Qu’est-ce que l’état d’urgence : son régime juridique (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

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Auteur : Pascal Jan
Juillet 2017


Afin de « sécuriser » les échéances électorales de 2017, le Président Hollande avait souhaité une nouvelle prorogation de l’état d’urgence en décembre 2016. C’était la cinquième prorogation compte tenu de l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public au sens de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Lundi 19 décembre 2016, le Président de la République a promulgué la loi n° 2016-1767 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Le nouveau Président, E. Macron, a souhaité lui aussi, dès après sa prise de fonction, prolonger l’état d’urgence jusqu’en novembre 2017. La loi du 11 juillet 2017 prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste intègre, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2017 rendue dans le cadre d’une QPC, certaines modifications sur l’interdiction de séjour dans tout ou partie du département de toute personne dont « le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Cette mesure, limitée dans le temps, ne peut pas inclure le domicile de la personne concernée et doit prendre en compte sa vie familiale et professionnelle..


Le bilan établi par l’exposé des motifs du projet de loi s’établit comme suit depuis un an :

Au 10 novembre 2016, 543 perquisitions administratives ont été réalisées depuis le 21 juillet 2016. Ces perquisitions ont donné lieu à 91 interpellations et 64 gardes à vue. Elles ont permis la saisie de 35 armes, dont 2 armes de guerre et 21 armes longues. À l’occasion de ces perquisitions, 140 copies et saisies de données contenues dans un système informatique ont été réalisées. Dans la très grande majorité des cas, l’exploitation de ces données a été autorisée par le juge et a révélé des éléments inquiétants caractérisant des risques de passage à l’acte.

Depuis le 14 novembre 2015 et à la date du 14 novembre 2016, sur l’ensemble des perquisitions administratives pratiquées dans le cadre de l’état d’urgence, soit plus de 4000, 653 d’entre elles ont abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire, tous chefs infractionnels confondus.

Si l’on exclut les enquêtes ouvertes des chefs d’apologie ou de provocation au terrorisme à la suite de perquisitions administratives (découverte, par exemple, de messages vidéo évocateurs ou de drapeaux à l’effigie de Daech) – de l’ordre d’une quarantaine – on recense 19 procédures initiées par la section anti-terroriste du parquet de Paris du chef d’association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste.

Ce chiffre de 19 procédures est à rapporter au nombre total de procédures ayant été ouvertes au cours de la même période (14 novembre 2015 – 14 novembre 2016) par la section antiterroriste du parquet de Paris sous la qualification de participation à une association de malfaiteurs terroriste dans le cadre du contentieux irako-syrien, nombre qui s’élève à ce jour à 221. S’agissant de ces 19 procédures, 10 sont postérieures à la dernière prorogation de l’état d’urgence.

Ainsi, sur l’année écoulée, près de 10 % des saisines du parquet antiterroriste de Paris sont liées à des perquisitions administratives et près de 16 % des perquisitions administratives ont donné lieu à une procédure judiciaire.

Actuellement 365 dossiers en lien avec le terrorisme djihadiste sont en cours (19 affaires concernant 74 condamnés ont déjà été jugées), dont 167 informations judiciaires et 198 enquêtes préliminaires représentant 311 individus actuellement mis en examen. Au lendemain des attentats de Paris, 232 individus étaient mis en examen et 11 avaient déjà été condamnés. En un an, le nombre de personnes mises en examen ou condamnées a augmenté de plus de 50 %. La capacité de réponse de l’autorité judiciaire, en très forte hausse, est encore accrue par les dispositions issues de la loi du 3 juin 2016″.


