Principe de fraternité: une QPC sur le délit de solidarité renvoyée devant le Conseil constitutionnel par l'arrêt du 9 mai 2018 (fr)

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Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Mai 2018



Le délit de solidarité au révélateur du principe de fraternité.


La Cour de cassation a en effet décidé de renvoyer, aux termes d'un arrêt du 9 mai 2018, devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur deux articles du Code de l'entrée et du séjour des étrangers [1] édictant le "délit de solidarité".


Ce terme de "délit de solidarité" n'existe pas réellement dans la loi française. Il s'agit d'une expression largement utilisée depuis 1995 et créée par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), dans son "manifeste des délinquants de la solidarité"; elle est aujourd'hui reprise pour désigner les sanctions encourues par les personnes venant en aide aux étrangers en situation irrégulière.


Le militant Cédric Herrou, cet agriculteur de la vallée de la Roya arrêté à plusieurs reprises entre 2016 et 2017 pour avoir aidé des migrants à entrer et circuler en France, a ainsi attaqué l'article L. 622-1 [2] , qui punit l'aide au séjour irrégulier et qui dispose:


"Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 Euros.


Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu'il se trouvait sur le territoire d'un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.


Sera puni des mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger sur le territoire d'un autre Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.


Sera puni de mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger sur le territoire d'un Etat partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000"


ainsi que l'article 622-4, qui précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu'elle est le fait de la famille ou "de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte".


La QPC posée, enregistrée le 11 mai 2018 par le Conseil constitutionnel, interroge les dispositions des dispositions combinées de ces articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile en ce que, d’une part, elles répriment le fait pour toute personne d’avoir, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France même pour des actes purement humanitaires qui n’ont donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et, d’autre part, elles ne prévoient une possible exemption qu’au titre du seul délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France et non pour l’aide à l’entrée et à la circulation .


La question posée est ainsi: "Dès lors, le législateur a-t-il porté atteinte au principe constitutionnel de fraternité, au principe de nécessité des délits et des peines et au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’au principe d’égalité devant la justice garantis respectivement par les articles 8 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?"


La Cour relève "le caractère nouveau" de cette question une des conditions de sa transmission en ce qu'elle questionne "la fraternité", "qualifiée d'idéal commun par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958" . La Cour de cassation considère donc cette question comme "nouvelle" car, à ce jour, le principe constitutionnel de fraternité n'a encore jamais été examiné par le Conseil constitutionnel. D'où la décision de transmission de cette QPC


Rappelons que dans le très décrié projet de loi "asile et immigration" adopté le 22 avril 2018 à l'Assemblée nationale [3], "le délit de solidarité" a été assoupli, avec l'exemption de sanctions pour les militants qui apporteraient des soins, un hébergement et de la nourriture aux migrants sans qu'il y ait de contrepartie lucrative. Les exemptions ne concerneraient plus seulement l'aide au séjour, mais aussi l'aide à la circulation des étrangers en situation irrégulière


Il appartient au Sénat désormais d'examiner le texte en juin prochain, la majorité sénatoriale ayant d'ores et déjà annoncé souhaiter "amender considérablement" le projet de loi.


A moins que les sages de la rue de Montpensier ne rebattent les cartes...


Retrouvez l'arrêt QPC (n°17-85-736) du 9 mai 2018 Articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour [4]