Mars 2014, mois du renforcement des DPI : les lois des 11 et 17 mars 2014 ! (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France >  Droit privé >  Propriété intellectuelle > Contrefaçon 
Fr flag.png


Compte-rendu de la réunion du 13 juin 2014 de la Commission ouverte Propriété intellectuelle du barreau de Paris, réalisé par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition affaires


Commission ouverte : Propriété intellectuelle
Responsable : Fabienne Fajgenbaum, avocat au barreau de Paris

Intervenants : Richard Milchior, avocat à la Cour, Marie Courboulay, vice-présidente de la troisième chambre, première section, du TGI de Paris


Il est important de noter que les lois des 11 (loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, renforçant la lutte contre la contrefaçon N° Lexbase : L6897IZH) et 17 mars de 2014 (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation N° Lexbase : L7504IZX) sont d'application immédiate. La loi "Hamon" est l'une des lois les plus importantes de ces dix dernières années dans le domaine économique. Il est également important de relever que, comme le montre les débats parlementaires, dans la loi du 11 mars 2014, de nombreux éléments ont été abandonnés par le législateur, ce qui aura sans doute une influence sur l'interprétation qu'en feront les tribunaux.

La loi du 11 mars 2014 a pour origine le rapport d'information des sénateurs Béteille et Jung du 9 février 2011 qui a donné naissance à la proposition de loi déposée par le sénateur Jung le 30 septembre 2013. La loi du 17 mars 2014 est, quant à elle, le fruit d'un projet de loi déposé par le Gouvernement, le 2 mai 2013, la longueur des discussions sur ce texte étant en particulier due à l'action de groupe, véritable serpent de mer, insérée en droit français par ce texte et qui en a bloqué l'avancée.

Ces deux textes ont pour objectif d'aggraver les sanctions à l'égard des contrefacteurs et d'améliorer la protection des droits de propriété intellectuelle en France. Est-ce suffisant ? Certainement, non ! Mais cela représente tout de même une avancée non négligeable. La Chambre de commerce des Etats-Unis considère que la France est le troisième Etat dans le monde en ce qui concerne la protection des DPI, derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

La loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, de lutte contre la contrefaçon (N° Lexbase : L7839HYY), qui avait transposé en France la Directive 2004/48 du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4) présentait des lacunes, notamment mise en exergue par le rapports d'information de Béteille et Jung. La contrefaçon représenterait, selon certaines estimations, une perte de 6 milliards d'euros.

I. La loi du 11 mars 2014, renforçant la lutte contre la contrefaçon

1 - La recherche de la contrefaçon

1.1 - Consolidation de la saisie-contrefaçon

La loi du 11 mars 2014 contient en la matière une innovation incrémentale : il est possible d'effectuer des opérations de saisie-contrefaçon même en l'absence de produit contrefait. La prise de mesures d'instruction est facilitée et la possibilité de lancer des procédures après des retenues douanières est réglée par le simple dépôt d'une plainte auprès du Procureur de la République. Il n'est donc plus indispensable de se pourvoir devant la juridiction civile ou pénale ; ceci reste une possibilité mais n'est plus une obligation.

Le but est ici de se rapprocher toujours un peu plus du droit communautaire et d'harmoniser, au plus près, les procédures de saisies-contrefaçon pour tous les droits de propriété intellectuelle. La sanction d'une saisie-contrefaçon qui n'a pas été suivie dans les temps d'une procédure au fond n'est plus la mainlevée mais désormais la nullité de l'intégralité de la saisie, y compris la partie descriptive. Certains commentateurs ont soulevé la question de la conformité des dispositions françaises aux dispositions européennes et aux accords ADPIC.

La nullité de la partie descriptive était déjà prévue par la loi de 2007 transposant la Directive de 2004. Il n'est donc plus possible de sauver au moins la partie descriptive ; ceci est confirmé par la loi de 2014. Il existe toujours une petite différence pour le droit d'auteur, qui est pourtant traité désormais comme les droits de la propriété industrielle : le délai pour obtenir la rétractation de la saisie au juge qui l'a ordonnée reste d'un mois. Il semblerait qu'il s'agit là d'un oubli du législateur.


