Comment bien rédiger et négocier vos clauses de force majeure ?
France > Droit privé > Droit des contrats
Catherine Muyl,cabinet Squire Patton Boggs [1]
Novembre 2022
Depuis 2016, la force majeure est codifiée à l’article 1218 [2] du code civil mais les parties peuvent aménager les règles légales avec des clauses de force majeure. Voici nos conseils pour bien rédiger et négocier ces clauses, notamment à la lumière (électrique) de la récente affaire TDE c/ EDF.
Quand a-t-on intérêt à insérer une clause de force majeure ?
Tout dépend de quel côté on se trouve.
Celui qui va fournir la prestation principale a intérêt à insérer une clause de force majeure car l’étude de la jurisprudence montre qu’il n’est pas facile de convaincre les juges de l’existence d’une force majeure excusant l’inexécution.
Avant la pandémie de Covid, la jurisprudence considérait que les épidémies de grippe H1N1, de Chikungunya ou de Dengue ne constituaient pas des événements de force majeure car elles n’étaient soit pas imprévisibles dans certaines régions du monde, soit pas insurmontables, les symptômes pouvant être traités relativement facilement (par des antalgiques pour le Chikungunya par exemple). On voit donc bien l’intérêt d’une clause qui va lister des événements que les parties s’accordent à considérer comme des événements de force majeure.
Encore faut-il que la formule utilisée soit claire sur le fait que la définition légale est écartée au profit de la définition contractuelle. On pourra par exemple indiquer que : « Les parties conviennent que nonobstant les conditions de l’article 1218 du code civil, les événements suivants constitueront d’un commun accord des événements de force majeure : … »
En revanche, la partie qui est bénéficiaire de la prestation, celle dont l’obligation essentielle est de payer, aura plutôt intérêt à se reposer sur la définition légale de la force majeure. A cet égard, la Cour de cassation a rendu un arrêt de principe en 2014 selon lequel « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. Com. 16 septembre 2014, 13-20.306 [3]).
Si le cocontractant insiste pour conserver sa clause de force majeure, que peut-on tenter de négocier ? Dans un contrat de fourniture par exemple, si le fournisseur appartient à un groupe disposant de plusieurs sites de production, l’acheteur peut essayer de négocier que :
« Ne constituera pas un cas de force majeure un événement affectant l’usine qui devait fournir les produits, s’il existe au sein du groupe du vendeur une autre usine susceptible de fournir ces mêmes produits, le vendeur s’engageant à prendre en charge les éventuels surcoûts en résultant.»
Un récent contentieux relatif au prix de l’électricité a donné aux juges l’occasion de se pencher sur une clause permettant d’invoquer relativement facilement la force majeure. Total Direct Energie (TDE) avait ainsi conclu avec EDF un contrat l’obligeant à acheter une certaine quantité d’électricité produite dans les centrales nucléaires pendant une année à un prix fixé dans le contrat. Or, les mesures de confinement ordonnées par le gouvernement pour tenter d’enrayer la pandémie de Covid 19 a entraîné la fermeture de nombreux établissements, une chute importante de la consommation d’électricité et donc une chute importante des prix. TDE, qui s’est retrouvée devoir vendre cette électricité à perte (21€ le Mwh acheté 42), a donc invoqué, pour obtenir la suspension du contrat, la force majeure qui était définie comme « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions raisonnables ».
Devant le refus d’EDF, TDE a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris en soutenant que devoir acheter l’électricité à un prix trop élevé l’empêchait d’exécuter son contrat dans « des conditions raisonnables ». EDF soutenait pour sa part que la fluctuation des prix du marché ne constituait pas un événement de force majeure. TDE a obtenu gain de cause devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, la cour d’appel puis la cour de cassation (TC Paris, 20 mai 2020, n°2020016-407 [4] ; CA Paris, 28 juillet 2020, RG n° 20/06689 ; Cass. Com. 11 mai 2022, 20-20.622 [5]).
La partie qui est susceptible de vouloir invoquer la clause de force majeure peut donc avoir intérêt à introduire dans la définition contractuelle de la force majeure une référence à des « conditions raisonnables ».
