Les mystères de la prestation compensatoire (ou comment trouver le chiffre juste) (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Juliette Daudé, avocate au barreau de Paris
Novembre 2018




« J’ai sacrifié ma carrière professionnelle pour le suivre en expatriation…Il était toujours en voyages d’affaires je me suis occupée seule des enfants…Elle gagne beaucoup plus que moi aujourd’hui, c’est facile pour elle de divorcer ! Comment chiffre-t-on vingt ans de bons et loyaux services pour sa famille ? Je travaillais tous les jours à sa boutique, mais je n’étais pas déclaré… » : autant de remarques, de questions qui se posent lorsqu’il faut chiffrer la prestation compensatoire dans le cadre d’un divorce.


Or, si le code civil égrène des critères – critères larges et définis de façon différente d’un juge à un autre, voire d’un Tribunal à un autre – aucune méthode de calcul officielle, aucun barème n’existe permettant d’apporter des réponses précises à la question fatidique : quel montant ?


Ce que le code civil dit…


L’article 270 du code civil définit la prestation compensatoire comme la somme d’argent destinée à compenser, « autant que possible », la disparité que la rupture du mariage créé dans les conditions de vie respectives des époux.


Ainsi, si le divorce entraîne un déséquilibre trop flagrant entre les situations financières de chacun, il faut prévoir une prestation compensatoire pour rétablir une certaine équité.


Toutefois, le législateur n’est pas dupe quant aux limites de ce beau principe mathématique : il précise bien « autant que possible ».


En effet, aucune prestation compensatoire ne permettra l’égalisation stricte des situations financières des époux-futurs-divorcés, ou encore un maintien réel et effectif du train de vie du ménage pendant la vie commune (adieu week-ends à New York, Noël aux Seychelles et l’appartement de 200 m2…).


Si le Code civil prévoit différents modes de versements de la prestation (en une seule fois, en versements échelonnés, ou par l’abandon d’une partie du patrimoine immobilier), il ne prévoit aucun mode de calcul qui permettrait que les situations soient analysées de la même façon par tous les Juges aux Affaires Familiales de France.


Seuls des critères larges sont prévus par la loi, afin que chaque magistrat puisse examiner les situations qui lui sont soumises.


L’idée étant, nous pouvons le supposer, que toutes les situations sont différentes, qu’on ne peut réduire l’histoire d’une vie familiale à une simple équation et que le magistrat doit garder toute latitude dans l’appréciation humaine des cas qui lui sont soumis.


L’article 271 du code civil vient donc prendre le Juge par la main et lui demande, lorsqu’il doit fixer le fameux chiffre, de prendre en considération :


  • La durée du mariage (et seulement du mariage, les années de vie commune antérieures au mariage ne sont pas prises en compte) ;
  • L’âge et l’état de santé de époux ;
  • Leur qualification et leur situation professionnelle ;
  • Les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne (et c’est alors que se pose la difficile question de savoir si Madame, car c’est objectivement souvent Madame, a imposé à Monsieur son choix de s’arrêter de travailler, ou au contraire si c’est Monsieur qui a refusé que Madame travaille préférant que les enfants ne soient pas confiés à une nourrice…Toutefois, sur toutes les décisions prises pendant la vie commune, une présomption de prise commune de décision pèse…)
  • Le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial (étant précisé que la prestation n’a pas pour vocation de pallier l’absence de contrat de mariage…les fiancés ayant vigoureusement refusé le contrat de mariage au moment de leurs noces ne peuvent rattraper cette romantique erreur…) ;
  • Leurs droits existants et prévisibles ;
  • Leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à la retraite qui aura pu être causée pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.


Ce que la pratique montre…


Des Notaires, des Professeurs de Droit, des Avocats se sont essayés à trouver la méthode de calcul infaillible et ultime pour calculer la prestation compensatoire... Las !


Ces méthodes sont, soit franchement incompréhensibles, soit sélectives quant aucun critères retenus (à titre d’exemple, celle ne retenant que l’écart de revenus est inapplicable si les époux, de trente ans d’âge, sont mariés depuis deux ans et n’ont pas d’enfant).


Les Juges aux Affaires Familiales ne se réfèrent d’ailleurs pratiquement jamais à une méthode de calcul précise lorsqu’ils fixent le montant de la prestation : ils condamnent au paiement d’un chiffre, après avoir détaillé l’application des critères requis de façon plus ou moins complète, et nul ne sait pourquoi ce chiffre et pas un autre est retenu.


Parfois, le mauvais esprit fait suggérer qu’il s’agit du chiffre médian entre celui demandé par l’épouse et celui demandé par l’époux (Salomon n’est jamais bien loin…).


Mais difficile de reprocher à un magistrat ce qu’on lui demande justement d’être : humain…Et nul n’est humain de la même façon, nul n’a la même histoire et les mêmes conceptions de la famille.


Il revient donc à l’avocat d’effectuer un savant mélange entre code civil, jurisprudence, considérations humaines et exigences de son/sa cliente (e).


Le choix du divorce contentieux (où le Juge aux Affaires Familiales fixera ce montant) peut s’avérer risqué, puisqu’une même situation peut être jugée différemment d’un Tribunal à un autre.


Il est certain que les documents financiers de base (revenus, économies, retraite, patrimoine) devront être fournis, sans quoi la demande ne pourra être sérieusement défendue.


L’absence de pièces convaincantes, ou le risque de la loterie judiciaire, pousse souvent l’avocat, lorsqu’il n’y a pas d’autre question à trancher, à accepter un accord, valant parfois « prix de la paix » mais assurant à chacun une issue connue, acceptée, et bien évidemment acceptable.


Où l’on a coutume de dire : mieux vaut une convention honorable qu’une mauvaise décision.