Assemblée plénière, Cour de cassation : décision du 7 novembre 2022. Code secret de déverrouillage d’un téléphone portable en garde à vue

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Par Marie Cornanguer – Avocat au barreau de Paris, Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)


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Thématique : toutes les poursuites pénales engagées sur le fondement de l’article 434-15-2 du code pénal pour refus de remettre aux « autorités judiciaires » le code secret de déverrouillage d’un téléphone portable en garde à vue.

Problématique : la pénalisation actuelle du refus, de tout justiciable, de remettre aux enquêteurs le code de déverrouillage de leur téléphone portable, telle qu’elle est opérée sur le fondement de l’article 434-15-2 du code pénal, est-elle légalement, constitutionnellement et conventionnellement justifiée ?

Procédure : Un individu interpellé sur la voie publique à Roubaix, en possession de cannabis, a été placé en garde en vue pour détention de cannabis. Ayant refusé de communiquer aux enquêteurs le mot de passe permettant de déverrouiller son téléphone, il a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel pour détention de cannabis et, également, sur le fondement de l’article 434-15-2 du code pénal, pour « refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie ».

Le Tribunal l’a relaxé de ce dernier chef par jugement du 15 mai 2018, frappé d’appel par le Ministère Public.

Par arrêt du 11 juillet 2019, la Cour d’appel de Douai a confirmé la décision de relaxe au motif « qu’un téléphone portable ne peut être considéré comme un moyen de cryptologie au sens des textes précités, et que le code permettant de déverrouiller l’écran d’accueil d’un téléphone, qu’il s’agisse d’un code chiffré ou d’un ensemble de points à relier dans un sens prédéfini par l’utilisateur, ne peut être qualifié, au sens des mêmes dispositions, de convention secrète de déchiffrement ».

Sur pourvoi du Ministère Public, la Cour de cassation a, par arrêt du 13 octobre 2020 (n°19-85.984[1]), censuré le juges du fond, en relevant que « le code de déverrouillage d’un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement, si ce téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie », et en affirmant, cependant, de façon générale, que « le code de déverrouillage d’un téléphone portable constitue une convention de déchiffrement s’il permet de mettre au clair les données qu’il contient ».

Saisie sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Douai a de nouveau prononcé la relaxe du prévenu, par arrêt du 20 avril 2021, en refusant de suivre la Cour de cassation (arrêt non accessible).

Sur pourvoi du procureur général près la Cour d’appel de Douai, la chambre criminelle a, par arrêt du 2 février 2022 (n° 21-83.146), renvoyé l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation, qui s’est réunie le 14 octobre 2022[2].

Questionnements et enjeux du débat :

>  Une incrimination, expressément créée pour « lutter contre le terrorisme », peut-elle être utilisée à l’encontre de personnes placées en garde en vue dans des affaires de droit commun ou de trafic de stupéfiants, afin de les menacer d’une peine d’emprisonnement allant de 3 à 5 ans, si elles refusent de remettre le code secret de leur téléphone portable, alors même :

-       qu’il existe déjà une incrimination sanctionnant le refus de répondre à une réquisition judiciaire (cf. article R.642-1 du code pénal et, spécialement article 60-1 alinéa 2 du code de procédure pénale) ;

-       et, surtout, qu’une personne mise en cause et placée en garde à vue, n’est pas un tiers destinataire d’une réquisition au sens, notamment, de l’article 60-1 du code de procédure pénale qui sert de fondement aux enquêteurs pour l’application de l’article 434-15-2 du code pénal.

Le délit de l’article 434-15-2 du code pénal a en effet été créé par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, votée après les attentats du 11 septembre 2001.

C’est précisément l’article 31 de cette loi, inséré au sein du chapitre V intitulé « Dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme », qui a créé le délit prévu et réprimé par l’article 434-15-2 du Code pénal.

L’amendement ayant créé cet article prévoyait deux volets : l’un administratif, concernant la remise des conventions permettant le déchiffrement des données cryptées « aux autorités administratives habilitées à réaliser des interceptions de sécurité » et, l’autre, judiciaire, qui a donné lieu à la création de l’article 434-15-2 du Code pénal, pour la remise de ces mêmes conventions, aux autorités judiciaires.

Initialement inséré dans la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances, le texte couvrant le volet administratif se trouve à présent à l’article L.871-1 du Code de la sécurité intérieure, dans le « Livre VIII : DU RENSEIGNEMENT », sous le Titre VII intitulé « Obligations des opérateurs et prestataires de services ». Il vise expressément « les personnes qui fournissent des prestations de cryptologie ».

