Violences conjugales: l'ordonnance de protection (fr)

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Mots clefs : Ordonnance de protection, loi du 9 juillet 2010, juge aux affaires familiales (JAF), violences conjugales



La Commission "Famille" du barreau de Paris tenait, le 9 avril 2015, sous la responsabilité d'Hélène Poivey- Leclercq, avocat à la Cour, une réunion consacrée à l'ordonnance de protection, au cours de laquelle intervenaient Anne Sannier, Marielle Trinquet, avocates à la Cour, et M. Valente, juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion.


L'ordonnance de protection n'est pas encore très familière aux praticiens parisiens. Pourtant, en 2009, 654 000 femmes déclaraient avoir été victimes de violence, dont la moitié au sein du foyer familial. En 2010, une femme mourrait tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon[1] et, en 2013, 121 femmes sont décédées à la suite de violences conjugales, soit une femme tuée tous les trois jours[2]. Dans le même temps, 25 hommes sont également décédés suite à ces violences mais, pour 17 d'entre eux, il s'agissait d'hommes eux-mêmes violents envers leurs compagnes et donc de violences réciproques[3]. Ces chiffres, très parlants, ont conduit le gouvernement, en 2010, à déclarer la lutte contre les violences faites aux femmes "Grande cause nationale". C'est dans ce cadre qu'a été adoptée, la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (loi n˚ 2010-769 du 9 juillet 2010 N° Lexbase : L7042IMR). La grande innovation de cette loi est une protection élargie du conjoint, qu'il soit marié ou non, mais aussi des enfants concernés par ces violences.

Il conviendra d'étudier les fondements textuels de la mesure (I), les conditions de son application (II) puis, sa réalité pratique au travers des données recueillies au sein du tribunal de grande instance de Paris en 2014 (III).


Les fondements textuels de l'ordonnance de protection

Avant d'étudier la loi du 9 juillet 2010, il est utile d'en rappeler, au préalable, la législation antérieure, puis son perfectionnement intervenu au travers de la loi du 4 août 2014 (loi n˚ 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L9079I3N).


Le rappel de la lutte contre les violences et de la législation antérieure à la loi du 9 juillet 2010

Avant la loi du 9 juillet 2010, il existait très peu d'outils permettant de lutter contre les violences conjugales. Deux outils pouvaient être utilisés : les mesures d'urgence de l'article 257 du Code civil (N° Lexbase : L7170IMI) et le référé-violence de l'article 220-1 du Code civil (N° Lexbase : L7169IMH).


* L'article 257 du Code civil

Le juge peut prendre, dès la requête initiale, les mesures d'urgence prévues à l'article 257 du Code civil et autoriser l'époux demandeur à résider séparément et, s'il y a lieu, avec ses enfants mineurs. Cet article présentait des insuffisances. D'abord, il crée une situation paradoxale. On pourrait, en effet, penser que c'est à l'époux victime d'être protégé en ayant la possibilité de rester dans le logement conjugal. La seconde difficulté de cet article est son application aux seuls conjoints mariés. Les concubins et partenaires ne sont donc pas protégés. Enfin, dernière difficulté, la notion de violence n'est pas désignée expressément dans l'article, l'urgence doit être rapportée au péril. Cet article peut encore être utilisé aujourd'hui, notamment, dans le cadre d'une requête à jour fixe ayant pour objectif d'autoriser les époux à résider séparément.


* Le référé-violence

Crée par la loi du 26 mai 2004 (loi n˚ 2004-439 du 26 mai 2004, relative au divorce N° Lexbase : L2150DYB), l'article 220-1 du Code civil prévoyait dans un alinéa 3, abrogé depuis, que "lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal". Cette mesure pouvait être considérée comme un progrès puisque, contrairement à l'article 257 du Code civil, le terme de violence est mentionné. Elle était, cependant, inefficace puisqu'elle ne s'appliquait qu'aux couples non mariés et l'exécution de l'ordonnance, par le recours à la force publique, était très difficile à obtenir. La loi du 9 juillet 2010 a, par conséquent, abrogé l'article.