Le projet de loi présenté par le tout nouveau Premier ministre Cazeneuve est d’autant plus urgent que la démission du gouvernement Valls rend caduc l’état d’urgence au terme d’un délai de 15 jours. Pour surmonter cette difficulté, l’exécutif a accéléré le calendrier. Le Conseil d’Etat a rendu son avis sur le projet de loi le 8 décembre. Il insiste sur le caractère exceptionnel de l’état d’urgence et émet, de nouveau, une mise en garde sur le nécessaire caractère temporaire de l’état de crise : « Le Conseil d’État, comme il l’avait déjà souligné dans ses avis du 2 février, du 28 avril, et du 18 juillet 2016 sur les projets de loi autorisant une deuxième, une troisième et une quatrième fois la prorogation de l’état d’urgence, rappelle que les renouvellements de l’état d’urgence ne sauraient se succéder indéfiniment et que l’état d’urgence doit demeurer temporaire. Les menaces durables ou permanentes doivent être traitées, dans le cadre de l’État de droit, par les instruments permanents de la lutte contre le terrorisme, tels ceux issus des lois adoptées ces deux dernières années dans ce domaine ainsi que ceux, le cas échéant, du projet de loi sur la sécurité publique qui sera prochainement examiné par le Parlement ». On relèvera deux articles qui encadrent davantage les assignations et évitent la caducité de l’état d’urgence à la suite d’une démission du gouvernement (tel est le cas aujourd’hui)


Article 2

À l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, est ajouté l’alinéa suivant :

« Une même personne ne peut être assignée à résidence plus de quinze mois consécutifs en l’absence d’éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure. »


Article 3

Pendant la période de prorogation prévue à l’article 1er, les dispositions de l’article 4 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ne sont pas applicables en cas de démission du Gouvernement consécutive à l’élection du Président de la République ou à celle des députés à l’Assemblée nationale.


Avis du Conseil d’Etat

Alors même que l’état d’urgence devait déjà prendre fin le 26 juillet, le président de la République avait - on s’en souvient – annoncé, à la suite de l’attentat de Nice, la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois (quatrième loi de prorogation de l’état d’urgence). L’Assemblée nationale a adopté le projet de loi prorogeant l’état d’urgence pendant une durée de six mois (soit jusqu’à fin janvier 2017) et autorisant les perquisitions administratives (absente de la dernière loi de prorogation, mai 2016) et l’exploitation des données des ordinateurs et téléphones (intervention du juge pour garantir la conciliation des libertés et du maintien de l’ordre public : Cons. const. n° 2016-536 QPC du 19 février 2016).

L’état d’urgence est un état de crise qui permet aux autorités administratives de prendre des mesures exceptionnelles en matière de sécurité qui sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes. Avant d’entamer l’analyse du droit français, il est intéressant de rappeler que les États européens connaissent eux également une telle législation de crise. Le Sénat a publié une note de législation comparée permettant de mettre en perspective le droit français par rapport à nos voisins (Étude de législation comparée, Sénat). Le périmètre géographique retenu par cette étude (Allemagne – Belgique – Espagne – Italie – Portugal – Royaume-Uni) fait apparaître une situation contrastée entre les pays considérés qui tous disposent de régimes juridiques leur permettant de gérer les situations de crise mais, pour les cinq qui sont dotés d’une Constitution écrite, n’ont pas systématiquement fait le choix d’inclure des règles dans leur Constitution.


Les attentats perpétrés le 13 novembre 2015 à Paris ont conduit les autorités exécutives à décréter l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire métropolitain et en Corse. Ce cadre juridique qui atteint les droits et libertés résulte de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. D’autres Etats connaissent également d’une législation spéciale. L’état d’urgence en france est applicable « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Déclaré par décret pris en conseil des ministres, il confère aux autorités civiles, dans l’aire géographique à laquelle il s’applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes. Le décret instituant l’état d’urgence peut prévoir un renforcement des pouvoirs de police en matière de perquisition et de contrôle des moyens d’information. Au-delà de douze jours, la prorogation de l’état d’urgence ne peut être autorisée que par la loi. La ministre de la Justice, garde des Sceaux, a pris une circulaireprécisant les modalités des dispositions réglementaires. On relèvera que le Président de la République interviendra devant le parlement réuni en Congrès, possibilité offerte depuis la révision constitutionnelle de 2008 (article 18 de la Constitution). Un débat suivra cette intervention hors sa présence.


