Blockchain et droit d’auteur – Partie 1 : Un problème de date

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Tommaso Stella, avocate au barreau de Paris[1]
Janvier 2022


L’arrivée de la blockchain a été révolutionnaire pour plusieurs domaines, dont le droit d’auteur. L’attribution d’une date certaine de création n’est que la pointe de l’iceberg des nouvelles possibilités offertes aux artistes, mais elle mérite tout de même d’être traitée.

La propriété d’une œuvre, un problème de date

La règle est simple : l’auteur d’une œuvre est titulaire du droit d’auteur ab initio.

Toutefois, la titularité s’acquérant par la simple création, sans obligation d’enregistrement, l’auteur ne garde souvent aucune trace de la première date de création.

Par un souci de simplicité, celui qui exploite l’œuvre sous son nom est donc présumé auteur et titulaire des droits. Ce simple mécanisme n’est pas exempt d’erreur.

Par exemple, M. A pourrait avoir créé une œuvre sans la divulguer en considérant que des retouches étaient nécessaires préalablement à la publication. M. B pourrait venir à connaissance de cette œuvre inachevée et la publier sous son nom devenant ainsi le titulaire présumé de celle-ci. Dans ces conditions, M. A pourra revendiquer la titularité de l’œuvre seulement en apportant la preuve d’avoir créé l’œuvre à une date antérieure à la publication par M. B. Cette opération pourrait se révéler très compliquée pour M. A, si ce dernier n’a pas gardé de traces datées des différentes étapes de la création.

La propriété d’une œuvre est donc strictement liée à la preuve de la date de création : celui qui démontre avoir créé une œuvre en premier en est le titulaire légitime.

Les solutions traditionnelles

La question de l’antériorité n’étant pas nouvelle, plusieurs solutions ont été développées dans le passé pour garder des traces datées des différentes étapes de création. Les plus connues sont :

  • Le dépôt auprès d’une société d’auteurs (par exemple, la SIAE en Italie et la SACEM en France),
  • L’envoi à soi-même d’une lettre RAR contenant l’œuvre,
  • La singularité française de l’enveloppe Soleau (depuis quelque temps également disponible en version numérique e-Soleau | INPI.fr [2]) ou encore,
  • Le dépôt auprès d’un notaire ou d’un huissier.

Les solutions apportées par la blockchain

La blockchain est une sorte registre public où toutes les opérations sont certifiées et stockées dans une chaîne de blocs de données. Toute nouvelle opération est horodatée, stockée dans un nouveau bloc et hachée (liée de manière indissociable) au bloc précédent. La certification a lieu au moyen de la communauté de « miners », les membres de la blockchain.

D’une manière générale, par rapport aux solutions traditionnelles, les avantages de la blockchain sont :

  1. La possibilité d’enregistrer au fur et à mesure et rapidement tous les « progrès » dans la conception d’une œuvre de sorte qu’au moment même où elle est achevée le créateur a une preuve de la date de sa création ;
  2. La facilité de dépôt et de vérification de la date de création à tout moment partout dans le monde et par toute personne ;
  3. L’immutabilité de l’enregistrement : une fois la transaction enregistrée sur blockchain il est impossible de l’effacer ou de la modifier.


Il existe deux solutions pour se constituer la preuve d’une date certaine sur Blockchain : l’ « hashage » et l’ « NFT ».

L’hashage

On génère un « hash » de l’œuvre au moyen d’un algorithme d’hachage, c’est-à-dire une séquence de bits étroitement liée aux données du fichier qui contient l’œuvre. Ensuite, on enregistre l’ « hash » ainsi généré sur blockchain pour lui donner une date certaine.

Puisque l’« hash » identifie de manière univoque le fichier contenant l’œuvre et que l’ « hash » a été enregistré sur blockchain, il sera possible de prouver la date certaine de création de l’œuvre.

Toutefois, il ne faudra absolument pas perdre le fichier original car celui-ci ne sera pas enregistré sur blockchain et il n’est pas possible de le récupérer à partir du simple « hash ». Si on perd le fichier, on ne pourra plus rien prouver.

Le NFT

Le « NFT » (Non-Fungible Token) peut être simplement défini comme un certificat de propriété stocké sur blockchain. Ce certificat a différents attributs (métadonnées) tels que : un nom, un symbole, un « hash unique », un horodatage, etc.

Le « NFT » a l’avantage de réduire sensiblement la possibilité de perte du fichier original. En effet, le fichier original ne sera pas hébergé sur l’ordinateur de l’auteur, mais alternativement « on chain » ou « off-chain ».

Lorsque le fichier est stocké « on chain », il est inhérent à le « NFT » et il sera immuablement et indéfiniment inscrit sur la blockchain. Tout cela est magnifique mais a un inconvénient majeur : le cout de stockage sur la blockchain s’élève à plusieurs dizaines d’euros pour un seul kilobyte (kb) !

En revanche, lorsque le fichier est stocké « off-chain », c’est à dire sur des serveurs qui peuvent être centralisés ou décentralisés (IPFS), le NFT ne contient que l’adresse où se trouve le fichier, appelé « tokenURI », le permettant ainsi de l’identifier et de le retrouver tout en réduisant énormément le cout de stockage.

Pour donner un exemple ludique : c’est une chasse au trésor ! Le hachage décrit le trésor mais ne nous dit pas où il se trouve. Le NFT « off-chain » décrit le trésor et fournit la carte au trésor. Le NFT « on-chain » contient le trésor.

En conclusion, bien qu’il n’y ait pas encore un consensus sur la valeur probante de la blockchain, on observe une tendance vers la création de registres décentralisés basés sur la blockchain, comme le démontre le récent projet de la SIAE. Le changement est peut-être juste autour du coin.