Comment défendre Marie-Antoinette ? La reine devant le Tribunal criminel révolutionnaire (1793) (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Ordre des Avocats de Paris - Yves Ozanam, Archiviste


En trois jours (14-16 octobre 1793), celle qui avait été reine de France est jugée, condamnée à mort et guillotinée. Ce procès, ou plutôt cette mise à mort, est l’aboutissement d’un long conflit, qui n’a cessé de s’aggraver avec le temps, entre Marie-Antoinette et les Français. Un bref rappel est ici nécessaire. Peu après l’avènement de Louis XVI (1774), la jeune souveraine avait compromis sa popularité en affichant un goût pour les plaisirs et les divertissements qui contrastait fâcheusement avec la sobriété de son royal époux. Des rumeurs avaient bientôt couru sur les mœurs relâchées de la reine. En dépit des mises en garde de sa mère Marie-Thérèse d’Autriche et de son frère l’empereur Joseph II, Marie-Antoinette avait également pris part aux intrigues de la cour de France. Elle avait bientôt fait l’objet d’attaques très violentes, au travers de pamphlets anonymes, mais n’avait pas pour autant modifié sa conduite. L’hostilité déclarée que suscitait désormais la reine sera mise en évidence lors de l’affaire du Collier (1785-1786) : Marie-Antoinette, étrangère à l’achat de cette parure par le cardinal de Rohan, n’en sera pas moins condamnée par l’opinion publique, alors même que le cardinal, manipulé par la comtesse de La Motte, aventurière sans scrupule, sera acquitté par les magistrats du Parlement de Paris.


Dès le début de la Révolution, la fille des Habsbourg prend clairement parti pour le maintien d’une monarchie absolue. Les journées d’octobre 1789 et le retour contraint et forcé de la famille royale à Paris achèvent de la convaincre que le salut de la couronne ne réside pas dans l’élaboration d’une constitution, mais dans la réaffirmation de l’autorité royale, fût-ce au prix de la force et avec le concours des autres monarchies européennes. Après la fuite manquée de la famille royale, arrêtée à Varennes (juin 1791), la correspondance secrète que la reine entretient avec son grand ami Fersen et le comte de Mercy-Argenteau, ancien ambassadeur d’Autriche à Paris, révèle toute sa répulsion pour les révolutionnaires, même si elle feint d’entretenir un dialogue, bientôt interrompu, avec le député Barnave, désireux de la convaincre de la nécessité d’une monarchie constitutionnelle.


Pour Marie-Antoinette, le salut ne peut désormais venir que d’une intervention armée extérieure. Dans cette perspective, la déclaration de guerre, le 20 avril 1792, au roi de Bohême et de Hongrie, son neveu François II, lui paraît servir ses intérêts. Mais les revers militaires de la France et la menace qui en résulte pour Paris, loin de favoriser un esprit de soumission du peuple envers le couple royal, exacerbent au contraire les sentiments d’hostilité à l’égard de ceux qui font de plus en plus figure de prisonniers dans leur résidence des Tuileries. Le manifeste du duc de Brunswick, général en chef des armées prussiennes et autrichiennes, qui menace Paris d’une « exécution militaire » s’il est porté atteinte à la famille royale (25 juillet 1792), provoque en réaction la prise des Tuileries par le peuple et la chute de la royauté (10 août). La famille royale est bientôt incarcérée au Temple. Le 21 septembre, la Convention, nouvelle assemblée élue, décrète la royauté abolie et proclame la République. Quatre mois plus tard, Louis XVI, condamné à mort par la Convention, est guillotiné (21 janvier 1793).


Marie-Antoinette n’est pas oubliée pour autant par les révolutionnaires. Dès le mois de mars 1793, Robespierre demande à ce qu’elle soit traduite devant la Tribunal révolutionnaire, nouvellement institué. La Convention rend un arrêt en ce sens le 1er août 1793, sur un rapport de Barère, qui constitue déjà un réquisitoire et une condamnation : « Ce n’est qu’en extirpant toutes les racines de la royauté que nous verrons la liberté prospérer sur le sol de la République. Ce n’est qu’en frappant l’Autrichienne que vous ferez sentir à François, à George, à Charles et à Guillaume [souverains d’Autriche, d’Angleterre, d’Espagne et de Prusse], les crimes de leurs ministres et de leurs armées. » Marie-Antoinette est alors séparée de ses proches et incarcérée à la Conciergerie. Le 3 octobre 1793, la Convention décrète que le Tribunal révolutionnaire « s’occupera sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet ». Dès lors les événements vont se précipiter.


