Associations : des ventes « opposables » une vingtaine d’années après leurs déclarations tardives en préfecture, commentaire sur l’arrêt de la 3ème chambre civile du 26 juin 2025

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Daniel Kuri, Maître de conférences hors classe de droit privé
Octobre 2025

Les arrêts qui intéressent le droit des associations sont peu nombreux. La décision de la 3ème chambre civile du 26 juin 2025, publiée à son bulletin [1] , n’en est donc que plus intéressante.

Les faits de l’espèce étaient très simples. Un certain M.[U], qui avait obtenu la condamnation de l’Association pour la formation interprofessionnelle d’Armor (l’ASFIDA), son ancien employeur, à lui payer diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail, avait assigné, par acte du 18 février 2011, cette dernière, prise en la personne de M. [B], son liquidateur judiciaire, ainsi que l’association Union des industries et métiers de la métallurgie de Bretagne pour la formation (l'UIMM), aux fins de voir constater l’inopposabilité de ventes immobilières consenties par l'ASFIDA à l’association Gimreb formation, aux droits de laquelle est venue l’UIMM, les 20 février 2001 et 4 août 2004.

L’arrêt ne nous renseigne pas sur les raisons de son action juridique.

M. [U] en voulait peut-être à son ancien employeur – (l’ASFIDA) – et ruminait les moyens juridiques d’une vengeance judiciaire. On ne peut, aussi, exclure le fait qu’il ait voulu défendre les intérêts d’une association à laquelle il était attaché en estimant que les conditions des ventes étaient défavorables à l’ASFIDA.

Nous ne savons pas non plus ce que les juges du premier degré avaient décidé dans cette espèce.

En tout cas, la Cour d’appel de Rennes, le 3 mai 2023, avait rejeté la demande d’inopposabilité des ventes des 20 février 2001 et 4 août 2004 formulée par M. [U] pour défaut de déclaration de ces ventes en préfecture.

M. [U] faisait donc grief à l'arrêt d’avoir rejeté sa demande d'inopposabilité des ventes des 20 février 2001 et 4 août 2004 pour défaut de déclaration en préfecture, alors selon lui :

« 1°/ que l'article 5 alinéas 5 à 7 de la loi du 1er juillet 1901 dispose que les associations sont tenues de faire connaître, dans les trois mois, tous changements survenus dans leur administration ou direction, ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts, que ces modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu'à partir du jour où ils auront été déclarés et qu'ils seront, en outre, consignés sur un registre spécial qui devra être présenté aux autorités administratives ou judiciaires chaque fois qu'elles en feront la demande ; que l'article 3 4° du décret d'application du 16 août 1901 prévoit que ces déclarations relatives aux changements survenus dans l'administration ou la direction de l'association mentionnent les acquisitions ou aliénations du local ; qu'en estimant que le fait que les déclarations des ventes litigieuses des 20 février 2001 et 4 août 2004 n'aient pas été déclarées dans les trois mois impartis par l'article 5 précité n'est assorti d'aucune sanction de sorte que ces déclarations peuvent être régularisées en 2021 quand l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit expressément la sanction civile de l'inopposabilité aux tiers de la déclaration non effectuée dans le délai de trois mois, la cour d'appel a violé les articles 5 de la loi du 1er juillet 1901 et 3 4° du décret du 16 août 1901, dans leur rédaction applicable au présent litige ; »

Il estimait également : « 2°/ que l'article 8 de la loi du 1er juillet 1901 dispose que ‘‘ Seront punis d'une amende de 3 000 francs à 6 000 francs et, en cas de récidive, d'une amende double, ceux qui auront contrevenu aux dispositions de l'article 5’’ ; qu'en estimant que le fait que les déclarations des ventes litigieuses des 20 février 2001 et 4 août 2004 n'aient pas été déclarées dans les trois mois impartis par l'article 5 précité n'est assorti d'aucune sanction de sorte que ces déclarations peuvent être régularisées en 2021 quand l'article 8 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit une sanction pénale, la cour d'appel a violé les articles 5 et 8 de la loi du 1er juillet 1901, ensemble l'article 3 4° du décret du 16 août 1901 dans leur rédaction applicable au présent litige. »