Il convient, également, de mentionner que peut être invoqué, à l'occasion d'une procédure de divorce, le devoir de respect introduit dans l'article 212 du Code civil (N° Lexbase : L1362HIB) au titre des devoirs des époux. Cette mention laissait timidement apparaitre la notion de respect et de non violence dans le couple.


La loi du 9 juillet 2010

La loi du 9 juillet 2010 vient pallier les difficultés antérieures et introduire dans le code : l'ordonnance de protection. Cette loi figure au chapitre XIV du Code civil, aux articles 515-9 et suivants (N° Lexbase : L7175IMP). L'ordonnance de protection est une mesure nouvelle puisqu'elle peut être délivrée lorsqu'un époux, un partenaire ou un concubin est en danger mais, aussi, lorsque les enfants sont en danger. Elle est, également, atypique en ce qu'elle confère au juge aux affaires familiales des pouvoirs exorbitants aux frontières du droit de la famille et du droit pénal. Ces pouvoirs ont pour objectif de rendre la mesure particulièrement efficace. Le JAF pourra, en effet, prononcer des mesures civiles mais aussi pénales telles que l'interdiction de rentrer en contact avec la victime, de porter une arme, etc..


La loi exige, également, une notion de "super-urgence", puisque l'ordonnance de protection doit être rendue dans les meilleurs délais. Si cette ordonnance n'est pas respectée, les sanctions seront d'ordre pénal (C. pén., art. 227-4- 2 N° Lexbase : L7181IMW). De même, les règles de preuves sont particulières puisqu'il est fait mention dans le texte de "violences vraisemblables". Il s'agit pour toutes ces raisons d'un texte extrêmement novateur. C'est d'ailleurs, peut être, pour cette raison qu'il a eu des difficultés à être mis en place du coté des avocats.


Les critiques à l'encontre de ce dispositif sont, cependant, intervenues très rapidement. La première critique concerne l'atteinte portée à la présomption d'innocence. L'ordonnance peut être délivrée en cas de violences "vraisemblables". L'auteur des violences est, donc, encore présumé innocent puisqu'il n'a pas été condamné pénalement. La seconde critique est relative à l'élargissement des compétences du JAF. Il peut, désormais, prendre des mesures pénales.


Si les avocats ont été quelque peu déroutés par cette nouvelle mesure, les magistrats, eux aussi ont été très circonspects dans l'application de leurs nouveaux pouvoirs.


Quatre points spécifiques ont contribué à rendre le JAF très réservé face à ce nouveau dispositif.


D'abord, le JAF, dans le cadre de cette ordonnance, peut prononcer des mesures civiles et pénales. Il doit donc appréhender les deux matières. Il existe, ensuite, une rupture totale des règles de preuve. Le texte parle de "vraisemblance" alors que la question que se posent habituellement les juges est de savoir si les faits sont établis ou non établis. La rédaction de la mesure, autant que la constitution du dossier pour les avocats, est donc peu aisée. En outre, la mesure introduit la notion de "super-urgence" dans la pratique. Les magistrats connaissent la notion d'urgence au travers des référés heure à heure, des assignations en la forme des référés mais au travers de cette mesure ils doivent appréhender la "super-urgence". Une notion plus compliqué à maitriser, notamment, pour garantir le respect du débat contradictoire entre les parties. Enfin, le dispositif prévoit des conséquences pénales pour le défendeur. Des conséquences, que le JAF a pu avoir quelques difficultés à appréhender également.


Tous les tribunaux n'ont pas développé la mesure de la même façon. Ainsi, la juridiction de Bobigny a été très en pointe dans son développement alors que le tribunal de grande instance de Paris a été beaucoup plus prudent dans son application. Dès le début de son instauration, le TGI de Paris a mis en place des outils statistiques aux fins de savoir comment était mise en place la mesure et, ainsi, avoir du recul sur son utilisation. On peut relever que 185 nouvelles affaires ont été apportées devant le JAF en matière d'ordonnance de protection en 2014.


