Le héros s'appelle Bob Morane (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Emmanuel Pierrat, Avocat au barreau de Paris
Publié le 1er octobre



Bob Morane a d’abord été un héros de romans - publiés par Marabout -, avant de devenir celui d‘une série de bande dessinées. Et d’être aujourd’hui au cœur d’un procès qui l’empêchera peut-être de devenir un héros de cinéma.

Car son créateur, Henri Vernes, qui l’a conçu en 1953, s’oppose devant la justice belge, au nom de son droit moral, à la société Bob Morane Inc. A qui il a cédé, en 2010, Bob Morane, tant le personnage que les aventures ou encore l’univers.

Un projet de film avec Jean Dujardin en est affecté, tout comme le nouvel opus dessiné que devait publier l’éditeur québécois Perro.

Ce dernier semble plus se soucier de morale que de « droit moral », notion par ailleurs très européenne. Il déclarait l’an passé au journal canadien La Presse : « juridiquement, rien ne m'empêche d'éditer, mais moralement, c'est autre chose. Je ne me prononce pas sur la nature du litige, mais par respect pour tous mes auteurs, je préfère ne pas publier. Si j'étais dans la même situation qu'Henri Vernes, je n'aimerais pas que l'éditeur aille de l'avant avec la publication. D'ailleurs, Henri Vernes m'a fait savoir qu'il me remerciait pour cette décision.

Évidemment, je suis déçu de la situation, parce que j'avais une aventure sur le point d'être publiée, mais je vais laisser les parties se dépatouiller avec les problèmes juridiques et on reprendra quand ce sera réglé. Je travaillerai alors avec Henri si c'est lui qui l'emporte en cour ou avec la société Bob Morane inc. si ce sont eux.»

Et l’éditeur inventif d’ajouter : « Je possède d'autres titres de Henri Vernes, dont une série de romans d'aventures écrites dans les années 60 et réservées aux 18 ans et plus à cause de son contenu sexuel. C'est la série Don dont je vais publier la toute première aventure »…

Rappelons que la protection des personnages est largement reconnue par la jurisprudence, notamment française.

Le Tribunal de grande instance de la Seine a ainsi été convaincu du caractère protégeable du nom de Chéri-Bibi, le 2 mars 1959. 1977 fut une année faste et éclectique pour la reconnaissance du droit sur les personnages : Tarzan a été validé par le Tribunal de grande instance de Paris, le 21 janvier, tandis que Poil de carotte triomphait devant la Cour d’appel de Paris, le 23 novembre suivant. Même Alexandra – compagne de SAS - a bénéficié d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris, le 18 décembre 1990.

Quant à Angélique, la célèbre Marquise des Anges, elle a donné lieu, un temps, à des décisions contradictoires.

Le 11 janvier 2001, la Cour d’appel de Versailles a ainsi considéré que le titre Angélique « correspond à celui d’une héroïne précise, parfaitement reconnaissable et sur l’identité de laquelle le public ne peut se tromper, qui la distingue, à la date de la création de l’œuvre en 1953, d’autres jeunes femmes antérieurement représentées par le personnage d’Angélique du Georges Dandin de Molière ou encore par celui du livret d’opéra de Jacques Ibert, alors même que les œuvres de Giono et de Robbe-Grillet ont, pour leur part, fait l’objet d’une divulgation dans le grand public postérieurement à la diffusion des romans de Madame Golon ».

En revanche, le 30 juin 2000, la Cour d’appel de Paris a estimé que « le prénom d’Angélique est un prénom connu sur le territoire français, (…) il a été porté par divers personnages de l’histoire et déjà utilisé dans des œuvres littéraires ; (…) en adoptant pour désigner l’héroïne des romans ce prénom, les auteurs n’ont manifesté aucun effort de création, ne procédant qu’à un choix parmi des prénoms connus ».

Quoi qu’il en soit, les éditeurs prudents prennent particulièrement soin, dans les contrats avec les auteurs, de mentionner la cession des droits sur les personnages ; en particulier si ceux-ci sont appelés à multiplier les aventures hors des librairies, sous forme de produits dérivés (vêtements, bibelots, matériel de papeterie), voire d’adaptation audiovisuelle.

De même, le dépôt du personnage en tant que marque est possible, si l’auteur y a consenti par contrat. Il peut ainsi être utile d’insérer la clause suivante : « Tous les droits cédés par l’auteur à l'éditeur permettront à celui-ci de procéder à toute protection desdits droits et de leurs adaptations par le biais de droits de propriété industrielle et notamment par le droit des marques, le droit des dessins et modèles. À cet égard, l’auteur garantit à l'éditeur n’avoir procédé à aucune formalité de protection de son apport par le biais des droits de propriété intellectuelle ». Cette technique se révèle avantageuse dans les cas où le personnage risque de tomber dans le domaine public. Le droit des marques possède en effet l’immense intérêt d’assurer une protection éternelle, sans risque de domaine public, si les dépôts sont renouvelés en temps et en heure.