Administration) UKEAT/0547/12/KN; USDAW & Anor v Unite The Union & Ors UKEAT/0548/12/KN.
  9. [6] Cass. soc. 7 mai 2003 n° 01-42.379 (n° 1319 F-D), Sté Tekelec Temex c/ Deblauwe : RJS 7/03 n° 862.
  10. [7] Cass. soc. 28 janvier 2009 n° 07-45.481 (n° 150 FS-PB), FDSEA du Calvados c/ Maheo : RJS 4/09 n° 331.
  11. [8] Instruction DGEFP/DGT n°2013/13 du 19 juillet 2013 relative à la mise en œuvre de la procédure de licenciement économique collectif, fiche n°1, introduction.
  12. Rapport Sénat n°501, p. 34
  13. CAA Versailles, 22 octobre 2014 n°14VE02235; voir également CAA Versailles, 30 septembre 2014, n°14VE02163 et n°14VE02167.
  14. CAA Versailles, 16 septembre 2014 n°14VE01826 - Jurisprudence Sociale Lamy n° 375 - sur l'annulation d'une décision d'homologation alors que le comité d'entreprise n'a pas reçu d'informations suffisantes sur le motif économique.
  15. TA Cergy-Pontoise 11 juillet 2014 n°1404270 sur l'annulation d'une décision d'homologation d'un PSE compte tenu notamment de la mauvaise application du périmètre d'ordre des licenciements.
  16. Voir CA Versailles 22/10/2014 n°14VE02579 : l'employeur ne peut pas décider unilatéralement d'appliquer les critères d'ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l'entreprise.
  17. Cf également le projet de loi Macron qui propose de revenir sur cette jurisprudence par un article 98 disposant "le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements peut être fixé par l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 ou par le document unilatéral mentionné à l'article L. 1233-24-4 à un niveau inférieur à celui de l'entreprise".
  18. En ce sens, TA Montreuil 20 décembre 2013 n°1309825, 1310102 et 1311272, annulation d'une décision d'homologation d'un PSE après constat notamment que le concours de l'expert-comptable a été refusé à la délégation unique du personnel.
  19. En ce sens CAA Nancy 23 juin 2014 n°14NC00528, 14NC00635, 14NC00675 à propos de l'annulation d'une décision d'homologation, faute d'un PSE proportionné aux moyens du groupe.
  20. En ce sens TA Cergy-Pontoise 22 avril 2014 n°1400714 - Est annulée pour insuffisance de motivation, la décision d'homologation qui ne fait pas état d'une mesure d'injonction à l'employeur ainsi que de la réponse de celui-ci.
  21. "L'étendue de la motivation de l'homologation du PSE par la DIRECCTE" - Isabelle Servé - Semaine Sociale Lamy - n°1631.
  22. En ce sens CAA de Versailles 24 juin 2014 n°14VE00884 à propos du fait que l'employeur qui fait l'objet, à la suite de la demande d'un syndicat, d'une injonction du DIRECCTE, n'a pas à communiquer à ce syndicat ou aux représentants du personnel la réponse qu'il fait à l'administration.
  23. En ce sens CAA Marseille 15 avril 2014 n°14MA00387 - Une homologation de PSE accordée par la DIRECCTE doit être annulée dès lors que les réponses de l’employeur aux observations de l’administration n’avaient pas été transmises au CE.
  24. Amicus v Nissan Motor Manufacturing (UK) Ltd EAT 0184/05.
  25. Cf également "Les licenciements économiques en Angleterre et en France", Alain-Christian Monkam et Guillaume Saincaze, Semaine Sociale Lamy n°1583.
  26. Williams v Compair Maxam Ltd 1982 ICR 156, EAT.
  27. Alexanders of Edinburg Ltd v Maxwell, EAT 796/86.


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.