Le contrôle des comptes de gestion en matière de protection juridique (fr)

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Auteurs: Marie-Hélène ISERN-REAL, Avocat au Barreau de PARIS, Animatrice de la sous-commission "Les protections des personnes vulnérables"
Laurent POTTIER, Abel SOUHAIR, Avocats au Barreau de PARIS

Date: le 8 février 2017



Intervenant : David MIRAKIAN – Vice-Président de l’association ProMaje - inscrit sur la liste du procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Paris comme personne habilitée à délivrer information et soutien technique auprès des personnes appelées à exercer ou exerçant une mesure de protection juridique des majeurs.


L’établissement des comptes de gestion est une mission du tuteur ou curateur (article 510 du code civil) qui doit normalement remettre chaque année au directeur de greffe l’ensemble des éléments justifiant des ressources, des dépenses et de la situation du patrimoine.

La remise de ces comptes permet de s‘assurer de la bonne gestion de la mesure au bénéfice du majeur, mais elle fait aussi apparaitre les difficultés liées à l’exercice de la mesure d’une part, et au contrôle des comptes d’autre part. Le cas des sociétés (SCI, SARL…) est une bonne illustration de ces deux difficultés :

En effet, la représentation d’un majeur pour la gérance d’une société est parfois incorrectement appréhendée par la pratique et par certains tribunaux. Si l’article 473 du code civil énonce bien le principe de représentation (« sous réserve des cas ou la loi ou l'usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile ») et l’article 474 que « la personne en tutelle est représentée dans les actes nécessaires à la gestion de son patrimoine dans les conditions et selon les modalités prévues au titre XII », il est important de noter que cette représentation se limite aux actes de la vie civile, et pour le patrimoine du majeur uniquement.

Or, la gérance d’une société (comme par exemple une SCI) est l’exercice d’un mandat social qui d’une part, est animé d’un intuitu personae important, et qui est d’autre part, effectué dans l’intérêt de la société qui lui a confié ce mandat.

Un arrêt de la Cour de Cassation, chambre civile 1, du 12 juillet 2012, (N° de pourvoi : 11-13161) vient d’ailleurs bien affirmer que la personne bénéficiant d’une mesure de protection est représentée dans l’exercice de ses droits personnels et patrimoniaux dans le but de protéger ses propres intérêts et que dans ce contexte, elle ne saurait être protégée dans l’exécution des mandats qui lui ont été consentis pour la protection des intérêts d’autrui, c’est-à-dire d’une société.

Renvoyant au visa de l’article 473 du Code civil, la cour conclut ainsi : « Attendu qu'en statuant ainsi alors que le tuteur d'une personne protégée à laquelle a été dévolue la fonction de gérant d'une société n'est pas investi du pouvoir de représenter celle-ci, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ».

Le tuteur n’est donc pas investi du pouvoir de représentation du majeur lorsque ce dernier exerce la gérance d’une société. En revanche, il le représente bien aux assemblées générales, si le majeur est associé, pour défendre ses intérêts.

Par un arrêt en date du 7 avril 2016, la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a par ailleurs jugé que le curateur d’une personne protégée à laquelle a été dévolue la fonction de gérant d’une société n’est pas investi du pouvoir d'assister celle-ci.

Il en est donc de même pour les majeurs bénéficiant d’une mesure de curatelle.

Il est ainsi difficile pour la majorité des protecteurs de bien appréhender ces nuances, ce qui a pour conséquence, lors de contrôles approfondis, l’établissement d’un rapport de difficultés portant sur les actions effectuées par le tuteur ayant représenté le majeur dans l’exercice de son mandat au sein de la société.

Le contrôle des comptes est donc un enjeu crucial, pour la protection majeurs d’une part, et d’autre part, pour veiller aux bonnes pratiques des tuteurs dans leurs missions, souvent difficiles.

