Cession de contrat en droit français: mécanisme translatif de droit ou créateur de droit? (fr)

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« Comme la roue, le contrat est l’une des créations les plus utiles et les plus simples de l’Humanité ».

Source essentielle des obligations, élément fondamental des rapports entre personnes, physiques ou morales, de droit privé ou public, le contrat est la base de toute la matière juridique, depuis fort longtemps.

En droit romain, déjà, le contrat était naturellement instantané, les relations ne tendant pas à perdurer. Il constituait l’instrument privilégié d’échanges ponctuels, dans une société dominée par l’individualisme. L’entrée dans une ère préindustrielle puis industrielle aidant, la pratique contractuelle connût un bouleversement radical, et les rapports sociaux virent leur durée allongée. L’apparition des entreprises, ainsi qu’un souci d’anticipation de l’avenir conduisaient à la promotion de l’institution que constitue aujourd’hui le contrat. « Les théoriciens du droit professent que le contrat, par opposition à l’esprit unitaire de la loi, est l’instrument de la diversité juridique ». En effet, le développement du commerce et de la rapidité des transactions contribuent sans cesse à de nouveaux besoins, et donc à la naissance de nouvelles figures contractuelles. La matière contractuelle est donc une matière évolutive, inachevée.

La théorie du contrat élaborée en 1804 a été marquée par les idées et les besoins d’une époque peu intéressée par les problèmes de cessibilité des contrats. Mais aujourd’hui, l’accroissement du secteur tertiaire dans l’activité économique facilite le recours aux cessions car de nombreux services s’appuient sur des contrats de longue durée. L’état du commerce est tel que les partenaires ont besoin d’approvisionnements sûrs, de permanence dans les relations. Certains parlent de « règne absolu du contrat ». Ainsi, admettre la cession du contrat, c’est faciliter une meilleure exploitation des richesses. La cession de contrat se pratique donc, parce qu’elle permet d’attribuer le contrat à celui qui est le plus apte à l’exécuter. C’est un mouvement de dépersonnalisation des rapports obligatoires.

Le contrat représente donc aujourd’hui une valeur patrimoniale, en ce qu’il assure à ses titulaires une stabilité certaine. Il devient un élément de stratégie de l’entreprise, et parvient à l’organisation de relations durables. Il doit, de fait, faire preuve de deux qualités antinomiques, mais essentielles : souplesse et stabilité.

Souplesse, tout d’abord, car l’évolution économique fait que l’on a nécessairement besoin d’une certaine mobilité. Des exigences professionnelles ou familiales peuvent conduirent les titulaires d’un contrat dans l’impossibilité de poursuivre le rapport contractuel. Dans une telle hypothèse, la personne empêchée doit pouvoir sortir du contrat. Stabilité, ensuite, parce qu’avant tout, le contrat est un acte de prévision. A une époque de grandes mutations, tous les sujets de droit réclament de la stabilité.

« Le contrat constitue une subtile alchimie entre des éléments subjectifs et objectifs ».

En effet, si une certaine patrimonialisation du contrat doit être admise, il ne faut toutefois pas en oublier qu’il repose sur la volonté des parties, et qu’ainsi, la personne des contractants ne doit pas s’effacer derrière l’opération économique envisagée.

« Le contrat est la tentative la plus hardie qui se puisse concevoir pour établir la domination de la volonté humaine sur les faits, en les intégrant d’avance dans un acte de prévision ».

Le contrat reste ainsi un outil au service des personnes : sa richesse réside dans son aptitude à donner naissance à des obligations futures.

C’est parce que le contrat va donner naissance à des obligations futures qu’il pourra être cédé. Nous arrivons désormais sur la question du domaine de la cession de contrat. On distingue classiquement les contrats à exécution instantanée et les contrats à exécution successive. A priori, seuls les contrats à exécution successive peuvent faire l’objet d’une cession, car leur objet n’a pas encore été totalement réalisé, contrairement aux contrats à exécution instantanée, lesquels, aussitôt conclus, sont en principe exécutés. Cependant, ces derniers peuvent également être cédés : en effet, le principe de l’exécution immédiate de l’obligation à la conclusion du contrat ne reste que très théorique et, souvent, l’effet recherché du contrat n’a pas lieu immédiatement. Ainsi, bien qu’il puisse s’agir d’un contrat non successif, un contrat instantané dont l’obligation principale n’a pas été exécutée peut également être cédé.

On ne pourra donc pas céder des contrats dont les exécutions et les effets ont déjà été réalisés, le cas échéant il ne s’agira pas d’une cession de contrat mais d’une simple cession de créance ou de dette.

La cession de contrat ne se confond pas avec des institutions voisines.

En premier lieu, la cession de contrat n’est pas un sous-contrat. En effet, le sous-contrat vient se superposer au contrat principal, et entraîne ainsi la cohabitation de deux rapports contractuels. En aucun cas il ne s’agit, par le sous-contrat, de substituer un contractant dans un seul et unique rapport contractuel. Les parties initiales ne sont pas vouées à sortir du lien contractuel initial, comme cela est le cas en matière de cession de contrat.

Par ailleurs, le contrat n’est pas une novation : dans la novation, doit nécessairement être présente l’« aliquid novi », soit l’intention de nover. C’est une condition de validité de la novation. Ainsi les parties doivent expressément manifester leur volonté d’éteindre une obligation par la création d’une nouvelle venant la remplacer, les deux obligations devant être distinctes. Or dans la cession de contrat, certes les parties entendent procéder à une substitution de contractants, mais ceci afin d’exécuter l’obligation même qui a fait l’objet du contrat cédé. Il n’y donc ni la volonté d’éteindre l’obligation, ni celle de la modifier, mais, au contraire, de la faire survivre à une modification subjective du contrat.

D’autres mécanismes, tels que la stipulation pour autrui ou la délégation, ont déjà été rapprochés de la cession de contrat, mais ils seront développés plus tard dans cette étude.

Aujourd’hui, la difficulté en matière de cession conventionnelle de contrat, c’est le silence de la loi. Certes, le législateur est venu, ponctuellement, édicter des règles relatives à des cessions de contrats bien spécifiques, tel que le bail ou l’assurance. Des cessions judiciaires sont également réglementées, notamment en cas de procédure collective d’une entreprise. Mais ce n’est pas ici la matière qui nous intéresse. La cession de contrat issue de la volonté des partenaires contractuels est ignorée de notre droit civil des contrats. Or, elle est une hypothèse de plus en plus fréquente.

« Céder un contrat, c’est donc céder les effets de ce contrat ».

En l’absence de législation spécifique, l’appréhension de cette opération est malaisée. « La difficulté en notre matière réside précisément dans le fait que l’on veut transmettre à autrui un rapport avec une tierce personne ; c’est cette tierce personne qui va être le gêneur : dans quelle mesure pourra-t-on, indépendamment de sa volonté, disposer de sa situation de contractant ? ».

Tels sont les termes de l’interrogation qui nous est soumise par cette étude. L’obstacle majeur qui pose problème en matière de cession de contrat est en effet l’existence du contractant cédé, lui-même tiers à la convention de cession, mais à cause duquel pourtant la cession conventionnelle de contrat est très vivement controversée. En effet, celui-ci ne saurait voir un tiers substitué à son cocontractant initial contre son gré. C’est pourtant l’objectif majoritairement souhaité par les praticiens de la cession conventionnelle de contrat.

Peut-on véritablement parler de « cession conventionnelle de contrat » ? Telle est la question qui nous guidera tout au long de notre étude, et à laquelle nous tenterons de trouver des réponses, par l’observation de jurisprudences multiples et de spéculations diverses qui font la richesse de notre sujet.

L’opération dont il est question a longtemps été, et demeure, discutée. En effet, tout le débat tourne autour de la sauvegarde des intérêts du contractant cédé.

Nous verrons ainsi que la reconnaissance du principe même d’une cession conventionnelle de contrat est délicate (Titre I), en raison de sa contrariété avec de grands principes du droit français. Elle a finalement été admise, mais son régime n’a pas encore été définitivement fixé (Titre II). Ceci n’est pas sans provoquer de vives réactions au sein de la doctrine française, et il faut bien avouer qu’à l’heure actuelle, le droit positif ne nous donne que peu d’éléments pour procéder à une cession conventionnelle de contrat efficace.

TITRE I : LA RECONNAISSANCE HOULEUSE DU MECANISME DE CESSION CONVENTIONNELLE DE CONTRAT

La transmission des obligations est une opération qui existe depuis longtemps dans la pratique. Peut-être ne faisait-elle preuve que d’une trop faible importance pour que le Code civil, en 1804, s’en préoccupe.

Ainsi, nous ne disposons pas aujourd’hui, en droit français, d’une réglementation propre à cette figure contractuelle.

Ce titre s’efforcera ainsi d’étudier la manière dont la cession conventionnelle de contrat a fait son apparition en France, et de montrer par ailleurs que si son entrée dans le monde juridique n’a pas été sans difficultés (Chapitre 1), demeurent aujourd’hui des doutes sur le principe même d’un tel mécanisme (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 : UNE DELICATE INTRODUCTION DANS LE DROIT POSITIF

De lourds obstacles se sont dressés lors de l’arrivée de la cession conventionnelle de contrat dans notre système juridique (section 1), mais ils ont été détournés, de sorte qu’elle a pu être reconnue et de plus en plus fréquemment usitée (section 2).

SECTION 1 : UN PARCOURS SEME D’EMBÛCHES : DES OBSTACLES DIFFICILEMENT CONTOURNABLES

« Le contrat est une réalité complexe, faite d’un faisceau plus ou moins dense de prérogatives et d’obligations. Comment l’une des parties pourrait-elle céder à un tiers un contrat ? ». Nous parlions d’obstacles lourds : en effet, ce sont deux principes anciens et fortement ancrés dans notre droit auxquels la cession conventionnelle de contrat s’est heurtée. Nous aborderons en premier lieu le principe d’incessibilité des dettes (§ 1), puis celui d’effet relatif des conventions (§ 2).

§ 1 : Une contravention flagrante au principe d’incessibilité des dettes en droit français

« La cession de créance s’opère sans difficulté, mais la cession de dette est ignorée dans notre droit. (…) Est-ce la possibilité de l’une ou l’impossibilité de l’autre qui va déterminer le sort de l’opération globale ? ». Le principe d’incessibilité de la dette en droit français est reconnu depuis longtemps par la majorité (I), pourtant il n’a jamais fait l’objet de préoccupations législatives (II).

I / Un principe reconnu de longue date

La question de la transmissibilité des obligations est née dans le droit romain, où elle apparut d’ores et déjà comme un sujet controversé : faut-il ou non admettre la possibilité de transmettre un rapport d’obligation ? Les romains firent preuve de suspicion à l’égard de ce mécanisme et peu enclins à l’accueillir favorablement.

En effet, le droit romain, fort d’une conception très subjective de la notion d’obligation, voit en celle-ci un lien entre deux personnes. De fait, tout changement de l’une ou l’autre des parties à l’obligation (soit débiteur ou créancier) est regardé comme une rupture du lien d’obligation.

Mais l’évolution se fit ensuite ressentir lorsque l’on distinguât, à l’époque classique, la transmission à cause de mort et la transmission entre vifs de l’obligation, distinction fondamentale puisqu’elle est, aujourd’hui encore, appliquée dans notre droit.

1. La transmissibilité à cause de mort de l’obligation

Dans le droit romain, il fut un principe selon lequel, au décès d’une personne, le défunt et ses héritiers ne constituaient qu’une seule personne (l’héritier continuant la personne du défunt). Ainsi les patrimoines devaient se confondre et celui du défunt transiter vers celui des héritiers. Ceci se heurtait alors avec la conception précitée de la notion d’obligation : lien unique entre deux personnes, l’obligation ne pouvait, en dépit du décès, être transmise au créancier ou au débiteur sans que le lien d’obligation soit rompu. Que faire alors du patrimoine du défunt ?

C’est alors que l’on admit la transmissibilité du patrimoine après le décès, mais l’on évoqua alors la « transmission à titre universel » : il ne s’agit pas de la transmission d’une obligation de manière isolée mais confondue dans un tout que l’on appelle patrimoine, et qui comprend indifféremment créances et dettes du défunt.

2. La transmissibilité entre vifs de l’obligation

La transmission du patrimoine entre vifs n’est donc pas envisageable, à tout le moins elle n’est pas autorisée, dès le droit romain. Ainsi, les obligations, comprises dans la globalité que constitue le patrimoine ou prises isolément, ne pouvaient être transmises : on parle pour cette hypothèse d’interdiction de « transmission à titre particulier ».

« Tant que l’obligation resta conçue comme un pur rapport entre deux personnes il y eut une difficulté psychologique à l’imaginer transmissible » disait le doyen Carbonnier. L’admission de la transmissibilité de l’obligation est difficile en ce sens que celle-ci est, contrairement au droit réel (lui transmissible), attachée à la personnalité.

Ainsi, la transmission d’une obligation ne sera tolérée que lorsqu’elle sera davantage regardée comme une valeur patrimoniale que comme un lien personnel.

Une fois cette conception patrimoniale acquise, c’est la nature de l’obligation que l’on a étudiée et dans laquelle on a distingué créance et dette. Mais quelle que soit la conception retenue, l’intransmissibilité des dettes est admise, mais elle n’est pas réglementée.

II / Un principe dépourvu de fondement légal

« Nul ne peut être contraint à changer de débiteur sans y avoir consenti ». Si le principe d’intransmissibilité des dettes à titre particulier est ainsi largement considéré par l’ensemble du monde juridique en France, il convient pourtant de rappeler que l’on ne retrouve ce principe dans nul texte de portée générale.

Il n’y a donc pas de réglementation en droit français, mais cela ne signifie pas que c’est interdit. Il faut seulement trouver dans notre système juridique un procédé apte à réaliser un tel transfert. La stipulation pour autrui a souvent été invoquée par la doctrine. Il s’agit d’un contrat par lequel une personne, appelée stipulant, obtient d’une autre, le promettant, qu’elle exécute une prestation au profit d’une troisième, le tiers bénéficiaire. L’acceptation du bénéficiaire ne constitue pas une condition de validité mais une fois qu’elle est donnée, elle rend la stipulation irrévocable. Chacun des trois personnages impliqués est donc appelé à manifester sa volonté. L’opération ne sera valable qu’autant que le stipulant y justifie d’un intérêt (cause de l’opération).