La Cour de cassation va sèchement rejeter ce pourvoi en considérant simplement qu’« Il résulte de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association et de l'article 3, 4°, du décret du 16 août 1901 pris pour l'exécution de cette loi que, si les associations sont tenues de faire connaître, dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration, parmi lesquels figurent les acquisitions et aliénations immobilières, ces changements sont opposables aux tiers à partir du jour où ils ont été déclarés, même si la déclaration est faite au-delà du délai de trois mois précité[2]

La 3ème chambre civile en conclut que « La cour d'appel, qui a constaté que les ventes litigieuses avaient été déclarées à la préfecture les 19 et 28 mai 2021, en a exactement déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche, qu'elles étaient, à la date à laquelle elle a statué, opposables à M. [U].

Elle considère que moyen n'est donc pas fondé et condamne M. [U] aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la 3ème chambre civile rejette la demande formée par M. [U] et le condamne à payer à l'Union des industries et métiers de la métallurgie de Bretagne pour la formation la somme de 3 000 euros ;

L’intérêt essentiel de cet arrêt réside dans le fait que – à notre à notre connaissance – c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur l’obligation qui incombe aux associations, selon l’article 5 alinéas 5 à 7 de la loi du 1er juillet 1901 de faire connaître, dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration ou direction [3] , ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts, et sur l’opposabilité de ces actes – des ventes immobilières en l’espèce – lorsque les déclarations ont été faites après ce délai.

Cependant, il y a eu un précédent devant le juge administratif sur cette même question.

Ainsi, à propos d’une déclaration faite après le délai de trois mois, le Tribunal administratif d’Orléans, le 16 novembre 1982, avait pu juger que le refus de l’Administration [4] de délivrer un récépissé attestant que la déclaration avait bien été faite était injustifié [5] .

Ce jugement était fondé sur l’article 5 alinéa 6 de la loi du 1er juillet 1901, selon lequel les modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu’à partir du jour où ils ont été déclarés. De facto, l’opposabilité courant du jour de la déclaration, l’administration ne peut pas refuser la délivrance de ce récépissé à l’association car elle interdirait en conséquence à celle-ci de faire la preuve de l’accomplissement de cette formalité à l’égard des tiers – et du même coup aux tiers d’être informés.

Par ailleurs, l’Administration ne peut pas créer elle-même des sanctions lorsque le législateur ne les a pas prévues. A fortiori lorsque le législateur en a prévu d’autres ! En effet, selon l’article 8, alinéa 1 de la loi du 1er juillet 1901, le non accomplissement des formalités de déclaration est puni d’une amende [6] .

La Cour de cassation s’est située dans la même logique en considérant que « […] ces changements sont opposables aux tiers à partir du jour où ils ont été déclarés, même si la déclaration est faite au-delà du délai de trois mois précités. »

Les ventes immobilières consenties par l’ASFIDA à l’association Gimreb formation, aux droits de laquelle est venue l’UIMM, les 20 février 2001 et 4 août 2004 et déclarées en préfecture les 19 et 28 mai 2021 étaient donc bien opposables à M. [U].

Par voie de conséquence, la prétendue violation de l’article 8, alinéa 1, de la loi du 1er juillet 1901 – qui sanctionne pénalement ceux qui auraient contrevenus aux dispositions de l’article 5 de ladite loi (seconde branche du moyen) – est, en conséquence, considérée comme un « motif surabondant ». Il nous semble, d’ailleurs, que ce texte – qui édicte une responsabilité pénale en cas de violation des dispositions relatives à l’accomplissement des formalités de publicité de l’association – n’a jamais été appliqué [7]

.

