Les revendications d’archives publiques (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


Auteur : Emmanuel Pierrat,
Avocat au barreau de Paris
Février 2017



Le Comité interministériel aux Archives de France a divulgué, en septembre 2016, un document assez dense et en tout cas foisonnant sur « la revendication des archives publiques », élaboré avec l’aide du Conseil des ventes volontaires.

Rappelons que la loi de 1979 relative aux archives a été remaniée il y a plus d’une dizaine d’années pour prendre place au sein du Code du patrimoine.

Selon l’article L. 211-1 du Code du patrimoine, les archives sont « l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ».

Aux termes de l’article L. 211-4 du même code, « Les archives publiques sont :

« 1° Les documents qui procèdent de l’activité de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public (tandis que) les actes et documents des assemblées parlementaires sont régis par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

« 2° Les documents qui procèdent de la gestion d’un service public ou de l’exercice d’une mission de service public par des personnes de droit privé.

« 3° Les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels et les registres de conventions notariées de pacte civil de solidarité ».

Les archives qui ne répondent pas à ces critères sont donc des archives privées. Et celles-ci peuvent émaner de familles, d’entreprises, d’associations… Leur statut juridique, lorsqu’elles sont classées, est aligné à présent sur celui des objets mobiliers classés : « Le propriétaire d'archives classées qui projette de les aliéner est tenu d'en faire préalablement la déclaration à l'administration des archives dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat. Il en est de même pour le propriétaire, le détenteur ou le dépositaire d'archives classées qui projette de les déplacer d'un lieu dans un autre. Toute aliénation doit être notifiée à l'administration des archives par celui qui l'a consentie, dans les quinze jours suivant la date de son accomplissement. (…) Il en est de même pour toute transmission d'archives classées par voie de succession, de partage, de donation ou de legs. La notification est faite par l'héritier, le copartageant, le donataire ou le légataire. »

Rappelons encore que « les archives ne se limitent pas aux documents papier, et encore moins aux « vieux papiers » : il s’agit aussi bien de manuscrits que de tapuscrits, cartes, œuvres graphiques, photographies, correspondances, comptes, registres, bandes sonores, films, documents sur support numérique... »

« Elles peuvent se présenter sous forme isolée (autographes) »ou « de fonds ou de dossiers (ensembles cohérents provenant d’une même personne physique ou morale). » Par ailleurs, il a été alors instauré un véritable droit de préemption au profit de l’Etat, y compris dans l’hypothèse d’une vente de gré à gré, loin de la publicité des enchères. Pour ce faire, « La société habilitée à procéder à la vente de gré à gré de documents d'archives privées (…) notifie sans délai la transaction à l'administration des archives, avec toutes indications utiles concernant lesdits documents. »

Un décret du 12 avril 2012 a créé le Comité interministériel aux Archives de France, qui propose la politique de l’État en matière d’archives, anime et coordonne l’action de l’administration de l’État en ce domaine. « Définie en application du code du patrimoine, la politique de revendication des archives publiques s’inscrit dans une pratique juridique ancienne, instituée dès l’Ancien Régime, qui vise à préserver la continuité du service de l’État et les droits des citoyens, en veillant à la conservation des dossiers d’affaires et des correspondances. »

De fait, « la France se caractérise par l’importance de son patrimoine écrit, non seulement littéraire, mais aussi historique, politique, administratif, économique, scientifique, public comme privé. Au cours du temps, les archives sont devenues des témoins et des reliques de périodes révolues – admirées ou regrettées – créant un marché des autographes et des souvenirs historiques, qui s’est développé dans la première moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Les aléas historiques n’ont pas épargné les archives d’État des régimes successivement renversés, qui parviennent parfois jusqu’à nous en mains privées.

De plus, « le marché des autographes et manuscrits a progressé en volume et en valeur depuis quelques dizaines d’années. Dans ce contexte, il était important que l’État précise les notions de papiers publics et d’archives publiques et, dans le souci du respect de la propriété privée et de la fluidité du marché de l’art, qu’il clarifie les conditions d’exercice de son droit de revendication. »

Or, « comme tous les biens mobiliers présentant un intérêt public culturel qui appartiennent à l’État et aux autres personnes publiques, les archives publiques sont imprescriptibles et inaliénables. Elles ne peuvent donc faire l’objet d’aucune transaction. Elles ne peuvent pas davantage être exportées hors du territoire national de manière définitive, compte tenu de leur qualité de « trésor national ».

Ainsi, seules les personnes publiques et les personnes privées chargées d’une mission de service public (officiers ministériels, prestataires chargés d’une mission de service public dans le cadre d’une délégation de service public par exemple) sont bien fondées à posséder des archives publiques. Une personne privée qui conserve des archives publiques n’en est jamais que le détenteur, quelle que soit la durée de cette détention ; elle n’en acquiert jamais la propriété. L’État peut, sans limite de temps, revendiquer ces archives, dans les conditions définies par l’article L. 212-1 du code du patrimoine qui prévoit en son 3ème alinéa que : « Le propriétaire du document, l’administration des archives ou tout service public d’archives compétent peut engager une action en revendication d’archives publiques, une action en nullité de tout acte intervenu en méconnaissance du deuxième alinéa ou une action en restitution ».

Officiellement, « la revendication d’archives publiques n’a donc pas pour objet de permettre à l’État ou aux autres personnes publiques d’acquérir des archives à des conditions exorbitantes ; elle leur permet d’obtenir la restitution de documents qui leur appartiennent. L’administration apprécie l’opportunité de la revendication et veille à adopter une action cohérente, dans le respect de la législation. La nature publique des documents ou leur appartenance au domaine public motivent toute revendication, qui vise à les mettre à la disposition du public dans l’intérêt général, pour étude, consultation, exposition. »

Précisions que « le propriétaire du document, l’administration des archives ou tout service public d’archives sont habilités à revendiquer les archives publiques. Les archives susceptibles d’être revendiquées sont les documents publics par nature et les documents qui appartiennent au domaine public. Elles peuvent être revendiquées quelles que soient leur valeur marchande, leur forme (brouillon, document inachevé ou fini) ou leur date (y compris les documents d’Ancien Régime). »

Le vademecum proposé en septembre 2016 par le Comité interministériel « a pour objet d’expliquer les dispositions juridiques et les modalités pratiques de la revendication d’archives publiques et de formuler un certain nombre de recommandations destinées aux professionnels du marché de l’art et aux administrations. Il comporte également une typologie non exhaustive d’archives publiques susceptibles d’être revendiquées. «  Ce document, très politique, présente donc le mérite essentiel d’aider la puissance publique sur ce qu’elle pourrait envisager de revendiquer, tout en prévenant les opérateurs privés des risques qu’ils encourent.