Chronique juridique : la présomption d'innocence (fr)

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Auteur : Emmanuel Pierrat, Avocat au barreau de Paris
Date : le 1er septembre 2015




Ayoub El-Khazani a été présenté dans la presse de ce mois d’août 2015 comme « le terroriste du Thalys ». Sans compter les images qui ont été diffusées de son arrestation en gare d’Arras ou lors de son arrivée au palais de justice de Paris, le montrant entravé, voire menotté. Certains médias ont flouté son visage, ses mains et beaucoup ont violé de façon plus ou moins conscient et erratique les règles qui gouvernent la présomption d’innocence.


Cette façon de faire avait déjà donné lieu, le 15 mai 2011, à nombre de débordements : Dominique Strauss-Kahn était apparu menotté et escorté par deux policiers new-yorkais, sous les flashs d’une cinquantaine de journalistes. Ces images ont été diffusées par les médias du monde entier et ont suscité l’indignation de nombreuses personnes, notamment en France où le système judiciaire n’est pas le même que celui des Etats-Unis.


Cette retentissante affaire a donc donné lieu à des cours de droit comparé. Le fait d’exposer des prévenus menottés sous l’œil des médias est une pratique courante aux Etats-Unis. Il s’agit du « perp walk », à savoir la « marche du suspect ». Quelques jours après l’apparition de DSK menotté, le maire de New-York, qui était alors Michael Bloomberg, a défendu dans un premier temps cette méthode en indiquant qu’elle permet « au public (de) voir les auteurs présumés ».


A l’inverse, la France, depuis la loi Guigou du 15 juin 2000, punit fermement la diffusion d’une image faisant apparaître un accusé menotté tant que sa culpabilité n’est pas établie. Il s’agit du respect du principe de la présomption d’innocence. Martine Aubry a qualifié ces images de « profondément humiliante » et l’ancien ministre de la justice, Elisabeth Guigou, a considéré qu’elles étaient « d’une brutalité, d’une violence, d’une cruauté inouïes » - en oubliant d’évoquer Nafissatou Diallo…


Si ces images n’auraient pu, en droit, être publiées dans un journal français, aucun média hexagonal ne s’est privé, pour autant, de les montrer. C’est la raison pour laquelle le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a condamné, le 17 mai 2011, leur diffusion et a demandé « la plus grande retenue dans la diffusion d’images relatives à des personnes mises en cause dans une procédure pénale » afin de respecter « la dignité humaine »…


Alors que le maire de New-York défendait, avec conviction, le perp walk, il est revenu sur sa position le 5 juillet 2011, après la libération sur parole de DSK, en qualifiant cette tradition de « monstrueuse ». Il a ajouté : « nous diffamons les accusés au nom d’un spectacle, pour le cirque que cela représente ».


La juge du Tribunal pénal de la ville de New-York, Mélissa Carow Kacjson, a, par la suite, regretté la diffusion de ces images en indiquant : « Il y avait une telle pression que je me suis laissée convaincre, mais je n’aurais jamais dû laisser rentrer tant de photographes ».


Soulignons enfin que Nicolas Sarkozy avait, en qualité de ministre de l’Intérieur, annoncé l’arrestation de « l’assassin du préfet Erignac » ; avant de changer de vocabulaire dès le lendemain matin.


De même que Bertrand Cantat avait eu droit à une multitude d’images diffusées en France, en violation de ses droits, tandis qu’il était conduit menotté au palais de justice Vilnius. Il avait ensuite été filmé à hauteur de visage pour éviter tout risque de procès.


Rappelons qu’il est donc interdit, depuis la loi du 15 juin 2000, de diffuser l’image d’une personne portant des « menottes ou entraves », avant une décision de condamnation devenue définitive. Ce qui pose par ailleurs un souci pour débattre du statut, en France, des prisonniers et de l’usage des menottes.


La nouvelle loi a également prohibé les sondages sur la culpabilité d’une personne.


Quant au texte de l’article 9-1 du Code civil sur la présomption d’innocence, il a été aussi modifié. Cette disposition a été initialement instaurée par la loi du 4 janvier 1993. Elle a été très vite adaptée (c’est-à-dire renforcée…), dès le 24 août de la même année. Le texte sanctionnait le fait de présenter comme coupable une personne impliquée dans une affaire pénale dont la police ou la justice était saisie : la loi évoquait la faculté d’agir contre les éditeurs pour les personnes faisant l’objet d’une garde à vue, d’une mise en examen, d’une citation à comparaître, d’une plainte avec constitution de partie civile, etc.


Depuis l’an 2000, le nouvel article 9-1 autorise les poursuites - sur le fondement du respect de la présomption d’innocence - de la part de ceux qui ne sont l’objet d’aucune enquête ou procédure…


Une partie de la presse a du mal à se faire à ces règles essentielles - continuant même de parler régulièrement de « présumés tueurs » au mépris de la présomption d’innocence. Les délais plus « confortables » dont dispose l’édition ne doivent pas la lui faire ignorer.


Voir aussi

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