Entre stipulant et promettant, la stipulation produit tous les effets classiques d’un contrat : en cas d’inexécution, le stipulant peut en exiger l’exécution ou agir en résolution. Entre promettant et bénéficiaire, le promettant a un droit direct contre le bénéficiaire : il peut lui réclamer directement l’exécution du contrat voire, le cas échéant, des dommages et intérêts. Les sommes seront alors directement versées dans le patrimoine du bénéficiaire sans transiter par celui du stipulant. Le problème, c’est que la stipulation pour autrui fait naître un droit nouveau au profit d’un tiers sur la base d’une convention conclue entre deux autres personnes. Juridiquement, le bénéficiaire ne succède donc pas au stipulant. Surtout, il n’y a pas de convention entre le bénéficiaire et le promettant : le bénéficiaire tire son droit du contrat conclu entre stipulant et promettant, et ce droit ne peut être mis en échec que par des exceptions et moyens de défense qui résultent de ce contrat. Or dans la transmission d’un droit ou d’une obligation personnel, la cause réside dans le contrat qui a été conclu entre le cédant et le cédé, et ce n’est pas la convention de transmission qui vient modifier cela. La cession de droit entraîne la transmission d’un rapport contractuel, alors que la stipulation pour autrui ne permet pas de réaliser une succession à titre particulier de l’obligation : c’est une obligation nouvelle. Selon Raymond Saleilles et Eugène Gaudemet, repris par Christian Larroumet, le but de la stipulation pour autrui n’est autre que de venir « greffer un droit nouveau au profit d’un tiers sur un contrat conclu entre deux autres personnes, et non la qualité de contractant, même si le bénéficiaire pourra acquérir la qualité de créancier du promettant, ce ne sera pas celle de cocontractant. Seul le stipulant aura cette qualité. Les deux obligations auront une vie juridique indépendante parallèle. La stipulation pour autrui ne permet en aucun cas de réaliser une succession à titre particulier de l’obligation. » . Il faut donc chercher ailleurs pour trouver un moyen de transmettre une dette. « Il ne paraît pas douteux que dès à présent en droit français en vertu du principe de liberté des conventions rien n’empêche les intéressés de réaliser une opération conforme à la notion de transport de dette. » . Ainsi, dès lors que les intérêts du cocontractant cédé sont protégés, sauvegardés, l’ordre public ne s’oppose pas à ce que les parties, par contrat, opèrent un transfert de dettes. Certains auteurs s’accordent à dire que ce qui est valable pour la créance doit l’être pour la dette, car chacune est un des termes de l’obligation. « La dette n’est que la créance envisagée au point de vue passif. Si la créance peut survivre au changement de créancier, la dette peut survivre au changement de débiteur. Donc reconnaître la possibilité de la succession à titre particulier aux créances, c’est logiquement reconnaître la succession à titre particulier aux dettes. Les législations modernes qui admettent la première sans la deuxième s’arrêtent en chemin » . Certes, la créance peut être transmise car elle constitue une valeur dans le patrimoine, mais elle n’est rien d’autre que le côté actif d’un rapport de droit. Il en est de même pour la dette qui constitue également un élément du patrimoine, au même titre que la créance. Par conséquent, rien ne s’oppose à sa transmission en tant que telle.

La cession de contrat procède donc à une cession de dettes. Ceci a pu poser quelques difficultés, mais il a finalement été admis que la dette, dans le cadre de la cession plus globale qu’est celle du contrat, soit transmise. Une fois cet obstacle surmonté, il en est un autre -et non des moindres- qui est survenu : le principe de l’effet relatif des contrats.

§ 2: Une entrave discutée au principe d’effet relatif des conventions

« Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. » . Ce texte nous conduit à observer le principe ( I ) et les dérogations ( II ) à la règle de l’effet relatif.

I / « Res inter alios acta alius nec nocere, nec prodesse potest »

Généralement, les parties doivent refermer le contrat sur elles-mêmes : les tiers sont hors de leur sphère d’action. Texte fondamental, l’article 1165 du Code civil pose le principe que le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes, et qu’il ne peut en produire à l’égard des tiers. Seules les parties au contrat peuvent devenir créancières ou débitrices, car elles seules y ont consenti.

L’article 1165 contribue à une double protection : d’une part, il protège les tiers en les empêchant d’être tenus par des obligations qu’ils n’ont pas contractées ; d’autre part, il protège les contractants d’une éventuelle immixtion dans leur sphère contractuelle.

Certains y voient une « préoccupation élémentaire d’indépendance des individus ». D’autres considèrent qu’il s’agit d’une « donnée socio-économique essentielle, selon laquelle on ne saurait aliéner sa liberté en vertu d’un contrat si on ne l’a pas voulu ».

On ne doit donc pas pouvoir s’ingérer dans les affaires d’autrui. Il y a certaines libertés de l’individu dont on ne peut passer outre. La liberté contractuelle en fait partie. Si « aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de liberté contractuelle » , il n’en demeure pas moins que le droit positif consacre depuis longtemps le dogme de l’autonomie de la volonté, duquel découle le principe de l’effet relatif. La volonté est souveraine pour entraîner la conclusion du contrat et pour déterminer les effets du contrat, c’est-à-dire les obligations qu’il crée ainsi que leurs modalités.

Ce principe de « souveraineté» de la volonté, et le terme est ici très significatif, résulte du droit canonique, lequel a privilégié la volonté contractuelle via la théorie des vices du consentement, le pacta nudum (respect de la parole donnée) et, enfin, le pacta sunt servanda (celui qui viole son engagement s’expose à des sanctions, parce qu’il a commis un pêché). La volonté autonome, souveraine, est donc une règle ancienne qui a su perdurer au travers des ans et des régimes. Elle repose essentiellement sur deux postulats : le libéralisme économique et un environnement philosophique individualiste et volontariste. L’individu ne doit jamais être obligé de contracter : il est libre de conclure ou de ne pas conclure un contrat. Il est impossible de lui imposer des obligations contre son gré.

Par ailleurs, la loi elle-même ne doit pas s’immiscer dans le contrat : ainsi la plupart des textes législatifs en matière contractuelle sont, il faut bien l’observer, supplétifs de volonté, et celle-ci peut y déroger. Ils sont « destinés à combler les lacunes de la volonté ».

A priori donc, la seule volonté suffit à former le contrat, indépendamment de l’accomplissement de toute formalité. D’où sa qualification de « toute puissante ».

« Autant on peut compter sur chaque individu pour défendre ses propres intérêts, autant il apparaît peu réaliste d’attendre de chacun qu’il défende les intérêts d’autrui comme les siens propres. Par conséquent, admettre qu’une personne puisse en lier une autre sans que celle-ci l’ait voulu, ce serait non seulement porter atteinte au principe de l’indépendance juridique des individus, mais encore risquer de mettre en place des rapports injustes ».

Expression d’un système philosophique, le principe de l’autonomie de la volonté n’a tout de même jamais eu de portée absolue en droit positif. Il convient ainsi d’en voir quelles sont les limites.

II / Des dérogations établies

Nous constaterons ici qu’au-delà des dispositions légales venant contrarier le principe d’effet relatif des contrats (1), il existe des théories doctrinales qui viennent également le remettre en cause (2).

1. Dérogations légales

En effet, la réalité est beaucoup plus nuancée. Depuis l’exaltation de la volonté contractuelle au XIXe siècle, le principe a toujours subi des atteintes. L’article 1165 du Code civil lui-même fait expressément état d’une dérogation : l’article 1121 du même code, soit le mécanisme de stipulation pour autrui. Il permet, comme nous avons pu l’invoquer, à des contractants de faire naître, par leur seule volonté, une créance au bénéfice d’un tiers. Un tiers va donc pouvoir réclamer l’exécution d’un contrat auquel il n’a pas été partie. Par ailleurs, des règles impératives ont toujours été admises en matière contractuelle, depuis 1804 : en France, le contrat est certes fondé sur la volonté des parties, mais ceci sous réserve des dispositions d’ordre public de la loi. Ainsi les parties doivent-elles se conformer aux bonnes mœurs, ou à un objet licite lors de la construction de leur contrat, sous peine d’annulation par le juge.

2. Théories doctrinales

Messieurs Flour, Aubert et Savaux indiquent que « le principe de l’effet relatif existe bel et bien, mais il n’a pas la portée absolue, ultra individualiste, qu’on lui a parfois prêtée abusivement ». « La cession de contrat est de ces exceptions au principe de relativité des conventions qui transforment un tiers en partie contractante ».

Messieurs Savatier et Vilar ne l’entendent pas ainsi : selon eux, le principe de l’effet relatif n’a de sens qu’à l’égard des conventions qui créent ou qui éteignent des obligations, et non à l’égard de celles qui transfèrent un droit. Dans une vente, il y a un transfert de propriété. Et bien, malgré l’article 1165 du Code civil, ce transfert de propriété sera opposable à tous. Les tiers devront respecter la propriété de l’acquéreur. Les contrats translatifs de droits sont donc opposables aux tiers  : « Dans la mesure où le contrat s’avère uniquement translatif de droit, il échappe complètement au domaine d’application de l’article 1165. » . En effet, on n’a jamais considéré la cession de créance comme une exception au principe d’effet relatif des conventions. Pourtant, dans cette opération, un tiers, le débiteur cédé, est tenu d’une obligation à l’égard d’une personne avec laquelle il n’a pas contracté, le cessionnaire. Mais l’article 1165 est hors de cause. Ici, l’obligation existait déjà. L’article 1165 interdit seulement de rendre un tiers créancier ou débiteur. Or dans une cession de contrat synallagmatique, d’une part, le cédé est déjà créancier et débiteur par l’effet du contrat cédé, auquel il est partie ; et d’autre part, le cessionnaire devient créancier et débiteur par l’effet du contrat de cession, auquel il est également partie . Christian Larroumet parle, lui, de « dirigisme contractuel » : le contrat ne serait plus le fruit des libres négociations entre les parties mais un contrat « dirigé », c’est-à-dire dont les conditions de formation, le contenu et les effets sont déterminés par la loi impérative et non supplétive . Il invoque notamment la notion d’ordre public de protection et illustre son propos de l’exemple du droit de la consommation, dans lequel les partenaires, il est vrai, n’ont que peu de marge de manœuvre du fait d’une législation lourde et technique. Le législateur s’immisce donc bel et bien ici dans la construction du contrat.

Ainsi nous observons que le principe d’effet relatif des contrats peut être atténué, et que les parties, sauf le respect des dispositions légales impératives, sont libres de construire leur contrat comme elles l’entendent et de lui faire produire les effets qu’elles désirent. Le principe énoncé par l’article 1165 du Code civil n’étant pas d’ordre public, elles peuvent donc l’écarter. Dès lors, il est tout à fait possible, si elles sont en accord, de faire produire au contrat des effets sur des tiers. La reconnaissance du mécanisme de cession de contrat en sera la preuve.

SECTION 2 : LA VICTOIRE D’UNE FIGURE CONTRACTUELLE RÉCENTE

La cession conventionnelle de contrat a récemment été reconnue par la jurisprudence en France ( §1 ), après l’avoir été dans certains pays voisins ( §2 ).

§ 1 : L’admission jurisprudentielle du mécanisme

C’est à l’interventionnisme législatif depuis le début du vingtième siècle que la cession de contrat doit les signes objectifs de sa promotion. Des contrats spéciaux toujours plus nombreux qu’il réglemente, le législateur envisage la cession pour l’imposer, l’interdire ou la limiter ( I ). C’est suite à ces réglementations éparses que la jurisprudence est venue admettre un principe général de cession conventionnelle de contrat ( II ).

I / Les prémices de la reconnaissance d’un mécanisme général

Il y a en droit français un certain nombre de dispositions qui font application de la notion de cession de contrat à des cas particuliers. Nous distinguerons ici les cessions conventionnelles accessoires à une autre opération juridique ( 1 ) des cessions conventionnelles isolées ( 2 ).

1. Les cessions de contrat globales, accessoires à une autre opération juridique

Nous évoquerons deux domaines : les assurances, et les sociétés en formation. Il faut évoquer en premier lieu la réglementation des cessions de portefeuille d’assurance. C’est une cession émanant de l’assureur : l’opération porte sur l’ensemble des contrats conclus par une société d’assurance. Ce mécanisme a été validé par une jurisprudence ancienne , mais l’on ne savait pas alors si le consentement de tous les assurés ( ici cocontractants cédés ) était nécessaire, comme l’exigerait le droit commun des contrats au titre de l’article 1134 du Code civil. Le décret du 14 juin 1938 admet ce type de cession sans le consentement des assurés mais soumet néanmoins l’opération à l’approbation du Ministre du travail, avec publication au journal officiel, pour opposabilité de la cession aux assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats, ainsi qu’aux créanciers. L’hypothèse inverse est également possible : il peut y avoir cession de contrat d’assurance de la part de l’assuré, en cas d’aliénation de la chose assurée . D’autre part, nous pouvons prendre l’exemple des actes conclus par les fondateurs d’une société, ceci avant l’attribution à celle-ci de la personnalité morale : on parle de « période de formation ». A défaut de personnalité juridique, donc de capacité juridique, la société en formation ne peut pas contracter. Au cours de cette période, les fondateurs accomplissent nécessairement les diverses formalités constitutives et concluront des contrats aux objets divers : recherches, études préalables, conclusion de baux, de marchés, ouverture d’un compte bancaire… . Quel avenir pour ces contrats lorsque la société sera constituée ? Ils devront être « repris » par la société. Une transmission des contrats s’avère, ici, indispensable. La reprise de ces contrats est un acte grave pour le créancier, puisqu’elle opère rétroactivement une substitution de débiteur. Elle est donc soumise à certaines conditions ( il doit s’agir d’un acte juridique conclu dans le strict intérêt de la société et au nom de la société en formation ), mais elle est possible.

2. Les cessions de contrat isolées

La cession de bail est un des exemples les plus remarquables de cession légale de contrat synallagmatique. Il offre la double particularité d’être ancien ( le tronc commun de la législation date de 1804 ) et de pratique courante. Le Code civil en son article 1717, alinéa 1°, en fait état : « Le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. ». Nous observons ici que le principe n’est autre que la liberté de la cession du contrat de bail, l’exception demeurant la prohibition expresse de la cession. La jurisprudence, un peu plus tard, viendra nous confirmer que la cession des droits résultant du bail emporte cession des obligations qui y sont inhérentes . On perçoit d’ores et déjà la nécessité naissante de créer un régime propre à la cession de contrat. Il convient, enfin, d’aborder l’hypothèse des « cessions de vente ». A priori, l’expression « cession de vente » semble curieuse. Car en effet, le transfert de propriété s’effectuant par le seul échange des consentements, la vente n’a pas vocation à s’inscrire dans le temps : c’est un contrat à exécution instantanée. Une fois qu’elle est intervenue, la propriété est passée des mains du vendeur aux mains de l’acheteur et toute « cession » du contrat de vente paraît inconcevable. Dès lors, on ne peut envisager un tel cas que si le transfert de propriété a été retardé. Le contractant initial peut-il se substituer un tiers entre le moment de la conclusion du contrat et celui du transfert de propriété ? A priori, rien ne s’y oppose : le cessionnaire devra alors exécuter les obligations, notamment de paiement du prix, directement auprès du contractant cédé. Et Monsieur Charles Vilar de nous préciser qu’ « il n’y a pas là de revente puisque l’acheteur cédant n’aura jamais été propriétaire » . Alors la propriété passera des mains du contractant cédé directement aux mains du tiers cessionnaire du contrat. Seul est donc cessible un contrat dans lequel le transfert de propriété a été différé, et ce contrat n’est cessible qu’autant que ce transfert n’a pas été réalisé, sinon il y a revente, laquelle est exclusive de cession de contrat. Quant à la cessibilité de la promesse unilatérale de vente, elle est établie par la jurisprudence depuis fort longtemps . Il ne s’agit pas d’une vente : le bénéficiaire a un simple droit de créance qu’il peut céder, sous le simple respect des formalités prévues aux articles 1689 et suivants du Code civil en matière de cession de créance.


