Mémoires d'avocat : « DERRIERE LES NOMS », Me Serge Hoffman écouté par Me Michèle Mergui Schwarcz

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

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1940. Samuel Hoffman vient d'avoir 6 ans. Son père, immigré de Russie, tailleur à Paris, lui a cousu une étoile jaune sur son petit chandail. Samuel et son frère Elie échapperont à la Rafle du Vel d'Hiv grâce à la pugnacité et au courage de leur mère. Il empruntera un moment l'identité de Georges Lorrain, le temps que le monde revienne à la raison.

Devenu Serge Hoffman, un avocat reconnu, il raconte à 80 ans, à son ancienne collaboratrice, les traces de ce passé et le bonheur du présent.

Serge Hoffman est décédé à Paris le 10 janvier 2021.

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Préambule

«J’ai été pendant 15 ans la collaboratrice de Maître Serge HOFFMAN, SH pour les intimes. La première fois que je l’ai vu, j’ai senti une force vitale incroyable dans ce petit homme. Il avait traversé d’un pas décidé le long couloir qui menait au bureau de Fabienne, sa collaboratrice, l’avait embrassée ; ils venaient de gagner une affaire.

Nous étions en janvier 1985, j’avais 23 ans, j’allais passer 15 ans à ses côtés.

3 octobre 2011.
Visite du mémorial de la Shoah organisée par l'Ordre des Avocats et le Rassemblement des Avocats Juifs de France. En écho à la loi du 3 octobre 1940 portant reforme du statut des juifs.

A compter de cette date, les Avocats juifs ne pourront plus exercer leur métier.

Serge Hoffman est là, comme toujours dans ces moments. Il prend le visage de l’enfant qu’il était alors, il a cet air désolé mais fort qui fait son charme.

Nous nous retrouvons toujours avec la même tendresse, la même affection et la conversation devant le mur des noms de nos disparus nous mène là :
Moi : « Et si vous écriviez vous aussi un livre, si vous racontiez votre histoire, votre vie ? »
Lui : « ah t’es mignonne.... oui, je devrais... »

Et comme il fait souvent lorsque l’obstacle est trop important, il prend la fuite, se dérobe derrière une petite blague, change de sujet, aperçoit un ami qu’il veut saluer…. Lui : « tu veux boire quelque chose ? » Moi insistante : « Et si nous l’écrivions ensemble ? Vous me racontez, j’écoute, j’enregistre et je restitue ensuite ! » Cette suggestion a l’air de lui convenir, je pressens qu’il ne pourrait pas refaire la route à l’envers seul. Retourner là-bas doit être insurmontable, mais il est tenté de faire ce chemin. Flattée qu’il en ait envie avec moi.

3 octobre 1940.

Serge Hoffman a six ans. Il s’appelle encore Samuel et il n'est pas encore avocat. À quoi rêve t-on quand on a six ans en 1940 ? Et qu'on est un petit garçon juif ?

Raconter, témoigner, ce qui en d’autres temps aurait semblé de simples souvenirs d'enfance est devenu du fait de la tragédie de l’histoire, un devoir auquel il faut faire face, devoir de mémoire.

Et chaque souvenir des hommes et femmes de ces temps devient indispensable aux descendants, aux générations qui ont suivi.

Nous avons déjeuné quelques jours plus tard, il semblait alors prêt à se raconter, prêt à se décharger, à dire, et il le fera dans un ordre qui va sans cesse me surprendre.

Nous convenons alors d’entretiens qui auront lieu dans son bureau, des entretiens d’environ 2 heures, il parle, je l’écoute, je l’interromps, souvent, trop souvent d’ailleurs. »

Me Michèle Mergui Schwarcz

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