Le 12 octobre 1793, le président du Tribunal, Herman, proche de Robespierre, interroge Marie-Antoinette en présence de l’accusateur public Fouquier-Tinville, serviteur dévoué des autorités révolutionnaires. Les questions posées sont autant d’accusations implicites auxquelles la reine répond par des dénégations. Un extrait de cet interrogatoire suffit à donner le ton :

Question. C’est vous qui avez appris à Louis Capet cet art d’une profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le bon peuple français qui ne se doutait pas que l’on pût porter à un tel degré la scélératesse et la perfidie ?

Réponse (formulée en style indirect). Oui, le peuple a été trompé ; il l’a été cruellement, mais ce n’est ni par son mari ni par elle.

Q. Par qui donc le peuple a-t-il été trompé ?

R. Par ceux qui y avaient intérêt ; et que ce n’était pas le leur de le tromper.

Q. Qui sont donc ceux qui, dans leur opinion, avaient intérêt de tromper le peuple ?

R. Qu’elle ne connaissait que leurs intérêts et que le leur était de l’éclairer et non de le tromper.

Q. A-t-elle observé qu’elle ne répond pas directement à la question ?

R. Qu’elle y répondrait directement si elle connaissait le nom des personnes.


À l’issue de l’interrogatoire, il est demandé à Marie-Antoinette si elle a un défenseur. Sur sa réponse négative, le tribunal propose de lui en désigner d’office, ce qu’elle accepte. C’est ainsi que Chauveau-Lagarde (1756-1841) et Tronson du Coudray (1750-1798) sont chargés d’assister la reine. Les deux hommes sont d’anciens avocats au Parlement de Paris, qui ont choisi de continuer leur activité judiciaire comme « défenseurs officieux » depuis la suppression du barreau en 1790. Tronson du Coudray, connu pour ses convictions royalistes, sera déporté en Guyane en 1797 et mourra l’année suivante. Chauveau-Lagarde, dont l’engagement politique est peu marqué, survivra à la Révolution et publiera ses souvenirs de défenseur en 1816. En 1989, le Bâtonnier Philippe Lafarge a pu acquérir les notes manuscrites rédigées par Chauveau pour la défense de Marie-Antoinette. Il est ainsi possible de reconstituer le travail de l’un des deux défenseurs de la reine.


Le 13 octobre, Chauveau-Lagarde se rend à la Conciergerie, s’entretient brièvement avec l’accusée et prend connaissance de ses interrogatoires et de l’acte d’accusation dressé par Fouquier-Tinville. Il relève que ce dernier retient trois principaux chefs d’accusation : 1) dilapidation des deniers publics avant la Révolution, comprenant notamment l’envoi de sommes considérables à l’empereur (Joseph II, décédé en 1790, puis Léopold II, disparu en 1792, étaient tous deux frères de Marie-Antoinette) ; 2) intelligences et correspondances avec les ennemis de la République ; 3) conspirations et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France. Devant l’étendue et la gravité de l’accusation, le défenseur sollicite un délai, mais ne recevra pas de réponse. Le lendemain, les débats commencent. Pas moins de quarante et un témoins sont entendus les 14 et 15 octobre 1793. Ils déposent sur différents événements survenus depuis le début de la Révolution : les journées d’octobre 1789, la fuite de Varennes, le 10 août 1792, la captivité de l’accusée au Temple puis à la Conciergerie… Les importantes dépenses avant la Révolution reprochées à la reine sont également évoquées. L’ensemble des témoignages ne présente qu’un intérêt limité et laisse une certaine latitude aux défenseurs pour développer leurs arguments.


