Perquisition et saisie de données informatiques dans un cabinet d’avocats : pas de violation du secret professionnel (CEDH 3 septembre 2015 « Sérvulo & associados e.a. c. Portugal ») (eu)

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Date: Octobre 2015



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Mots clefs : secret professionnel, perquisition, juge de la liberté et de la détention (JLD), juge d’instruction, Convention européenne des droits de l'Homme


Arrêt du 3 septembre 2015, Sérvulo & associados e.a. c. Portugal, requête n° 27013/10


Saisie d’une requête dirigée contre le Portugal, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour EDH ») a interprété l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « la Convention »), relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.


Dans l’affaire au principal, les requérants, ressortissants portugais, sont avocats au sein d’un cabinet. Ce dernier a fait l’objet d’une perquisition et de saisies de documents et de données informatiques dans le cadre d’une enquête portant sur des soupçons de corruption, de prise illégale d’intérêt, de blanchiment d’argent, alors que ses membres assistaient le ministère de la défense portugais dans la négociation d’un contrat. Le juge d’instruction a délivré des mandats permettant la saisie de données informatiques sur la base d’une liste de trente-cinq mots clés. Après que les requérants aient formé opposition, le juge saisi a rejeté leur demande et a ordonné la transmission des documents au juge d’instruction, lequel a fait supprimer tous les documents présentant des informations à caractère personnel ou couverts par le secret professionnel.


Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants alléguaient une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale, dans la mesure où les recherches avaient été conduites sur la base de trente-cinq mots clés et, en particulier, à partir de mots courants, de surcroît dans le cadre d’un cabinet d’avocats, ce qui a eu pour conséquence d’englober des fichiers informatiques et des messages électroniques sans rapport avec l’enquête pénale. Par ailleurs, ils faisaient valoir que le juge d’instruction du Tribunal central d’instruction criminelle (ci-après « TCIC ») de Lisbonne est l’unique juge au Portugal chargé des affaires criminelles les plus complexes et que nombre d’entre elles concernent certains de leurs clients, citant à cet égard deux affaires comme exemples. Ils affirmaient qu’en étant la première autorité à prendre connaissance du contenu des données saisies, le juge d’instruction accède à des informations sans aucun rapport avec l’enquête à l’origine du mandat de perquisition et de saisie. Ils estimaient qu’en conséquence ce juge d’instruction peut avoir accès à des documents couverts par le secret professionnel, voire personnels et qui, le cas échéant, peuvent avoir un intérêt pour d’autres affaires qu’il instruit.


La Cour EDH rappelle qu’une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale enfreint l’article 8 de la Convention exceptée lorsqu’elle est prévue par la loi, qu’elle poursuit un but légitime et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique. A cet égard, elle constate qu’au moment des faits, le droit portugais ne contenait pas de dispositions régissant spécifiquement la recherche et la saisie de données informatiques. Le code de procédure pénale portugais en vigueur et le statut de l’ordre des avocats prévoyaient, néanmoins, la perquisition et la saisie d’objets et de la correspondance.

Par ailleurs, la recherche et la saisie des éléments informatiques dans le système informatique de la société requérante ont été ordonnées dans le cadre d’une enquête pénale ouverte à l’encontre de plusieurs ressortissants portugais et allemands pour les chefs de corruption, prise illégale d’intérêts, blanchiment d’argent et prévarication, ce dernier chef concernant un ancien avocat de la société requérante. Elles visaient donc un but légitime, à savoir la prévention des infractions pénales.


Les deux premières conditions étant réunies, la Cour EDH examine le caractère nécessaire de la procédure. Elle souligne, qu’en l’espèce, les recherches dans le système informatique de la société requérante et la saisie des données informatiques ont été ordonnées par deux mandats du juge d’instruction du TCIC, reposant sur des soupçons de corruption, prise illégale d’intérêts, blanchiment d’argent, à l’encontre de plusieurs ressortissants portugais et allemands, concernant l’achat de deux sous-marins par le gouvernement portugais à un consortium allemand. En ce qui concerne le contenu et la portée des mandats de perquisition et saisie, la Cour EDH note que les recherches et saisies dénoncées par les requérants ont été opérées dans le système informatique de la société requérante et bureaux des requérants, en particulier, un ordinateur, des disques durs et serveurs.