1.2 - Renforcement des moyens des douanes

Le Règlement communautaire 608/2013 (N° Lexbase : L0259I3Y) qui prévoit le cadre juridique pour stopper les contrefaçons à l'entrée du territoire de l'Union européenne est entré en vigueur le 1er janvier 2014. Ce texte est complété par la loi du 11 mars 2014 qui vient renforcer les moyens des douanes, en modifiant le Code des douanes. L'objectif est de s'aligner toujours plus sur les procédures communautaires. La loi du 11 mars 2004 crée une procédure de destruction simplifiée et introduit la notion de "transbordement". En effet, à la suite de l'arrêt "Montex" (CJCE, 9 novembre 2006, aff. C-281/05 N° Lexbase : A2733DSZ) et surtout de l'arrêt "Nokia" du 1er décembre 2011 (CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-446/09 N° Lexbase : A4607H3Z), l'interception des biens en transit sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne pose problème, problème qui semble en passe d'être réglé en ce qui concerne la contrefaçon de marques si la proposition de réforme du Règlement sur la marque communautaire actuellement en discussion est adopté en l'état par le législateur européen. La notion de transit est une notion communautaire, alors que la notion nouvellement créée de "transbordement" est une notion de droit interne, permettant aux douanes françaises de contrôler les marchandises qui répondent à cette définition, c'est-à-dire les marchandises de provenance et de destination extra-communautaires qui transitent en Europe, et d'appréhender les produits contrefaisants, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle sur la compatibilité du droit français avec le droit de l'Union. Il est à noter que pour les obtentions végétales, la procédure de retenue douanière n'est pas la même que pour les autres droits de propriété intellectuelle.

Le texte prévoit également une meilleure information des titulaires de droits sur les produits contrefaits ainsi que la possibilité, pour ceux-ci, d'être prévenus avant même la retenue afin de savoir s'ils souhaitent la retenue douanière des marchandises et entrer ensuite dans la procédure.

La loi du 11 mars 2014 procède aussi à une extension des opérations d'infiltration qui peuvent être conduites par les douanes à l'ensemble des droits de propriété intellectuelle, y compris en ce qui concerne le fret postal, par exemple. Ces opérations d'infiltration font partie d'une évolution plus générale, qui ne concerne pas seulement le droit de la propriété intellectuelle, mais que l'on retrouve également dans la loi "Hamon" en ce qui concerne le droit de la consommation, et qui tend a renforcer les pouvoirs des agents de l'administration pour lutter contre des infractions, en leur donnant la possibilité de se faire passer pour des consommateurs et pouvoir ainsi obtenir des informations plus facilement que s'ils exhibaient leurs qualités. En ce qui concerne le fret, le texte prévoit la création d'un fichier informatisé qui a nécessairement conduit à une intervention de la CNIL, laquelle a obtenu que les données appréhendées par les douanes ne soient conservées que pendant un délai maximum de 2 ans. La loi simplifie, en outre, l'engagement de l'action pénale pour la partie lésée par une contrefaçon, étant entendu qu'en l'absence d'action civile ou pénale dans un délai fixé par voie réglementaire, les diverses mesures temporaires destinées à prouver la contrefaçon doivent être levées. Or, il n'était pas possible d'engager une action pénale en matière de contrefaçon par simple dépôt de plainte auprès du procureur de la République, mais il fallait soit une citation directe, soit un dépôt de plainte avec constitution de partie civile, ce qui, en termes de délais, s'avérait quasiment impossible. Le demandeur doit, aujourd'hui, soit se pourvoir, par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République, ce qui permet plus aisément de respecter les délais prévus par les textes. La loi du 11 mars 2014 étend, par ailleurs, les compétences des douanes en matière de "coup d'achat". Le "coup d'achat" consiste en la sollicitation d'un vendeur de produits de contrefaçon afin de constituer le délit de commercialisation de produits contrefaisants. Les agents des douanes sont habilités à acquérir des produits illicites ou à aider des personnes se livrant au trafic de tels produits, tout en bénéficiant d'une exonération de responsabilité pénale. Lorsque ces produits sont vendus par le biais d'un moyen de communication électronique, il peut être fait usage d'une identité d'emprunt. La loi étend notamment le dispositif aux obtentions végétales et aux indications géographiques. Néanmoins, le texte ne prévoit pas avec quel budget sera affecté à ces achats. Ces "coups d'achats" sont également étendus par la loi du 17 mars 2014 aux agents de la DGCCRF pour faire constater des infractions au droit de la consommation.

