Acheter un bien immobilier en couple (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Cabinet Thuégaz Avocats
Mars 2018




L’achat d’un bien immobilier est une étape cruciale de la vie de couple, peu important le mode d’organisation des relations choisi par les acquéreurs. Qu’ils soient simplement concubins, pacsés ou encore mariés, l’acquisition d’un bien immobilier n’en demeure pas moins un moment  chargé de symbolisme auquel il peut être tentant de ne pas y mêler le droit.


Pourtant, le droit constitue en ce cas un instrument de prévision, d’optimisation et de transmission à ne pas négliger pour doubler l’installation durable des acquéreurs, d’une sécurité juridique accrue.

Il conviendra de distinguer selon deux types de comportement : l’un passif, laissant la loi assurer le traitement de l’acquisition (I), l’autre actif prenant en main le sort du bien dans la durée (II).


L’hypothèse passive : l’application subsidiaire de la loi.=

Il faut encore distinguer ici selon la situation du couple : marié (A), pacsé (B) ou en concubinage (C).


L’application du régime légal au couple marié : entre bien propre ou acquêt.

Nous raisonnerons sur l’hypothèse d’un couple marié sans contrat de mariage, souhaitant acquérir un bien immobilier après le mariage. Ils sont donc soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts (article 1400 du Code civil).


La situation est différente selon la nature commune (1) ou propre (2) des fonds ayant servi à financer l’acquisition du bien immobilier.


Le financement au moyen de fonds communs.

En principe, sont communs tous les biens acquis pendant le mariage (article 1401 C.civ), sauf ceux reçus par succession ou donation (article 1405 C.civ). Dès lors, les gains et salaires des époux, même versés sur un compte ouvert au seul nom de l’un des époux, sont des fonds communs.


Si de tels fonds communs servent à financer l’acquisition d’un bien immobilier, ce dernier sera également un bien commun sur lequel les époux auront des pouvoirs de gestion courante concurrents et des pouvoirs de disposition, tantôt limités par le régime légal, tantôt par le régime primaire impératif.


Cette modalité d’acquisition a alors des répercussions, tant sur le divorce que sur la mort.


Pendant la durée du mariage, le bien reste commun et s’il constitue le logement familial, les époux ne pourront l’un sans l’autre réaliser les actes qui assurent la destination familiale dudit logement (article 215 C.civ).


En cas de dissolution de la communauté par cause de divorce, il est procédé à la liquidation de celle-ci.


A ce titre, le bien immobilier commun doit par principe être partagé.


Dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel, trois hypothèses s’ouvrent :


  • Soit, le bien immobilier commun est vendu à un tiers avant le divorce et le produit de la vente est réparti entre les époux selon leurs droits dans la communauté ;
  • Soit, l’un des époux rachète les droits de l’autre ;
  • Soit, les époux décident de soustraire le bien immobilier commun du champ de la liquidation en concluant une convention d’indivision notariée qui devra être publiée au service de la publicité foncière.


Dans le cadre d’un divorce contentieux, et à défaut d’accord avant le prononcé du divorce et en cas de désaccord persistant par-devant notaire désigné par le jugement ou par l’ordonnance de non-conciliation, lequel dressera un procès-verbal de difficulté, le juge aux affaires familiales sera à nouveau saisi afin de partager la communauté comportant le bien immobilier litigieux.


A ce titre, une attribution préférentielle peut être sollicitée par un époux, même si elle n’est pas de droit.


En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant recueille une vocation légale variable selon les cas de concours avec d’autres parents successibles.


En tout état de cause, si le bien immobilier commun constituait la résidence principale et le lieu d’habitation effective du conjoint survivant, ce dernier dispose d’un droit annuel puis viager au logement (articles 763 et 764 C.civ) lui permettant d’y demeurer jusqu’à son décès.


Ce droit viager au logement vient en déduction de sa vocation légale, à laquelle il faudra soustraire également toutes les libéralités qu’il aurait reçues du conjoint prédécédé (article 765 C.civ).


Par ailleurs, le conjoint survivant recueille sa vocation successorale sans devoir de droits de succession (article 796-0 bis du Code général des impôts). Il peut donc en toute logique recueillir le bien immobilier, qu’il soit commun ou en propre.