Elle constate, également, que les recherches dans le système informatique de la société requérante ont été effectuées sur la base de trente-cinq mots clés, lesquels étaient en rapport avec l’enquête. Parmi ceux-ci, elle note que figuraient quelques mots généraux, couramment utilisés dans un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit financier. Par conséquent, elle estime, qu’à première vue, l’étendue des mandats de perquisition et de saisie apparaît large. Elle indique, dès lors, qu’il convient de se demander si l’étendue des mandats de perquisition et saisie a pu être compensée par des garanties de procédure adéquates et suffisantes pour prévenir les abus ou l’arbitraire et protéger le secret professionnel des avocats.

A cet égard, la Cour EDH note qu’aux termes du statut de l’Ordre des avocats, il est interdit de saisir les documents couverts par le secret professionnel des avocats, sauf si l’avocat a été mis en examen dans le cadre de l’enquête. Le code de procédure pénale et le statut de l’Ordre des avocats prévoient, en outre, un certain nombre de garanties procédurales en ce qui concerne les perquisitions et les saisies dans un cabinet d’avocats.


En l’espèce, la Cour EDH note que certains requérants étaient présents au moment des opérations, qu’un représentant de l’Ordre des avocats était, également, sur place, qu’un juge d’instruction a présidé les opérations et que les requérants ont immédiatement présenté une réclamation au président de la cour d’appel. Par conséquent, les DVD et les disques durs saisis ont été mis sous scellés, sans que le juge d’instruction ne les visualise avant leur renvoi au président de la cour d’appel et la décision de ce dernier. Par ailleurs, un procès-verbal a été dressé à l’issue des opérations indiquant les éléments qui avaient été saisis et le vice-président de la cour d’appel a examiné la demande des requérants, concluant qu’il n’y avait pas d’atteinte flagrante au secret professionnel des avocats en l’espèce. Enfin, le juge d’instruction du TCIC a contrôlé les éléments saisis et a ordonné la destruction d’environ huit-cent cinquante fichiers au motif qu’ils contenaient des informations de caractère personnel, couvertes par le secret professionnel ou concernant des personnes autres que celles qui avaient été mises en examen.


Or, la Cour EDH rappelle que les requérants estiment que ces garanties n’étaient pas suffisantes. Ils mettaient en particulier en cause l’intervention du juge d’instruction du TCIC et l’inefficacité du recours devant le président de la cour d’appel. Ils alléguaient, par ailleurs, que des éléments informatiques qui avaient été saisis dans le cadre de la procédure ouverte à l’encontre d’un ancien collaborateur ne leur ont pas été rendus et qu’ils ont été versés dans le dossier de l’enquête concernant les autres suspects.


Sur le juge d’instruction du TCIC. La Cour EDH observe qu’aux termes du code de procédure pénale portugais, le juge d’instruction intervient comme garant des libertés dans le cadre d’une enquête pénale. Par ailleurs, pour ce qui est du contrôle a posteriori des éléments saisis à l’issue d’une perquisition, en l’espèce, le juge d’instruction, après visualisation des documents informatiques et messages électroniques qui avaient été saisis, a ordonné la destruction de huit-cent cinquante fichiers informatiques qu’il estimait être de caractère privé, couverts par le secret professionnel.


A cet égard, la Cour EDH rappelle qu’il ne lui appartient pas de substituer son point de vue à celui des autorités nationales quant à la pertinence des éléments de preuve utilisés lors d’une procédure judiciaire et indique qu’elle ne relève aucun motif de mettre en question l’évaluation à laquelle s’est livré le juge d’instruction. En effet, il est intervenu pour contrôler la légalité de la perquisition et des saisies et spécialement protéger le secret professionnel des avocats. En outre, il ne disposait d’aucun pouvoir pour engager une enquête.


