Résolution unilatérale : la mise en demeure est-elle vraiment obligatoire ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


18 octobre 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 20-21.579


C'est un bel arrêt qu'a rendu la chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 octobre dernier. Arrêt promis aux honneurs du Bulletin et du Rapport. Arrêt rendu en formation plénière de chambre, sous la présidence de Vincent Vigneau.

La question posée était la suivante : la résolution unilatérale du contrat est-elle possible sans mise en demeure préalable ? La réponse paraît simple : l'article 1226 C. civ. l'exige en ces termes "Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable". A contrario, il s'en déduit que si l'urgence n'est pas caractérisée, la résolution ne peut être prononcée que si le débiteur a été mis en demeure préalablement.

Et pourtant.

Pourtant, la chambre commerciale juge qu' "une telle mise en demeure n'a cependant pas à être délivrée lorsqu'il résulte des circonstances qu'elle est vaine".

Pourquoi la Cour fait-elle sauter le garde-fou processuel posé par l'article 1226 ? Il nous semble que la réponse pourrait tenir dans les explications suivantes.

Reprenons brièvement les faits de l'espèce. Une société Calminia, spécialisée dans la taille de calcaire et de marbre, fait appel à une société Sodileve pour l'entretien de ses machines.

L'un de ses équipements majeurs, une scie, tombe en panne. Les interventions répétées de Sodileve n'y font rien. L'outil refuse de fonctionner.

Les relations se tendent alors entre les parties. Le dirigeant de Calminia tient des propos "insultants et méprisants" à l'égard d'un préposé de Sodileve, mettant en doute sa capacité à faire et suivre le chantier. Le même dirigeant fait montre d'immixion, donnant des ordres directs aux préposés de son prestataire sans en informer celui-ci.

C'en est trop pour Sodileve, qui rompt unilatéralement le contrat la liant à Calminia.

Cette dernière contestait la résolution, motif pris de ce qu'elle n'avait été précédée d'aucune mise en demeure, ce qui allait à l'encontre de l'article 1226.

Contre toute attente, la Cour de cassation admet la validité de la résolution, sans même passer par le truchement de l'urgence.

Pourquoi ? Parce que, à notre sens, la mise en demeure n'avait aucun sens.

Le but d'une mise en demeure est d'accorder au débiteur un dernier sursis pour reprendre l'exécution de ses obligations. C'est bien ce que prévoit l'article 1226 : le créancier doit "mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable".

Dit autrement, la mise en demeure a pour but de pousser le débiteur à exécuter ses obligations, sous la menace d'une sanction judiciaire. Elle est prospective.

Or, au cas d'espèce, ce qui était reproché à Calminia, ce n'est pas un manquement à ses obligations, manquement auquel elle aurait pu remédier si elle avait été mise en demeure.

Ce qui est reproché à Calminia, c'est son "comportement [...] d'une gravité telle qu'il avait rendu manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles".

La chose est fort différente. L' "attitude inacceptable" est passée. La rupture est déjà consommée. Quand bien même l'on mettrait en demeure le dirigeant de bien se comporter à l'avenir, les faits passés sont trop graves.

D'où la vanité de la mise en demeure.

L'on observera également avec intérêt le mouvement de ressace de la jurisprudence et de la loi.

En 1998, la Cour de cassation juge que le "comportement" d'une partie peut justifier que l'autre mette fin au contrat à ses risques et périls (arrêt Tocqueville).

En 2016, la loi (ou l'ordonnance, si l'on préfère) affirme que la résolution par notification est possible en cas "d'inexécution suffisamment grave" (article 1224 C. civ.). Exit le comportement.

Et en 2023, la Cour de cassation permet, à nouveau, de rompre unilatéralement le contrat sans reprocher d'inexécution contractuelle à son partenaire, dès lors que son "comportement" est suffisamment grave.

A retenir :

- d'une part, la résolution unilatérale est possible, non seulement en cas d'inexécution, mais encore en cas de comportement grave ;

- d'autre part, la mise en demeure préalable n'est pas nécessaire en cas d'urgence ou si elle est vaine.