Clauses abusives – Protection des consommateurs v. concentration des moyens : le match du relevé d’office

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Entre la protection des consommateurs et l’efficience du service de la justice, qui l’emporte ?

Voici, en substance, la question posée à la Cour de cassation. A la faveur d’un récent arrêt (Cass. civ. 1re, 2 février 2022, n° 19-20640 [1]), la Haute juridiction fait primer la première sur la seconde.

Au cas d’espèce, une banque consent à deux époux divers prêts immobiliers libellés en devises CHF. Actionnés en paiement, les débiteurs opposaient différents moyens. Seul l’un d’entre eux nous retiendra : les emprunteurs soutenaient que certaines clauses des prêts, faisant porter le risque de change sur les seuls emprunteurs, étaient abusives au sens de l’article L. 212-1 du Code de la consommation.

La cour d’appel (Chambéry, 11 avril 2019) déclare irrecevable cette prétention, « faute d'avoir été présentée dès le premier jeu de conclusions d'appel ». On reconnaîtra ici le principe de concentration des moyens, consacré à l’article 910-4 CPC, lequel dispose : « A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ».

La Haute juridiction censure l’arrêt au triple visa de l’article 7.1 de la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives, de l’article L. 212-1 C. conso. et de l’article 910-4 CPC.

Elle rappelle également la jurisprudence européenne, au terme de laquelle : « les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif (CJUE, 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19) ».

La Cour en déduit que « le principe de concentration temporelle des prétentions posé par le troisième de ces textes ne s'oppose pas à l'examen d'office du caractère abusif d'une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ».

Dont acte : quand bien même l’article 910-4 CPC permet au juge de relever d’office le non-respect du principe de concentration des moyens, le relevé d’office du caractère abusif des clauses litigieuses s’imposait à la cour d’appel.

A retenir : nonobstant le principe de concentration des moyens, le juge doit relever d’office le caractère abusif des clauses invoquées devant lui.

Protection des consommateurs 1 – Concentration des moyens 0.