Or, le décès est une cause de dissolution de la communauté, laquelle devra être liquidée. Lorsque le couple n’avait que des enfants communs ou n’en avait pas, la situation ne pose pas de difficultés.


En revanche, s’il existe des enfants non communs, il faut au préalable déterminer la part de chaque époux dans la communauté pour savoir ce que cet époux transmet à ses descendants non communs.


Le financement au moyen de fonds propres.

L’utilisation de fonds propres, en totalité ou en partie, pour acquérir un bien immobilier pendant la communauté engendre deux sortes de conséquences :


  • La première des conséquences se situe au niveau de la nature du bien : selon les cas, le bien peut être un propre de l’un des époux.


Il en sera ainsi dès lors que les fonds propres ayant financé le bien commun, soit en totalité, soit en partie mais à la condition que la proportion de fonds propres utilisée ait été supérieure à celle des fonds communs employés, ont été déclarés comme tel dans l’acte d’acquisition en sus d’une mention de remploi.


A défaut de remplir ces deux conditions cumulatives (détermination de l’origine propre des fonds et mention de remploi dans l’acte d’acquisition), le bien sera commun (article 1434 C.civ).


  • La seconde conséquence découle de la première : si la nature retenue est celle de bien propre, celui-ci n’appartiendra qu’à l’époux qui était titulaire des fonds à l’origine de l’acquisition, à charge cependant de récompense à la communauté si des fonds communs ont également été utilisés dans une moindre proportion (article 1437 C.civ).


Aussi, en cas de dissolution de la communauté, par divorce ou par décès, récompense sera due à la communauté par l’époux seul propriétaire du bien immobilier, pour avoir tiré profit des fonds communs ayant financé pour partie un bien propre.


L’application du régime de l’indivision au couple pacsé.

Depuis le 1er janvier 2007, à défaut de convention contraire, les partenaires de Pacs sont soumis au régime de séparation de biens (article 515-5 C.civ). Ce régime n’a vocation à s’appliquer qu’aux biens acquis par un seul des partenaires pendant la durée du Pacs.


Les partenaires ont cependant la possibilité de se soumettre au régime de l’indivision spéciale prévu par les dispositions relatives au Pacs (article 515-5-1 C.civ). Dans ce cas, tous les biens acquis pendant le Pacs tombent en indivision pour moitié, même en cas de financement inégal.


Dès lors que les partenaires entendent acheter ensemble un bien immobilier, ils seront nécessairement en indivision.


La différence entre les deux régimes décrits plus haut réside dans le fait que dans le régime de séparation, il sera possible de stipuler des quotes-parts inégales, alors que dans le régime de l’indivision, le bien immobilier appartiendra indivisément à chacun des partenaires pour moitié, même en cas de financement inégal, sans recours reconnu au profit de l’un contre l’autre.


Cette différence a des répercussions en cas de vente du bien indivis : dans le premier régime de séparation, chacun récupérera la quote-part indiquée dans l’acte d’acquisition, alors que dans le second régime d’indivision, chacun récupérera la moitié du produit de la vente.


Précisons que le partenaire de Pacs n’a aucune vocation successorale dans la succession de son partenaire.


Puisque par hypothèse, le bien immobilier acquis est en indivision, les héritiers du partenaire décédé recueilleront sa quote-part et seront et indivision avec le partenaire survivant.


Rappelons par ailleurs que le partenaire survivant bénéficie du droit d’occuper gratuitement le logement pendant un an, à condition que ce dernier constitue sa résidence principale et son lieu d’habitation effective (article 515-6 C.civ).


Enfin, notons qu’il existe un abattement applicable aux donations faites au partenaire de Pacs, plafonné à 80 724 € (article 777 du CGI) et que si ce dernier vient à la succession en tant que légataire, il est exonéré de droits de succession (article 796-0 bis du CGI).


Attention toutefois le cas échéant à ne pas priver ses enfants de leur réserve héréditaire en léguant plus que la quotité disponible au partenaire de Pacs.


L’application du régime classique de l’indivision aux concubins.

