Le manga mis à nu (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Emmanuel Pierrat,
Avocat au barreau de Paris
Juin 2014


Le Japon vient de voter, le 18 juin dernier, des modifications substantielles à loi de 1999 sur la pédopornographie, qui prévoit désormais jusqu’à un an d’emprisonnement. L’Unicef dénonçait la quasi-impunité des éditeurs, représentés notamment par l’Association des éditeurs de presse magazine et la Fédération des Barreaux japonais qui se sont opposés à l’adoption de la nouvelle loi.

Un aveu à titre liminaire d’avocat et collectionneur de curiosa :

Les éditeurs me soumettent depuis plusieurs années certains mangas et bandes dessinées érotiques dans le but d’échapper à la censure ; et je m’y plonge avec un zèle tout particulier. D’autres volumes m’arrivent entre les mains au gré de mes emplettes : à chaque voyage au Japon ou à Taïwan, j’aime acheter par brassées des mangas hétéros ou gays si audacieux que l’effacement des poils, et donc des sexes, en devient encore plus fascinant.

Car le talent érotique s’épanouit si bien dans le cadre imposé par la planche, une contrainte obligeant chacun des héros, chacune des créatures à découvrir un nouveau « visage », inattendu ou désiré de longue date, de leur libido.

Grâce au dessin, tous les fantasmes peuvent s’épanouir librement sous nos yeux. Pour concevoir une bande dessinée érotique, l’auteur extrait de ses cogitations licencieuses une sélection de fantaisies qui mettent le « rose aux joues ». C’est donc un choix forcément subjectif, mais toujours subversif et coquin, que, lecteurs – forcément voyeur ! –, nous sommes convié à parcourir. Nous savourons ici une bande entièrement licencieuse, là, une série de phrases crues, un peu plus loin encore des détails graphiques sans équivoque, bien que dissimulés au sein d’une page en apparence inoffensive…

La variété des lieux, que permet le dessin, est également un atout. Les auteurs nous emmènent à l’hôtel, en club spécialisé, au sex-shop ou dans un banal lit de chambre à coucher.

Toutefois, malgré leur originalité, les histoires se doivent de respecter les règles immuables - car redoutablement efficaces - du genre érotique, qu’il s’exerce dans un roman, sur un écran ou en bande dessinée.

Les aventures érotiques sont tenues de répondre à des critères amplement éprouvés. La sexualité sert évidemment de thème principal. Et lorsque la forme livresque est employée, l’intrigue se doit d’aller crescendo : c’est ainsi que l’héroïne découvre son corps ou celui des autres, avant, par exemple, de s’ébattre avec toujours plus d’audace ou de partenaires. De tout temps, les meilleurs artistes, peintres et écrivains, se sont frottés à cette exigence, certains, une fois, par défi, d’autres à répétition, par goût prononcé.

Une bande dessinée érotique réussie doit aussi pouvoir entraîner celui la compulsant dans un monde qui ne lui est pas familier, même en rêve. Tout l’art du grand scénariste et de son comparse illustrateur consiste à ce que chacun puisse s’identifier aux péripéties d’une pucelle, d’un homme mûr et dévergondé, ou d’une bourgeoise en apparence timorée. L’album libertin se doit en effet de souscrire à un objectif physique : il ne peut laisser indifférent. Son efficacité se mesure aux réactions plus ou moins fortes que subit, avec plaisir, le corps de la lectrice ou du lecteur… qui termine souvent la fiction d’une seule main.

C’est cet art physiologiquement vérifiable qui a conduit certains des plus grands maîtres de la bande dessinée à appartenir désormais aux incontournables de ma bibliothèque érotique.

Et le panorama offert couvre encore tous les aspects de l’érotisme, de la soumission moderne à la « perte » de la virginité, en passant par la bisexualité ou le plaisir solitaire. Autant dire que la diversité des points de vue, des positions et des situations, peut satisfaire aussi bien le lecteur le déluré que l’amateur exigeant qui sommeille en chacun de nous.

Pour ce qui est de la France, rappelons que l’ancien délit d’outrage aux bonnes mœurs est aujourd’hui remplacé par l' article 227-24 du Code pénal, qui dispose : « Le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire le commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement (…), lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».

De plus, la rédaction plus qu'imprécise de ce texte de loi, qui représente une porte ouverte aux censeurs, a été fortement dénoncée par les observateurs attentifs, dès son vote par le Parlement, intervenu en 1993. L'interprétation que peuvent faire les juridictions d'un texte aussi flou et répressif est très large. Les groupes de pression — qui se font fort de défendre la famille ou la religion — l'ont bien compris et ils hésitent de moins en moins à demander aux autorités d'agir, voire à intenter eux-mêmes les procès.

Par ailleurs, depuis 1994, le Code pénal comporte un article entièrement nouveau et redoutable, destiné à lutter contre le trafic d’images à caractère pédophile, mais utilisé désormais par les ligues de vertu en guerre contre les arts et lettres. L’article 227-23 du Code pénal dispose que « Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image d’un mineur lorsque cette image présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de soixante-quinze mille euros d’amende. Le fait de diffuser une telle image, par quelque moyen que ce soit, de l’importer ou de l’exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines. (…) Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur, sauf s’il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation ou de l’enregistrement de son image. »

Enfin, il reste loisible de poursuivre les professionnels du livre sur le fondement de l’ article 227-22 du même code. Ce texte sanctionne la corruption de mineurs, autrefois appelée « provocation à l’excitation de mineurs à la débauche ». Le Japon a encore du chemin à parcourir de nous égaler.


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.