La loi de 1955


L’état d’urgence, régime et applications

Sous le gouvernement dirigé par Edgar Faure, en 1955, le programme est à la lutte contre la rébellion en Algérie en empruntant les moyens appropriés : l’état d’urgence est donc voté dans les premiers jours d’avril.


L’état de siège, proclamé à trois reprises par le Parlement en 1879, 1914 et 1939, s’avérait inapplicable en la circonstance puisque, aux termes de la loi du 9 août 1849 qui l’a défini, il ne peut intervenir qu’en « cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée ». Or, l’Algérie, selon la version officielle de l’époque, est seulement le lieu de « troubles » sanglants. Aussi, l’état-major de la défense, invente-t-il l’état d’urgence. À en croire Edgar Faure, il n’y a guère de différence entre état de siège et état d’urgence : « La simple vérité étant que le terme état de siège évoque irrésistiblement la guerre et que toute allusion à la guerre devait être soigneusement évitée à propos des affaires d’Algérie » (11).


Le 18 mars, le Gouvernement adopte le projet de loi sur l’état d’urgence. Il est aussitôt déposé devant l’Assemblée nationale, qui en débat les 30 et 31 mars. Le respect de la loi interdisant un régime d’exception pour l’Algérie, partie intégrante du territoire national, le texte dispose, dans son article premier, que l’état d’urgence peut s’appliquer sur « tout ou partie du territoire métropolitain, de l’Algérie ou des départements d’outre-mer, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique ». Le titre III n’en emporte pas moins l’ouverture de l’état d’urgence pour la seule Algérie. En fait, précise le ministre de l’intérieur, le gouvernement en plein accord avec le gouverneur général, entend seulement l’appliquer aux Aurès et à la Kabylie, « où des actes de banditisme sévissent avec une intensité particulière ».

Le régime général

Aux termes de la loi du 3 avril 1955, modifiée par celle du 7 août 1955, par l’ordonnance du 15 avril 1960, la loi du 20 novembre 2015 et enfin celle du 21 juillet 2016, l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ou des départements d’outre-mer, dans deux hypothèses :

- soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ;

- soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamités publiques.


L’état d’urgence est déclaré par décret en conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de 12 jours ne peut être autorisée que par une loi. Cette loi fixe la durée définitive d’application de l’état d’urgence.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le texte portant prorogation de l’état d’urgence est caduc à l’issue d’un délai de 15 jours francs suivant la date de démission du gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale.


La déclaration de l’état d’urgence donne la faculté au ministre de l’intérieur ou au représentant de l’Etat dans le département :

- d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et à l’heure fixés par arrêté ;

- d’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

- d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics.


Ces mesures (article 5) ne peuvent être prises que dans les circonscriptions territoriales déterminées par le décret en Conseil des ministres déclarant l’état d’urgence précité. Cependant, saisi par voie de QPC de la constitutionnalité de cette disposition inchangée depuis 1955, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif au motif qu’il n’assure pas une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit de mener une vie familiale normale. En effet, la loi ne restreint donc pas son champ d’application aux seuls troubles à l’ordre public ayant des conséquences sur le maintien de l’ordre et la sécurité en situation d’état d’urgence. De plus, les pouvoirs du préfet ne sont pas encadrés. L’interdiction de séjour peut ainsi inclure le domicile, le lieu de travail de la personne visée, voire la totalité du département, et ce pour une durée qui n’est pas limitée. Toutefois, pour laisser au législateur le temps de prévoir davantage de garanties face au possible arbitraire, le Conseil constitutionnel reporte au 15 juillet 2017 la date de l’abrogation de ces dispositions.


Par ailleurs, la loi modifiée du 3 avril 1955 dispose que dans la limite de ces circonscriptions un décret simple fixe les zones dans lesquelles des mesures complémentaires peuvent être mises en oeuvre.

Ainsi, le ministre de l’intérieur ou le représentant de l’Etat dans le département peut dans ces zones ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature. Il peut également interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre (article 8). Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel a jugé la disposition conforme à la Constitution.