Faut-il imposer une obligation pour la partie soumise à la force majeure d’informer l’autre?
Si l’article 1218 du code civil ne prévoit aucune obligation de notification, les parties doivent exécuter le contrat de bonne foi et on peut considérer que la partie qui rencontre des difficultés affectant sa capacité à remplir son obligation doit en informer son cocontractant.
Si la clause prévoit une obligation d’information, il faudra en principe l’enfermer dans un délai. L’expérience montre que lorsque la force majeure est invoquée tardivement, c’est qu’en réalité elle constitue plus une excuse, au sens courant du terme, qu’une cause exonératoire au sens juridique. L’événement de force majeure est souvent brutal mais peut également résulter d’une situation qui se dégrade progressivement. Cela peut être le cas de conflits sociaux par exemple. A quel moment doit-on notifier ? Il n’est pas forcément évident de fixer un nombre de jours. D’où les formules habituelles telles que « à bref délai » ou « dans un délai raisonnable ».
Ainsi, dans l’affaire susvisée relative au prix de l’électricité, la clause de force majeure prévoyait une notification « dès connaissance de la survenance de l’événement ». Dans cette affaire, il existait une transparence des prix du fait des déclarations qui doivent être faites auprès de la CRE. Le moment où les prix de revente tombaient en-dessous du prix d’achat n’était donc pas trop difficile à déterminer.
Dans d’autres cas, la dégradation de la situation est progressive et il est plus difficile de déterminer le moment de bascule auquel l’exécution, déjà difficile, devient impossible. La partie qui doit fournir la prestation principale aura alors intérêt à prévoir que la notification doit intervenir « dès que possible à partir du moment où il est avéré que l’événement constitue un événement de force majeure ».
Il peut également être intéressant de préciser que la partie qui notifie la survenance de la force majeure doit « dans la mesure du possible » fournir « une estimation, à titre indicatif, de l’étendue et de la durée probable de cet événement. » C’est ce que prévoyait la clause du contrat type invoquée par TDE dans l’affaire du prix de l’électricité.
On peut aussi rappeler le principe selon lequel la partie qui invoque la force majeure doit en établir la preuve, en précisant que « la partie souhaitant se prévaloir d’un événement de force majeure devra fournir dans les X jours de la notification de l’événement les documents établissant la réalité et l’étendue dudit événement. »
Faut-il encadrer les conséquences de la force majeure ?
En l’absence de clause spécifique, si l’empêchement est temporaire, le contrat est simplement suspendu, mais si l’empêchement est définitif, le contrat est résilié. Par exception, un empêchement temporaire peut permettre la résiliation si le retard qui en résulterait le justifiait.
Dans certains cas, il peut y avoir débat sur le point de savoir si l’empêchement est ou non définitif.
Par ailleurs, il n’est jamais simple de faire admettre à un client qu’on ne va pas pouvoir tenir ses promesses, ni de se retrouver dans une situation dans laquelle le contrat est suspendu sans visibilité sur sa reprise.
D’où l’intérêt de la clause qui prévoit que si l’événement de force majeure perdure au-delà d’une certaine durée, la partie empêchée ou son cocontractant pourra le résilier.
Ainsi, dans l’affaire du prix de l’électricité, le contrat cadre prévoyait la résiliation automatique du contrat si sa suspension perdurait au-delà de deux mois.
Les juges ont constaté que les formes prévues par la clause avaient bien été respectées (notification et résiliation après un certain délai) et qu’EDF ne pouvait donc s’opposer aux effets prévus qu’à la condition de démontrer, avec l’évidence requise en référé, qu’en réalité, il n’y avait pas événement de force majeure.
Les juges ont également relevé le caractère automatique du dispositif prévu avec, notamment, l’utilisation de l’expression « de plein droit ».
A noter que depuis ce contentieux, le contrat cadre a été modifié par arrêté, avec suppression de la formule sur les « conditions raisonnables », laquelle avait été à l’origine insérée par EDF, mais qui s’était paradoxalement retournée contre elle. Preuve que dans ce domaine comme dans d’autres, la clause idéale n’existe pas…