Lorsque deux concubins veulent acquérir ensemble un bien immobilier, le régime classique de l’indivision des articles 815 à 815-18 du Code civil leur sont applicable. Ils sont alors coïndivisaires à hauteur des quote-parts fixées dans l’acte d’indivision.


En cas de vente du bien indivis, le produit se répartit à concurrence des quote-parts de chacun des coïndivisaires.


En cas de décès de l’un des concubins, le survivant n’a aucune vocation successorale, ni de droit d’occupation sur le logement.


Seul un testament pourrait y remédier.


Cependant, cette situation ne se prête que très peu aux libéralités pour au moins deux raisons : la première tient à ce que le concubin est un étranger dont la libéralité peut très rapidement excéder la quotité disponible ; et la seconde tient à ce que le concubin ne bénéficie d’aucune exonération de droits de succession, de sorte que le tarif applicable est de 60% (article 777 du CGI) après abattement de 1 594 € (article 788, IV du CGI).


La gestion d’un bien indivis peut être difficile au quotidien à partir du moment où la mésentente s’installe. Les situations de blocage peuvent se multiplier, puisque, en effet, les actes d’administration relevant de l’exploitation normale doivent être passés à la majorité des 2/3 des droits indivis quand les autres actes plus graves doivent requérir l’unanimité des indivisaires (article 815-3 C.civ).


Pour ces raisons, l’acquisition conjointe d’un bien immobilier peut faire l’objet d’un comportement plus actif avant d’éviter certains effets subsidiaires non recherchés.


L’hypothèse active : la stipulation d’une clause de tontine ou la constitution d’une société civile.

La stipulation d’une clause de tontine.

La clause de tontine est une clause stipulée au moment de l’achat d’un bien à deux ou plusieurs personnes, permettant de considérer la dernière des personnes survivante comme le propriétaire du tout, les prémourants n’étant censés ne jamais avoir été propriétaires dudit bien.


En vertu du principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux (article 1396 C.civ), des époux mariés sous le régime légal ne peuvent stipuler une telle clause en cas d’acquisition d’un bien pendant le mariage au moyen de fonds communs, car elle aurait pour effet de conférer au bien la nature de propre alors que selon le régime légal, il aurait été commun.


En revanche, ils le peuvent en cas de remploi de fonds propres par chacun des époux : l’hypothèse vise donc deux époux mariés sous le régime légal et souhaitant tous les deux utiliser des fonds qu’ils ont reçus par héritage pour acquérir ensemble un bien immobilier.


Au décès de l’un, le survivant sera considéré comme l’entier propriétaire du bien immobilier.


Dans ce cas précis, la clause est valable car, même en l’absence de clause, le bien aurait été propre de l’un, à charge de récompense profitant in fine à l’autre époux.


En l’absence de jurisprudence en la matière, cette solution ne sera envisageable que dans cette seule hypothèse et à la condition qu’il n’y ait pas d’enfants non communs. Une telle clause aurait pour effet de priver l’enfant non commun du bénéficiaire de la clause du bien sortant du patrimoine de son auteur et, les époux n’étant précisément pas liés par un contrat de mariage, l’ouverture de l’action en retranchement de l’avantage matrimonial que cette clause de tontine pourrait conférer au bénéficiaire n’est pas certaine.


Fiscalement, l’acquisition tontinière est réputée faite à titre gratuit. Or, les époux sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit, de sorte que le survivant bénéficiaire de la clause n’en est pas redevable (article 796-0 bis du CGI).


Dans les autres cas (concubinage ou Pacs), la clause de tontine est parfaitement valable.


Dans le cadre d’un Pacs, au dénouement de la clause, le partenaire survivant ne sera pas redevable non plus de droits de succession (article 796-0 bis du CGI).


Enfin, dans le cadre d’un simple concubinage, l’acquisition tontinière étant réputée faite à titre gratuit, le concubin survivant bénéficiaire devra s’acquitter des droits de succession au taux le plus élevé de 60% (article 777 du CGI).


La constitution d’une société civile.

