Conflits de lois dans le temps : retour sur l'article 2 du Code civil
France > Droit privé > Droit civil > Droit des contrats spéciaux
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
Les conflits de lois dans le temps constituent à n’en pas douter un thème complexe. Rappelons quelques règles de base. D’une part, la loi n’a point d’effet rétroactif. Elle remet pas en cause les effets passés d’une situation juridique.
Deuxième axiome : la loi dispose pour l’avenir. Supposée meilleure, elle s’applique immédiatement aux situations en cours.
Exception : les contrats demeurent soumis à la loi en vigueur au jour de leur conclusion.
Exception à l’exception (les juristes ont de l’humour) : certaines dispositions sont d’application immédiate aux contrats en cours, parce qu’elles sont d’ordre public ou qu’elles touchent aux « effet légaux du contrat ».
Exception à l’exception à l’exception (si l’on ose !) : la loi de ratification du 20 avril 2018 interdit le recours à ces subterfuges .
Si vous pensez avoir bien compris les conflits de lois dans le temps, c’est qu’on vous les a mal expliqués !
Nouvelle pierre à l’édifice, un récent arrêt (Cass. civ. 3e, 9 février 2022, n° 21-10388 [1]) se prononce sur l’applicabilité d'une disposition de la loi ALUR (relative au congé pour reprise) à un bail conclu antérieurement.
Au cas d’espèce, un bail est conclu en 2013. En 2015, le bailleur délivre congé. Le preneur conteste la décision de reprise, invoquant la loi de 2014.
La cour d’appel (Montpellier, 21 janvier 2020), rejette la demande, au motif que « si la loi du 24 mars 2014 a reconnu au juge le pouvoir de contrôler a priori la réalité et le sérieux du motif de congé invoqué, elle n'est pas applicable aux baux en cours à la date de son entrée en vigueur ».
La position paraissait orthodoxe au regard du principe de survie de la loi ancienne. Elle s’inscrit en suite d’un arrêt ayant jugé que « la loi n'ayant point d'effet rétroactif, la loi du 24 mars 2014 n'est pas applicable à un congé délivré avant son entrée en vigueur » (Cass. civ. 3e, 19 décembre 2019, n° 18-20.854 [2]).
Elle est néanmoins censurée par la Haute juridiction : « l'article 15, I, de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, est applicable à la contestation du congé délivré après l'entrée en vigueur de cette loi, même si le bail a été conclu antérieurement à celle-ci ».
Si, sur le fond, l’on peut comprendre que la protection du preneur n’attende pas, encore faudrait-il que le Quai de l’Horloge l’explique. Dans un arrêt précédent, elle employé la notion d’effets légaux (Cass. Civ. 3e, 23 novembre 2017, n° 16-20.475 [3] : « la loi nouvelle régissant les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résultait que l'article 15 Ill de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, était applicable »).
Rien de tel ici, mais un arrêt à la motivation appauvrie.