Dans le compte rendu qu’il a publié du procès en 1816, Chauveau rapporte que Tronson du Coudray a plaidé sur l’accusation de conspiration avec les ennemis de l’intérieur, tandis que lui-même s’est efforcé de réfuter les accusations de dilapidation des finances publiques et de conspiration avec les ennemis de l’extérieur. Son système de défense est présenté dans l’exorde qu’il a préparé et que nous retranscrivons en résolvant les abréviations et en conservant les mots rayés par ses soins :


« C[itoyens] J[urés]. Marie-Antoinette ci-devant Reine de france est accusée devant vous d’avoir conspiré l’avilissement et au dehors et au-dedans le malheur des françois tant avant que depuis la révolut[ion] qui les a rendus à la liberté. Cette accusation extraordinaire semblait ne devoir être défendue que par des moiens extraordinaires comme elle : eh ! cependant je suis l’un de ceux que le tribunal a chargés de la défendre, pour ainsi dire à l’instant même où elle vient de vous être présentée ! et nous avons à peine eu le tems de jetter un coup d’œil rapide sur les pièces de conviction qui en font la base ! Quelle épouvantable tâche ! quelle mission allarmante pour notre la conscience d’un homme de bien si nous je n’étions n’étois rassurés par votre justice et par vos lumières ! mais tel est heureusement le résultat des débats de ce fameux procès qu’autant l’accusation est effraiante grave par elle-même, autant ses preuves bases sont légères au moins surtout dans la partie que je suis chargé de défendre. »

« En effet c[itoyens] j[urés] avez-vous au procès la preuve que l’accusée ait, avant la révolution, dilapidé les finances et épuisé le thrésor na[ti]o[n]al en envoiant à l’empereur des sommes incalculables ? et que depuis elle ait entretenu des intelligences contre revolut[ionnaires] avec les ennemis de la répub [lique] et informé ces mêmes ennemis des plans de campagne et d’attaque convenus et arrêtés dans le conseil. »


Avant d’en venir à la discussion détaillée des accusations, Chauveau en appelle à l’objectivité des jurés :


« Quant à vous, cit[oyens] j[urés], je ne doute pas que vous y ferez tous vos efforts pour vous défendre d’une prévention d’autant plus dangereuse pour la justice l’innocence qu’elle serait plus honorable pour votre républicanisme. »

« L’accusée a eu le malheur d’être Reine et cette idée seule peut d’avance vous mettre des répub[licains] en garde contre sa justification et vous faire sortir ainsi, malgré vous, de l’impassibilité qui convient à votre saint caractère. »

« D’ailleurs, s’il est vrai que chez vous le sentiment de la justice mêlé de l’ardent amour de la liberté est une espèce de passion, cette passion doit c’est principalement dans une cause où l’accusée par les circonstances politiques dans lesquelles elle vous est prévenue d’avoir emploié des moiens extraordinaires contrerévolutio[nnaires] liberticides qu’aucun citoien ne peut mettre en usage pour détruire cette liberté c’est dis-je principalement dans une cause de cette nature que le sentiment de la justice lui-même peut vous égarer, si vous n’exercez sur pour laisser à votre conscience toute la plénitude de sa liberté vous n’exercez sur elle tout l’empire dont vous pouvez être capable. »

« Je vous prie donc cit[oyens], d’écarter de vous tous ces préjugés, de vous renfermer avec moi dans l’acte d’accusation et etc. »


La suite de la plaidoirie de Chauveau-Lagarde a été improvisée. Il précise en effet dans ses souvenirs de 1816 que les deux défenseurs ont dû « parler sans préparation » à l’issue des débats. En l’absence de tout compte rendu des plaidoiries par les autorités révolutionnaires, les manuscrits de Chauveau constituent une source irremplaçable. Les notes de travail du défenseur permettent de constater qu’en bon pénaliste il a insisté sur l’absence de preuves et sur l’absence d’aveux. Il réfute ainsi l’accusation de dilapidation des finances et de sommes fournies à l’empereur. De simples témoignages par ouï-dire n’ont pas valeur de preuve, pas plus que l’opinion publique qui domine à cet égard. De même, le défenseur conteste les intelligences et les correspondances avec les ennemis, en l’absence, là encore, de tout document probant. La déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie n’est pas une décision prise par l’accusée, mais décrétée par l’Assemblée, sur proposition du roi. Quant à l’évacuation de la Belgique par l’armée française, elle s’explique par la trahison de Dumouriez.