En tout cas, il ne le sera pas en l’espèce.

Enfin, on peut observer que la Cour est peu loquace sur l’article 3-4° du décret du 16 août 1901. Ce texte qui institue un contrôle à postériori de l’Administration sur la question des opérations immobilières semble, de plus en plus, être un texte désuet par non-usage [8] .

En définitive, il est évident que la Cour a aussi, par cet arrêt, privilégié la sécurité juridique, en présence de l’écoulement du temps. On peine, il est vrai, à imaginer les conséquences d’une solution inverse…

Références

  1. 26 juin 2025 Cour de cassation Pourvoi n° 23-17.936
  2. Souligné par nous.
  3. L’article 3-4° du décret d’application du 16 août 1901 prévoit que ces déclarations relatives aux changements survenus dans l'administration ou la direction de l'association mentionnent les acquisitions ou aliénations du local.
  4. Ce refus de l’Administration pouvait s’inspirer de l’opinion de R. Brichet, op.cit., 4ème éd., 1976, n° 146 selon laquelle « toute déclaration tardive est nulle ». Il est vrai que jusqu’à son abrogation par la loi du 22 mars 2012 l’article 7 alinéa 2 de la loi du 1er juillet 1901 fulminait que « En cas d'infraction aux dispositions de l’article 5, la dissolution peut être prononcée à la requête de tout intéressé ou du ministère public. »
  5. Tribunal administratif d’Orléans, 16 novembre 1982, RTD com. 1984, p. 299. Ce jugement est également cité par R. Brichet, Associations et syndicats, 6ème éd., Litec, 1992, n° 146, qui n’a pas repris son point de vue de 1976 en 1992 !
  6. Cependant, selon, R. Brichet, op.cit., n° 157, « Cette sanction n’est pas d’application pratique ».
  7. R. Brichet, op.cit., n° 157, notait déjà prudemment à propos de cette sanction pénale qu’elle « n’est pas d’application pratique ». Voir aussi notre article « La loi du 1er juillet1901 relative au contrat d'association et son décret d’application à l’épreuve de la désuétude ...où nous notions plus récemment qu’« il ne [semblait) pas que les autorités judiciaires aient utilisé ce texte ». Nous ajoutions « et on imagine aujourd’hui assez facilement les protestations, au nom même de la liberté d’association, si une autorité judiciaire prononçait des amendes à l’encontre des responsables d’associations ! »
  8. Comme nous le notions (article précité), l’article 3-4° du décret du 16 août 1901 précise en effet, « de façon pointilleuse,‘‘ [q’] un état descriptif, en cas d’acquisition, et l’indication du prix d’acquisition ou d’aliénation doivent être joints à la déclaration’’. S’agissant de la sanction d’un défaut de déclaration ou d’une déclaration incomplète, R. Brichet (op. cit., 5ème éd., 1986, n° 157) pouvait noter que ‘‘l’on pourrait éventuellement appliquer l’amende pour violation des règlements légalement faits » mais il ajoutait aussitôt qu’en la matière ‘‘ [l’amende] n’a jamais été appliquée’’. En raison de l’abrogation des différents textes qui auraient pu s’appliquer à la violation de l’article 3-4°, nous pensons que la violation de ce texte n’est plus réellement directement sanctionnée par aucune disposition, sauf à confondre l’article 3-4° du décret du 16 août 1901 avec l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 – dont il assure l’application – et à sanctionner alors sa violation par l’application de l’article 8. En pratique, comme l’observait déjà R. Brichet, aucune sanction de la violation de l’article 3-4° ne semble jamais avoir été mise en œuvre. En définitive, comme nous l’avions observé (cf. notre article précité), est toujours posée « la question de savoir si la ratio legis de l’article 3-4° existe encore véritablement ». Le silence total de la Cour de cassation à propos de ce texte montre que cette question est plus que jamais d’actualité ! En tout cas, ce texte est désuet par non-usage.