La loi du 4 août 2014 : le perfectionnement de l'ordonnance de protection

En 2010 et 2013, la CEDH a rendu deux arrêts [4] incitant les Etats à prendre des mesures de protection à l'égard des personnes victimes de violence. Elle a rappelé qu'il appartenait aux Etats de garantir une lutte contre cette catégorie de violence et a fait ressortir leur obligation positive de protéger les victimes. C'est, dans ce dessein, que la loi du 4 août 2014 vient améliorer le dispositif antérieur. Elle intervient dans le cadre du quatrième plan triennale de lutte contre les violences faites aux femmes. La nouveauté de ce plan est d'instaurer une réponse systématique et complète pour chaque violence déclarée. Un protocole a été adressé aux préfets et aux Parquets pour mieux encadrer le dépôt des mains courantes pour violences. Il convient de souligner qu'il arrive, encore, que des plaintes de victimes ne soient pas prises par les commissariats alors que l'article 15-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0985DY7) précise que "la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale et de les transmettre, le cas échéant, au service ou à l'unité de police judiciaire territorialement compétent". Il est important de mentionner aux clients que, même en cas de refus de dépôt de plainte par les commissariats, il est possible de le faire directement auprès du procureur de la République et de se constituer partie civile auprès de ce dernier.


Plusieurs nouveautés sont issues de ce plan. Désormais, lorsqu'une main courante est déposée, une visite différée au domicile de la victime par les forces de l'ordre est automatiquement opérée, un contrôle des mains courantes est effectué par le Parquet, des intervenants sociaux sont déployés dans les commissariats et un numéro de référence d'accueil téléphonique et d'orientation des femmes victimes a, également, été mis en place (le 39 19). Les violences faites aux femmes sont désormais considérées comme une priorité de santé publique. Un protocole national a, en ce sens, été adressé aux agences régionales de santé pour renforcer les liens entre les services de santé, de la police et de la justice. La MIPROF (mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains) a été créée en 2013 et, d'ici 2017, 1 650 solutions d'urgence vont être aménagées. Elles permettront un accueil de la victime le temps que son dossier soit traité. Le recours à la médiation pénale reste encore possible mais seulement si la victime en fait expressément la demande.


Les statistiques montrent une grande proportion de femmes victimes de violences conjugales. La part psychologique empreinte dans les dossiers de violences conjugales est très importante et il peut être intéressant, pour l'avocat, de comprendre leur cheminement. Le docteur Marie-France Hirigoyen [5] a pu avancer qu'il était possible que certaines femmes, parce qu'elles ont peu d'estime d'elles-mêmes, se retrouvent placées dans une situation de soumission et considèrent que ces violences sont une fatalité. Il est possible, également, et, notamment si elles ont été rejetées dans leur enfance, que ces femmes se tournent inconsciemment vers des choix d'hommes difficiles et essayent de se montrer réparatrices.


La loi a été adoptée le 4 août 2014. Ses objectifs sont très clairs : la protection, la répression, et la prévention. L'article 515-11 du Code civil (N° Lexbase : L9320I3L) envisage les pouvoirs du JAF relatifs à cette ordonnance.


Parmi les mesures visant à protéger l'intégrité physique de la victime peuvent, notamment, être mentionnée : l'interdiction de rentrer en contact avec la victime, l'interdiction de port d'arme avec, éventuellement, une remise au greffe ou, encore, la dissimulation et l'élection de domicile chez l'avocat ou auprès du procureur de la République.


S'agissant des femmes étrangères bénéficiant de l'ordonnance de protection, elles ont la possibilité de voir leur titre de séjour automatiquement renouvelé.


Concernant les mesures financières, le juge a la possibilité de prononcé l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle et de statuer sur les modalités de prise en charge des frais concernant le logement familial ainsi que sur la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, l'aide matérielle pour les couples pacsés et, enfin, la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants.


Cette loi essaye, également, de favoriser la coordination entres les différents acteurs et porte la durée de l'ordonnance de quatre à six mois. Le JAF doit, quant à lui, rendre son ordonnance dans les "meilleurs délais".


Concernant les enfants, le juge va se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et peut suspendre le droit d'accueil du parent auteur des violences. L'article 515-11 du Code civil prévoit que les enfants doivent être considérés comme des victimes potentielles. Le JAF informe "sans délais" le procureur de la République, ce qui permet de mieux coordonner les procédures susceptibles d'être mises en place dans l'intérêt de l'enfant.


