Transfert contraint du nom de domaine d'un site internet contraire à une marque notoire ou renommée, TGI Paris 3ème chambre, 2ème section, 23 mai 2014 (fr)

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Auteur : Anthony Bem,
Avocat au barreau de Paris
Publié le 15/09/2014 sur le blog de Me Anthony Bem


Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre, 2ème section, 23 mai 2014 


Mots clefs : Nom de domaine, site internet, marque notoire, marque de renommée, boisson énergétique, "redbull"


Le 23 mai 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné le transfert du nom de domaine "redbull.re" au profit du producteur de la boisson énergisante, en raison de l'atteinte à la marque notoire (TGI Paris, 3ème chambre, 2ème section, 23 mai 2014, Red Bull GmbH / Mohamed B.)


Les concepts de marque « notoire » ou « renommée » font référence à celles des marques qui, suite à l’usage intensif et parfois ancien qui en est effectué par leurs titulaires, jouissent d’un degré de connaissance élevé auprès du public et, partant, bénéficient d’une protection plus importante.

Ainsi, la marque « notoire », telle que définie à l’article 6 bis de la Convention de Paris, s’entend d’une marque qui peut jouir d’une protection quand bien même elle ne fait pas l’objet d’un enregistrement, et ce par dérogation au principe général selon lequel le droit de marque s’acquière par un dépôt.

Par ailleurs, la marque « renommée », telle que définie par exemple dans le Règlement sur la marque communautaire, s’entend d’une marque dont le champ de protection s’étend au-delà du principe de spécialité (selon lequel une marque n’est protégée que pour des produits et services identiques ou similaires), dans l’hypothèse d’une atteinte telle que le dénigrement ou la dilution de son caractère distinctif.

En l'espèce, la société Red Bull produit et commercialise une boisson énergétique dénommée Red Bull et se présente comme le leader sur le marché français et européen de ce type de boisson.

À cet égard, Red Bull a déposé des marques dans le monde entier notamment pour « les boissons énergétiques ».

Elle est également titulaire de noms de domaine "redbull" ou contenant ces éléments, dans le monde entier, et notamment des noms de domaine "redbull.fr" et "redbull.com".

Monsieur B pris contact avec elle lors du lancement de la boisson Red Bull à la Réunion en 2008 pour lui proposer de l’importer et de la distribuer sur ce territoire.

Cependant, l’importation a été exclusivement réservée aux grossistes qu’elle avait sélectionnés.

Or, en 2011, Monsieur B a réservé le nom de domaine www.redbull.re.

La société Red Bull estimant que ce nom de domaine reproduisait les marques dont elle est titulaire et correspond, avec l’extension "re" destinée à la Réunion, à ses propres noms de domaine, a adressé à M. B une mise en demeure de le lui transférer, restée sans effet.

La société Red Bull a de ce fait déposé une demande auprès de l’Afnic pour obtenir le transfert dudit nom de domaine, qui a été rejetée, l’Afnic estimant que la mauvaise foi de Monsieur B n’était pas établie La société Red Bull a proposé à Monsieur B de trouver une solution amiable.

Ce dernier s’est dit prêt à procéder au transfert du nom de domaine en échange du versement d’une somme de 134.000 €.

C’est dans ces conditions que la société Red Bull a assigné en justice Monsieur B pour notamment demander de :

  • dire et juger qu’en réservant le nom de domaine www.redbull.re, Monsieur B a porté atteinte aux marques renommées à son préjudice ;
  • constater que l’Afnic n’a pas fait application des dispositions des articles L.45 et suivants du code des postes et des télécommunications électroniques, en conséquence ;
  • ordonner à Monsieur B de procéder au transfert du nom de domaine www.redbull.re à son profit sous astreinte ;
  • faire interdiction à Monsieur B d’utiliser directement ou indirectement ses marques Red Bull, dénomination sociale, nom commercial et noms de domaine Red Bull, ainsi que tout autre signe similaire, à quelque titre que ce soit et sous quelque forme que ce soit, sous astreinte ;
  • condamner Monsieur B à l'indemniser de l’atteinte portée à la renommée des marques Red Bull.

Pour mémoire, l’article 9 du règlement CE nn207/2009 du 20 février 2009 sur la marque communautaire dispose que :

"1. La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, défaire usage dans la vie des affaires : c) d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la Communauté et que l’usage du signe sans juste motif lire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice. "

Sur la question de la renommée de la marque Red Bull, le juge a estimé que :

« la place dominante de la société Red Bull sur le marché européen des boissons énergétiques, l’importance des investissements promotionnels réalisés tant pour des publicités sur des supports classiques que par le biais de sponsoring d’activités sportives et autres, enfin la notoriété très importante de la marque telle qu’elle est mesurée par un sondage, même si on peut toutefois regretter que ses conditions méthodologiques ne soient pas exposées, font qu’il y a lieu de reconnaître que la marque communautaire verbale « Red Bull » est ainsi nécessairement connue d’une partie significative du grand public, de sorte qu’il s’agit d’une marque renommée au sens de l’article 9-1 du Règlement communautaire pour le marché des boissons énergétiques ».

S'agissant de la réservation et du transfert du nom de domaine www.redbull.re à la société Red Bull, le tribunal a jugé que :

« la marque verbale en cause, qui est en outre le nom commercial et la dénomination sociale du titulaire de la marque. M. Mohamed B. porte atteinte à cette dernière.

Le consommateur est en effet amené à penser que le site accessible par ce nom de domaine émane de la société Red Bull ou à tout le moins est économiquement lié à lui, de sorte que son contenu lui sera attribué.

Il importe peu que le site ne soit pas exploité, comme c’était le cas du site de M. B., car l’absence d’exploitation peut être considérée par le consommateur comme un signe de désaffection qui sera là encore imputé à la société Red Bull.

Enfin, le nom de domaine en cause se trouve de fait indisponible pour celle-ci qui se trouve dès lors empêchée d’exploiter un nom de domaine pourtant construit identiquement à d’autres sites qu’elle exploite, notamment www.redbull.fr .

Enfin, M. Mohamed B. ne saurait s’abriter derrière sa bonne foi, laquelle est indifférente en matière de contrefaçon, et alors en outre qu’il résulte de son courrier que le nom de domaine a été réservé en vue de distribuer les produits Red Bull à la Réunion alors qu’il avait essuyé antérieurement un refus de la part de la société Red Bull de traiter avec lui, il n’ignorait en conséquence pas que le nom de domaine en cause portait atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la société Red Bull ».

En conséquence, le juge a estimé que l’enregistrement du nom de domaine redbull.re constitue une atteinte à la marque communautaire verbale renommée « Red Bull » » de sorte que celui-ci devait être trasnféré et indemnisé.

La renommée de la marque Red Bull est intéressante car elle a été acquise rapidement, s'explique certes par une politique de communication agressive mais aussi et surtout représente le fruit d'importants investissements financiers réalisés dans des sports extrêmes et des exploits humains.

C'est ainsi que Red Bull a notamment participé au financement du projet de chute libre depuis la stratosphère du parachutiste Felix Baumgartner.

Le 14 octobre 2012, Felix Baumgartner s'est élevé dans un ballon à hélium pendant 39,45 km au-dessus du sol, avant de faire une chute libre pendant plus de quatre minutes dans une combinaison pressurisée pour enfin atterrir en parachute, réalisant ainsi le saut le plus haut en parachute.


Voir aussi

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