L’analyse des travaux et débats parlementaires démontrent que la ratio legis[3] est de contraindre les prestataires de moyens de cryptologie, à coopérer avec les autorités administratives d’une part (L.871- 1 CSI), et judicaires d’autre part (434-15-2 CP), dans un cadre, au surplus, expressément limité à la lutte antiterroriste. Cela explique d’ailleurs l’importance de la sanction prévue, allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement, par comparaison aux articles R.642-1 du Code pénal et 60-1 alinéa 2 du Code de procédure pénale qui sanctionnent, déjà, d’une amende le refus de répondre à une réquisition judiciaire.

Il convient également de relever que l’article 22 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001[4] a expressément limité dans le temps les dispositions adoptées : « les dispositions du présent chapitre sont adoptées pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2003. Le Parlement sera saisi par le Gouvernement, avant cette date, d'un rapport d'évaluation sur l'application de l'ensemble de ces mesures ».

Le rapport d’information sur la mise en œuvre de la loi, déposé le 22 février 2002 par la Commission des Lois,[5] consacre son point 5 aux « dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme » et énonce que « les mesures insérées dans la loi du 15 novembre 2001 à des fins de lutte contre le terrorisme (articles 22 à 33) ont été adoptées pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2003 ; elles feront l'objet d'une évaluation par le Gouvernement. Compte tenu des conditions et des motifs de leur adoption, il est étonnant qu'aucune instruction générale relative aux modalités de leur mise en _œuvre n'ait encore été publiée par les ministères concernés (l'intérieur et la justice) ; un télégramme et des notes succinctes ne constituent pas des garanties suffisantes ».

Or, depuis l’adoption de la loi en 2001, et avant la date du 31 décembre 2003, aucune action du législateur n’est intervenue. Le texte de l’article 434-15-2 fut seulement modifié une fois, en 2016, par l’article 16 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale[6], afin d’augmenter les montants des amendes encoures.

Sur le plan règlementaire, l’état d’application de la loi figurant sur le site su Sénat, détaille la liste des mesures prises par le Gouvernement[7] et, s’agissant de l’article 31 de la loi de 2001 ayant créé l’incrimination, seul un décret concernant le volet administratif du dispositif a été adopté le 16 juillet 2002[8].

On pourrait dès lors s’interroger sur l’obsolescence des dispositions issues des articles 22 à 33 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001.

Dès lors que la Loi jouit seule de la légitimité permettant d’incriminer un comportement puisqu’elle est l’expression de la volonté générale au sens de l’article 6 de la Constitution, est-il admissible que son interprétation, bien que nécessaire et consubstantielle à son application, aille au-delà de la volonté du législateur sans que soit atteint dans sa substance même le principe de légalité criminelle ?

La pénalisation actuelle opérée sur le fondement de l’article 434-15-2 du Code pénal semble en effet poser de sérieuses questions au regard des principes fondateurs du droit pénal, de stricte nécessité et proportionnalité des peines et de légalité criminelle, dont découle l’exigence de clarté et de précision de la loi.


Références

  1. https://www.courdecassation.fr/en/decision/5fca2fd7bc8fa4785788dbc3
  2. https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/10/05/audience-venir-le-refus-de-communiquer-le- code-de-deverrouillage
  3. Compte rendu n°6 de la commission des lois, séance du 24 octobre 2001 : « Articles additionnels après l'article 6 ter : Dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme : La Commission a adopté treize amendements du rapporteur reprenant les dispositions adoptées au Sénat, à l'initiative du Gouvernement, pour renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme. L'objet de ces amendements est (…) d'obliger les personnes physiques ou morales fournissant des prestations de cryptologie à remettre aux agents habilités de l'Etat, en charge d'une mission d'interception des correspondances, les conventions permettant de déchiffrer les messages cryptés » https://www.assemblee-nationale.fr/11/cr-cloi/01-02/c0102006.asp
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000222052
  5. https://www.assemblee-nationale.fr/11/rap-info/i3662.asp#P121_14130
  6. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032627231
  7. https://www.senat.fr/application-des-lois/pjl00-296.html : « Article 31 Division I - art. 11-1 loi n° 91-646 du 10 juillet 1991. Objet : Mise en œuvre de l'obligation d'établissement de conventions de prestations de cryptologie et prise en charge financière par l'Etat : décret en Conseil d'Etat n° 2002-997 du 16/07/2002 publié au JO du 18/07/2002 relatif à l'obligation mise à la charge des fournisseurs de prestations de cryptologie en application de l'article 11-1 de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications »
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000596770