Les douanes ont, enfin, la possibilité de poursuivre leur action à l'étranger, comme les douanes étrangères peuvent continuer leur action en France, à condition de prévenir le ministère de la Justice. Si ce développement de la coopération interétatique est tout à fait justifié par le caractère international de la contrefaçon, il est en pratique très rarement mis en oeuvre. Le texte recèle tout de même quelques insuffisances, puisqu'il n'est pas prévu l'obligation de prévenir les autorités étrangères lorsque les douanes françaises poursuivent leur action sur le territoire d'un autre Etat.


2 -La poursuite de la contrefaçon

2.1 - Renforcement du droit à l'information

La procédure du droit à l'information permet au juge saisi d'une action civile en matière de contrefaçon d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, "la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants". Des débats existaient sur le fait de savoir s'il appartient au seul juge du fond d'ordonner la communication des documents ou bien si le juge saisi en référé pouvait également y procéder. D'ailleurs, les différentes sections de la troisième chambre du TGI de Paris n'avaient pas sur ce sujet une position uniforme. La loi du 11 mars 2014 dissipe ces incertitudes en prévoyant expressément que ce droit peut être mis en oeuvre avant la condamnation pour contrefaçon y compris par le juge des référés et peut concerner toute information et tout document jugé pertinent par la juridiction saisie.

Il doit être relevé que le texte prévoit le recours au droit à l'information y compris en l'absence de saisie-contrefaçon. En effet, la juridiction peut désormais ordonner, d'office ou à la demande de toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon, toutes les mesures d'instruction légalement admissibles même si une saisie-contrefaçon n'a pas préalablement été opérée. Il s'agit d'une intrusion de l'exécutif dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui estimait, au contraire, la saisie-contrefaçon étant un moyen de preuve "roi" pour le titulaire des droits, que le droit à l'information ne devait être considéré que comme un complément à la saisie-contrefaçon. Toutefois, les critères dégagés par la troisième chambre du TGI ne devraient pas changer : si la contrefaçon présumée n'est pas vraisemblable, le droit à l'information ne pourra être obtenu. La même rigueur devra s'appliquer. En effet, soit la contrefaçon paraît évidente, et il est normal de donner les moyens à celui qui subit la contrefaçon de recueillir le maximum d'informations, soit la contrefaçon paraît plus que fragile, et le juge n'acceptera pas que ce moyen de preuve extrêmement intrusif, qui permet d'obtenir des documents qui ne seront pas utiles par la suite, notamment des documents comptables, soit offert au requérant. Ne pas faire de la saisie-contrefaçon un préalable au droit à l'information est plutôt judicieux car dans certains cas le titulaire des droits a déjà la preuve de la contrefaçon et n'a pas besoin d'une saisie des marchandises contrefaisantes, mais seulement d'éléments complémentaires sur l'origine de la contrefaçon ou les pièces comptables pour l'évaluation du préjudice. Le droit à l'information ne doit en aucun cas permettre un détournement pour obtenir des documents qui ne seraient jamais obtenus devant le tribunal de commerce sur la base de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49). D'ailleurs il est intéressant de noter qu'environ une action en contrefaçon sur deux engagée devant la troisième chambre n'aboutit pas favorablement pour celui qui se prétend titulaire de droits de propriété intellectuelle.


2.2 - L'action au fond

Comme il a été précédemment relevé, le demandeur doit, aujourd'hui, soit se pourvoir, par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République, ce qui permet de faire constater le respect des délais prévus par les textes (cf. 1.2).

En ce qui concerne les dommages-intérêts, la loi de 2007 transposant la Directive de 2004 ne permettait pas d'obtenir une indemnisation suffisante.

D'ailleurs juste après la loi du 11 mars 2014, un rapport commandé par le ministère du Redressement productif estime que les dommages-intérêts en matière de contrefaçon de brevet s'échelonnent entre 16 000 et 50 000 euros. Ce rapport propose dix mesures pour améliorer la réparation de la contrefaçon mais, fort étonnamment, il ne préconise aucun moyen pour inciter les entreprises à donner au juge les documents nécessaires au calcul du préjudice alors que dans les faits, rares sont celles qui se plient à cette exigence et qu'il s'agit là de la principale difficulté rencontré par les juridictions.

La loi du 11 mars 2014 précise davantage les trois chefs de préjudice à indemniser, tout en conservant la possibilité d'une indemnisation forfaitaire. Le texte ajoute, pour le premier chef de préjudice, à a savoir les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, que le juge prend en compte le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée.

En outre, concernant le deuxième chef de préjudice, c'est-à-dire, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, la loi prévoit désormais "y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que [l'auteur de l'atteinte au droit] a retirées de l'atteinte aux droits". Le troisième chef de préjudice, le préjudice moral causé à la partie lésée reste inchangé.