Concernant le logement familial, afin d'assurer une protection accrue de la victime, le législateur lui permet de rester prioritairement au domicile familial. Le juge peut autoriser la victime à dissimuler son domicile ou sa résidence et, élire celui-ci chez une personne morale qualifiée. Le numéro de téléphone d'urgence a été renforcé dans le cadre d'un accompagnement global de la victime. Le téléphone "grand danger" a été, quant à lui, généralisé.


Quelques observations relatives à ces deux lois peuvent être faites. D'abord, on observe un vrai glissement apparaissant dans l'intitulé des lois. En 2010, on parle de "violences spécifiquement faites aux femmes" alors, qu'en 2014, l'intitulé est un peu différent puisque qu'il s'agit d'une loi pour "l'égalité réelle entre les hommes et les femmes". On n'appréhende donc plus les choses seulement sous l'angle de la protection.


On peut remarquer que si la mesure est un outil de protection efficace, il existe, également, un risque qu'elle soit dévoyée. Le taux de rejet de 30 % démontre qu'une partie de ces demandes est infondée et qu'elles peuvent, éventuellement, résulter de manipulation. Phénomène d'autant plus vrai pour les concubins, qu'il n'existe pas d'autres moyens pour eux d'obtenir la jouissance du logement familial [6]. Les juges sont, cependant, tenus par le contradictoire et par les preuves contraires pouvant être rapportées.


Enfin, la question de la protection de l'enfant peut, également, faire l'objet d'une observation. La loi antérieure ne prenait pas en compte cette protection. Avec les lois de 2010 et 2014, le conjoint violent peut se voir privé de ses droits parentaux. Cette possibilité est prévue à l'article 373-2-11 du Code civil (N° Lexbase : L7191IMB). Cet article liste les critères que le juge peut prendre en considération pour fixer les modalités d'exercice de l'autorité parentale et, notamment, "les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre". Il y a donc, en pratique, une réelle corrélation entre la violence exercée sur le conjoint et l'exercice de l'autorité parentale. Le conjoint violent voit, par analogie, ses droits réduits sur ses enfants.


Les conditions de mise en oeuvre de l'ordonnance de protection

Les destinataires de l'ordonnance de protection

Trois destinataires peuvent être mentionnés :

* Le conjoint victime de violences

L'article 515-9 (N° Lexbase : L7175IMP) dispose que "lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection".


Cette ordonnance prend donc en considération les différentes formes de conjugalité : concubinage, pacs et mariage mais aussi les couples homosexuels et hétérosexuels. La seule exigence qui en résulte est de rapporter la preuve de la relation. La notion de concubinage est définie, par le Code civil, à l'article 515-8 (N° Lexbase : L8525HWN). Cet article prévoit que "le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple".


La démonstration de cette relation pourra, parfois, s'avérer compliqué, particulièrement s'agissant du critère de stabilité.


* Les enfants

Les enfants évoluant dans un climat de violence sont également protégés par l'ordonnance.

* La personne majeure menacée de mariage forcé

Lorsqu'une personne majeure est menacée de mariage forcé, le juge pourra également décider d'une ordonnance de protection qui pourra être délivrée en urgence, Il est important pour l'avocat qui reçoit ces personnes de les mettre en confiance. Les personnes sont souvent timorées ou se sentent coupables, il faut donc, progressivement, les amener à se confier afin qu'elles deviennent actrices de leur défense.


Les modalités de saisine du juge aux affaires familiales

Il est possible de saisir le juge de deux manières : par voie de requête ou par voie d'assignation.


* La requête

Il convient de se reporter à l'article 1136-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1434I8M). La requête doit contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et toutes les pièces sur lesquelles celle-ci est fondée. La convocation des parties est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette convocation vaut citation. Le ministère public est avisé de la date d'audience par le greffier.


* L'assignation

L'assignation en la forme des référés est la saisine la plus développée. Sous peine de nullité, elle doit contenir les pièces sur lesquelles la demande est fondée, tel que cela est mentionné à l'article 1136-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0826INW).


