Confinement non respecté : une mise en danger de la vie d’autrui ? (fr)
France > Droit privé > Droit pénal
Auteurs : Astrid Mignon Colombet et Diane Floreancig, avocates, Cabinet August Debouzy
Date : le 31 mars 2020
Le décret du 17 mars a créé une contravention de quatrième classe punie d’une amende forfaitaire de 135 euros réprimant la violation des interdictions de se déplacer en-dehors de son domicile décrétées la veille. Deux jours plus tard, cinq personnes verbalisées à plusieurs reprises pour non-respect du confinement ont été placées en garde à vue pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Le 23 mars, la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a franchi une étape supplémentaire en prévoyant qu’une nouvelle violation constatée dans un délai de quinze jours pourra être sanctionnée par une contravention de cinquième classe, punie d’une amende de 1 500 euros ; et que si ces violations sont verbalisées plus de trois fois en trente jours, les faits seront punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ainsi que de peines complémentaires de travail d’intérêt général et de suspension du permis de conduire le cas échéant.
Depuis le premier jour du confinement, plus de 100 000 procès-verbaux auraient été dressés pour non-respect du confinement, la nouvelle contravention n’ayant manifestement pas produit l’effet dissuasif escompté. C’est ainsi que selon le Parquet de Bobigny, une quarantaine de gardes à vue ont déjà eu lieu et, selon le Parquet de Saint-Etienne, une condamnation à une peine d’emprisonnement a été prononcée le 24 mars par le tribunal correctionnel pour mise en danger d’autrui, délit réprimé par l’article 223-1 du code pénal. Cet article punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».
Trois conditions sont nécessaires pour caractériser ce délit de mise en danger.
Premièrement, il faut établir la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. La commission d’une contravention est généralement considérée comme le support de la mise en danger.
Deuxièmement, la violation doit avoir exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. L’incrimination impose donc d’établir un lien de causalité direct entre la violation du texte et un risque d’une très forte probabilité d’un tel évènement.
Troisièmement, la violation porteuse de risque pour autrui doit être manifestement délibérée. La Cour de cassation, par un arrêt du 19 avril 2017, a ainsi approuvé la condamnation d’une société pour mise en danger des salariés travaillant sur un chantier où le risque d’inhalation de fibres d’amiante était connu et alors que le risque de développer un cancer du poumon était certain.
Ces trois conditions sont-elles réunies à l’encontre des personnes ne respectant pas le confinement ?
Le risque considéré en l’espèce n’est pas tant celui d’une mutilation ou d’une infirmité permanente que le risque de décès lié au virus lui-même. Or ce risque est aussi lié à la possible saturation de nos hôpitaux qui manquent de moyens pour affronter une crise sanitaire d’une telle ampleur. On voit bien ici la difficulté à caractériser un lien de causalité direct entre le fait de sortir de chez soi pour une raison autorisée mais sans attestation et le fait d’exposer autrui à un risque de mort. La question est naturellement différente pour des sorties répétées et non autorisées. Par sa méconnaissance délibérée du confinement, la personne participe potentiellement à la propagation du virus. Mais l’existence d’un lien de causalité « direct» entre le non-respect du confinement et l’exposition d'autrui à un risque « immédiat » de décès pourra faire l’objet de débats juridiques, factuels et scientifiques.
L’infraction de mise en danger d’autrui est donc un outil juridique à manier avec précaution. Il serait regrettable de dévoyer cette infraction de sa signification pénale pour compenser l’impuissance temporaire des pouvoirs publics à imposer à la population la juste mesure de confinement. Mieux vaut légiférer d’urgence qu’instrumentaliser le droit pénal à des fins préventives.