Par ailleurs, le ministre de l’intérieur peut y ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories et des munitions correspondantes (article 9).


Il peut également prononcer les assignations à résidence prévues par les articles 6 et 7 de la loi du 3 avril 1955.Une telle décision est soumise à la condition qu’ « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pur la sécurité et l’ordre publics ». A cette fin, le ministre de l’intérieur qui jouit de nouvelles prérogatives peut faire conduire la personne assignée à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie sur les lieux de l’assignation ; astreindre les personnes assignées à résidence à demeurer dans leur lieu d’habitation pendant la plage horaire qu’il fixe dans la limite de 12 heures par 24 heures ; prescrire à la personne assignée à résidence l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, ainsi que de remettre son passeport ou tout document justificatif de son identité ; interdire à la personne assignée de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes. Le ministre de l’intérieur peut ordonner le placement de la personne sous surveillance électronique mobile. Des garanties entourent leur mise en oeuvre. Tout d’abord, l’assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l’objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d’une agglomération. L’assignation à résidence ne peut non plus avoir pour effet la création de camps d’internement administratif. En outre, l’autorité administrative doit prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. Les personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence ou d’interdiction de séjour peuvent évidemment demander le retrait de cette mesure. Enfin, ces personnes peuvent former un recours pour excès de pouvoir contre la décision qui les a frappés. Dans ce cas, le tribunal administratif compétent devra statuer dans un délai d’un mois. En cas d’appel, la décision du Conseil d’Etat doit intervenir dans les trois mois de la saisine. Décision du Conseil constitutionnel sur les assignations.

Les mesures renforcées

Au-delà de ce régime de base, la loi du 3 avril 1955 ouvre des mesures supplémentaires qui doivent faire l’objet d’une disposition expresse dans le texte instituant ou prorogeant l’état d’urgence ou qui nécessitent l’intervention d’un décret spécifique.


Aux termes de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l’intérieur pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence et le préfet dans le département, le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. L’application de ces dispositions est subordonnée à une « disposition expresse » du décret déclarant l’état d’urgence ou de la loi le prorogeant. l’autorité administrative d’accéder, sur le lieu de la perquisition, à des données stockées dans un système informatique et de les copier sur tout support. A l’occasion du contrôle de cette disposition précise, le Conseil constitutionnel a jugé que la copie de telles données étaient assimilables à une saisie et qu’elles devaient être placées sous la protection d’un juge. Aussi, en l’absence d’une telle garantie, le Conseil a jugé que le législateur n’a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. Il a, par suite, jugé contraires à la Constitution les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955. De même, pour sa version antérieure à la loi du 20 novembre 2015, le juge constitutionnel a considéré qu’en ne soumettant le recours aux perquisitions à aucune condition et en n’encadrant leur mise en œuvre d’aucune garantie, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée (décision).