Le problème, c’est que, de toutes ces dispositions fragmentaires, il est difficile de dégager des lignes directrices. Dès lors, il faut se pencher sur l’appréhension par le droit de la notion de cession de contrat en tant que telle.


II / La reconnaissance jurisprudentielle de la cession de contrat

La conception actuelle de la cession conventionnelle de contrat par la jurisprudence n’a pas toujours été : les juges ont d’abord perçu le contrat comme la somme de créances et de dettes ( 1 ), puis en sont venus à considérer le contrat comme un tout indissociable ( 2 ).

1. Une conception d’abord analytique de la cession de contrat

« La transmission à un tiers des obligations actives et passives, corrélatives, résultant, pour l’une des parties, d’un contrat synallagmatique tendant à une substitution de débiteur, n’est opposable à l’autre partie que si elle a été acceptée par cette dernière » . La Cour de cassation, en 1946, n’évoque pas la transmission d’un contrat mais « des obligations actives et passives » issues du contrat. C’est donc la théorie de la décomposition qui semble alors être retenue par la haute juridiction. Il ne s’agit donc pas de transmettre un contrat mais de transmettre les éléments qui le composent le rapport contractuel, à savoir créances, dettes, droits potestatifs. La transmission des créances ne pose désormais aucun problème dans notre droit. En effet, les articles 1689 et suivants du Code civil l’autorise et l’encadre. C’est la transmission des dettes qui soulève des difficultés. Elle est très débattue. La conception des droits anciens est fortement ancrée dans notre système juridique : l’obligation étant vue essentiellement comme un lien entre deux personnes, il est communément admis que la dette est une charge personnelle du débiteur originaire, qui reste nécessairement attachée à sa personne, qui ne peut passer sur la tête d’un autre sans se transformer. La personne du débiteur est donc de l’essence même de la dette : l’arrêt précise en effet que « à défaut de constatations précises, démonstratives de la volonté contraire des parties contractantes, la personnalité du débiteur d’une obligation ne saurait être présumée indifférente au créancier ». L’obligation en elle-même est donc intransmissible, sauf à obtenir le consentement du cédé. Quant à la transmission des droits potestatifs, enfin, la loi française est silencieuse. Le droit potestatif, c’est « le pouvoir par lequel le titulaire peut agir sur une situation juridique préexistante en l’éteignant, la modifiant ou même en en créant de nouvelles par une activité unilatérale. » . Eu égard au but qu’ils remplissent, ils ne peuvent normalement être exercés que par celui qui en est titulaire. Ce titulaire peut-il isolément céder ce droit potestatif ? A priori, non, car il n’y a pas d’intérêt à céder un droit potestatif isolément. Il ne sera cessible qu’avec la cession d’une situation juridique en fonction de laquelle il a été crée.

La théorie de la décomposition ne permet ainsi pas le transfert de tous les éléments d’un rapport contractuel. Pourtant, certains auteurs l’ont adoptée, et ont vu dans la cession de contrat, d’une part, une cession de créance pour transférer l’actif ; d’autre part, une délégation ou une stipulation pour autrui pour transférer le passif. Plusieurs raisons sont invoquées par les partisans de cette théorie . En premier lieu, il y a une raison psychologique à adopter ce système : on s’appuie sur des mécanismes déjà connus. Cela est plus sécurisant que de créer et utiliser une institution nouvelle, aux contours et aux effets incertains. Ensuite, il est argué que, le contrat comportant toujours un côté actif et un côté passif, seule une analyse dualiste de la cession est envisageable, et la théorie unitaire, visant le contrat comme un tout, s’avère inadaptée. Enfin, le seul Code civil qui traite cette question ( le Code civil italien ) adopte la théorie de la décomposition.

Mais, à la fin, cette conception n’était pas pertinente. Le contrat ne pouvant pas s’analyser comme une simple addition de créances et de dettes, et la jurisprudence évoluant, une nouvelle théorie est née : la théorie unitaire, ou moniste de la cession de contrat.

2. Une conception ensuite unitaire de la cession de contrat

« La cession d’un contrat synallagmatique permet au cédé de poursuivre directement le cessionnaire qui est tenu envers lui en vertu du contrat transmis » . La Cour de cassation affirme ici nettement l’originalité de la cession de contrat. Il ne s’agit plus de la cession d’une créance ajoutée à la cession d’une dette mais de la cession d’un tout : le contrat, entier. Nombre d’auteurs en droit français ont rejeté cette conception unitaire de la cession, car elle conduit à affirmer une unité matérielle du contrat, permettant de l’assimiler à une chose. Cependant, nous avons vu que la conception dualiste de la cession de contrat n’est pas pertinente, et qu’il faut, de fait, trouver un moyen de parvenir à une succession à titre particulier d’un rapport juridique pris dans son ensemble. « Bien qu’un des titulaires change, la rapport juridique reste le même » . « Nul besoin d’une convention spéciale qui s’interposerait entre le cédé et le cessionnaire et s’ajouterait à la cession de droit. L’acte unique de cession transmet et la créance et la dette » . L’objet même de la cession unique, c’est un contrat. Il n’y a donc pas deux consentements mais un consentement unique à une opération unique. Cet arrêt s’inscrit dans un mouvement de simplification des transactions, et fait preuve d’un certain renouveau de la jurisprudence en matière contractuelle.

Si la jurisprudence française a fini par reconnaître le principe d’une cession de contrat, ce n’est peut être pas sans avoir été influencée par certains droits étrangers qui, en la matière, nous avaient devancé.

§ 2 : L’influence de droits étrangers

Deux systèmes juridiques européens doivent être mentionnés, car précurseurs en la matière : le droit allemand ( I ) et le droit italien ( II ).

I / La reprise de dettes du droit germanique

En droit allemand, il n’y a pas de disposition spécifique à la cession de contrat mais il y a une réglementation de la reprise de dettes . De fait, la cession de contrat se fait par adjonction d’une cession de créance et d’une reprise de dette. C’est quant aux effets de la cession que le droit allemand mérite d’être cité : certes, le mécanisme prévoit l’adhésion du cocontractant cédé, mais d’une manière particulière et que l’on n’a jamais envisagé en droit français. L’adhésion du cédé intervient par le biais de la condition suspensive. Dès lors, si le cédé adhère à la cession, cette adhésion vaut confirmation rétroactive de la cession, et par là même, entraîne la libération du cédant et tous autres effets du contrat. De fait, entre la conclusion du contrat de cession et l’adhésion du cédé, seul le cédant est tenu envers ce dernier. Toutes les exceptions qui, dans l’intervalle auraient pu naître au profit du cédant contre le cédé lui seront inopposables par le cessionnaire : le cédant n’étant plus débiteur dès la conclusion de la convention de cession, aucune exception ne peut naître à son profit dans ses rapports avec le cédé. Par contre, les exceptions qui auraient pu naître dans ce même intervalle au profit du cessionnaire dans ses rapports avec le cédé seront opposables par ce dernier car c’est lui le débiteur du cédé dès le jour de la conclusion de la convention de cession. À l’inverse, s’il n’y consent pas, rien ne se passe, et la convention de cession intervenue entre le cessionnaire et le cédant est rétroactivement anéantie. L’opération entière tombe alors. Le Code civil allemand ne fait donc pas de l’adhésion du cédé une condition substantielle de l’existence de la convention de cession, mais fait de la libération du cédant l’objet et l’effet essentiels de la convention de cession. L’effet rétroactif de l’adhésion du cédé présente un avantage : il permet une plus grande unité de l’opération.

La cession de contrat, à travers l’admission de la cession de dette, est ainsi admise en droit allemand. Elle est réglementée à part entière dans le droit italien.

II / La cession de contrat en droit italien

On trouve des dispositions du Code civil italien propres à la cession de contrat, aux articles 1406 et suivants, sous un chapitre entier dédié à « la cession de contrat ». « Pourvu que l’autre y consente, chaque partie peut se substituer un tiers dans les rapports dérivant d’un contrat avec prestations correspondantes, si celles-ci n’ont pas encore été exécutées » . En Italie, la notion de cession de contrat est donc légalement définie. Jusqu’ici, aucun problème ne se pose. Ce sera dans les effets de la formule que les troubles vont apparaître. En effet, le Code italien prévoit que la libération du cocontractant cédant n’interviendra que dès lors que la substitution sera efficace à l’égard du cocontractant cédé. Mais comment parvenir à cette efficacité ? Si le cédé adhère purement et simplement à la cession sans se réserver de droit contre le cédant, la loi présume irréfragablement que le cédant soit libéré . Si le cédé n’a pas entendu libérer le cédant, et que le débiteur ( cessionnaire ) est défaillant, alors le cédé devra toutefois donner connaissance au cédant de l’inexécution du cessionnaire dans les quinze jours après constatation de l’inexécution contractuelle, et celui-ci devra en répondre. On ne peut donc que constater que l’Italie connaît en matière contractuelle un mouvement d’objectivation certain, le principe étant la liberté et l’exception, la restriction. La cession de contrat y est conçue comme une opération unique, produisant un effet indivisible : la substitution simultanée dans l’ensemble du rapport contractuel. De la sorte, on ne transmet pas simplement les créances et les dettes mais également les « diritti potestativi » . La doctrine italienne demeure pourtant divisée. La théorie de Nicolo , déjà, part du postulat que c’est la libération du cédant qui est recherchée en premier lieu par les parties. Nicolo n’envisage pas la cession de contrat comme une transmission de droits et d’obligations mais comme une persistance de l’activité juridique qui avait donné naissance au contrat originaire : c’est la théorie unitaire de la cession de contrat. Il n’y a donc pas de transfert des éléments actifs et passifs des rapports juridiques contractuels mais renouvellement vis-à-vis d’une autre personne d’un mécanisme juridique déterminé. Mossa , ensuite, et suivi de Puleo , voient également en la cession de contrat un phénomène unitaire, produit essentiellement par un acte de disposition unique sur le complexe des rapports juridiques que constitue le contrat. Par conséquent, on ne peut pas décomposer le rapport contractuel aux fins de sa transmission. Enfin, Finzi, inspiré des théories allemandes de Demelius et Stammler, adopte une analyse dualiste de la cession de contrat, dite aussi théorie de la « décomposition ». Cette analyse conduit à affirmer que la cession de contrat n’est autre qu’une cession de créance à laquelle s’ajoute une cession de dette. La cession de contrat synallagmatique serait donc un acte juridique unique mais qui contiendrait deux opérations juridiques différentes. On se rapproche ici de la théorie du français Charles Lapp.

La cession de contrat, dans son principe est, en France comme chez certains de nos voisins, reconnue par la majorité. Des divergences apparaissent pourtant quand il s’agit de qualifier l’opération, provoquant ainsi des incertitudes et ambiguïtés jurisprudentielles. C’est ce qu’il convient d’étudier à présent.

CHAPITRE 2 : DES INCERTITUDES PERSISTANTES

Les doutes suscités par la jurisprudence sont de deux ordres : ils sont, d’une part, liés à la notion même de cession de contrat ( section 1 ), et, d’autre part, relatifs à l’intervention du contractant cédé à l’opération de cession ( section 2 ).

SECTION 1 : INCERTITUDES INHERENTES A LA NOTION DE CESSION DE CONTRAT

Une date a suffi à semer le trouble chez les civilistes : le 12 décembre 2001. Un arrêt de la Chambre commerciale avant lequel, l’autonomie de la cession conventionnelle de contrat n’était plus discutée ( section 1 ), et depuis quoi cette autonomie est profondément remise en doute ( section 2 ).

§ 1 : La cession conventionnelle de contrat avant le 12 décembre 2001 : une autonomie certaine

L’autonomie de l’opération de cession de contrat est apparue dès lors que la conception analytique est devenue minoritaire dans la doctrine française . En effet, le temps passant et les rapports sociaux évoluant, le contrat s’est vu conférer une autre image, plus objective. On ne voit plus le contrat comme des créances et des dettes mais comme un ensemble d’éléments indissociables, un tout. La cession de contrat apparaît donc utile ( I ) et devient alors possible ( II ).

I / L’utilité de l’opération

« Seule la cession conventionnelle de contrat permet de remplacer une partie contractante par un tiers sans modifier la substance du contrat. Les mécanismes connus du droit positif, qui supposent la formation d’un contrat nouveau, ne permettent pas d’atteindre ce résultat » . La cession conventionnelle de contrat est utile en ce sens qu’elle permet l’opposabilité des exceptions inhérentes à la formation du contrat cédé entre le cédé et le cessionnaire ; et qu’elle permet de maintenir les caractéristiques de la position contractuelle cédée. La cession conventionnelle du contrat permet la transmission d’un rapport contractuel et, de fait, ne remet pas en cause l’existence du contrat. L’échange des consentements intervenu entre le cédé et le cédant demeure donc valable, et détermine la validité de ce contrat qui unit désormais le cédé et le cessionnaire. Les exceptions inhérentes à la formation du contrat entre cédé et cédant peuvent ainsi être invoquées par le cessionnaire à l’encontre du cédé, et inversement. En effet, le cessionnaire n’étant autre que l’ayant cause du cédant, il dispose des mêmes armes que son prédécesseur. Toutefois, il faut ajouter que les exceptions qui sont visées ici ne sont que les exceptions inhérentes au contrat, et non les exceptions attachées à la personne du cédant ( elles ne sont pas transmises avec le contrat car elles sont personnelles ). Par ailleurs, l’effet translatif de la cession conventionnelle de contrat permet le maintien des caractères de la position contractuelle. Ainsi, sauf modification prévue par la convention de cession, la cession de contrat ne produit en soi aucun effet sur la durée du contrat . La doctrine est toutefois divisée sur ce point . Ici il faut laisser place à la liberté contractuelle et le soin aux parties à la convention de déterminer si la cession aura ou non un effet sur la durée du contrat transmis. Enfin, et dans le même registre, on peut s’interroger sur l’utilité de la cession en matière de loi applicable au contrat. En effet, si l’on considère que le mécanisme de cession de contrat entraîne création d’un nouveau contrat, alors la loi applicable à ce deuxième contrat sera celle en vigueur au jour de sa conclusion. Mais si la cession est regardée comme translative, et que le même contrat perdure, alors la loi applicable sera celle en vigueur au jour de la conclusion du contrat cédé ( on ne peut pas parler de premier contrat ni de contrat initial étant donné que dans cette hypothèse il n’y en a qu’un seul ).