Ces trois chefs de préjudices doivent être pris en considération "distinctement", précise la loi. Cela signifie-t-il qu'ils peuvent se cumuler, sachant qu'en France existe une limite intellectuelle : la réparation doit être intégrale mais ne doit pas être punitive ?

En fait, il n'est pas possible de cumuler une indemnisation au titre des conséquences négatives avec une indemnisation fondée sur les bénéfices réalisées par le contrefacteur. La Chancellerie s'est d'ailleurs battue en ce sens. Le cumul ferait passer la réparation du dissuasif vers le punitif. En outre, la possibilité de prendre les bénéfices du contrefacteur est une notion anglaise qui est d'un grand intérêt car elle permet de condamner celui-ci à des dommages-intérêts dissuasifs, ce qui n'était pas le cas avant 2007 avec la seule réparation du manque à gagner.

L'indemnisation de la conséquence négative ou des bénéfices réalisés (préjudice matériel), peut toujours se cumuler, en revanche, avec l'indemnisation du préjudice moral.

En outre, la pratique de la troisième chambre du TGI est de prendre en compte la bonne foi dans le calcul du préjudice, car si le législateur de 2007 n'a pas intégré cette notion lors de la transposition de la Directive de 2004, elle est présente dans le texte communautaire. Or, les juges de la troisième chambre civile sont également "juges communautaires" ce qui en fait certainement le pôle le plus sensible à l'harmonisation européenne. Et, cette dernière ne doit pas se faire seulement au regard de la jurisprudence de la CJUE mais aussi de la pratique décisionnelle des autres pays qui, eux, ont intégré la bonne foi dans leurs législations nationales, lors de la transposition. Au-delà de cette considération, la prise en compte de la bonne foi a un sens : un pirate informatique est nécessairement de mauvaise foi, de sorte que les juges opteront pour la condamnation la plus élevée, alors que le contrefacteur de bonne foi, seul le principe de réparation intégrale du titulaire des droits doit guider la solution du juge. Pour évaluer le préjudice en matière de contrefaçon de brevet notamment, les juges de la troisième chambre ont une pratique bien à eux : ils enjoignent le contrefacteur de donner les pièces sous astreinte, en général calculer en fonction de la provision qui a été demandée, de sorte que si les pièces ne sont pas fournies, au titre de la liquidation de l'astreinte, le titulaire des droits peut obtenir, à défaut d'une véritable indemnisation de son préjudice, un montant assez important. Et même si le Code de procédure civile ne le prévoit pas, le juge réserve la possibilité aux parties de le saisir de nouveau pour évaluer le préjudice, lorsque la partie contrefactrice a une comptabilité. Si le titulaire de droits accepte de transmettre ses données comptables et que le contrefacteur ne produit pas ses propres documents, la juge prendra la masse contrefaisante appliquée à la marge brute du titulaire de droits, ce qui peut donner lieu à des condamnations très élevées. La sanction est claire, mais encore faut-il que les titulaires de droits acceptent de transmettre leurs documents.

L'indemnisation forfaitaire, qui est une sorte de porte de secours, est maintenue, mais légèrement modifiée. Alors qu'avant il était prévu que la somme ne pouvait être inférieure au montant des redevances, il est désormais prévu qu'elle doit lui être supérieure. Cette solution est très peu proposée devant les juridictions et mériterait certainement de l'être plus. En outre, quand l'évaluation forfaitaire est demandée, elle est souvent mal utilisée : en effet c'est au demandeur de chiffrer son indemnisation à partir des redevances, à défaut de quoi, il sera débouté.

Ces critères d'évaluation sont applicables à tous les droits de propriété intellectuelle.


3 - Divers

La loi est d'application immédiate mais ne prévoit pas de mesures transitoires. Selon Maître Buffet Delmas dans son commentaire de la loi du 11 mars 2014 (X. Buffet Delmas, Prop. indust., mai 2014, p. 12 et s.), les nouvelles règles d'évaluation des dommages-intérêts ne s'appliquent pas aux affaires en cours.