Un arrêt de la cour d'appel de Rennes, du 24 février 2015 (CA Rennes, 24 février 2015, n˚ 14/07 154 N° Lexbase : A2455NHE), a d'ailleurs rappelé cette obligation d'annexer les pièces.


Pour obtenir une date, il appartient à l'avocat de se rendre auprès du JAF de permanence. Le greffe vérifiera, au préalable, que le dossier est bien complet. La date est fixée et l'avocat obtient automatiquement le permis de citer. Il est ensuite possible de délivrer l'acte par huissier de justice pour l'assignation en la forme des référés. Il est important de s'assurer que le défendeur ait un délai suffisant pour assurer sa défense avant la date de l'audience. La dissimulation de l'adresse est également possible. Elle est prévue par l'article 1136-5 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0825INU). Il est possible de dissimuler son domicile ou sa résidence pour le demandeur, sous réserve de porter cette information à la connaissance de l'avocat qui l'assiste ou le représente, ou du procureur de la République près du tribunal de grande instance auprès duquel il élit domicile. Le défendeur n'aura en aucun cas connaissance de cette adresse.


Les modes de preuve

L'article 515-11, alinéa 1er, du Code civil dispose que : "l'ordonnance de protection est délivrée, dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés". L'objet de la preuve est double. Il faut à la fois démontrer la commission vraisemblable des faits de violence et le danger auquel la victime est exposée.


* La vraisemblance

La condition de vraisemblance a été beaucoup critiquée. Car la question qui se pose est l'existence ou non des faits de violence et non leur seule vraisemblance. Ce terme ouvre donc la porte a des approximations. Les preuves pouvant être produites sont :

— Les certificats médicaux (les plus récents possibles) ;

La cour d'appel de Limoges, dans un arrêt du 14 mars 2010 (CA Limoges, 14 mars 2011, n˚ 10/01 718 N° Lexbase

A9527HBH), a considéré que la production de trois certificats médicaux délivrés à quelques jours d'intervalle

établissaient le caractère vraisemblable des violences.

— Les plaintes, mains courantes et les retraits de plaintes ;

Les mains courantes, même si elles sont en elles-mêmes insuffisantes, peuvent venir corroborer d'autres indices.

— Des attestations circonstanciées, des SMS harcelants constatés par huissier, des listes d'appels téléphoniques incessants, des attestations de travailleurs sociaux, etc. ;

Le cas échéant, il peut être opportun d'insister sur le caractère vulnérable de la victime, et sur la personnalité de l'auteur des violences.

La jurisprudence se fonde sur un faisceau d'indices. C'est une matière ou les dossiers doivent être constitués de manière précise et avec le plus d'éléments possibles. A titre d'exemple, la cour d'appel de Pau, dans un arrêt du 30 novembre 2010 (CA Pau, 30 novembre 2010, n˚ 10/03 890), a considéré que la production par la victime d'un certificat médical de son audition devant le tribunal de police et de sa suspension d'agrément d'assistante maternelle démontraient la vraisemblance des violences. En revanche, ne rapporte par la vraisemblance, le caractère excessif des violences prétendument subies et des épisodes de violence évoqués tardivement en appel (CA Rennes, 9 mai 2012, n˚ 11/08 568 N° Lexbase : A4734ILW).

Les juges peuvent, également, retenir l'absence d'incapacité de travail, l'ancienneté des faits, de simples craintes, des faits isolés etc..

* Le danger

La gravité des faits doit être démontrée. Des faits anciens justifiant la crainte d'une réitération n'entraineront pas le prononcé d'une ordonnance de protection. Il faut des faits avérés et un vrai danger de représailles.

Une des critiques pouvant être faite, à l'égard de ces conditions, est la difficulté pour l'avocat de démontrer la vraisemblance et le danger résultant des violences psychologiques.

L'audience

L'audience se situe dans le cadre d'une procédure d'urgence, orale et contradictoire. Les parties ont la capacité de se défendre elle-même. Mais aussi, et cela est conseillé, de se faire assister par un avocat.