La cession conventionnelle de contrat est donc bel et bien utile. Elle permet d’éviter d’avoir à subir ou procéder à de nombreuses modifications contractuelles. Effectivement, si les parties entendent procéder à la transmission d’un contrat, c’est que les termes de celui-ci conviennent et sont acceptés par le cessionnaire. Dès lors, pourquoi la création d’un nouveau contrat ? La cession conventionnelle doit être possible.

II / La possibilité de l’opération

Si la cession conventionnelle de contrat contredit a priori des principes fondamentaux du droit des contrats, nous avons toutefois vu que ces principes peuvent être détournés, et que, dans l’état du droit positif actuel, ils sont détournés. Elle a d’ailleurs été fréquemment reconnue par la jurisprudence, sous la réserve de l’acceptation du contractant cédé .

L’objectif de l’opération étant de « lier le patrimoine et la personne du cessionnaire au patrimoine et à la personne du cédé » , le cédé doit, une fois la cession intervenue, considérer le cessionnaire comme son débiteur et créancier. Mais pour que le contractant cédé soit juridiquement lié au cessionnaire, il va devoir intervenir, même a posteriori, à la cession. En effet, étant donné que le contractant cédé est simultanément débiteur et créancier, il faut lui assurer une protection et donc lui réserver le moyen de s’opposer à l’opération. Deux hypothèses apparaissent alors.

Le contractant cédé adhère pleinement à la cession. C’est une cession « parfaite » par l’intervention de laquelle la personne du cessionnaire sera devenue la seule créancière et débitrice du cédé. La convention de cession est ici valable, le cédant libéré.

Le contractant cédé peut, par ailleurs, ne pas adhérer à la cession. Dans une telle hypothèse, la cession sera dite « imparfaite ». Elle produira tous ses effets entre le cédant et le cessionnaire mais ce ne sera pas le cas vis-à-vis du cédé. Le cédé n’ayant pas accepté la substitution, le cédant restera tenu aux côtés du cessionnaire. Le cessionnaire exécutera tout de même les obligations qui lui auront été transférées , mais le cédant, débiteur initial du contractant cédé, devra exécuter ces obligations en cas de défaillance du cessionnaire. La convention de cession reste valable, mais elle ne produit pas ses pleins effets : le cédant ne sera pas libéré.

En toute hypothèse, une substitution totale ne pourra pas intervenir sans le consentement du contractant cédé. La convention de cession n’en demeure pas moins valable, il s’agira alors d’un simple problème d’opposabilité à l’égard du cédé. Mais de par son effet translatif d’un rapport contractuel, la formule de cession de contrat ne saurait être assimilée à diverses institutions juridiques dont l’utilisation ne permettrait pas d’atteindre l’effet escompté, à savoir la transmission d’un ensemble de droits, prérogatives, obligations. Le lien de droit qui va unir le cessionnaire au cédé aura exactement la même consistance que celui qui unissait cédant au cédé.

La cession de contrat apparaît donc bel et bien comme une institution autonome, en toute hypothèse jusqu’à la survenance d’une récente décision.

§ 2 : La cession conventionnelle de contrat depuis le 12 décembre 2001 : une autonomie remise en cause

Le 12 décembre 2001, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation vient appliquer le régime de la délégation dans une affaire où un contrat avait été cédé ( I ). Cette décision a provoqué un grand émoi dans la doctrine française ( II ).

I / Un recours au régime de la délégation

En 1986, une convention d’intervention d’architecte est conclue entre la société de construction française ( SCF ) et messieurs Miranda, Saada et Lanteri, architectes, lesquels étaient chargés d’une mission de maîtrise d’œuvre en vue de la construction d’un groupe d’immeubles. Cette convention comprenait la faculté pour la SCF de céder sa position contractuelle à un tiers, donc de procéder à une cession de contrat. Ainsi, la SCF s’était substituée une société civile immobilière ( SCI ) « Les terrasses de Thalassa » , aux droits de laquelle vient la société en nom collectif Thalassa. Au vu des études préliminaires effectuées, le projet s’est avéré ne pas être réalisable ; mais les architectes ont tout de même réclamé le paiement d’un solde d’honoraires auprès de la SCF.

Le 21 octobre 1999, la Cour d’appel d’Aix en Provence déboutait les architectes de leur demande au motif que la SCF s’était substituée la SCI dans l’exécution de ses obligations, conformément à la faculté qui lui était réservée conventionnellement, et que la SCI avait accepté d’être la seule interlocutrice des architectes. Ainsi la Cour d’appel décidait que la clause par laquelle le créancier consentait par anticipation à la cession entraînait cession parfaite, soit que le cédant, une fois la cession intervenue, était libéré de ses obligations inhérentes au contrat cédé. Ce ne fut pas la position prise par la troisième chambre civile. Le 12 décembre 2001 , et en se fondant sur l’article 1275 du Code civil relatif à la délégation, elle a jugé du maintien de l’obligation du cédant en cas de seule acceptation par le créancier de la substitution d’un nouveau débiteur. Ce qui va nous intéresser ici, c’est effectivement le visa de l’arrêt, et la reprise expresse exacte de l’article 1275. Cette solution n’est pas une nouveauté, la Cour de cassation s’étant déjà déterminée au visa de cet article dans un arrêt discret en 1946 , dans un litige relatif à la transmission des obligations actives et passives résultant d’un contrat synallagmatique. La Cour de cassation ne fait donc pas de distinction majeure entre les mécanismes de délégation et de cession de contrat.

Alors qu’elle était désormais communément admise, l’autonomie de la cession de contrat vient d’être remaniée. Cette position est discutable et discutée.

II / Une assimilation difficile

Le recours au régime de la délégation dans le cadre d’une cession de contrat a pu faire le bonheur de certains auteurs. Mais ils restent minoritaires. « Dès lors que la Cour de cassation impose le consentement du cédé comme élément constitutif de la substitution, elle en fait une opération juridique à trois personnes qui rend légitime et rationnel le recours à la délégation (…) »  : les opposants de la cession de contrat se réjouissent effectivement de la solution du 12 décembre 2001. Car cette position n’entraîne pas d’effet extinctif immédiat. En effet, la délégation, en l’absence de stipulation contraire, est présumée simple et non novatoire. Par conséquent, elle n’emporte pas libération des débiteurs primitifs et aucun lien n’apparaît entre l’acceptation du nouveau débiteur et la libération de l’ancien. Il n’y a pas de renonciation du créancier à ses droits antérieurs. De plus, la Cour reconnaît toutefois la possibilité au créancier de libérer conventionnellement le débiteur s’il le souhaite. La convention de cession demeure valable mais inopposable au cédé : c’est une cession imparfaite. « En soi, l’assimilation de la cession de contrat à une délégation simple ( imparfaite ) n’est pas néfaste » , car elle préserve les intérêts des parties initiales du contrat : le cédé se voit adjoindre un nouveau contractant sans perdre l’ancien ; et le cédant acquiert la faculté de se substituer un tiers au cas où il ne souhaiterait plus exécuter le contrat. Et si cette décision fait le bonheur de quelques uns, elle laisse perplexe de nombreux autres. Pour ces derniers, la Cour de cassation « a dénaturé totalement la cession de contrat » . Si le dispositif de l’arrêt leur paraît très légitime, c’est le visa qui pose problème, car « la délégation n’a rien à voir avec la cession de contrat » . En effet, la délégation contribue à créer soit une superposition de deux obligations si elle n’est pas novatoire, soit création d’un engagement nouveau donc d’une obligation nouvelle si elle est novatoire. Elle se situe, dans les manuels de droit des obligations, au sein des sections relatives à la « transformation de l’obligation », alors que la cession est répertoriée dans la « transmission de l’obligation » . Pourtant, l’opération de cession de contrat n’est que la transmission d’un rapport contractuel d’une tête sur une autre : elle ne la transforme pas. En d’autres termes, la délégation ne permet pas de réaliser une succession à titre particulier de l’opération. Dès lors, il n’était pas nécessaire pour la Cour d’appliquer à un mécanisme simple un régime spécial qui n’est pas conçu pour lui, quand elle sait pertinemment que la même solution aurait pu être atteinte sans cela ( à savoir la nécessité du consentement du cédé afin de libérer le cédant ). Le principe général selon lequel on ne saurait être privé de son débiteur sans y avoir consenti, corollaire de l’article 1134 du Code civil, aurait largement suffi. En somme, quitte à se conformer à sa jurisprudence antérieure, la troisième chambre civile n’avait pas besoin de faire du zèle.

L’autonomie de la cession conventionnelle de contrat est donc revenue dans le débat, mais un débat théorique. Plus pratique est celui touchant à l’intervention du cédé dans la cession.

SECTION 2 : INCERTITUDES RELATIVES A LA PARTICIPATION DU CONTRACTANT CÉDé A L’OPÉRATION

Le contractant cédé n’est pas partie à la convention de cession, pourtant il en subit les effets. C’est pourquoi la jurisprudence a exigé son intervention : il convient d’en voir successivement les modalités ( I ), et la portée ( II ).

§ 1 : Les modalités d’intervention du contractant cédé

Le contractant cédé doit dans un premier temps être informé ( I ), et il doit ensuite intervenir pour donner effet à la cession ( II ).

I / L’importance capitale du rôle de l’information dans la cession

Le rôle de l’information va s’accentuant, ces dernières années, et ce à tous les stades de l’opération : avant, au cours de la cession et après celle-ci.

Préalablement à la cession, l’information peut intervenir lors de la construction du contrat. Il s’agira alors de prévenir un éventuel contentieux en anticipant le risque que pourrait causer une cession de position contractuelle. On donnera alors, d’une part, des informations sur la cessibilité du contrat. Parfois le législateur impose la cessibilité du contrat à l’une des parties , parfois il laisse aux parties le soin de se prononcer sur ce point. En toute hypothèse, et dans l’idéal, celui qui est sur le point de s’engager doit savoir si le contrat est ou n’est pas cessible. Mais si l’information sur la cessibilité est souvent nécessaire, elle n’est pas nécessairement suffisante, et, ainsi, doivent alors apparaître des informations sur les conditions de la cession .

En effet, l’information relative aux conditions de la cession peut s’avérer utile. Car si les parties acceptent le principe de la cessibilité du contrat, ce n’est peut être pas sans inquiétude. Dès lors, il serait opportun de soumettre cette faculté à certaines conditions, telles que, à titre d’exemple, les compétences professionnelles de la personne cessionnaire. Il faut donner au partenaire toutes les informations nécessaires à une connaissance exacte des conditions de la circulation du contrat. Marie-Laure Izorche fait ici un parallèle avec l’obligation de renseignement qui pèse sur le vendeur : « Si l’on considère que la cession de contrat est comparable à la vente d’un bien quelconque, le cédant serait alors tenu « d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige », ainsi que le prévoit l’article 1602 du Code civil. » . Elle met également l’accent sur l’importance, au point de vue économique, de l’élément de la cessibilité dans la prise de décision. Une fois le principe de cessibilité du contrat exposé, le décor est planté et les parties ne sauraient être regardées comme ignorantes d’une potentielle cession.

C’est donc désormais vers la cession stricto sensu qu’il faut se tourner : il ne s’agit plus de savoir si le contrat est cessible mais si le contrat fait l’objet d’une cession. Généralement l’information de l’existence de la cession auprès du cédé est considérée comme nécessaire : il doit en effet savoir auprès de qui il doit exécuter son obligation. Cette information peut-elle toutefois se substituer au consentement du cédé ? Un arrêt de la Cour d’appel de Paris a reproché au cédant, malgré le caractère intuitus personae du contrat, de ne pas avoir informé le cédé de l’intervention de la cession, mais en aucun cas de ne pas avoir requis son consentement. Ici l’information semblait donc suffire à la validité et l’opposabilité au cédé de la cession.

Enfin, l’information postérieure à la cession. Le problème, c’est que le contractant cédé est exposé à certains risques du fait de la cession de contrat. Il faut savoir ici si le cédant reste tenu ou non, et si oui à quel titre ( solidarité, cautionnement … ), afin que l’exécution du contrat postérieurement à la cession soit assurée.

De fait, et pour préserver la sécurité du contractant cédé, son intervention va être nécessaire à libérer le cédant.

II / L’indispensable intervention du contractant cédé dans le cession

Il est une jurisprudence constante selon laquelle si, certes, la cession de contrat est possible et utile, elle ne peut l’être qu’avec une intervention du cédé.

La Cour de cassation, dans un arrêt très remarqué du 7 janvier 1992 , avait admis la possibilité de la cession d’un contrat conclu en considération de la personne du débiteur, à la condition toutefois que le cocontractant cédé y ait consenti. Nous pouvons observer à travers cette solution que l’intervention du cédé revêt une grande importance : en effet, la seule volonté du contractant ( créancier ) cédé peut permettre la cession d’un contrat qui, a priori, est inaliénable puisque conclu intuitus personae ! La controverse était alors née : une interprétation a contrario de cette solution permettait aux partisans de la cession conventionnelle de contrat d’en déduire que l’intervention du cocontractant cédé n’était pas indispensable si le contrat n’était pas conclu en considération de la personne. Et la jurisprudence des juges du fond a pu, parfois, incliner en faveur de cette dernière interprétation.

Ainsi, la Cour devait elle apporter une réponse claire à une question qui n’était traitée qu’avec peu de certitudes. Ce fut fait le 6 mai 1997, par deux arrêts au travers desquels la chambre commerciale venait confirmer la solution amorcée en 1992 : désormais il est absolument nécessaire de requérir, par anticipation ou ultérieurement, le consentement de la partie cédée à l’opération de cession , quelle que soit la nature du contrat, à savoir conclu en considération de la personne ou non. La cession de contrat requiert donc le consentement du cocontractant cédé. Ce consentement peut être donné soit par anticipation , c’est-à-dire lors de la conclusion du contrat objet de la cession, par une clause de cession, soit ultérieurement, lors de la conclusion de la convention de cession entre le cédant et le cessionnaire, ou encore postérieurement à cette conclusion.

Si le consentement de la partie cédée est donné par anticipation lors de la conclusion du contrat, et sans réserve particulière, la cession est opposable au cédé du seul fait de la cession . Dès lors qu’il accepte la faculté de cession du contrat par son partenaire dans le contrat initial, le cocontractant cédé est obligé envers le cessionnaire si la cession intervient. Il ne pourra faire obstacle à la mise en œuvre de la cession. Si une telle faculté n’est pas accordée par le contrat initial, la cession ne sera opposable au cocontractant cédé qu’après que celui-ci aura adhéré à l’opération.

Dans l’ensemble de la doctrine, cette solution paraît plutôt bien accueillie : « exiger le consentement du cédé, ce n’est pas restreindre la mise en œuvre de la cession conventionnelle du contrat, ni entraver sa prétendue « circulation », c’est laisser ouvertes toutes les situations factuelles, et favoriser en définitive la liberté contractuelle. » . Seuls les irréductibles objectivistes de la cession de contrat considèrent cette solution inopportune .

Dans l’état actuel du droit positif, l’adhésion du cocontractant cédé est donc nécessaire à la réalisation de la plénitude des effets de la cession conventionnelle de contrat.

