Blockchain et droit d’auteur – Partie 2 : NFT

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Tommaso Stella, avocate au barreau de Paris[1]
Février 2022

Lire > Partie 1: Blockchain et droit d’auteur – Partie 1 : Un problème de date [2]


Dans le premier épisode de notre newsletter « Blockchain et droit d’auteur – Partie 1 : un problème de date « , nous avions introduit les concepts de blockchain et de NFT et montré comment ces technologies peuvent résoudre le problème de la preuve de la date certaine de création dans le domaine du droit d’auteur.

Dans ce deuxième épisode, nous verrons comment les NFT peuvent révolutionner le marché de l’art.

Avant de détailler les aspects révolutionnaires de cette technologie (2), définissons à nouveau ce qu’est un NFT, cette fois-ci de manière moins technique et plus pragmatique (1).

Définition de NFT

Un NFT (Non-Fungible Token) est un certificat numérique immuable qui fournit la preuve de la propriété d’un actif sous-jacent lié de manière unique à celui-ci, soit parce que l’actif sous-jacent est incorporé dans le NFT ou bien parce que le NFT contient un lien vers celui-ci.

Par conséquent, lorsqu’un NFT est transféré, la propriété de l’actif sous-jacent est transférée avec lui.

Il est important de rappeler que, en règle générale, la propriété du support d’une œuvre n’implique pas la titularité du droit d’auteur sur celle-ci.

Par conséquent, lorsqu’un NFT est transféré, seule la propriété physique ou numérique de l’actif sous-jacent est transférée et non le droit d’auteur.

L’actif sous-jacent, lié de manière unique et indissociable à l’NFT grâce aux informations qu’il contient, peut être un bien numérique, comme nous l’avons vu dans le premier épisode, ou même un bien physique, comme nous le verrons plus loin.

Cela dit, analysons une à une les applications potentielles du NFT dans le monde de l’art et du droit d’auteur.

Les applications des NFT au monde de l’art et du droit d’auteur

La rareté numérique

L’un des problèmes majeurs de l’art numérique a toujours été celui de l’absence de rareté.

En effet, les fichiers numériques ont la caractéristique d’être fongibles (parfaitement substituables) et réplicables à l’infini à coût zéro. Parmi les infinies copies de l’œuvre numérique qui peuvent être créées, il est donc impossible d’identifier le ou les originaux.

Comme nous venons de le voir, les NFT sont capables d’identifier de manière unique un fichier numérique, soit parce qu’il est incorporé dans le NFT, et donc inscrit immuablement et indéfiniment sur la blockchain (on-chain), soit parce qu’il est enregistré sur un serveur dont l’adresse est contenue dans le NFT, le « tokenURI » (off-chain).

De cette manière, seuls les fichiers liés au NFT peuvent être considérés comme des originaux, créant ainsi artificiellement une rareté numérique : un nombre limité et contrôlé d’originaux d’œuvres numériques, égal au nombre de NFT existants.

Cette rareté a une conséquence majeure : la possibilité de créer un marché pour les originaux des œuvres numériques, comme c’est déjà le cas pour les originaux des œuvres d’art physiques.

Désintermédiation

Techniquement, un NFT est simplement un bout de code. En tant que code, en plus de contenir différentes informations, telles qu’un fichier numérique ou un lien vers un serveur contenant un fichier numérique, un NFT peut également contenir un programme informatique qui s’exécute lorsque certaines conditions sont remplies.

Ce programme informatique est appelé « smart contract », à savoir un contrat auto-exécutoire dont les termes sont écrits en lignes de code.

Les NFT et la présence de smart contracts au sein de ceux-ci permettent la désintermédiation des activités suivantes.

  • Le droit de suite

Dans l’UE, les artistes se voient accorder un petit pourcentage du prix de revente de l’œuvre. Cependant, les conditions pour bénéficier du droit de suite sont souvent difficiles à remplir et nécessitent la présence d’un intermédiaire.

Par exemple, en Italie, la transaction doit avoir lieu par l’intermédiaire d’un professionnel de l’art, elle doit être conclue à un prix de vente (hors TVA) d’au moins 3 000 €, elle doit être déclarée à la SIAE et le montant doit être versé par le professionnel à la SIAE qui le reverse ensuite à l’auteur.

Ce processus peut être automatisé et désintermédié grâce aux smart contracts.

En effet, il suffit de programmer le smart contract dans le NFT lié à l’œuvre pour qu’un pourcentage déterminé du prix des futures reventes soit toujours versé à l’auteur de celle-ci.

En outre, les NFT pourraient être un moyen d’introduire le droit de suite des artistes au sein de pays dont la législation ne le prévoit pas.

  • Création de communautés

Grâce aux NFT, il est également possible d’imaginer la création de communautés bâties autour de l’artiste dans lesquelles ceux qui l’ont soutenu en achetant un NFT lié à une œuvre peuvent participer à des événements ou bénéficier de services exclusifs, ainsi que partager une partie des revenus générés par l’artiste, tout comme s’ils avaient acheté une action de celui-ci.

  • Liquidité du marché des œuvres d’art physiques

Le NFT étant un certificat de propriété, il peut certifier la propriété d’un actif physique ou numérique. L’essentiel est qu’il contienne un élément qui le lie de manière unique et indissociable à cet actif, par exemple le tokenURI, une plaque d’immatriculation de voiture ou un code QR apposé sur l’actif.

Lorsque le NFT est lié à une œuvre d’art physique, il suffira de transférer le NFT pour transférer la propriété de celle-ci.

L’œuvre d’art physique peut ainsi changer de propriétaire tout en restant au même endroit (par exemple, un musée ou une chambre forte), un peu comme dans la finance lors de l’échange d’un certificat de propriété sur un actif sous-jacent (par exemple, de l’or), sans transfert physique de l’actif d’une personne à une autre.

Cela permet de réduire les intermédiaires impliqués dans le marché de l’art et de fluidifier la circulation de la propriété des œuvres.

En conclusion, l’introduction de la rareté numérique et la désintermédiation seront certainement deux facteurs révolutionnaires pour le marché de l’art. Cependant, concernant ce dernier point, il faut noter que toutes ces transactions se feront par le biais de plateformes d’échange de NFT (voir par exemple OpenSea, the largest NFT marketplace [3]). Jusqu’à quand ces plateformes vont-elles jouer un rôle passif et se contenter de faibles pourcentages sur les transactions ?