* Le rôle du Parquet

L'assignation doit être dénoncée aux services civils du Parquet (mention obligatoire). Le ministère public est partie à la procédure et prend des conclusions écrites. Son avis figure au dossier, il s'agit de véritables réquisitions. Il peut se saisir lui-même d'une demande d'ordonnance de protection, sous réserve d'obtenir préalablement l'accord de la victime. Il est informé par le greffe dès le dépôt de la requête.

Il doit, avant l'audience, recueillir tous les éléments d'information et se renseigner sur les procédures en cours (par exemple : le contrôle judiciaire). Dans la plupart des cas, les conclusions sont favorables au prononcé d'une ordonnance de protection. Le Parquet intervient en adéquation avec le JAF. C'est, également, à lui que l'on s'adresse si l'on souhaite mettre en place le dispositif du téléphone "grand danger".


* Le caractère exécutoire de l'ordonnance

Parce qu'il s'agit d'une procédure d'urgence, les délais Magendie ne s'appliquent pas. Le magistrat fixe un calendrier avec une date de clôture et de plaidoirie. Il appartient à l'intimé de conclure au plus tard à la date de clôture.

Il est toujours possible de solliciter, comme dans les procédures classiques d'appel, une demande de report de la clôture ou de révocation de l'ordonnance de clôture ou de faire une note en délibéré, le tout, restant, à l'appréciation du magistrat. Dans tous les cas, et dans le cadre de l'appel de l'ordonnance de protection, le régime applicable est celui de l'article 905 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0374IGX). Le président de la Chambre saisie d'office ou à la demande d'une partie, fixe, à bref délai, l'audience à laquelle elle sera appelée.


La cour d'appel de Rennes a rappelé que l'appel devenait sans objet lorsque les mesures fixées par l'ordonnance ont pris fin (CA Rennes, 16 septembre 2014, n˚ 14/00 308 N° Lexbase : A2457NHH).


L'ordonnance est notifiée par huissier, il est possible d'en relever appel dans les 15 jours de sa notification. Les règles de délais traditionnels s'appliquent : trois mois pour l'appelant, à compter de la déclaration d'appel et deux mois pour l'intimé, à compter de la signification de ses conclusions. Les mesures doivent être exécutées par le défendeur à défaut la sanction de l'article 227-4-2 du Code pénal (N° Lexbase : L7181IMW) s'applique : deux ans d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. La cour d'appel de Limoges a rappelé ces dispositions dans un arrêt du 10 septembre 2013 (CA Limoges, 10 septembre 2013, n˚ 13/00 449 N° Lexbase : A2460NHL).


En pratique, l'examen des demandes par le Parquet est très approfondi. Il y a, de leur part, un réel investissement dans la lutte contre les violences conjugales. A Paris, on dénombre 71 % d'avis favorables, 17 % sans rapport, le Parquet renvoyant à la sagesse du Juge, et 11,5 % d'avis défavorables.

Les conclusions du Parquet sont très développées avec, à l'appui, le casier judiciaire, les actes de procédure et les antécédents (via CASSIOPEE) etc.. Le Parquet peut impulser, au préalable, une confrontation pour avoir le maximum d'éléments dans un sens ou dans un autre. Dans 94 % des dossiers le JAF reçoit les avis du Parquet.


La pratique de l'ordonnance de protection à Paris

Chaque année, la juridiction parisienne compile des statistiques précises des décisions rendues par ses dix-neuf juges aux affaires familiales. Les statistiques permettent de ne pas se référer aux seuls sentiments des JAF mais aussi à des réalités plus "scientifiques". En 2014, 185 saisines relatives à des ordonnances de protection ont été dénombrées sur plus de 11 500 nouvelles saisines du JAF. Elle est donc, en termes de quantité, relativement marginale.