De fait, « le consentement du cédé apparaît en tout état de cause nécessaire pour préserver un équilibre entre le caractère patrimonial du contrat et le lien qu’il engendre entre deux personnes » . La portée de cette intervention doit toutefois désormais être précisée.

§ 2 : La portée de l’intervention du contractant cédé

La majorité de la doctrine s’accorde à dire que « la volonté de libérer le cédant doit présider à l’émission de leur consentement » . C’est la volonté de libérer le cédant qui va déterminer si les parties ont entendu opérer une véritable cession de contrat ou une simple cession de créance. Dès lors, il est possible de s’interroger sur le moment de la participation du contractant cédé ( I ), mais également sur l’autorité de son adhésion ( II ).

I / Intervention anticipée ou intervention a posteriori ?

La question du consentement anticipé à l’opération de cession est très discutée. L’arrêt de la Chambre commerciale du 6 mai 1997 pose la reconnaissance par les juges de la faculté de prévoir un consentement anticipé ( soit dès la conclusion du contrat objet de la cession ) à une éventuelle cession de position contractuelle. L’opportunité de cette solution est lourdement remise en cause par certains auteurs, pourtant partisans du mécanisme de cession conventionnelle de contrat. L’argument est admissible : « D’un côté, elle affirme que le principe de la cession conventionnelle de contrat suppose nécessairement le consentement du cédé potentiel parce que, la personne du cocontractant étant fondamentale, il est inconcevable de se voir imposer un nouveau cocontractant en l’absence de manifestation de volonté en ce sens (…). De l’autre, la Cour admet qu’il suffit que ce consentement soit donné lors de la conclusion du contrat cédé, c'est-à-dire à un moment où l’identité du cessionnaire est inconnue et où, par conséquent, les risques de la cession sont insondables ! » .

D’autres, au contraire farouchement opposés à l’opération de cession, admettent paradoxalement cette position : subjectivistes effarouchés du contrat, ils admettent la possibilité d’un consentement anticipé : « puisqu’il y a déjà consenti, le nouveau contractant ne lui sera pas imposé contre son gré. Il n’y a donc aucune contradiction. » . En effet, en autorisant de façon anticipée la cession, le cédé fait état de son indifférence pour la personne de son cocontractant. C’est en connaissance de cause qu’il prend le risque de l’exécution du contrat par un tiers. Il n’y a donc pas de danger : ce risque relèvera de sa seule responsabilité.

Par ailleurs, les contractants primitifs ont toujours la possibilité de subordonner cette cession à certaines conditions. C’est la liberté contractuelle qui, ici, prévaut.

D’autre part, si ces contractants n’ont rien prévu dans le contrat cédé, alors l’intervention du cédé sera nécessitée ultérieurement, au moment ou même après la cession. Cela est certes plus risqué pour le cédant mais le cédé aura alors un droit de regard plus grand sur la personne du cessionnaire, qu’il pourra toujours ne pas accepter. S’il ne l’accepte pas, le cédant restera tenu à coté de lui, mais celui-ci pourra toujours exécuter les obligations du cédant à la place de celui-ci. Simplement, la cession demeurera imparfaite. « Et tant pis pour les contractants imprévoyants ou mal conseillés qui consentiront au principe de la cession dans l’enthousiasme de la conclusion du contrat et s’en remettront à la loyauté de leur cocontractant pour que ce dernier en détermine, seul, les modalités. » .

Le cocontractant cédé peut ainsi intervenir à plusieurs moments, en amont ou en aval de la cession. Son adhésion peut être nuancée : il peut s’agir d’une simple acceptation comme d’un véritable consentement. Cette précision est importante à apporter puisque de là dépendent différents effets de la cession.


II / Simple acceptation ou véritable consentement ?

L’adhésion de cédé lorsqu’elle est faite sans réserve emporte t elle nécessairement la libération du cédant ou cette libération doit-elle expressément accordée par le cédé ? En clair, la libération du cédant est-elle un effet nécessaire de l’adhésion du cédé ou est-elle indépendante de cette adhésion ?

Tout en acceptant le cessionnaire comme cocontractant, le cédé peut refuser de libérer le cédant ou le maintenir à titre de garant ou de caution de la solvabilité du cessionnaire. Il y a donc des degrés d’intervention du cédé. Le cédé peut se contenter d’accepter simplement le cessionnaire, sans décharger le cédant. Alors cette adhésion est d’une mince utilité : elle permettra tout au plus au cédant de contraindre le cédé à s’adresser d’abord au cessionnaire, puis de se retourner vers lui uniquement en cas de défaillance de celui-ci. Mais ce n’est pas la ratification du cédé qui fait naître son droit à l’encontre du cessionnaire : ce droit naît de la convention de cession intervenue entre le cédant et le cessionnaire.

L’acceptation pure et simple présente toutefois un intérêt dans l’hypothèse où le contrat serait marqué d’intuitus personae ou frappé d’incessibilité : dans ce cas, l’adhésion du cédé à la cession permettrait de surmonter l’obstacle que constitue l’incessibilité du contrat à céder.

Enfin, le cédé peut consentir véritablement à la cession : l’acceptation du cessionnaire va entraîner la libération du cédant et la cession sera alors parfaite. La substitution de personne sera, ainsi, complète et définitive.

Certains auteurs lient l’effet de l’adhésion du cédé à l’opération à l’information octroyée au cocontractant cédé : « si le cédé n’est pas informé par le cédant ou par le cessionnaire du but poursuivi par les deux parties, qui est de parvenir à la libération du second après l’établissement d’un lien de droit entre le premier et le troisième, il est difficile de considérer que l’adhésion à la cession entraîne effectivement cette libération de plein droit. Par conséquent, il faudra que le cédant consente expressément à cette libération. » . A contrario, si le cédant et le cessionnaire ont informé le cédé qu’ils entendaient libérer le cédant, et que le cédé a consenti, voire même seulement accepté la cession, la libération sera alors une conséquence automatique de la cession, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un accord spécifique exprès du cédé. Si le cocontractant cédé ne veut pas libérer le cédant, il devra alors expressément en faire état.

En guise de compromis, afin de protéger les intérêts du cocontractant cédé, il paraîtrait opportun et efficace de soumettre la cession conventionnelle de contrat, sinon au consentement du cédé, au moins à son autorisation . Ainsi respecterait-on la conception objective du contrat car le principe de cession conventionnelle du contrat sans le consentement du cédé serait admis, mais on respecterait par ailleurs la conception subjective puisque la mise en œuvre de la cession sera contrôlée doublement : par le contractant cédé et par le juge, lequel serait en mesure de contrôler l’abus dans le refus du cédé. Le cessionnaire est donc devenu créancier et débiteur du cédé avant que le cédant ne soit complètement sorti du rapport de droit ( il en est sorti en qualité de créancier mais pas en qualité de débiteur ). C’est une situation provisoire, à laquelle l’intervention du cédé va mettre fin.

La question de l’intervention du cédé à la cession n’est donc pas tranchée, à tout le moins diverses alternatives s’offrent à lui.

Dès lors que le créancier cédé a la faculté d’accepter ou de rejeter une opération qui pourrait s’avérer dangereuse pour lui, aucun principe de notre droit ne vient prohiber la cession conventionnelle de contrat . Cette opération est donc possible et reconnue mais la plénitude de ses effets dépendra tout de même de la présence du consentement de la partie cédé. Ce sont cette participation et les conséquences qui en découlent qui vont engendrer un vaste débat doctrinal, qu’il convient à présent d’appréhender.

TITRE II : LE REGIME CONTROVERSE DE LA CESSION CONVENTIONNELLE DE CONTRAT

Maintenant que la cession conventionnelle de contrat est reconnue par les juges, ce sont les auteurs de doctrine qui en discutent. Certains l’admettent, d’autre pas, d’autres la subordonnent à diverses conditions… On peut véritablement parler d’une « hostilité » doctrinale (Chapitre 1) telle qu’il est difficile de savoir comment procéder lorsque l’on doit céder un contrat. Le contractant cédant sera-t-il libéré ? Ou restera-t-il tenu, mais à quel titre alors ?

Ainsi, la fin de cette étude sera consacrée à la manière dont on peut prévenir les problèmes liés aux effets de la cession de contrat (Chapitre 2), à savoir, majoritairement, le recours à la contractualisation de la potentialité d’une cession…


CHAPITRE 1 : LA FINALITE DISCUTEE DE LA CESSION CONVENTIONNELLE DE CONTRAT

« La bataille, intellectuelle s’entend, fait rage entre les auteurs qui, attachés à une conception subjective du contrat ( section 2 ), excluent l’idée même de cession conventionnelle de contrat, et ceux qui, partisans d’une conception objective de cette source d’obligations ( section 1 ), prônent l’admission de cette figure contractuelle. »

SECTION 1 : LA DOCTRINE OBJECTIVISTE : LA TRANSMISSION D’UN CONTRAT

Ici, nous trouverons principalement un auteur, qui, par l’originalité de sa position face à l’ensemble de la doctrine, fait preuve d’une grande audace. Laurent Aynès prône une théorie unitaire du contrat : il voit celui-ci tel un bien que l’on pourrait librement faire circuler, sans rencontrer d’obstacles quelconques (§1). Mais sa conception de la cession conventionnelle de contrat n’est pas sans présenter d’inconvénients, et demeure encore trop avant-gardiste pour être déjà admise dans notre droit (§2).

§ 1 : Une approche moderne de la matière contractuelle

« La cession de contrat permet la survie du contrat. »

Si la majorité des auteurs s’accorde à affirmer que la cession de contrat conduit à la disparition à terme, du contrat, parce qu’elle touche à ses éléments subjectifs, Laurent Aynès, lui, voit en l’opération un moyen de sauver le contrat, ou plutôt l’opération économique dont il est l’instrument ( I ). De fait, la cession conventionnelle de contrat ne saurait entraîner la libération du cédant ( ce n’en est pas le but ) ni entraîner l’extinction du contrat ( II ).

I / La cause du contrat au cœur du débat

« Toute personne qui consent à s’obliger envers une autre est déterminée par la considération d’un but quelle se propose d’atteindre par la voie de cette obligation. (…) Le but fait partie intégrante de la manifestation de la volonté créatrice de l’obligation. On peut même dire qu’il en est l’élément essentiel… L’obligation n’est qu’un moyen pour parvenir à un but. »

Le contrat apparaît ici comme le moyen de réaliser un objectif convenu entre plusieurs parties. Il est donc analysé comme un bien, c’est « l’instrument d’une opération économique »; « La cession de contrat exclut toute nécessité du consentement de la part du cédé : une fois qu’il l’a conclu, le contrat devient un bien distinct de sa personne que le cédant peut faire circuler à sa guise, si, du moins, sa cause perdure ».

Dès lors que c’est la réalisation de l’opération qui prime, peu importe que les parties restent ou changent. Laurent Aynès aborde ici de la notion de cause : il distingue pour cela les modifications objectives et les modifications subjectives du contrat. La cession de contrat, selon lui, concerne les modifications subjectives ; mais la cause du contrat est inchangée. En effet, rien n’impose que l’obligation soit un instrument pour les seules parties contractantes. Ainsi, elle peut perdurer entre un des contractants (cédé) et un tiers, devenu cessionnaire, pourvu qu’elle soit asservie au même but.

A contrario, quand la modification du contrat est une modification objective, c’est la cause du contrat elle-même qui change. Dans cette hypothèse la cession du contrat n’est pas imaginable et il faudra procéder à la création d’un nouveau contrat, comprenant une cause nouvelle, correspondante à l’opération envisagée.

La doctrine objectiviste voit en le contrat plus l’outil d’une opération économique qu’un véritable lien juridique entre deux personnes. De fait, la cession de contrat apparaît moins comme un mécanisme contraignant que comme un moyen de sortir d’une situation contractuelle sans issue dans laquelle l’un des partenaires ne serait plus en mesure d’exécuter ses engagements.

La notion de cause justifie donc la cession de contrat. Sans le maintien de la cause, le contrat aurait pris fin, et l’opération envisagée, échoué. Le mécanisme de la cession d’un contrat est donc bel et bien un mécanisme translatif : il permet la transmission d’une position contractuelle toute entière. Il ne crée pas de nouveau droit entre le cédé et le cessionnaire. En ce sens, il s’agit d’une solution adaptable aux situations respectives des parties et qui prend tout de même en considération les besoins de la personne.

II / L’absence d’effets libératoire et extinctif de la cession

« La libération du cédant n’est pas le but de la cession de contrat »

Selon Laurent Aynès, l’idée selon laquelle la cession de contrat intervient afin de libérer le cédant est fausse. Le cédant ne cède pas le contrat pour être libéré de ses obligations, mais parce qu’il ne poursuit plus le but qu’il poursuivait lors de la conclusion du contrat. « Il est faux de dire que les parties doivent être présumées avoir voulu une cession parfaite. Le cédant et le cessionnaire ne peuvent le vouloir, puisque la libération du cédant n’est pas en leur pouvoir. » . Alors, le régime de la cession de contrat doit être le même, que le cédant soit libéré ou ne le soit pas.

En France, et contrairement au droit italien, la libération du cédant n’est donc pas liée à la cession du contrat. Le cédant ne cède pas son contrat pour être libéré de ses obligations ; il pourrait obtenir ce résultat par une résiliation mutuu dissensu du contrat ( qui rend également nécessaire le consentement du cocontractant ). Mais ici, il s’agit de ne pas modifier l’opération économique envisagée, et donc poursuivre l’exécution du contrat, même au moyen d’une substitution de contractant. La personne des contractants s’efface derrière l’opération économique envisagée. Ainsi, seule l’hypothèse d’un contrat conclu en considération de la personne échappe au mécanisme de cession, car c’est alors la personne du cocontractant qui est la cause de la conclusion du contrat. Changer la personne du cocontractant reviendrait alors à modifier l’opération économique elle-même.

Ainsi, si l’on ne requiert pas ici le consentement du cocontractant cédé, c’est justement parce que cette libération du cédant n’est pas la cause du contrat. Dès lors que l’économie du contrat sera respectée, le cédant, en l’absence de consentement du cédé, qui ne s’avère ainsi aucunement indispensable, sera transformé de débiteur principal en débiteur subsidiaire. La transmission de la cause du contrat du cédant à son ayant cause est donc un fait qui s’impose au cédé. Le cédant, dépourvu alors des droits issus du contrat, est désormais obligé sans cause. Le cédé ne pourra donc agir contre le cédant qu’en cas de défaillance du cessionnaire, et le cédant, qui aura payé pour un autre, disposera d’un recours subrogatoire contre celui-ci.

Par ailleurs, « la cession de contrat, pas plus que la cession de créance, ne « crée » aucune obligation dans les rapports du cédé ou du cessionnaire »  : puisque, en vertu de l’article 1122 du Code civil, on est censé avoir stipulé pour ses ayants cause, c’est dans le contrat originaire cédé que se trouve la source des relations obligatoires du cédé avec le cessionnaire. En effet, comme le souligne Monsieur Weill : « certes, le cessionnaire réclamera le paiement au cédé ; mais ce dernier ne subit pas pour autant l’effet de la cession : il était débiteur antérieurement ». La cession de contrat n’a donc pas d’effet obligatoire, mais translatif. Elle ne crée rien : elle transfère.