Sur la réclamation devant le président de la cour d’appel. La Cour EDH note que consécutivement à la réclamation faite par les requérants, les documents informatiques et messages électroniques saisis ont été mis sous scellés, sans que le juge d’instruction n’ait pris connaissance de leur contenu, et transmis au président de la cour d’appel. Les scellés ont, ensuite, été ouverts par le vice-président de la cour d’appel qui en a examiné le contenu puis a rejeté la réclamation, estimant que les trente-cinq mots-clés choisis lui paraissaient être en rapport avec l’enquête et, dès lors, proportionnés au but recherché. Il a estimé, en outre, que les éléments saisis semblaient revêtir un intérêt direct ou indirect pour l’enquête pénale, qu’il n’y avait pas d’atteinte flagrante au secret professionnel des avocats, qu’il appartenait au juge d’instruction du TCIC de faire le tri des éléments pertinents pour l’enquête et que les allusions des requérants à son encontre étaient simplement hasardeuses.


La Cour EDH estime, par ailleurs, que dans le cas d’espèce, la décision est suffisamment motivée sur ce point. Par conséquent, la réclamation devant le président de la cour d’appel a constitué un recours adéquat et effectif complémentaire au contrôle exercé par le juge d’instruction pour compenser l’étendue du mandat de perquisition et ainsi prévenir la saisie de données couvertes par le secret professionnel.


Sur la non-restitution des fichiers informatiques et messages électroniques et sur leur utilisation en dehors de la procédure concernant l’ancien collaborateur. La Cour EDH constate que si l’enquête à l’origine de la saisie litigieuse visait plusieurs ressortissants portugais et allemands pour des chefs de corruption, prise illégale d’intérêts et blanchiment d’argent, celle ouverte à l’encontre de l’ancien collaborateur concernait uniquement un chef de prévarication. Elle note que ces deux enquêtes ont été autonomisées par une ordonnance du juge du TCIC. Au demeurant, l’enquête concernant ce dernier a été classée sans suite.


La Cour EDH constate que les quatre DVD originaux, sur lesquels avaient été gravés les fichiers informatiques et les boîtes de courriers électroniques extraits de l’ordinateur et des différents serveurs du cabinet d’avocats, et les deux disques durs saisis ont été rendus à la société requérante. En revanche, il apparaît que les copies des fichiers informatiques et des messages électroniques qui avaient été triés par le juge d’instruction n’ont pas été rendues aux requérants, la loi ne prescrivant d’ailleurs pas leur restitution immédiate. La Cour EDH note, en effet, que d’après le droit interne, le dossier d’une procédure pénale relative à une enquête pénale classée sans suite peut être conservé pendant le délai de prescription des crimes en cause, soit quinze ans pour ce qui est des crimes de corruption, prise illégale d’intérêts et blanchiment d’argent et dix ans s’agissant du crime de prévarication.


A cet égard, la Cour EDH considère que la conservation du dossier d’une procédure pénale, comprenant des éléments de preuves, ne saurait à elle seule soulever une question sous l’angle de l’article 8 de la Convention, à moins qu’elle n’inclut des informations à caractère personnel d’un individu, ce qui n’apparaît pas être le cas en espèce.


Quant à l’utilisation abusive des données informatiques saisies, la Cour EDH note que l’utilisation de messages électroniques appartenant au dossier d’une procédure pénale dans le cadre d’une autre procédure pénale est possible dans un nombre restreint de situations, notamment lorsque le crime poursuivi est passible d’une peine de prison supérieure à trois ans, dans sa limite maximale et dans la mesure où cela est indispensable à la découverte de la vérité. En dehors de ces cas, ils ne peuvent servir comme moyens de preuve dans le cadre d’une autre procédure pénale, mais ils peuvent, néanmoins, donner lieu à l’ouverture d’une nouvelle enquête. Dans les deux hypothèses, l’autorisation du juge en charge de la procédure est requise. En l’espèce, la Cour EDH note que ces garanties ont été respectées.


Dès lors, la Cour EDH estime qu’en dépit de l’étendue des mandats de perquisition et saisies, les garanties offertes aux requérants pour prévenir les abus, l’arbitraire et les atteintes au secret professionnel des avocats, en particulier le contrôle du juge d’instruction complété par l’intervention du président de la cour d’appel ont été adéquates et suffisantes. La perquisition et la saisie des documents informatiques et messages électroniques dénoncées en l’espèce n’a donc pas porté une atteinte disproportionnée au but légitime poursuivi.


Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.

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