Lors du quatrième renouvellement de l’état d’urgence le 21 juillet 2016, le Parlement a édicté un certain nombre de garanties pour aller dans le sens du conseil constitutionnel. Selon l’exposé des motifs du projet de loi prorogeant pour l’état d’urgence, elles « concernent d’abord la nature des éléments qui peuvent être saisis puis exploités par l’autorité administrative et les conditions dans lesquelles cette saisie peut avoir lieu. En premier lieu, la saisie de données, par copie ou saisie de leur support, ne peut être opérée dans le cadre d’une perquisition administrative qu’à la condition que celle-ci révèle l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée. En second lieu, l’autorisation d’exploiter des données saisies ne peut concerner des éléments dépourvus de tout lien avec cette menace. Ces garanties concernent également la procédure à observer par l’autorité administrative. D’une part, l’opération de saisie ou de copie est réalisée en présence d’un officier de police judiciaire et sous la responsabilité d’un agent qui rédige un procès-verbal de saisie comprenant l’inventaire des matériels saisis, dont une copie est transmise non seulement au procureur de la République, mais également aux personnes concernées. D’autre part, l’autorité administrative ne peut exploiter les données concernées sans avoir obtenu l’autorisation préalable du juge des référés du tribunal administratif, qu’elle aura obligatoirement saisi. Le juge se prononce alors également sur la régularité de la saisie. L’organisation de cette procédure juridictionnelle apporte les garanties légales nécessaires au respect des droits et libertés constitutionnellement protégés tout en préservant les impératifs de la sauvegarde de l’ordre public : la décision du juge doit intervenir dans un délai maximal de 48 heures et un caractère suspensif est donné à l’appel formé contre celle-ci. Les garanties prévues par le projet de loi concernent enfin le régime de la conservation des données et des supports saisis. Cette conservation est limitée à la durée strictement nécessaire à l’exploitation de ces éléments. Les supports sont restitués à leur propriétaire dans un délai de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de celle à laquelle le juge, saisi dans ce délai, a autorisé l’exploitation des données qu’ils contiennent. Quant aux données copiées, à l’exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, elles doivent être détruites dans un délai de trois mois, qui peut être prorogé pour la même durée par le juge des référés du tribunal administratif, saisi par l’autorité administrative, en cas de difficulté rencontrée dans l’exploitation pendant ce délai initial.


Notons que l’article 12 de la loi du 3 avril 1955 disposait avant son abrogation par la loi du 20 novembre 2015, que lorsque l’état d’urgence est institué dans tout ou partie d’un département, un décret, pris sur le rapport du ministre de la justice et du ministre de la défense nationale, peut autoriser la juridiction militaire à se saisir des crimes, ainsi que des délits qui leur sont connexes relevant de la cour d’assises de ce département. La juridiction de droit commun reste saisie tant que l’autorité militaire ne revendique pas la poursuite.


Pour conclure, la loi du 20 novembre 2015 institue un article 4-1 qui renforce le contrôle parlementaire pendant l’application de l’état d’urgence : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »

Jurisprudence du Conseil d’Etat

A l’occasion des émeutes urbaines de 2005, le Conseil d’Etat, juge des référés, a précisé les conditions de recours à la loi de 1955 et sa prorogation par la loi. Ayant souligné le large pouvoir d’appréciation dont dispose le chef de l’Etat, eu égard à la nature et à la gravité des crises ou des dangers auxquels la loi du 3 avril 1955 a pour objet de faire face, dans le choix du recours au régime de l’état d’urgence et dans la définition de son champ d’application territorial, le juge des référés du Conseil d’Etat estime, compte tenu de l’aggravation continue des violences urbaines depuis le 27 octobre 2005, de leur propagation à une partie importante du territoire métropolitain et des atteintes à la sécurité publique, que le moyen tiré de ce que des décrets attaqués confèreraient au régime de l’état d’urgence un champ d’application s’étendant inutilement à l’ensemble de la France métropolitaine ne crée pas de doute sérieux quant à la légalité de ces actes.


L’ordonnance précise également que les mesures décidées dans le cadre de ce régime doivent être assorties des garanties prescrites par la loi. Les décisions d’interdiction de séjour dans un département, prévues par le 3° de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955, comme les décisions d’assignation à résidence, prises sur le fondement de l’article 6 de cette même loi, doivent ainsi pouvoir faire l’objet de recours gracieux soumis à la consultation d’une commission départementale dont le juge des référés du Conseil d’Etat rappelle au gouvernement la nécessaire institution. De même, d’un rappel historique des dispositions du code d’instruction criminelle en vigueur lors de l’adoption de la loi du 3 avril 1955, le juge des référés tire la conclusion que le législateur n’a pas entendu soustraire au contrôle de l’autorité judiciaire l’exercice par le ministre de l’intérieur ou le préfet des pouvoirs de perquisition autorisés par le 1° de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955. Sous ces réserves, l’ordonnance écarte, en l’état de l’instruction, le moyen tiré du caractère disproportionné des mesures autorisées par les décrets litigieux.


autres décisions 1, 2

Les cas d’application de l’état d’urgence

L’état d’urgence a ainsi été appliqué en Algérie par la loi du 3 avril 1955 pour une période de six mois, prorogée par la loi n° 55-1080 du 7 août 1955 pour six autres mois. Le décret n° 55-1147 du 30 août 1955 étendit l’état d’urgence à tout le territoire algérien. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale, le 1er décembre 1955, eut pour conséquence de rendre caduque la loi ayant déclaré l’état d’urgence, conformément à l’article 4 de la loi du 3 avril.