Les dates d'audience

En 2014, les dates d'audience sont, en moyenne, données dans les 21 jours suivant la demande. Dans un souci de respect du contradictoire, un délai minimum de 8 jours est préservé afin que le défendeur puisse préparer sa défense. Les mesures prisent au travers de l'ordonnance de protection n'étant pas anodines. Le greffe informe le demandeur de la possibilité d'être informé et aidé par le CIDFF (Centre d'information sur les droits des femmes et des familles) et sur l'existence d'une permanence des avocats destinée aux victimes de violences. Le procureur est informé par fax de la requête et pourra, ainsi, recueillir les éléments nécessaires au dossier. S'il y a une dissimulation d'adresse, les greffiers l'orienteront vers le Parquet pour que cela puisse être réalisé avec une mention sur un registre. A Paris, le choix a été de fait de toujours citer le défendeur (la lettre recommandée avec accusé de réception n'étant pas adaptée à la "super-urgence"). La voie administrative est très rarement utilisée. Elle peut être utilisée à deux conditions : en cas de danger grave pour la sécurité et/ou lorsqu'il n'existe pas d'autres moyens de notifications. Il y a 32 % de renvoi sur l'intégralité des procédures, 77 % de permis de citer et 23 % de saisine en la forme des référés. L'organisation de la juridiction se fait en réseau. Le Parquet assure la transversalité. Les huissiers ont une boite mail destinée aux seules ordonnances de protection, pour une meilleure réactivité. Le BAJ (Bureau d'Aide Juridictionnel) doit, quant à lui, rendre rapidement les décisions relatives à l'octroi de l'aide juridictionnelle. Le CIDFF assure, pour sa part, l'accompagnement des victimes. On remarque que 7 % des dossiers prévoient une dissimulation d'adresse (à proportion égale chez l'avocat et chez le procureur de la République). Le rôle du Parquet est essentiel, il impulse la procédure et peut, aussi, l'initier lui-même. On est donc bien dans le registre de l'ordre public et non uniquement dans celui du privé.


L'audience

Le JAF peut faire des auditions séparées. Cette solution n'est généralement pas pratiquée à Paris. L'accompagnement de l'avocat permet l'audition commune. L'audience est riche en enseignement, elle permet au JAF de découvrir les différentes justifications.


Le délibéré

Le délai du délibéré est en moyenne de 7,7 jours.


L'impartialité des juges

La question de l'impartialité du juge peut se poser quand celui-ci a eu connaissance du dossier d'ordonnance de protection et de la requête en autorité parentale. Le juge pourrait se voir reprocher un certain parti pris. La position parisienne est de conserver un juge unique pour traiter de ces différents points afin d'éviter ce qui pourrait être qualifié de "judge shopping".


Le nombre de demandes

En 2014, 179 ordonnances de protection ont été rendues, dans 87,8 % des cas il s'agissait de demanderesse. L'âge moyen du demandeur est de 40 ans et du défendeur 46 ans.


Dans 54 %, il a été fait droit à la demande, il y a eu 28 % de rejet et 18 % de désistement, caducité ou radiation. Il y a une hausse visible des acceptations par rapport à 2013, le taux des rejets est identique et les désistements, caducité et radiations sont en baisses. Cette baisse peut être due à l'augmentation de la présence d'avocat dans les dossiers.


Parmi les dossiers acceptés ou rejetés, 51 % des couples vivent encore ensemble, 60 % des couples sont mariés, 5 % sont divorcés, 2 % sont pacsés, 21 % sont en concubinage et 11,5 % vivent sans l'ancien concubin. Dans un seul des dossiers le couple n'était ni marié, ni pacsé, ni concubin.


En moyenne, le délai est de 37 jours pour traiter l'intégralité de la procédure. Il y a 32 % de renvoi.


Les formes de violence

* Physiques

Les violences peuvent être exercées en présence ou sur les enfants. Elles peuvent être de nature sexuelles, s'accompagner de dégradations sévères, d'insultes, de menaces (en particulier de menaces de mort), de chantage (par exemple à l'avortement), de harcèlement (par exemple sur le lieu de travail), de menaces sur les enfants (par exemple de déscolarisation, de conduite en état d'ivresse etc..).


* Psychologiques

Il y a une augmentation notable des violences psychologiques. Elles représentaient 45 % en 2013 contre 68 % en 2014. Elles sont, par nature, plus difficiles à prouver.


* Economiques

La main mise sur les finances du conjoint et la rétention des moyens de paiement peuvent être considérées comme des violences économiques. Les violences physiques sont invoquées dans 16 % des dossiers, les violences psychologiques dans 15 % et dans 68 % des dossiers les deux types de violences sont invoqués. Il y a une prise en considération importante du risque de violence ou de leur impact sur les enfants puisque dans 81 % des dossiers des enfants mineurs sont concernés. La juridiction parisienne n'a jamais été saisie d'une demande relative au mariage forcé.


