Le cyberharcèlement sur internet est un délit: deux condamnations le 3 juillet 2018 dans l'affaire Nadia Daam (fr)

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Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Juillet 2018





Les deux membres du forum « 18-25 » de Jeuxvideo.com, qui avaient participé à une violente campagne de cyberharcèlement contre la journaliste d’Europe 1, Nadia Daam laquelle, dans une chronique, avait osé dénoncer les dérives misogynes de ce forum, viennent de revenir à la réalité.


Suite à la plainte déposée par la journaliste, les deux harceleurs ont été identifiés, poursuivis et finalement condamnés le 3 juillet 2018 par le tribunal correctionnel de Paris à six mois d’emprisonnement avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts (lire Prison avec sursis pour deux hommes qui avaient menacé Nadia Daam [1])


Internet et le développement grand public des moyens de communications ont favorisé l’essor de ce délit particulièrement sournois et trop mal connu : le cyber-harcèlement.


Un simple téléphone portable ou une tablette peuvent en effet devenir très rapidement une arme redoutable qui, liée à la viralité des réseaux sociaux, peut faire vivre un enfer quotidien à la victime d’un cyber-harceleur


Par exemple, l’envoi de SMS malveillants et répétés est assimilable à du harcèlement et constitue donc un délit.


C’est ainsi qu’après avoir harcelé, après leur rupture en octobre 2016, son ancienne compagne et sa famille à coups de textos très menaçants, un Alsacien a été condamné le 27 avril 2017 à deux ans de prison ferme et une autre année avec sursis par jugement du tribunal de Colmar.


Ayant manifestement ma vécu cette rupture, le bas-rhinois éconduit s’était en effet alors mis à harceler son ancienne compagne, jusqu’à lui envoyer 1.265 textos (!) en un mois.


Il avait également menacé son ex « de la brûler », « de l’étrangler » ou « de la faire exploser » .


Dans le même style, un strasbourgeois de 51 ans qui avait envoyé de nombreux messages malsains voire menaçants à son ancienne maîtresse, dont l’édifiant « J’irai pisser sur sa tombe », a été condamné le 18 janvier 2017 par le tribunal correctionnel de Strasbourg à deux mois de prison avec sursis et 1.000 euros de dommages et intérêts à verser à la victime


Le harcèlement par textos n’est pas l’apanage des alsaciens, puisqu’on peut signale également à Tahiti cet ancien gendarme de 40 ans condamné le 27 avril 2017 en comparution immédiate à huit mois de prison avec sursis pour des faits de menace de mort par SMS.


Il en avait envoyé 141 à son ex-compagne dans la même journée Le tribunal a prononcé une condamnation de huit mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve de deux ans, assortie d’une obligation de soins, interdiction d’entrer en contact avec sa victime et de se rendre à son domicile ou à son travail.


L’homme a obtenu que la peine ne soit pas inscrite sur le bulletin numéro 2 de son casier judiciaire.


Le tribunal a également prononcé l’exécution provisoire de la peine.


Deux envois de SMS, ou de courriers électroniques, insultants ou menaçants dans un court délai sont considérés comme des appels répétés et peuvent donc constituer un harcèlement téléphonique.


Ils sont réalisés dans un seul but de nuisance, en vue de troubler votre tranquillité.


Les faits sont également punis pour des appels téléphoniques, même si l’auteur :


  • laisse des messages téléphoniques malveillants sur votre boîte vocale de la victime,
  • ou se contente de faire sonner votre téléphone sans vous parler dans un seul but de troubles sonores.


Vous pouvez collecter vous-même des preuves de votre harcèlement sans attendre l’enquête de police ou de gendarmerie.


Tout mode de preuve est admis :


  • captures d’écran de SMS.
  • enregistrements des appels même à l’insu de l’auteur,
  • enregistrements des messages laissés sur votre boîte vocale,


Il convient également de noter les dates et horaires précis des appels.


Vous pourrez fournir tous ces éléments à la police lorsque vous porterez plainte.


Le contexte, les motifs, la quantité et la qualité des appels seront donc autant d’éléments examinés par le juge pour sanctionner le harcèlement au moyen de ces SMS malveillants.


Et n’attendez pas pour porter plainte si vous subissez un tel harcèlement.


Vous avez un délai de 6 ans depuis le dernier appel malveillant pour porter plainte. La justice prendra alors en compte tous les appels concernés même s’ils datent de plus de 6 ans.


La personne coupable de harcèlement par SMS ou téléphonique risque un an de prison et 15 000 € d’amende (Code pénal : article 222-16 ).


L’auteur peut également être condamné à une obligation de soins dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve.


Il existe par ailleurs de nombreuses autres formes du cyber-harcèlement, comme le revenge-porn ou les sextorsions, celles qui combinent intrusion informatique et demande de rançons, ou comme cette nouvelle version particulièrement sordide qui sévit désormais: cela s’appelle du « baiting ».


Elle s’opère via le réseau social Snapchat ou d’autres messageries instantanées en diffusant des photos privées ou des montages à caractère sexuel.


La jeune fille sur la photographie ne doit pas avoir plus de 13 ans.


Elle sourit à la caméra, mais sur l’image postée sur Snapchat un commentaire pour expliquer qu’elle est de mœurs légères et s’adonne à un multipartenariat sexuel.