Cependant, sous le gouvernement de Guy Mollet, la loi du 16 mars 1956 relative aux pouvoirs spéciaux en Algérie, dans son article 5, accorda au Gouvernement le droit de déclarer l’urgence par décret dans les départements algériens.


À la suite du mouvement du 13 mai 1958 à Alger, l’état d’urgence a été appliqué en métropole par la loi n° 58-487 du 17 mai 1958 pour une période de trois mois, emportant explicitement l’application de l’article 11 de la loi qui confère aux autorités administratives non seulement le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit, mais aussi celui de prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature. L’article unique de cette loi prévoyait que les pouvoirs d’état d’urgence étaient caducs en cas de changement de gouvernement, ce qui fut le cas dès le 1er juin 1958.


En 1960, ce sont les barricades d’Alger qui poussent le Parlement, convoqué le 2 février, à confier au Gouvernement le pouvoir de prendre des ordonnances pour agir en Algérie. La loi est adoptée à une large majorité tant à l’Assemblée nationale (sur 549 députés, 441 votent pour, 75 contre et 16 s’abstiennent) qu’au Sénat (225 voix pour, 39 contre, 18 abstentions).


Prise sur le fondement de cette loi n° 60-101 du 4 février 1960 autorisant le Gouvernement à prendre, par application de l’article 38 de la Constitution, certaines mesures relatives au maintien de l’ordre, à la sauvegarde de l’État, à la pacification et à l’administration de l’Algérie, l’ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 donne à la loi du 3 avril 1955 sa forme définitive, en prévoyant notamment que la loi portant prorogation de l’état d’urgence devient caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale, ce qui se produira en 1962.


L’ordonnance n° 60-529 du 4 juin 1960, dans son article 11, maintient en vigueur les dispositions de valeur législative de la loi du 3 avril 1955, écartant ainsi toutes les interrogations qui avaient pu apparaître sur la valeur des textes instituant l’état d’urgence maintenus après la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958.


À la suite du « putsch des généraux », par deux décrets du 22 avril 1961, l’état d’urgence est déclaré à compter du 23 avril sur le territoire de la métropole, avant même la décision datée du même jour de mettre en œuvre l’article 16 de la Constitution. C’est sur le fondement de ce dernier que, dès le 24 avril, une nouvelle décision prolonge l’état d’urgence jusqu’à nouvelle décision.


Une décision du 29 septembre 1961 mit fin à l’application de l’article 16. Cependant, l’état d’urgence, par une décision du même jour, fut maintenu jusqu’au 15 juillet 1962 « sous réserve de ce qui pourrait être décidé par la loi ». L’ordonnance n° 62-797 du 13 juillet 1962, prise en application de la loi référendaire n° 62-421 du 13 avril 1962, prorogea l’état d’urgence jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard jusqu’au 31 mai 1963. Si l’article 50 de la loi n° 63-23 du 15 janvier 1963 a conféré force de loi à cette ordonnance, aucun décret ne fut pris sur son fondement. En tout état de cause, la dissolution de l’Assemblée nationale, décidée par décret du 9 octobre 1962, a mis fin à l’état d’urgence, conformément aux dispositions précitées de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 qui prévoient que « la loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ».