La loi aligne les divers délais de prescription de l'action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans issu de la réforme de la prescription en matière civile intervenue en 2008. Ce qui conduit donc à un délai de prescription plus long, pour tous les délais de prescription de 3 ans, sauf pour les sociétés civiles de droit d'auteurs pour lesquelles la prescription était de 10 ans. En ce qui concerne les règles de prescription, cette modification risque d'aggraver la situation de certains, de sorte qu'il semble extrêmement difficile de l'appliquer aux affaires en cours et faire remonter les actes de contrefaçon à 5 ans alors qu'au moment de l'assignation le délai applicable était de 3 ans. Les règles du jeu ne doivent pas changer pendant un match. En revanche, pour toutes les assignations postérieures à l'entrée en vigueur de la loi, le nouveau délai doit trouver à s'appliquer. La loi précise que la compétence du tribunal de grande instance de Paris en matière de brevets d'invention couvre aussi les inventions de salariés et lui attribue une compétence exclusive en matière d'indications géographiques.

Il peut sembler regrettable que la loi ne traite pas la cybercriminalité. D'autant que, selon un récent rapport de PricewaterhouseCoopers, un quart des fraudes détectées à l'égard des entreprises sont des actes de cybercriminalité. Elle représenterait 200 milliards de dollars dans le monde/an, avec un nombre important d'entreprises qui subiraient un préjudice supérieur à 1 million de dollars.


II. La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation

Au préalable il est important de noter que dans la loi du 11 mars 2014, la saisie douanière est prévue pour les indications géographiques, droit de propriété intellectuelle à laquelle la loi du 17 mars 2014 apporte des modifications. Les douanes devront donc être attentive à cette "double" modification à 6 jours d'intervalle.


1 - Protection renforcée des noms de collectivités territoriales

Les noms de collectivités territoriales bénéficiaient déjà d'une protection à travers les textes et la jurisprudence communautaire, mais également à partie de dispositions nationales qui ont permis la protection, par exemple de "Courchevel" (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 1er février 2006, n° 04/22430 N° Lexbase : A3192DNK). En outre, L'article L 45-2 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L7474IZT), modifié par la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 (N° Lexbase : L8628IPA) et son décret n° 2011-926 du 1er août 2011, relatif à la gestion des domaines de premier niveau de l'internet (N° Lexbase : L8887IQ9) a introduit en France un régime de protection limitée des noms de domaine des collectivités locales, comme ce fut le cas pour Saint-Estève. Très récemment encore, dans un arrêt du 28 mai 2014, la cour d'appel de Lyon a jugé que l'appellation "Val Thorens" était une création originale et donc protégée par le droit d'auteur, de sorte que le titulaire des noms de domaine "val-thorens.net" et "val-thorens.org" avait contrefait l'appellation (CA Lyon, 28 mai 2014, n° 13/01422 N° Lexbase : A9886MNH).

Les modifications apportées par la loi "Hamon" sont la conséquence directe de l'affaire "Laguiole" qui a conduit le 4 avril 2014 à un arrêt de la cour d'appel de Paris qui a débouté la commune, célèbre pour ses couteaux et son fromage, de son action engagée à l'encontre de plusieurs acteurs économiques ayant déposé et exploité des marques composées du nom de la commune, en rejetant notamment la demande de nullité des marques déposées.

La loi du 17 mars 2014 prévoit, d'abord, la création d'une procédure d'alerte à la charge de l'INPI lorsqu'une marque reprend le nom d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunal ou d'un conseil régional ou général ou de la collectivité territoriale de Corse. Cette procédure doit être mise en place par un décret d'application et repose sur l'information transmise à la collectivité qu'une demande de dépôt de marque contenant son nom a été effectuée. Cela pose tout de même l'épineuse question de l'étendue de la surveillance de l'INPI : doit-elle porter strictement sur le nom ou également sur certaines extensions, et le cas échéant, jusqu'à quel niveau ? En outre, cette procédure d'alerte doit-elle également s'appliquer aux collectivités étrangères ? En application de l'adage ubi lex non distinguit, il semblerait que la réponse soit ici positive. Or, certaines villes de différents pays portent le même nom (ex : Paris, en France et aux Etats-Unis -Texas et Tennessee- ; Saint Pétersbourg, en Russie et aux Etats-Unis -Floride-) : comment l'INPI va-t-il procéder à l'alerte (C. prop. intell., art. L. 712-2-1 N° Lexbase : L7689IZS) et surtout, comment va-t-il gérer la procédure d'opposition (C. prop. intell., art. L. 712-4 N° Lexbase : L7856IZY) ? Deux cas d'ouverture de ce droit d'opposition aux collectivités territoriales est prévu : tout d'abord, si la marque porte atteinte au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale sur le fondement du h) de l'article L. 711-4 (N° Lexbase : L8991G9U) ; ensuite, au titre d'une atteinte à une indication géographique qui comporte son nom.