Les preuves

1˚ Les certificats médicaux

Il est préférable d'avoir un certificat fourni par l'UML (Unité Médico Légale), ils ont une réelle expérience et formation dans le domaine. Les certificats médicaux doivent être très circonstanciés.

2˚ L'attestation de l'assistance sociale

3˚ L'attestation de personnes membres des associations spécialisées

4˚ Le dossier du juge des enfants

5˚ L'avis du parquet

L'avis est lu en début audience. Il peut être consulté la veille par les avocats ainsi que les pièces versées. La preuve du danger doit être actuelle et non seulement ponctuelle.


Les mesures ordonnées

Il y a eu, en 2014, 91,7 % de mesures d'interdiction de rentrer en contact. 12 % de ces mesures concernaient aussi d'autres personnes, par exemple, les enfants. 12 % des dossiers ont prononcé une interdiction de porter une arme et, dans 3 dossiers, il y a eu une remise d'armes au greffe.


Dans 66 % des cas, le logement abritant le couple a été attribué au demandeur, jamais au défendeur et dans 17 % des dossiers une interdiction de sortie du territoire de la personne menacée a été prononcée.


S'agissant des mesures concernant les enfants, dans 76 ordonnances de protection sur 97, des enfants mineurs étaient concernés.


Dans 18 % des cas, l'autorité parentale a été prononcée à titre exclusif, dans 25 % un droit de visite et d'hébergement classique a été octroyé et dans 12 % des cas le droit de visite était simple. Dans 48 % des dossiers, ces visites ont été fixées en espace de rencontre et dans 15 % des cas aucun droit de visite n'a été fixé.


Le juge aux affaires familiales prend en compte l'intérêt de l'enfant et les violences dans le retrait de l'autorité parentale. Les violences créent un traumatisme important chez les enfants. L'enfant peut, de surcroît, devenir une possibilité pour le parent violent de conserver une certaine emprise sur le conjoint victime, notamment, à l'occasion des visites. Ce phénomène, dans le cadre de l'autorité parentale conjointe va permettre une pression et une négociation du conjoint violent concernant les actes relatifs à l'enfant. Dans ces circonstances, le juge privilégiera l'espace de rencontre. Pour préserver les droits de visite et d'hébergement, la juridiction de Bobigny a mis en place la MAP (mesure d'accompagnement protégé)[7]. Le dispositif d'accompagnement protégé prévoit l'accompagnement de l'enfant par un adulte lors des déplacements entre le domicile d'un des parents et le lieu d'exercice du droit de visite de l'autre parent. Il permet un sas de décompression pour l'enfant et d'éviter tout contact entre la parent victime et le parent auteur de violences. La juridiction parisienne espère, également, pouvoir mettre en place rapidement le dispositif.


Le stage de responsabilisation pour le conjoint violent a également été envisagé par la loi, la mesure n'a pas encore été mise en place.


Conclusion

Si des difficultés ont pu apparaitre à la création de l'ordonnance de protection, les améliorations législatives successives et l'expérience de la pratique permet, aujourd'hui, d'en faire un outil efficient.


Voir aussi

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Références

  1. Voir, le site officiel du gouvernement.
  2. Voir, l'étude du Conseil économique, social et environnemental présentée par Madame Pascale Vion, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité.
  3. Voir, supra.
  4. CEDH, 28 mai 2013, Req. 55 164/08 (disponible en anglais) ; CEDH, 14 octobre 2010, Req. 55 164/08 (disponible en anglais).
  5. Marie-France Hirigoyen est psychiatre et psychothérapeute familiale
  6. Voir, la famille et le logement en situation de crise (première partie) — Compte-rendu de la réunion de la Commission "Famille" du barreau de Paris en date du 10 février 2015 (cf. Lexbase Hebdo n˚ 605 du 19 mars 2015 — édition privé N° Lexbase : N6407BUT).
  7. Voir, sur ce point, le site du département de Seine-Saint-Denis.