Il faudra attendre vingt-cinq ans pour que les pouvoirs publics estiment à nouveau nécessaire de recourir aux dispositions de la loi du 3 avril 1955. C’est ainsi que l’état d’urgence a été instauré sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances par arrêté n° 85-35 du haut-commissaire de la République en date du 12 janvier 1985 sur le fondement de l’article 116 de la loi du 6 septembre 1984 et de la loi du 3 avril 1955. La loi n° 85-96 du 25 janvier 1985, après de vifs débats et la saisine du Conseil constitutionnel, a autorisé la prorogation de l’état d’urgence sur ces territoires jusqu’au 31 juin 1985. L’état d’urgence a aussi été proclamé le 29 octobre 1986 sur l’ensemble du territoire des Iles Wallis et Futuna et le 24 octobre 1987 dans les communes de la subdivision des Iles du Vent en Polynésie française (l’état d’urgence n’a pas été prorogé par la lo)i. L’état d’urgence a de nouveau été déclaré à partir du 9 novembre 2005 en application des décrets n°s 2005-1386 et 2005-1387 du 8 novembre 2005. Il a été prorogé par la loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005, puis levé à partir du 4 janvier 2006 par le décret n° 2006-2 du 3 janvier 2006.


Algérie 3 avril 1955-1er décembre 1955

Métropole 17 mai 1958-1er juin 1958

Métropole 23 avril 1961-24 octobre 1962

Nouvelle-Calédonie 12 janvier 1985-30 juin 1985

Wallis et Futuna 29 octobre 1986

Polynésie française (communes) 24 octobre 1987

Métropole 25 départements. 8 novembre 2005 – 4 janvier 2006


Le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 85-187 du 25 janvier 1985 sur l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie a considéré qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public. Il a aussi rappelé que la Constitution du 4 octobre 1958 n’avait pas eu pour effet d’abroger la loi du 3 avril 1955 qui, d’ailleurs, a été modifiée sous son empire.

Etat d’urgence et CEDH

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été ratifiée par la France le 3 mai 1974.


Cette Convention impose aux États qui l’ont ratifiée un certain nombre d’obligations, destinées à protéger les droits fondamentaux.


L’article 15 de cette Convention prévoit néanmoins qu’il peut être dérogé aux obligations prévues par la Convention.

Le premier paragraphe de cet article précise que cette dérogation n’est autorisée que dans deux cas : le « cas de guerre » et le « cas d’autre danger public menaçant la vie de la Nation ». En outre, ce paragraphe précise que les mesures dérogatoires ne sont possibles que « dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international ».

Un arrêt de Cour européenne des droits de l’homme est venu préciser que le « danger public menaçant la vie de la Nation » visé par l’article 15 peut être entendu comme un danger limité à une portion du territoire national (arrêt Lawless du 1er juillet 1961).

Le deuxième paragraphe de cet article énumère les articles de la Convention qui ne peuvent faire l’objet d’aucune dérogation. Ce noyau dur de la Convention comprend le droit à la vie (article 2), l’interdiction de la torture (article 3), l’interdiction de l’esclavage (§ 1 de l’article 4) et le principe de légalité des délits et des peines (article 7).

Le troisième paragraphe de cet article impose à l’État qui exerce son droit de dérogation une obligation d’information à l’égard du Conseil de l’Europe. Ce paragraphe stipule : « Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le secrétaire général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application. ».


La France a formulé lors de la ratification de la Convention une réserve sur le premier paragraphe de cet article 15. Le gouvernement français assimile les situations envisagées dans la Constitution et la législation française aux deux cas visés par l’article 15 de la Convention : « les circonstances énumérées par l’article 16 de la Constitution pour sa mise en œuvre, par l’article 1er de la loi du 3 avril 1978 et par la loi du 9 août 1849 pour la déclaration de l’état de siège, par l’article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 pour la déclaration de l’état d’urgence, et qui permettent la mise en application des dispositions de ces textes, doivent être comprises comme correspondant à l’objet de l’article 15 de la Convention. »


Ainsi, les dispositions qui peuvent être prises sur le fondement de la mise en œuvre de l’état d’urgence ne sont pas soumises à l’ensemble des obligations énumérées dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.


Le Conseil d’Etat a jugé de la conventionnalité de la loi de 1955 (Ass, 24 mars 2006, Rolin et Boisvert).

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