2 - La reconnaissance d'indications géographiques pour les produits artisanaux et manufacturés

Cette modification du Code de la propriété intellectuelle est la conséquence directe du lobbying exercé par les "supporters" de la commune de Laguiole. L'Union européenne s'est en outre dotée d'une réglementation en matière de protection des indications géographiques à compter de 1992. L'ensemble de ces règles, nationales ou européennes, permet de protéger efficacement les produits agricoles et alimentaires. Il n'existe, en revanche, pas de protection des indications géographiques pour ce qui concerne les produits artisanaux ou manufacturés (par ex. : couteaux de Laguiole ; porcelaine de Limoges ; dentelle de Cholet...).

La loi du 17 mars 2014 crée donc un article L. 721-2 (N° Lexbase : L7690IZT) qui définit ces nouvelles indications géographiques : "constitue une indication géographique la dénomination d'une zone géographique ou d'un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique. Les conditions de production ou de transformation de ce produit, telles que la découpe, l'extraction ou la fabrication, respectent un cahier des charges homologué".

Cette nouvelle disposition est à mettre en parallèle avec la révision des dispositions européennes sur la sécurité générale des produits qui, à l'initiative de l'Italie, introduit le "made in" pour faire rayonner à l'international notre savoir-faire et supporter les entreprises locales afin d'éviter les délocalisations. Cette notion soulève toutefois des interrogations, dans la mesure où le cycle de production de la plupart des produits fait intervenir diverses entreprises établies dans plusieurs pays.

Afin d'encadrer les conditions de production ou de transformation du produit souhaitant bénéficier d'une indication géographique, la rédaction d'un cahier des charges est prévu. Ce cahier des charges doit être homologué par décision du directeur de l'INPI. A défaut de réponse dans les deux mois, l'avis est réputé favorable et la décision d'homologation est publiée au BOPI. La protection des indications géographique est donc renforcée puisque toute atteinte portée à une indication géographique constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur.

Il convient de relever quelques insuffisances, notamment, s'agissant des recours. En effet, le texte n'encadre ni la compétence, ni les délais pour contester la décision ou le refus d'homologation. De prime abord, cela relèverait de la compétence de la cour d'appel de Paris statuant sur les décisions du directeur de l'INPI.

Par ailleurs se pose la question de la conformité de ce dispositif avec les textes européens et les accords ADPIC. La CJUE a admis la coexistence de systèmes nationaux de protection des IGP avec le système européen, mais à condition toutefois que la mise en oeuvre de cette réglementation ne compromettent pas les objectifs poursuivis par le Règlement n° 2081/92 (N° Lexbase : L6813I3Q) et qu'elles ne contreviennent pas à la libre circulation des marchandises.


3 - Indications relatives aux secteurs publics

Le livre VII de la deuxième partie du Code de la propriété intellectuelle est complété par un titre III intitulé "Indications relatives aux secteurs publics". Il a pour objet d'interdire dans les publicités et dans certains documents pour des prestations de dépannage, réparation et entretien dans le secteur du bâtiment et de l'équipement de la maison l'utilisation de dessins, coordonnées, références ou autres signes distinctifs relatifs à un service public, sauf autorisation préalable du service concerné. Cette disposition semble redondante avec la protection déjà accordée par le droit des marques, dès lors que le service public en est le titulaire.

Ce qui est plus étonnant, en revanche, est de confier le soin de réprimer les atteintes à cette interdiction aux agents de la DGCCRF qui les sanctionneront par une amende administrative dont le montant ne peut excéder 100 000 euros. Cette sanction sera discutée dans le cadre d'une procédure "contradictoire" dans laquelle l'administration est à la fois la partie poursuivante et l'autorité chargée déterminer la sanction. On ne peut que s'étonner de cette procédure dont la compatibilité avec le droit de CESDH est loin d'être assurée.

En outre, c'est le juge administratif qui sera compétent pour connaître du recours contre les décisions de la DGCCRF en matière d'atteinte aux signes distinctifs d'un service public, alors que la juridiction administrative s'était vue retirer toute compétence en droit des marques. Cette option dommageable repose, semble-t-il, sur la volonté de privilégier une procédure rapide qui fait fi des principes du contradictoire et ce au détriment d'une compétence unifiée des juges civils, et notamment de la grande spécialisation des magistrats de la troisième chambre du TGI de Paris.


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.