L’argumentation de la défense est balayée par le président du Tribunal, Herman, qui a le privilège de conclure le procès par un résumé des débats. Conscient de la faiblesse des témoignages présentés à l’audience et du problème causé par l’absence de preuves écrites à l’appui de l’accusation, il apostrophe les jurés en insistant sur la dimension révolutionnaire du procès : « Vous avez à juger toute la vie politique de l’accusée depuis qu’elle est venue s’asseoir à côté du dernier roi des Français. […] La preuve matérielle se trouve dans les papiers qui ont été saisis chez Louis Capet, […] dans le recueil des pièces justificatives de l’acte d’accusation porté contre Louis Capet par la Convention ; enfin, et principalement, citoyens jurés, dans les événements politiques dont vous avez tous été les témoins et les juges. […] C’est le peuple français qui accuse Antoinette, tous les événements politiques qui ont eu lieu depuis cinq années déposent contre elle. »


Les jurés rendent le verdict que l’on attendait d’eux. La reine, condamnée à mort dans la nuit du 15 au 16 octobre, est guillotinée quelques heures plus tard. Ses défenseurs, arrêtés, fouillés et interrogés après leurs plaidoiries ne seront relâchés qu’après l’exécution. Sous la Restauration, Chauveau doit affronter les multiples reproches que lui adressent les royalistes : durant son interrogatoire du 15 octobre 1793, il a déclaré que la reine ne lui avait fait aucune révélation, car elle avait manifesté à son égard « la plus profonde dissimulation ». Pour obtenir un certificat de civisme auprès des autorités révolutionnaires, il a protesté de ses bons sentiments républicains et rappelé qu’il avait été commis d’office pour défendre Marie-Antoinette. Enfin, pourquoi avoir défendu la reine dans ce qui n’était qu’une parodie de justice ? Pourquoi ne pas avoir dénoncé haut et fort les violations des droits de la défense ? En plaidant dans un procès inique, Chauveau-Lagarde n’a-t-il pas servi de caution aux juges révolutionnaires ?


Dans sa publication de 1816, Chauveau se justifie avec les arguments suivants : dès lors que la reine désirait affronter ses juges et souhaitait être défendue, il était de son devoir de l’assister. Dénoncer les violations du droit aurait été stérile face aux jurés révolutionnaires. Mieux valait discuter l’accusation et ses faiblesses, dans l’espoir, si minime fût-il, d’obtenir une peine autre que la mort sans sursis. Une fois la reine exécutée, le défenseur avait le droit de songer à son propre salut, fût-ce au prix de déclarations contraires à ses convictions. En agissant de la sorte, il n’avait point porté atteinte à la mémoire de la reine, mais seulement songé à sauver sa vie. Cette plaidoirie « pro domo » ne semble pas avoir convaincu tous les royalistes, si l’on songe que c’est seulement en 1828 que Chauveau est nommé magistrat de la Cour de cassation, alors même que le défenseur de Louis XVI, de Sèze, avait été nommé Premier Président de cette même juridiction dès 1815.


Aujourd’hui, Marie-Antoinette bénéficie souvent d’une image positive. Nos contemporains vont du hameau de Trianon à la Conciergerie et éprouvent souvent une véritable compassion pour cette victime de la Terreur révolutionnaire, digne et courageuse dans l’épreuve jusque sur l’échafaud. On ne saurait oublier pour autant que l’accusation de conspiration contre la République était fondée. L’erreur du pouvoir révolutionnaire a été de condamner sans fournir de preuves, mais aussi et surtout d’avoir cherché à calomnier la reine en l’accusant de relations incestueuses avec son jeune fils. La réaction indignée de Marie-Antoinette à l’audience, apparemment approuvée par une bonne partie du public, fera comprendre aux autorités révolutionnaires qu’ils avaient commis une faute en cherchant à faire d’un adversaire politique un monstre contre nature. Marie-Antoinette ne pouvait pas gagner son procès face aux jurés révolutionnaires, mais elle défendait aussi son image devant la postérité. À cet égard, il est permis d’affirmer que les malheurs de la fin de son existence ont grandement contribué à faire oublier les erreurs politiques qu’elle a pu commettre lorsqu’elle était reine de France. Seuls présents à ses côtés dans l’ultime épreuve, ses deux défenseurs ont joué un rôle peut-être ambigu, mais qui trouve sa justification dans la volonté affichée par l’accusée de se battre jusqu’au bout. À bien y réfléchir, la défense de Marie-Antoinette soulève des questions d’éthique susceptibles d’intéresser tous les avocats confrontés à un procès politique : que peut faire et que doit faire un défenseur face à une juridiction d’exception qui sert le pouvoir avant de respecter le droit ?


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.