Commentaire d'arrêt - Cour de cassation 16 novembre 2023 Pourvoi n° 22-14.091 - Le réputé non-écrit

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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Cour de cassation 16 novembre 2023 Pourvoi n° 22-14.091

L’aphorisme de Giraudoux est trop connu pour être ici rappelé. Mais tout de même ! On savait le juriste prompt à manier l’abstraction, voire à faire abstraction de la réalité factuelle au profit de concepts désincarnés. On songe notamment à la rétroactivité, qui permet de faire « comme si » un événement ne s’était jamais produit !

Le 16 novembre dernier, la 3e chambre civile franchit une étape supplémentaire. Tel un démiurge, le juge se découvre le pouvoir de faire revivre un droit éteint par la prescription.

En cause, un contrat de bail commercial conclu en 2002. Ledit bail stipulait que la locataire renonçait à son droit à une indemnité d'éviction.

En septembre 2014, le bailleur annonce au preneur son éviction, avec prise d’effet en mars 2015, sans aucune indemnité, comme le permettait le contrat.

Le preneur excipe alors de la loi Pinel 18 juin 2014, laquelle a notamment substitué à la nullité des clauses de renonciation à l’indemnité d'éviction une autre sanction : le réputé non-écrit.

Or, si les actions en nullité sont soumises à prescription (biennale en l’occurrence), la jurisprudence retient depuis quelques années que l’action en réputé non-écrit échappe à toute prescription.

Le fondement de cette imprescriptibilité peut être discuté. Si l’on peut, à la rigueur, comprendre que la Cour de cassation se soit inclinée devant les exigences de la CJUE en matière de protection des consommateurs, une telle extension à des professionnels ne relève pas de l’évidence. D’une part, l’article 2224 vise toutes les actions personnelles ou mobilières. Une action en réputé non-écrit relève de cette catégorie. D’autre part, l’on croyait l’imprescriptibilité réservée au summum de l’horreur, les crimes contre l’humanité. Violer la loi Pinel ou stipuler une clause limitative de responsabilité dérisoire serait-il si grave ?

Au cas d’espèce, la Cour de cassation juge que « quand bien même la prescription de l'action en nullité des clauses susvisées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours ».

Magie judiciaire : l’action éteinte par le jeu de la prescription, avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel, ressuscite et devient imprescriptible.

La Cour malmène inutilement les règles de conflits de lois dans le temps. En son temps, la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription avait évité cet écueil, affirmant « Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur ». Point de résurrection.

A retenir : non seulement, l’action en réputé non-écrit de la clause litigieuse est imprescriptible mais, en outre, elle est ouverte au preneur quand bien même son action en nullité eût été prescrite avant l’entrée en vigueur de la loi instaurant la sanction du réputé non-écrit.