Cette hypothèse concerne tant les époux que les partenaires de Pacs ou les concubins. (Deux époux peuvent en effet être associés ensembles d’une société civile (article 1832-1 C.civ) constituée dans le but d’acquérir le bien immobilier).


A la constitution de la SCI, chacun des membres du couple devra faire un apport. Il s’agit dans ce projet, d’apporter en numéraire la somme que chacun était prêt à employer pour l’acquisition du bien. L’avantage de la SCI réside dans le fait que le bien immobilier tombe dans le patrimoine propre de la société.


Seules tombent en communauté, les parts sociales reçues en contrepartie des apports, selon l’article 1424 du Code civil, si la SCI est constituée par des époux communs en biens.


Or, ce sont ces parts sociales qui feront l’objet d’une succession et non le bien immobilier en lui-même, ce qui présente un double avantage :


  • Tout d’abord, elle permet de pratiquer une décote diminuant de facto les droits de succession, car c’est la société qui détient le bien immobilier et ce sont les parts qui sont transmises.


Or, la valeur du bien détenu par la SCI n’est pas tout à fait égale à la valeur des parts sociales, d’où l’application d’une décote desdites parts, souvent égale au moins à 10% de la valeur de l’immeuble, tenant compte de l’absence de marché de parts sociales et de l’existence notamment de clauses d’agrément au sein des statuts de la société.


  • Ensuite, cette pratique permet de neutraliser la règle de l’article 751 du CGI selon lequel, la reconstitution de la pleine propriété sur la tête du nu-propriétaire, héritier présomptif de l’usufruitier, peut donner lieu par exception au paiement de droits de succession, l’usufruitier étant présumé avoir conservé la pleine propriété du bien démembré ; le principe étant l’absence de droits de succession en cas de réunion de la nue-propriété et de l’usufruit (article 1133 du CGI).


Or, il est possible de démembrer des parts sociales de SCI.


En pratique, soit le couple acquiert le bien en usufruit et la SCI l’acquiert en nue-propriété, soit le couple en acquiert la pleine propriété et constitue ensuite la SCI à laquelle les membres du couple apportent chacun la nue-propriété du bien.


Il est donc à préciser que même lorsque la SCI, détenant la nue-propriété du bien, se compose uniquement des enfants du couple, la règle de l’article 751 du CGI est évincée (BOI-ENR-DMTG-10-10-40-10 n° 250).


Enfin, notons qu’il est plus aisé d’exploiter à plein l’abattement applicable aux donations faites à ses enfants lorsqu’il s’agit de donner des parts sociales plutôt qu’un bien immobilier, puisque, en effet, tous les 15 ans, les donations faites aux enfants bénéficient d’un abattement dans la limite de 100 000 € par enfant (articles 779 et 784 du CGI).


Ainsi, lorsqu’il s’agit de donner un bien immobilier valant 600 000 € à ses trois enfants, chacun bénéficierait d’une donation égale à 200 000 €, taxable à hauteur de 100 000 € après abattement. En outre, se posera le problème de la divisibilité d’un bien immobilier.


En revanche, si cet immeuble est détenu par une SCI dont les parts sociales au nombre de 100, valent chacune 5 400 € (après application d’une décote de 10% par rapport à la valeur de l’immeuble détenu), il sera plus aisé de transmettre, tous les 15 ans à chacun des enfants, un nombre de parts dont la valeur excéderait pas 100 000 € afin de profiter de donations en franchise fiscale.


Attention toutefois à la réserve héréditaire : raisonner uniquement en termes de rapport fiscal sans prendre en compte le rapport civil selon lequel, toutes les donations, peu important leur date, sont rapportables à la succession, pour leur valeur au jour de l’ouverture de la succession (922 C.civ), risquerait de conduire à violer la réserve héréditaire.


En conclusion, ce tour d’horizon montre à quel point l’acquisition conjointe d’un bien immobilier peut varier dans ses effets et conséquences, selon la situation du couple et leur volonté ou non de prévoir a minima ses répercussions.


A cette fin, le couple sur le point d’acquérir un bien immobilier tâchera de se projeter et de prendre conseil avec leur avocat afin de faire coïncider les effets de cette acquisition avec leurs velléités futures.