Le consentement du cédé est, ainsi, doublement inutile à la réalisation de la cession, parce que la cession de contrat n’a pour effet ni la libération du cédant, ni la création d’une obligation. Il suffit, de fait, que le cédé ait connaissance de la qualité d’ayant cause du cessionnaire.

Voyons à présent comment Laurent Aynès justifie sa position.

§ 2 : Une justification discutable de l’objectivation du droit contractuel

Laurent Aynès met la cession de contrat au service de la force obligatoire des contrats ( I ), mais ceci n’est pas suffisant pour pallier les carences dont cette théorie fait preuve ( II ).

I / La cession conventionnelle de contrat au service de la force obligatoire des conventions

« La cession de contrat a pour objet de régler le sort de la force obligatoire du contrat, lorsqu’elle est menacée par un évènement qui s’impose au cédé »

Dans cette optique, céder le contrat permet d’éviter d’imposer sa résiliation au partenaire : « C’est la cession du contrat qui constitue parfois la condition de sa survie, parce qu’elle apparaît la seule alternative à son anéantissement » . Car ce que recherche avant tout l’individu sur le point de conclure un contrat, c’est la satisfaction de certains intérêts. Au regard du créancier, la satisfaction de ses intérêts par un tiers vaut toujours mieux que la disparition pure et simple du contrat. « Peu importe que le cocontractant change, du moment que la loi contractuelle demeure intangible. » . On voit bien ici que les auteurs de la théorie objectiviste confèrent aux stipulations contractuelles une importance capitale, supérieure même à la qualité des personnes qui se sont rapprochées via le contrat. La force obligatoire des conventions visée à l’article 1134 du Code civil aborde non pas la personne des cocontractants, mais surtout la survie du contenu du contrat. À n’importe quel prix, la loi contractuelle doit être respectée.

C’est la cause qui constitue ici le fondement de la force obligatoire des contrats : il faut éviter la disparition des contrats n’ayant pas épuisé leur objet en dépit du retrait de l’une des parties.

Cette vision des choses est discutable, car elle met de côté des considérations essentielles.

II / La déconsidération d’éléments fondamentaux

Sous couvert de faciliter la circulation des richesses, la théorie purement objectiviste de Laurent Aynès en oublie que si, certes, l’article 1134 du Code civil donne force obligatoire à la loi contractuelle, il n’en demeure pas moins que la personne des contractants semble considérée comme fondamentale depuis des décennies dans l’interprétation de ce texte. Si des parties se rapprochent, c’est non seulement dans l’objectif d’accomplir une certaine opération, mais c’est généralement aussi en considération de la personne de son cocontractant. Cette personnalité n’est que rarement totalement indifférente. L’article 1134 du Code civil, pilier du droit français des obligations, vise donc également la personne des contractants.

Cette théorie s’inscrit dans un mouvement contemporain de patrimonialisation du droit des obligations. Si une certaine objectivation de la notion de contrat est aujourd’hui nécessaire, elle ne doit toutefois pas être absolue. Cette objectivation est contestable car elle conduit à distinguer totalement la prestation économique de la personne qui l’accomplit. Mais si la cession conventionnelle de contrat est une opération à laquelle on a de plus en plus fréquemment recours, c’est que les contrats que l’on conclut sont de plus en plus souvent des contrats à exécution successive. Si, du reste, la personnalité du débiteur peut n’importer que peu dans les opérations ponctuelles, instantanées, sans grands enjeux, ce n’est pas le cas pour ce qui est des contrats ayant vocation à régir des relations de longue durée. Dans ce dernier type de contrat, les contractants s’intéressent toujours un minimum aux personnes à qui elles ont affaire. Or c’est le domaine majeur de la cession conventionnelle de contrat que le contrat à exécution instantanée. Ainsi, cette théorie, si elle présente de nombreux intérêts pratiques, notamment par le fait qu’elle permet de ne pas recourir au consentement de la partie cédée, n’apparaît pas toujours opportune. Elle illustre au demeurant un certain déclin des principes individualistes à l’heure actuelle.

Par ailleurs, il n’est que purement théorique que d’affirmer que le cédant ne cède pas son contrat pour être libéré de ses obligations mais pour assurer la survie de l’opération économique dont le contrat est l’instrument. Si le cédant veut sortir de la relation contractuelle qui l’unit au cédé, il ne voudra généralement plus être tenu par ce contrat. Quel intérêt d’en sortir si pèse toujours sur lui l’hypothèse d’avoir à exécuter l’obligation, même en tant que débiteur subsidiaire. Sans compter que, si tel était le cas, il faudrait ensuite exercer une action subrogatoire contre le cessionnaire… en bref, beaucoup de contraintes à supporter.

Cette doctrine présente des avantages incontestables dans la mise en œuvre de la cession de contrat, tels que l’absence de recours au consentement du cédé pour faire produire effet à la cession, mais ces avantages ne parviennent pourtant pas à lui conférer les faveurs des auteurs ni juges. Ceux-ci sont plutôt regroupés autour d’une conception plus subjectiviste, prenant plus grandement en considération la personne des contractants.

SECTION 2 : LA DOCTRINE SUBJECTIVISTE : LA TRANSMISSION D’UN RAPPORT CONTRACTUEL

Le subjectivisme constitue la doctrine prépondérante en matière de cession conventionnelle de contrat. Nous verrons toutefois qu’un excès de subjectivisme contribue à ne pas reconnaître le mécanisme même de cession de contrat (§1), mais qu’un subjectivisme tempéré donne une conception assez équilibrée et opportune de l’opération (§II).

§ 1 : Le subjectivisme pur : un rejet catégorique de la cession conventionnelle de contrat

Christophe Jamin, Marc Billiau, Jacques Ghestin sont les principaux détracteurs de l’opération de cession de contrat. Le contrat n’est pas un bien, il est un lien. Le contrat ne pouvant être transmis, sa cession n’opère pas de transmission (I), et, de fait, peut être assimilée à d’autres mécanismes qui, eux, sont réglementés (II).

I / L’absence d’effet translatif de l’opération

Les conventions tiennent lieu de loi « à ceux qui les ont faites »  : c’est une conception subjective de la force obligatoire qu’affirme l’article 1134 du Code civil. Si la volonté est l’élément prédominant lors de la conclusion du contrat, elle doit prolonger ses effets au cours de l’exécution du contrat. Ainsi, sauf à outrepasser la loi contractuelle, les contractants ne peuvent céder leur contrat qu’en obtenant l’accord de la partie cédée.

Plusieurs questions sont posées par les trois principaux intéressés.

La première, est celle de savoir si la qualité de partie contractante est, ou non, une chose dans le commerce. Si Laurent Aynès, partisan le plus convaincu de la cession conventionnelle de contrat, considère que le contrat est un bien comme un autre susceptible d’être lui-même l’objet d’un contrat, il n’est que minoritaire dans cette théorie. La grande majorité des auteurs considèrent au contraire que, si, certes, le contrat a, ces dernières décennies, connu un phénomène de patrimonialisation, il n’en demeure pas moins un lien entre deux sujets de droit avant tout. Dès lors, la cession de ce lien contractuel ne peut être opérée à défaut du consentement de tous les intéressés.

Mais alors, une autre question se pose : « cette volonté qu’exprime le cédé lorsqu’il consent à la cession n’engendre-t-elle pas un nouveau contrat, dont la cause et l’objet sont identiques au contrat initial ? ». Dès lors qu’elle est exprimée, la volonté implique la formation d’un nouveau contrat, dont les termes sont identiques au contrat primitif. Ce dernier constituant ainsi une pollicitation auprès du cocontractant cédé… L’effet translatif de la cession conventionnelle de contrat est ici rejeté.

Tant que le cédé n’a pas donné son consentement à la cession, il peut donc continuer à se prévaloir du contrat à l’encontre du cédant ; et devrait également demeurer tenu de ses obligations à son égard. Mais en cédant sa position contractuelle au cessionnaire, le cédant s’est « dépouillé » du droit de s’en prévaloir à l’encontre du cocontractant cédé ( il ne peut pas avoir cédé son contrat et continuer d’en réclamer l’exécution ). Le contractant cédant a généralement dans l’idée, en « cédant son contrat », de s’en dégager pour ne plus avoir à en poursuivre l’exécution. Il a donc sa libération en vue.

La qualité de partie n’est donc pas dans le commerce juridique car l’homme lui-même n’est pas un bien.

« Ces éléments tendent à montrer qu’il n’y a pas de continuité ( ou de permanence ) du lien contractuel primitif, mais bien rupture, ce qui est de nature à exclure la qualification de « cession de contrat » ».

Il convient donc de repenser le régime juridique de cette opération.

II / Une remise en cause de l’autonomie de l’opération

« La cession de contrat dépourvue du consentement du contractant cédé est impuissante à réaliser une véritable cession de contrat ». On ne pourra alors parler que de cession « interne » ou « imparfaite » de la charge du contrat.

La cession conventionnelle de contrat est donc dépourvue d’effet translatif. De fait, elle ne saurait se voir appliquer le régime des mécanismes translatifs de droit. Les détracteurs de la cession conventionnelle de contrat suggèrent donc un recours au régime de la délégation, évoquant ainsi le terme de délégation de contrat.

En effet, dans la délégation simple (qui n’opère pas de novation), les obligations primitives subsistent jusqu’à l’exécution par le délégué de la nouvelle obligation qu’il assume envers le délégataire. C’est alors cette exécution qui entraîne extinction des obligations primitives et, de fait, la libération du délégant envers le délégataire et du délégué envers le délégant. La « cession conventionnelle de contrat » pourrait produire le même effet : ainsi le cédant serait libéré une fois les obligations exécutées par le cessionnaire.

Ainsi, l’opération entraînant création d’un nouveau contrat, les intérêts propres à chaque partie sont ici considérés et sauvegardés : le « cédé » n’est pas sacrifié car son consentement est nécessaire ; le cédant peut rapidement être libéré en cas de délégation novatoire ; le cessionnaire trouverait enfin tout avantage à l’opération car il conclut directement un nouveau contrat avec le cédé, bénéficiant ainsi de la règle d’inopposabilité des exceptions. Et, en vertu de la règle d’effet relatif de l’article 1165 du Code civil, les vices attachés à l’un des contrats ne saurait affecter l’autre.

La création d’un nouveau contrat est donc opportune, et le recours au régime de la délégation, efficace. L’arrêt de la Chambre commerciale du 12 décembre 2001 constitue, pour cette doctrine, une véritable victoire. Il ne s’agit donc pas d’assimiler les notions de cessions de contrat et de délégation mais d’appliquer à la première le régime de la seconde. La notion de cession de contrat n’est donc pas autonome.

Cette théorie de la cession de contrat paraît quelque peu excessive, car elle conduit à nier l’existence de la cession conventionnelle de contrat. Une conception subjectiviste plus actuelle doit être avancée.

=§ II : Le subjectivisme modéré : une position intermédiaire quant à la cession conventionnelle de contrat

Il faut concilier les conceptions subjective et objective du contrat. C’est ici une position intermédiaire entre les deux conceptions précitées qui est défendue par Christian Larroumet . La cession conventionnelle de contrat est reconnue, autonome et translative (I), mais ses effets restent subordonnés à l’intervention du contractant cédé (II).

I / Les caractères autonome et translatif de la cession conventionnelle de contrat

La cession de contrat doit permettre la réalisation de la succession à titre particulier au rapport juridique pris dans son ensemble, par voie de modification interne à ce rapport. Un titulaire change mais le rapport juridique reste le même : la cession de contrat ne crée pas d’obligations nouvelles, de contrat nouveau : c’est un mécanisme translatif. Elle a pour premier objectif de faire naître un lien de droit entre le cessionnaire et le cédé, qui oblige le premier envers le second et réciproquement. Le droit du cédé envers le cessionnaire et le droit du cessionnaire envers le cédé trouvent ainsi leur fondement dans la convention de cession.

Le cessionnaire du contrat n’est autre que le continuateur de la personne du cédant dans le contrat synallagmatique. Ainsi, le rapport liant le cessionnaire au cédé aura exactement la même consistance que le rapport qui unissait préalablement le cédant au cédé. Les exceptions (sauf exceptions strictement personnelles) nées du premier rapport entre cédant et cédé, antérieurement à la cession, seront opposables par le cessionnaire au cédé et inversement dans le second rapport. On y ajoutera, bien sûr, les exceptions nées du second rapport cédé-cessionnaire.

Si l’autonomie de l’opération a été -difficilement- admise par la plupart au fil du temps, Christian Larroumet parle désormais de « descente aux enfers de la cession de contrat »  : selon lui, le visa de l’article 1275 du Code civil relatif à la délégation dans l’arrêt précité de la Chambre commerciale du 12 décembre 2001 a eu pour effet de « dénaturer totalement la cession de contrat ». Le recours à la délégation apparaît inopportun en ce que « la délégation n’a strictement rien à voir avec la cession de contrat, tout simplement parce qu’elle crée à la charge du délégué un engagement nouveau au profit du délégataire et qui, lorsqu’elle est imparfaite, vient se superposer à l’engagement du délégant envers le délégataire, tandis que, lorsqu’il s’agit d’une cession de contrat, le cessionnaire entre dans le rapport contractuel conclu entre le cédant et le cédé, ce qui veut dire qu’il est tenu de l’obligation même du cédant et qu’il ne peut donc s’agir d’un engagement nouveau. En d’autres termes, la délégation ne permet de réaliser une succession à titre particulier au rapport d’obligation ». Le mot est dit, et très bien dit.

Nous voila résumés en une seule phrase tous les traits, pourtant ô combien controversés, caractéristiques de la cession de contrat.

Toutefois, cette conception prend également en considération le fait que, malgré tout, la modification subjective opérée par l’opération de cession peut faire peser un risque sur le contractant cédé. Ainsi devra-t-on recourir à son consentement pour parvenir à une cession parfaite du contrat.

II / Une intervention facultative de la partie cédée

La cession de contrat doit aboutir à la cession de la qualité de contractant. C’est parce que cette qualité est transmise au cessionnaire que celui-ci sera créancier et débiteur du cédé. Mais pour parvenir à un tel résultat, il est nécessaire d’obtenir le consentement du cédé, car il ne saurait se voir imposer une cession de dettes malgré lui.

« Tant que le cédé n’a pas adhéré à la cession, le cédant est tenu envers lui exactement de la même façon que si la cession n’était pas intervenue ; on ne peut le reléguer au rang de débiteur accessoire, sans le consentement du cédé, en application du principe qu’on ne peut pas modifier le droit d’un créancier contre son débiteur, sans son intervention ».

Le cédé peut donc agir contre le cessionnaire, même s’il n’a pas entendu libérer le cédant . Mais les deux débiteurs sont-ils placés sur le même plan ? Le cédé peut-il indifféremment s’adresser à l’un ou à l’autre ?