Bien entendu, rien de ce que raconte le post n’est vrai, mais les dégâts peuvent être considérables, puisque l’image est multidiffusée et partagée dans tout son collège !


D’autres photos plus explicites montrent des adolescents en sous-vêtements, avec leur véritable nom et des liens avec leur compte sur les réseaux sociaux.


Il s’agit de la version française du baiting qui commence à sévir dans l’hexagone.


Le baiting ou « bait-out » vient d ‘Angleterre et constitue une nouvelle forme de cyber-harcèlement dévastatrice, combinant revenge porn et creepshots, ou des photos récupérées sur Twitter ou Instagram ou de vulgaires montages, bien entendu sans l’accord ou le consentement des personnes intéressées qui sont ensuite humiliées sexuellement avec des commentaires dégradants.

L’intention est flagrante: c’est bien de harcèlement dont il s’agit puisque les véritables identités sont révélées et que le « name and shame » est encouragé !


C’est ainsi qu’un compte suggère qu’on envoie des commentaires sur fond de « Vous voulez vous venger de votre ex ?  » et d’encourager à tagger les photos volées et de les poster sur les réseaux sociaux.


Des comptes Twitter très localisés, et donc encore plus facile pour identifier les malheureuses prises au piège, comme “Essex Bait Slags” ou “Baitout Bath” sont apparus et sur Instagram on trouve des comptes comme “Baitout Holyhead” et “Baitout Birmingham”.


En France; c’est surtout Snapchat qui serait le vecteur de cette forme de harcèlement.


Même sur YouTube, de jeunes présentateurs publient des vidéos sur lesquelles apparaissent les rues où elles résident, et demandant de dénoncer celles soupçonnées de dépravation.


Ces vidéos filmées à l’origine à Londres ou Birmingham totalisent des centaines de milliers de vues sur internet.


Et bien souvent les victimes n’osent pas parler de ces traitements humiliants.


Le baiting ne serait finalement que la version pour millennial du harcèlement du 20e siècle avec de sales rumeurs propagées dans la cour de récréation.


Avec la différence que ce cyber-harcèlement ne se cantonne pas à l’école ou au collège, mais fonctionne 24h/24 et peut devenir viral très rapidement avec du contenu infâmant pouvant rester longtemps en ligne.


L’impact de ce fléau a notamment été évoqué dans la série de Netflix « 13 Reasons Why », qui raconte le calvaire de la jeune Hannah, qui s’est suicidée après avoir été harcelée de la sorte.


Twitter a réagi et confirme ne pas tolérer l’exploitation sexuelle des enfants et avoir fermé les comptes signalés.


Instagram en a fait de même avec une tolérance 0 concernant le harcèlement.


Il est très important que les victimes réalisent que ce qui leur arrive n’est pas de leur faute, mais que ce sont les harceleurs qui sont coupables et commentent un délit.


Rappelons en effet sur un plan plus juridique qu’Il n’existait pas en France d’outil juridique spécifique, comme en matière de harcèlement au travail ou dans le couple.


La loi du 17 juin 1998 sur le bizutage ne correspondait pas exactement au harcèlement scolaire et c’étaient donc plutôt les violences morales incriminées par l’article 222-33-2 du Code pénal qui trouvent à s’appliquer.


La création d’un délit particulier est intervenue en août 2014 avec la création de l’article 222-33-2-2 du Code pénal qui dispose que:


« Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.

Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :


  1. Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
  2. Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;
  3. Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
  4. Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.


Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4° »


Il existe un réseau d’écoute des cyberharcelés comme le n° 08 200 000 net écoute ou le numéro vert 3020 « Non au harcèlement », ouvert du lundi ou vendredi de 9h à 18h (sauf les jours fériés), est animé par un réseau de 250 « référents harcèlement » qui est chargé de la prise en charge de situations de harcèlement dont ils ont eu connaissance.

Ils aident et conseillent également les écoles et les établissements pour la résolution des situations de harcèlement.


Sur internet, le site www.nonauharcelement.education.gouv.fr oriente et donne des conseils selon le profil de l’utilisateur (victime, témoin, parent ou professionnel). Un ensemble de ressources pédagogiques est mis à la disposition des professionnels et des parents (guides, cahiers d’activités pour le primaire et grille de repérages du harcèlement).


La page Facebook, qui compte plus de 110.000 abonnés, est fréquentée majoritairement par des jeunes de 13 à 17 ans, mais ce sont essentiellement des femmes de 25 à 44 ans, le plus souvent des parents d’élèves qui y interagissent.


De nombreux partenaires institutionnels concernés par la lutte contre le harcèlement suivent également cette page tout comme certaines fédérations de parents du public et du privé.


Les plus grands sont aussi victimes sur Twitter ou Facebook de personnes malfaisantes pouvant opérer seules ou en véritables meutes qui vont utiliser Internet comme une caisse de résonnance pour propager leurs messages ciblés, pour assouvir une vengeance ou esprit de lucre, dans l’ignorance bien souvent du désarroi de leurs victimes.


Le jugement intervenu le 3 juillet et les condamnations intervenues dans cette affaire Nadia Daam doivent donc nous rappeler autant que possible que le harcèlement, et surtout sa version cyber, est une activité répréhensible, jamais anodine et causant une véritable souffrance à ceux qui y sont confrontés, nécessitant une véritable réponse pénle et une meilleure écoute des victimes.


Et surtout que ces agissements ne restent pas impunis que l'on soit une personnalité des médias ou un anonyme !