Aussi, il est important de comprendre dans ses grandes lignes les éléments suivants : 
- 1/ La présentation d’un compte de gestion
- 2/ La procédure de contrôle et ses résultats possibles
- 3/ Les évolutions attendues avec les recommandations de la cour des comptes

La présentation

Si la loi ne prévoit pas de formalisme particulier (l’article 510 du code civil dispose que « le tuteur établit chaque année un compte de sa gestion auquel sont annexées toutes les pièces justificatives utiles »), l’usage fait cependant apparaitre trois formes possibles : D’une part, la présentation des comptes basée sur les modèles diffusés par les Greffes (modèle le plus utilisé par les tuteurs familiaux qui peut parfois être exigé par certains greffes), d’autre part l’utilisation de logiciels spécifiques d’édition de compte (Proxima, Tutspeed, Majelis tutelle…), enfin, la forme libre, élaborée manuellement (assistée ou non d’un tableur) et qui fait apparaitre tous les éléments nécessaires à la bonne compréhension de la vie patrimoniale du majeur sur la période. Quel que soit le choix de la forme du compte de gestion, il doit refléter la situation du majeur protégé et la gestion qui a été faite de ses avoirs.


La procédure de contrôle

Le tuteur soumet chaque année le compte de gestion, accompagné des pièces justificatives, en vue de sa vérification, au Directeur des services de greffe judiciaires (article 511 du code civil). Depuis le Décret 2011-1470 du 08/11/2011, le Directeur de greffe peut être assisté par un huissier de Justice, aux frais du majeur. Le contrôle ainsi réalisé reste alors sous la responsabilité du Directeur de Greffe.

Dans les faits, le contrôle effectif par les Greffes et ses modalités de mise en œuvre varie très sensiblement d’un tribunal à l’autre. Selon la Cour des Comptes (rapport de septembre 2016), « exception faite de quelques greffes, la procédure d’examen des comptes rendus est largement inopérante. Il s’agit d’une situation alarmante et gravement préjudiciable aux personnes protégées comme aux mandataires ».

Lorsque la tutelle n'a pas été confiée à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, le juge peut, par dérogation aux articles 510 et 511 et en considération de la modicité des revenus et du patrimoine de la personne protégée, dispenser le tuteur d'établir le compte de gestion et de soumettre celui-ci à l'approbation du directeur des services de greffe judiciaires (article 512 du code civil).

Enfin, l’article 513 du Code civil permet aux magistrats de désigner un technicien si les ressources de la personne protégée le permettent et si l'importance et la composition de son patrimoine le justifient, pour vérifier et, le cas échéant, approuver le compte de gestion. L’association ProMaje effectue cette mission depuis 2010. Il s’agit dans ce cadre d’une délégation du contrôle. Il est donc exercé sous la responsabilité de ProMaje.

Ainsi, la totalité des mouvements est retracée, la justification et l’affectation des dépenses et des ressources du majeur sont contrôlées. Selon l’ordonnance de désignation de ProMaje (ou le jugement), les tiers, comme les banques par exemple, peuvent être tenus de fournir tous les justificatifs demandés par le technicien.

Article 513 du Code civil : Si les ressources de la personne protégée le permettent et si l'importance et la composition de son patrimoine le justifient, le juge peut décider, en considération de l'intérêt patrimonial en cause, que la mission de vérification et d'approbation du compte de gestion sera exercée, aux frais de l'intéressée et selon les modalités qu'il fixe, par un technicien.


Résultat du contrôle :

Le contrôle donne lieu à l’établissement d’un certificat d’approbation. Il est systématique, le cas échéant, lorsque ProMaje effectue le contrôle, cependant, il n’est pas encore d’usage dans certains greffes. Ce certificat peut comporter en marge une ou plusieurs réserves ainsi que d’éventuels rappels à la loi. Si le contrôle révèle des anomalies significatives, un rapport de difficultés est transmis au Juge qui statue.

Recommandation de la Cour des comptes en matière de compte de gestion

« La Cour formule les recommandations suivantes :

• amplifier les dispositifs de soutien aux tuteurs familiaux ;
• normaliser les modalités d’établissement, de transmission et de contrôle des documents prévus par le code civil pour la protection de la personne et des biens des majeurs ;
• confier à des professionnels du chiffre, sous la surveillance du juge et à des tarifs plafonnés, l’établissement et le contrôle des inventaires et des comptes des majeurs dont la situation financière est complexe ou présente des risques. »