Tant que le contractant cédé n’a pas accepté ou consenti à la cession, le cédant n’est pas déchargé de ses obligations envers lui. Il n’est donc pas débiteur accessoire mais débiteur principal au même titre que le cessionnaire. C’est un maintien provisoire du cédant dans sa qualité de débiteur : les deux liens de droit vont se superposer jusqu’à la libération du cédant par le cédé. En théorie, ce devrait être à lui que le cédé devrait s’adresser, car les parties devraient agir comme si aucune cession n’était intervenue. En fait, le cédé, même s’il n’a pas adhéré, est souvent au courant de l’opération de cession et s’adressera en priorité au cessionnaire. Ce ne sera que si celui-ci est défaillant que le cédé se retournera contre le cédant non encore libéré.

L’adhésion du cédé n’a d’autre but que la libération du cédant et sa disparition du rapport contractuel. Elle va parfaire la cession, tant dans son côté actif que dans son côté passif. Le deuxième objectif de la cession de contrat est alors atteint. Mais à défaut de volonté contraire du législateur, on ne peut considérer que la transmission du contrat entraîne de plein droit la libération du cédant.

De fait, le cédé peut ne pas donner son consentement à la cession, mais cela ne remet pas en cause la qualification de l’opération. Simplement, le cédant ne sera pas libéré, et la cession demeurera imparfaite. C’est pourquoi Christian Larroumet remet en cause la position prise par la Cour de cassation en 1997, imposant le consentement du cédé pour la libération du cédant dans la cession de tous les types de contrats, notamment ceux qui n’étaient pas marqués d’intuitus personæ.

Raymond Saleilles avait, déjà, mis l’accent sur ce que la question de la libération du cédant n’était autre qu’une question d’interprétation de la volonté des intéressés. C’est également l’avis de Christian Larroumet, selon qui le défaut de libération du cédant n’est pas de nature à disqualifier l’opération de cession conventionnelle de contrat.

La volonté des parties reste donc souveraine : si elles souhaitent une adhésion du cédé, il faudra l’adhésion du cédé, et inversement. La liberté contractuelle prévaut ici.

Le débat doctrinal sur la cession de contrat n’est donc pas clos, et loin de l’être. Nous n’avons à l’heure actuelle aucune certitude sur le régime et les effets de la cession conventionnelle de contrat.

Ainsi, il faudra trouver des solutions ailleurs que dans la jurisprudence qui, à ce jour, semble fragile. Nous tacherons, enfin, de trouver des moyens de prévenir les méfaits que pourrait entraîner une cession de contrat.

CHAPITRE 2 : PROPOSITIONS DE SOLUTIONS

Nous allons voir que deux types de protection pourraient s’avérer efficaces. D’une part, la contractualisation de la possibilité d’une cession dans le contrat cédé peut aujourd’hui déjà assurer une certaine sécurité de la transaction (section 1). D’autre part, une intervention législative pourrait, demain, offrir à tous les sujets de droit une stabilité devenue indispensable en matière de cession conventionnelle de contrat (section 2).

SECTION 1 : UNE PROTECTION ACCESSIBLE PAR DES MECANISMES CONTRACTUELS DE PRÉVENTION DU RISQUE

La contractualisation présente l’avantage de la souplesse. Le principe étant la liberté, et la loi l’exception, tant qu’il pas de réglementation en matière de cession de contrat, il sera toujours possible de soumettre la cession au régime et aux effets désirés par les parties.

Ainsi, deux alternatives s’offrent aujourd’hui aux parties à un contrat : interdire la cession conventionnelle de contrat (§I), ou encore limiter le recours à cette opération (§II).

§ 1 : Une protection absolue : les clauses prohibitives

Deux instruments pourront ici être utilisés : la stipulation du caractère intuitus personæ du contrat ( I ), ou encore la clause d’incessibilité ( II ).

I / L’intuitus personæ

Le contrat entre le cédant et le cédé peut être conclu intuitus personæ, soit en considération de la personne. C'est-à-dire que ce sont la personnalité, les qualités, la solvabilité du partenaire qui, entre autres, ont poussé les contractants à conclure le contrat, et qui ont participé de la cause du contrat. « La considération de la personne a pour effets selon l’opinion habituelle, de personnaliser le rapport contractuel. (…) Tout se passe comme si l’affection et la confiance étaient la raison même de l’existence du contrat ».

Ainsi, si l’un des cocontractants s’avérait dans l’impossibilité d’exécuter le contrat, et devait se retirer du rapport contractuel, la cause du contrat en serait affectée et le contrat frappé de caducité.

Le problème, c’est que certaines décisions ont fait abstraction du caractère intuitus personæ de certains contrats, lesquels étaient alors considérés comme cessibles . Cependant, cette dérogation à l’intuitus personae n’a été admise que du fait que le contractant cédé a émis son consentement à la cession. Ainsi, la cession d’un contrat conclu en considération de la personne est possible si l’on parvient à recueillir l’assentiment de la partie cédée. La matière est donc souple, et tout n’est qu’une question de volonté.

L’intuitus personæ peut donc faire obstacle à la cessibilité des contrats. Il peut être unilatéral ou bilatéral. Il ne sera qu’unilatéral si seule la personnalité d’un des partenaires importe véritablement dans le rapport contractuel. Généralement, il s’agira de la personne du débiteur. Mais ce pourrait tout à fait être la personne du créancier. Dans l’une ou l’autre des hypothèses, le contrat pourra quand même être cédé par le contractant dont la personnalité est indifférente.

L’intuitus personæ pourra également être bilatéral. Les personnalités de tous les contractants auront alors été déterminantes dans la conclusion du contrat, et le contrat ne pourra alors être cédé par aucune des parties. Le caractère intuitus personæ du contrat ne se présume pas : ainsi, il faudra en faire expressément état dans le contrat, de sorte que la preuve ne pose pas de difficultés inutiles.

La stipulation du caractère intuitus personæ du contrat semble donc suffisante à rendre le contrat incessible. Toutefois, il semble plus prudent d’avoir recours à une clause d’incessibilité, de sorte à ce que le risque de cessibilité soit totalement couvert contractuellement.

II / Les clauses d’incessibilité

Il s’agit d’une clause de prohibition : elle va rendre « impossible, pour l’une voire les deux parties, toute cession de leur position contractuelle, à moins, naturellement, d’un accord de son contractant en vertu de l’idée que ce que les parties ont fait ensemble, elles peuvent ensemble le défaire ou le modifier… ». Souvent, la clause de prohibition se conjugue avec le caractère intuitus personae du contrat, mais elle y ajoute une sécurité.

Le principe de l’incessibilité est susceptible de degrés : celle-ci peut être absolue, ou atténuée.

Ainsi, si la prohibition est absolue, tout changement relatif à la personnalité du cocontractant entraînera la disparition du contrat.

Si la prohibition est atténuée, la situation sera la suivante : le principe sera l’incessibilité, l’exception la cessibilité. Les hypothèses de cessibilité devront toutefois être expressément mentionnées.

La faculté de céder son contrat ne pourra être accordée qu’à une des parties seulement, celle dont la personnalité importe le moins. Ainsi, ce sera logiquement le créancier qui pourra, souvent, bénéficier de l’exception de cession.

La faculté de céder le contrat pourra, par ailleurs, être restreinte à certains territoires. Nous pouvons ici donner un exemple de clause donné par l’ouvrage de technique contractuelle du Professeur Jean-Marc Mousseron  : « Le présent contrat ne pourra être cédé que pour les territoires X, Y, et Z, l’incessibilité demeurant pour ce qui est des autres territoires contractuels. »

La faculté de céder le contrat peut, aussi, n’être possible qu’au profit de certaines personnes. Ainsi, le contrat devra prévoir quelles qualités et compétences seront nécessaires à recueillir chez le cessionnaire potentiel du contrat, et quelles sanctions applicables au cas où ces conditions ne seraient pas respectées.

La faculté de céder le contrat pourra, enfin, être permise sous certaines conditions. Ainsi, on pourra prévoir que la cession ne sera possible que si le cédant se porte garant de l’exécution du contrat ou caution du cessionnaire.

Malgré ce, la clause d’incessibilité sera souvent très générale, afin d’obtenir ne incessibilité totale du contrat. Si l’on souhaite cependant permettre la cession, tout en gardant un droit de regard sur la suite des opérations, il faudra plutôt avoir recours à des clauses restrictives et non prohibitives de la cession.

§ 2 : Une protection relative : les clauses restrictives

Deux mécanismes seront ici successivement envisagée : celui de l’agrément (I) et celui de la préemption (II).


I / L’agrément

La clause d’agrément subordonne une cession projetée à une autorisation. Elle est très fréquente, surtout en matière de cession de droits sociaux. Pour que l’agrément puisse jouer, il faut qu’il soit prévu initialement dans le contrat cédé : il ne se présume pas.

Le contractant cédé va donc, en matière de cession de contrat, pouvoir apprécier si le candidat à la cession est apte ou non à prendre la succession au rapport d’obligation. Si oui, le candidat à la cession, désormais agrée, va entrer dans le rapport contractuel qui unissait préalablement cédant et cédé, et le cédant va définitivement sortir de ce rapport : il sera libéré, sauf volonté contraire du cédé. Dès lors, il ne sera plus tenu que du passif antérieur à la cession, le cessionnaire assumant à compter de la cession les obligations nouvelles, non encore exécutées par le cédant avant la cession.

Toutefois, la question du refus d’agrément est plus incertaine. Est-il discrétionnaire ? Selon la Cour de cassation, c’est une question d’interprétation relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond . Le refus d’agrément peut donc faire l’objet d’un recours pour abus de droit, car des discriminations peuvent ici être qualifiées. Les parties pourront cependant prévoir que ce refus pourra être discrétionnaire, et alors un tel recours ne sera envisageable. En l’absence de telle clause, il restera plus prudent de motiver le refus d’agrément, afin de démontrer que celui-ci n’est pas abusif.

Les parties doivent également convenir par avance s’il y aura un prix de l’agrément, celui-ci pouvant désormais être onéreux. L’octroi de l’agrément sera alors subordonné au versement d’une indemnité à celui qui l’aura consenti, le prix de l’agrément représentant la contrepartie du risque à voir un inconnu entrer en relation avec le contractant cédé.

Un inconvénient se présente toutefois ici : en cas de refus d’agrément, on ne sait pas qui va succéder à la partie cédante. On peut donc prévoir conventionnellement un droit de repentir, ou prévoir tout simplement dans le contrat les conséquences d’un refus d’agrément.

L’agrément est donc une formule pratique pour avoir un droit de regard sur les éventuels nouveaux entrants dans le rapport contractuel, et ainsi ne pas se voir imposer n’importe quel débiteur. En toute hypothèse, il faut conseiller aux parties à un contrat de prévoir contractuellement un maximum de situations pour éviter le contentieux.

On pourra ainsi, parallèlement à l’agrément, insérer au contrat une clause de préemption.

II / La préemption

La clause de préemption est un pacte de préférence par lequel une personne, le bénéficiaire de la préemption, va pouvoir se porter acquéreur aux lieux et place d’un acquéreur projeté. Il est néanmoins possible d’appliquer ce mécanisme à des hypothèses de cession de contrat. En effet, dans le cas où l’une des parties à un contrat voudrait sortir du rapport contractuel, la mise en œuvre d’une préemption pourrait parvenir à ce qu’une partie soit préférée pour se substituer à elle. La préemption offre un avantage que l’on ne retrouve pas dans la procédure d’agrément : ici, on sait qui va succéder à la personne qui va sortir du lien contractuel.

Ce mécanisme n’est pas régi par les textes. Ainsi, il présente l’avantage d’une grande souplesse. Les parties pourront alors l’envisager comme elles l’entendent : elles pourront prévoir un prix, ou non, prévoir par avance l’identité des bénéficiaires de la préemption, ou prévoir que ceux-ci ne seront déterminés que lorsque le candidat à la sortie du rapport contractuel manifestera sa volonté de céder son contrat, prévoir si ce candidat à la sortie dispose ou non d’un droit de repentir …

Une fois déterminées contractuellement les modalités de la préemption, telles que notamment le délai, ou le prix, il faudra en prévoir les sanctions. La violation du pacte de préemption peut entraîner le paiement de dommages et intérêts, l’annulation de la cession réalisée, la résiliation du contrat cédé …

La préemption n’est que peu usitée en matière de cession de contrat mais elle pourrait permettre au contractant cédé de prévoir par avance quelles personnes pourraient être ses partenaires potentiels au cas où son partenaire initial ne serait plus en mesure de continuer l’exécution du contrat.


Il est donc possible de combiner les mécanismes d’agrément et de préemption. On pourrait prévoir un agrément, et en cas de refus, l’intervention de la préemption, afin de ne pas laisser le cédant dans un rapport contractuel qu’il ne veut plus assumer ; ou encore de convenir d’abord de l’application du mécanisme de préemption, et dans l’hypothèse où le bénéficiaire ne lèverait pas l’option, prévoir la mise en œuvre de la procédure d’agrément. Le contrat est donc un outil flexible. Il doit, et peut en ce qui concerne notre matière, faire l’objet de montages intéressant pour parvenir à la protection du contractant cédé, tout en permettant la sortie du cédant.

Pourtant, le contrat n’offre pas la stabilité ni la sécurité qu’offre, psychologiquement, l’existence d’une loi. De plus, des parties inexpérimentées en matière contractuelle ne connaissent pas forcément la possibilité de tels mécanismes. En ce sens, une intervention législative serait, aujourd’hui enfin, très bienvenue.

SECTION 2 : UNE RÉGLEMENTATION SOUHAITABLE

Une intervention du législateur paraît désormais nécessaire puisqu’en l’état actuel des choses, aucune sécurité juridique n’est procurée aux sujets de droit en matière de cession conventionnelle de contrat (§I). L’avant projet de réforme du droit des obligations, paru fin 2005, tentera de nous apporter quelques éléments d’une législation potentielle (§II).

§ 1 : Les inconvénients d’une instabilité juridique

L’existence d’une réglementation est souhaitable dès lors que son absence peut être source d’instabilité jurisprudentielle (I) et de longues controverses doctrinales (II).

I / Un risque permanent de revirement jurisprudentiel

En effet, l’absence de réglementation conduit à ce que les praticiens de la cession conventionnelle de contrat suivent les décisions jurisprudentielles en la matière, étant donné que c’est la seule source de droit positif qu’ils ont à disposition. De fait, la jurisprudence a, dans une telle hypothèse, un rôle d’autant plus important à jouer.

Jusqu’ici, elle a fait état de quelques variantes, considérant quelquefois que seule une information de l’existence d’une cession au cédé pouvait suffire, d’autre fois que son consentement était indispensable. D’où un trouble certain chez les sujets de droit qui, souvent mal informés du peu de décisions en la matière, ne bénéficient pas de la sécurité juridique à laquelle ils pourraient légitimement s’attendre.

