Le refus motivé des autorités de réintégrer un étranger dans la nationalité française ne viole pas la Convention des droits de l'Homme (fr)

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Auteur : Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris
7 juillet 2017


Dans sa décision rendue dans l’affaire Boudelal c. France (requête n° 14894/14) du 6 juillet 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré, à l’unanimité, la requête irrecevable.

La CEDH relève en effet que le droit français ne garantit pas aux étrangers un droit inconditionnel à l’obtention de la nationalité française.

Au contraire, il subordonne l’obtention de la nationalité française au loyalisme des postulants tel qu’évalué par les autorités.

Il leur offre en même temps des garanties contre l’arbitraire en obligeant les autorités à motiver leurs décisions de refus et en donnant aux personnes déboutées la possibilité d’exercer un recours devant les juridictions administratives.


L’affaire concernait le refus des autorités de réintégrer le requérant dans la nationalité française.

Le requérant, Chérif Boudelal, est un ressortissant algérien, né en 1945 et résidant à Avignon. M. Boudelal réside régulièrement en France depuis 1967. En 2009, il déposa une demande en vue d’obtenir sa réintégration dans la nationalité française.

Le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire rejeta sa demande au motif notamment qu’il avait des liens avec « un mouvement responsable d’actions violentes et prônant une pratique radicale de l’islam : le collectif Paix comme Palestine », dont il était président, et qui, selon le ministère, était le relai local d’une organisation « proche de l’idéologie du Hamas (frères musulmans palestiniens) ».


M. Boudelal forma un recours gracieux devant le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

La déléguée du ministre décida de maintenir la décision de refus. M. Boudelal, ainsi que son épouse, qui s’était heurtée à un refus similaire, saisirent le tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation de cette décision. Le 22 février 2012, le tribunal rejeta leurs requêtes.

La cour administrative d’appel de Nantes confirma ce jugement par un arrêt rendu le 31 mai 2013. Elle rappela qu’il appartenait tout d’abord au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l’intérêt d’accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité française à l’étranger qui la sollicite et que, dans le cadre de « l’examen d’opportunité », le ministre pouvait également « prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ».

La demande d’aide juridictionnelle déposée par M. Boudelal afin de se pourvoir en cassation fut rejetée au motif qu’aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé contre l’arrêt attaqué.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 15 février 2014. Invoquant les articles 10 (liberté d’expression), 11 (liberté de réunion et d’association), et, en substance, 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), le requérant se plaint du fait que les autorités internes se sont fondées sur le fait qu’il milite pour la cause palestinienne et la cause des immigrés. Le requérant dénonce un « refus de nationalité pour délit d’opinion »

La Cour relève que la demande de M. Boudelal a été rejetée au motif qu’il existait un doute sur son loyalisme envers la France. Mais, la Cour observe que, à l’instar du requérant dans l’affaire Petropavlovskis c. Lettonie (no 44230/06), M. Boudelal a pu, après comme avant le refus opposé à sa demande de réintégration dans la nationalité française, librement exprimer ses opinions, participer à des manifestations et adhérer aux associations de son choix

M. Boudelal fait état de l’effet dissuasif que cette mesure de refus aurait eu sur son aptitude à exercer les droits garantis par les articles 9, 10 et 11 de la Convention, mais il n’étaye pas son allégation. Du reste, il ne ressort pas du dossier qu’il aurait par exemple renoncé à des engagements associatifs ni à l’expression de ses opinions à la suite de la décision de rejet de sa demande de réintégration dans la nationalité française.


En outre, cette décision de refus ne présentait pas de caractère punitif. Elle se bornait à prendre acte du fait que l’un des critères fixés par le droit interne pour la réintégration dans la nationalité française n’était pas rempli.

La Cour observe qu’à l’instar du droit letton dans l’affaire Petropavlovskis précitée, le droit français ne garantit pas aux étrangers un droit inconditionnel à l’obtention de la nationalité française. Au contraire, il subordonne celle-ci au loyalisme des postulants tel qu’évalué par les autorités, tout en leur offrant des garanties contre l’arbitraire en obligeant les autorités à motiver leurs décisions de refus et en donnant aux personnes déboutées la possibilité d’exercer un recours devant les juridictions administratives.

Il ressort donc du dossier que M. Boudelal a d’ailleurs effectivement bénéficié de ces garanties. Comme dans l’affaire Petropavlovskis, la Cour ne voit ainsi pas en quoi le requérant aurait été empêché d’exprimer ses opinions ou de participer à quelque rassemblement ou mouvement que ce soit. Elle conclut que les articles 9, 10 et 11 de la Convention ne s’appliquent pas dans les circonstances de l’espèce.


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