Ainsi, si « la Cour de cassation parle souvent comme un législateur », la jurisprudence n’offre pas la stabilité que peut offrir la loi. Certes la loi elle-même peut connaître des modifications. Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence est une source de droit bien moins certaine, et qui opère des revirements.

De fait, aujourd’hui un contrat de cession peut être conclu et nécessiter le consentement du cédé pour parvenir à la libération du cédant, mais demain ? Demain, ce consentement ne sera peut être plus indispensable à produire cet effet. Demain, les juges de la Cour de cassation se seront peut être laissés séduire par la conception objective du contrat de Laurent Aynès, et alors l’analyse et le régime de la cession conventionnelle de contrat s’en verront totalement bouleversés.

Au vu de ces constations, il n’est donc pas imprudent de dire qu’une réglementation dans la matière qu’a constitué cette étude ne serait pas malvenue. D’autant plus que la doctrine ne parvient pas à s’accorder.

II / La source d’un déchaînement doctrinal

Il faut bel et bien avouer que la matière que constitue la cession conventionnelle de contrat, du fait de l’absence de législation propre, a suscité bien des controverses, et ce tant sur le concept même de cession de contrat que, une fois celui-ci admis, sur les effets et le régime de cette figure contractuelle.

Partisans, opposants, subjectivistes ou objectivistes de la cession de contrat, toute cette bataille doctrinale n’est pas pour éclairer le sujet. Souffrant déjà d’une jurisprudence ambiguë, les praticiens n’ont donc même pas de ligne doctrinale à laquelle se rapporter.

Ceci explique cela : on ne peut pas procéder à une bonne cession de contrat si l’on est pas, ou si l’on n’est que mal informé. La complexité du domaine sur lequel nous avons ici évolué est certaine : les opérations juridiques à trois personnes constituent un terrain ésotérique, sur lequel seulement peu d’auteurs se sont expérimentés, mais de quelle manière ! La diversité des théories rend obscure la matière.

Le débat doctrinal relatif à la cession conventionnelle de contrat a fait son temps : des années 1980 à aujourd’hui, l’opération a eu le temps d’être étudiée, disséquée, approfondie. La figure, si elle est récente, certes, ne fait plus preuve de nouveauté. Elle est connue, reconnue, utilisée fréquemment, mais pas, ou ponctuellement, réglementée.

Si ces dispositions légales ponctuelles et spéciales peuvent fournir des éléments sur la manière dont on peut percevoir le mécanisme, dans sa généralité, de cession conventionnelle de contrat, la doctrine ne nous aide pas à en dégager les grands traits. Bien au contraire, les émois suscités par la question ne font que confirmer le besoin d’une réglementation.

Ce besoin semble s’être fait récemment ressentir, et l’avant-projet de réforme du droit des obligations vient aborder, timidement, la question.

§ 2 : L’avant-projet de réforme du droit des obligations

Deux articles de cet avant-projet viennent principalement viser notre sujet : les articles 1165-4 et 1165-5 du Code civil. (I). Nous en étudierons l’opportunité (II).

I / Une réglementation attendue mais équivoque de la cession conventionnelle de contrat
« Un contractant ne peut, sans l’accord exprès ou tacite de son cocontractant, céder entre vifs à un tiers sa qualité de partie au contrat ».

Tels sont les termes d’un potentiel article 1165-4 du Code civil selon l’avant-projet de réforme du droit des obligations orchestré par Monsieur Pierre Catala.

L’article se situe, au sein de cet avant-projet, dans un paragraphe intitulé « De la substitution de contractant et du transfert de contrat ». À aucun moment on ne parle ici de cession de contrat : serait-ce volontaire, pour ne donner faveur à l’une ni l’autre des doctrines que nous avons pu étudier ?

L’article 1165-5 de l’avant-projet vient clarifier encore le propos :

« Il est fait exception à ce principe dans les cas prévus par la loi.
Hormis ces cas, la substitution de contractants s’opère lorsque le contrat fait partie intégrante d’une opération formant un ensemble indivisible, comme sont les fusions ou scissions de sociétés ou apports partiels d’actifs.
Sauf convention contraire, il appartient au cocontractant, lorsque le transfert a eu lieu sans son accord, de se retirer du contrat au terme d’un préavis raisonnable. »

Toujours pas de « cession de contrat », mais le texte nous laisse comprendre que la substitution de contractant ne sera pas soumise au consentement de la partie cédée lorsque la loi en dispose ainsi ou lorsque l’on se trouvera dans le cadre d’une opération plus vaste, globale, soit une substitution de contractant à titre accessoire à une autre opération juridique. Le contractant cédé bénéficiant alors d’un droit de retrait s’il n’a pas consenti à la substitution.

La question qui se pose ici est la suivante : les termes de substitution de contractant et de transfert de contrat visent-ils une seule et même opération, ou deux opérations distinctes ? Car, déjà dans l’intitulé du paragraphe figuraient successivement les deux expressions. Serait-ce pour montrer l’originalité de chacune ? Mais, si tel était le cas, il aurait fallu définir clairement dans le texte la différence entre les deux mécanismes. Or, en l’état actuel du texte, il n’est pas facile de comprendre si seules les substitutions de contractants doivent s’opérer accessoirement à une autre opération ou si cela concerne aussi, et indifféremment, les transferts de contrats.

Cet avant-projet pourrait donc s’avérer opportun en ce qu’il ajoute au Code civil des précisions sur le régime de ce que nous avons tout au long de cette étude nommé « cession conventionnelle de contrat ». Malgré tout, nous ne savons toujours pas si le mécanisme sera utilisé sous le nom de « transfert de contrat » ou de « substitution de contractant », car le texte n’est pas très limpide sur les spécifications terminologiques. Ce que nous savons, par contre, c’est qu’en toute hypothèse, le contractant cédé ferait l’objet d’une protection renforcée.

II / L’adhésion à la théorie subjectiviste : une position véritablement opportune ?

En effet, nous ne pouvons que constater une grande considération du contractant cédé. Dans l’article 1165-4, apparaît nécessaire l’exigence de son consentement, et par ailleurs, l’article 1165-5 in fine fait mention d’un droit de retrait dont il peut bénéficier dès lors que son consentement n’a pas été requis.

Le projet semble donc s’aligner sur la jurisprudence du 6 mai 1997, consécration de la théorie subjectiviste de la cession conventionnelle de contrat. Ceci, nous semble-t-il, est un bienfait, car il est difficile d’admettre une théorie purement objective du contrat. Le contrat n’est pas un bien comme un autre : instrument majeur d’organisation des relations sociales, il tisse des liens entre les membres d’une collectivité.

Toutefois, il paraîtrait dangereux que la loi future ou la jurisprudence qui pourrait s’ensuivre tombe dans le piège du subjectivisme pur : si la cession de contrat est un mécanisme complexe, récent, méconnu, il n’en demeure pas moins un outil de plus en plus exploité, notamment dans le monde des affaires, et à ce titre ne saurait se voir interdire la reconnaissance d’une autonomie propre.

En adoptant cette position, le groupe de travail dirigé par Monsieur Pierre Catala fait état de ce que le droit se doit de considérer les intérêts de tous les partenaires. Certes, un des contractants peut ne pas être en mesure de continuer à exécuter ses obligations, mais ce n’est pas à son cocontractant d’en subir les conséquences. Ainsi, celui-ci doit consentir à la cession, avec la conscience qu’à défaut de consentement, le contrat devra, tôt ou tard, prendre fin. L’alternative est donc laissée au partenaire cédé : il consent, ou, s’il ne consent pas, peut se retirer à son tour du rapport contractuel, tenu toutefois de respecter un délai de préavis afin de ne pas surprendre le successeur du contractant initial, le cédant.

Les intérêts de tous les intéressés sont honorés : le cédant peut, s’il le désire, sortir du rapport contractuel ; le cédé peut toujours refuser la cession et sortir du lien contractuel ; le cessionnaire, enfin, bénéficiera d’un délai raisonnable de préavis au cas où le contractant cédé ne veuille plus rester dans le contrat.

Certes, la survie du contrat est mise en péril à plusieurs reprises, mais il semble plus légitime de ne pas faire perdurer les parties dans des relations qu’elles n’ont pas choisies que de, au nom de la cause du contrat, privilégier le maintien de celui-ci. Le contrat est un accord de volontés : dès lors que cette volonté disparaît, le contrat devrait disparaître également.

Conclusion

« La cession de contrat est donc une opération originale, dotée, dans son fonctionnement, d’une certaine autonomie par rapport à la cession de dette envisagée isolément ou à la cession de créance envisagée isolément. »

La cession engendre le transfert de l’ensemble des effets du contrat qui existaient au profit et à l’encontre du cédant dans le patrimoine du cessionnaire de ce contrat. Par conséquent, les exceptions et moyens de défense nés dans le rapport entre cédé et cédant avant la conclusion de la convention de cession vont continuer à influencer la vie du rapport contractuel au profit et à l’encontre du cessionnaire. « Admettre la cessibilité des dettes peut être une garantie de bonne exécution, si le cessionnaire est plus solvable que le cédant, par exemple ».

Conception subjective ou objective, le débat est bel et bien présent. La matière contractuelle n’est donc pas une matière achevée : elle évolue, fascine même certains.

« C’est une erreur de croire que les besoins de la pratique peuvent se trouver réellement en contradiction avec la théorie juridique. (…) Quand un semblable conflit paraît se produire, la faute n’en est pas à la pratique, mais à la théorie qui ne sait pas résoudre le problème qu’on lui pose ».


« La vie sociale donne naissance à un tissu de liens qui se manifestent par de multiples exigences. » . « génie de la liberté contractuelle » ( Laurent Aynès, Dalloz 1998, chroniques page 25 n° 7 )

Notes et références


Bibliographie

I / OUVRAGES GÉNÉRAUX

  • Ghestin, Jacques, Billiau, Marc, et Jamin, Christophe , Traité de droit civil : les effets du contrat, L.G.D.J., 3ème édition, Paris : LGDJ, 2001, 915 p. ISBN 2-275-00159-X
  • Henri Capitant, De la cause des obligations, 1ère édition Paris : Dalloz, 1923, 494 p.
  • Jean Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations», volume II.
  • Jean Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, L.G.D.J., 10ème édition.
  • Flour, Jacques, Aubert, Jean-Luc, Savaux, Éric, Droit civil : les obligations. 1. L’acte juridique, 10ème édition, Paris : Dalloz, 2002, 409 p. ISBN 2-247-04793-9
  • Flour, Jacques, Aubert, Jean-Luc, Savaux, Éric, Flour Yvonne, Droit civil, Les obligations, 3. Le rapport d’obligation, 4ème édition, Paris : Sirey, 2006, 385 p. ISBN 2-24706594-5
  • Gaudemet, Eugène, Théorie générale des obligations, 1937, rééd: Paris : Dalloz, 2004, 508 p. ISBN 2-247-05782-9
  • Gaudemet, Eugène, Étude sur le transport de dette à titre particulier, 1898.
  • Jestaz, Philippe, Les sources du droit, Paris : Dalloz, 2005, 157 p. ISBN 2-247-06348-9
  • Larroumet, Christian, Droit civil : Les obligations, le contrat, Tome III, 5ème édition. Paris : Economica, 2003, 1017 p. ISBN 2-7178-4665-4
  • Terré, François, Simler, Philippe, Lequette, Yves, Droit civil, les obligations, 8ème édition, Paris : Dalloz, 1438 p. ISBN 2-24-704764-5

II / OUVRAGES SPECIAUX, THÈSES

  • Laurent AYNES, « La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes », Economica, 1984.
  • Charles LAPP, « Essai sur la cession de contrat synallagmatique à titre particulier », thèse Strasbourg, 1950.
  • Christian LARROUMET, « Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé », thèse Bordeaux, 1968.
  • Jean-Marc MOUSSERON, « Technique contractuelle », 2° édition.
  • Jean-Guirec RAFFRAY, « Les substitutions de contractants au cours de l’exécution du contrat », thèse Montpellier, 1977.
  • Charles VILAR, « La cession de contrat en droit français », thèse Montpellier 1968.
  • Alex WEILL, « La relativité des conventions en droit privé français », thèse Strasbourg, 1939.

III / ARTICLES, NOTES DE JURISPRUDENCE

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  • Laurent AYNES, « Cession de contrat : nouvelles précisions sur le rôle du cédé », Dalloz 1998, Chroniques page 25.
  • Marc BILLIAU, « Cession de contrat ou « délégation de contrat ? Etude du régime juridique de la prétendue « cession conventionnelle de contrat », JCP G 1994, Doctrine, 3758
  • Marc BILLIAU et Christophe JAMIN, « La cession conventionnelle de contrat exige le consentement du cédé », Dalloz 1997, Jurisprudence page 588, n°5.
  • Marc BILLIAU et Christophe JAMIN, note sous Cour de cassation, 12 décembre 2001, Dalloz 2002, jurisprudence page 984.
  • Anouk BORIES, « La potestativité », Cours de Master II Droit des contrats d’affaires, 2005-2006.
  • Didier FERRIER, note sous Cour d’appel de Paris, 10 mai 1978, Cahiers du droit de l’entreprise 1978/3, page 13.
  • François GENY, « Une théorie française du transfert de dettes », Revue critique de législation et de jurisprudence, 1899, page 456.
  • Marie-Laure IZORCHE, « Information et cession de contrat », Dalloz 1996, Chroniques page 347.
  • Christophe JAMIN, JCP G 1992, Doctrine, page 269.
  • Christophe JAMIN, « Cession de contrat et consentement du cédé », Dalloz 1995, Chroniques page 131.
  • Didier KRAJESKI, « L’intuitus personae et la cession de contrat », Dalloz 2001, jurisprudence page 1345.
  • Christophe LACHIEZE, « L’autonomie de la cession conventionnelle de contrat », Dalloz 2000, Chroniques page 184.
  • Christian LARROUMET, « La descente aux enfers de la cession de contrat », Dalloz 2002, Chroniques page 1555.
  • Hervé LE NABASQUE, note sous Cour de cassation, Chambre commerciale, 6 mai 1997, Dalloz 1998, Sommaires commentés page 136.
  • Denis MAZEAUD, Dalloz 1996, Sommaires commentés page 115.
  • Denis MAZEAUD, note sous Cour de cassation, Chambre commerciale, 6 mai 1997, ( arrêt « Rougeot » ), Defrénois 15 septembre 1997, n°17 page 977.
  • René SAVATIER, « Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats », Revue trimestrielle de droit civil 1934, page 525.
  • Christophe BROCHE, « La cession conventionnelle de contrat existe-t-elle ? », Revue de la Recherche Juridique: droit prospectif, 2012-3.


IV / DROIT ITALIEN

  • MOSSA, « Venditta di contratto », note sous Corte di cassazione, 21 janvier 1928, Revisto del dirrito commerciale, 1928, II, page 633.
  • NICOLO, « L’adempimento dell obligo altrui », Milano, 1936.
  • PULEO, « La cessione del contratto », Milan 1939.