Consensus autour de la proposition de loi sur les influenceurs

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France > Droit privé > Droit commercial


Catherine Muyl, Stéphanie Faber et Marion Cavalier, avocates au barreau de Paris [1]
Juin 2023


Après les remous liés à la réforme des retraites, le consensus autour de la nécessité d’encadrer les activités des influenceurs détonne. Déposée le 31 janvier 2023 par deux députés, un socialiste et un marcheur, la proposition de loi a été définitivement adoptée par le Sénat jeudi 1er juin, à l’unanimité des suffrages exprimés. La loi devrait être promulguée dans les jours prochains.

Contrairement à ce qui a pu être écrit, les influenceurs n’échappaient pas à la loi. Il y a un an et demi nous expliquions dans notre article « Influenceurs sous influence: plaidoyer pour une plus grande transparence [2] » que de nombreuses règles étaient susceptibles de s’appliquer, notamment celles sur la publicité mensongère et que l’ARPP avait émis plusieurs salves de recommandations. Une influenceuse célèbre avait été condamnée à payer une amende de 20.000 euros suite pour avoir fait la promotion d’un site de formation au trading en ligne.

Le législateur a néanmoins tenu à intervenir après avoir constaté que les règles existantes étaient largement ignorées (certains influenceurs ayant notamment décidé de s’installer dans des pays comme Dubaï). Après une enquête menée entre 2021 et 2023, la DGCCRF avait conclu que 60% des influenceurs ne respectaient pas la règlementation.

Définition de l’influenceur et de l’agent d’influenceurs

Les influenceurs sont définis comme les personnes physiques ou morales (ce sont le plus souvent des individus mais les plus actifs peuvent créer des entités juridiques) qui « à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque. »

Quant à l’activité d’agent d’influenceurs, elle est définie comme suit : « représenter, à titre onéreux, les [influenceurs] … dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque. »

Le caractère onéreux de l’activité et la finalité promotionnelle sont les conditions essentielles à l’application du nouveau texte.

Encadrement des agents d’influenceurs

Le succès de certains influenceurs n’a pas échappé aux agences de publicité et autres intermédiaires. Un nouveau métier est né qui consiste à mettre en relation influenceurs et annonceurs.

Cette activité est désormais encadrée. Alors que l’essentiel du nouveau texte vise à protéger les abonnés qui sont souvent très jeunes, les dispositions relatives aux agents visent à protéger les influenceurs dans leurs relations avec les agents, mais également à les responsabiliser.

Le contrat d’agent doit être rédigé par écrit et comporter certaines mentions obligatoires, notamment sur la nature des missions, la rémunération et la soumission au droit français lorsque sont visés des abonnés français. Ces dispositions ne s’appliqueront qu’au-delà d’un certain seuil de rémunération qui sera fixé par décret.

Mais la nouveauté qui va sans doute faire couler le plus d’encre, est que l’annonceur, l’influenceur et son agent sont solidairement responsables des dommages causés aux tiers par l’activité d’influence. Ainsi, si un influenceur incite ses abonnés à utiliser un produit d’une mauvaise façon et qu’un abonné se plaint d’un dommage, il pourra assigner à la fois l’influenceur, l’annonceur et l’agent de l’influenceur.

Interdiction de certaines publicités

Sans grande surprise, compte tenu des pratiques identifiées comme problématiques, le législateur entend interdire la promotion directe ou indirecte des produits ou services suivants :

  • la chirurgie esthétique,
  • les produits, actes, procédés techniques ou méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes thérapeutiques,
  • les produits de nicotine (à noter que le terme utilisé ici n’est pas celui de « tabac »),
  • les animaux sauvages dont la détention est interdite,
  • les contrats financiers d’investissement,
  • les services sur actifs numériques, sauf pour un annonceur agréé,
  • les offres au public de jetons ou « ICO », (à savoir des levées de fonds réalisées par émission de jetons numériques ou « tokens », via une blockchain ), sauf pour un annonceur ayant le visa requis,
  • les actifs numériques (sont visés notamment les livrets cryptos et les jetons non fongibles ou « NFT »), sauf pour un annonceur enregistré ou agréé.

Le non-respect de ces règles pourra être puni d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 100.000 euros.

Est également interdite la promotion directe ou indirecte « d’abonnements à des conseils ou à des pronostics sportifs. » Les sanctions sont ici pénales avec un emprisonnement maximum de 2 ans et une amende maximale de 300.000 euros pour les personnes physiques ou 1,5 million pour les personnes morales.

Une peine définitive ou provisoire d’interdiction d’exercice est également encourue.

Encadrement de la publicité

Obligations générales

Les influenceurs ont l’obligation d’indiquer explicitement la mention « publicité » ou « collaboration commerciale » de manière claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo, quel que soit le format de la promotion et durant toute sa durée.

Ils ont également l’obligation d’indiquer explicitement la mention « image retouchée » ou « image virtuelle » sur les photos ou vidéos ayant fait l’objet d’un traitement par filtre ou par intelligence artificielle, de manière claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo, quel que soit le format de la promotion et durant toute sa durée.

L’absence de cette mention obligatoire peut être punie de 2 ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende pour les personnes physiques ou 1,5 million pour les personnes morales.

Dropshipping

Le « dropshipping » est la pratique par laquelle le vendeur ne se charge que de la commercialisation, le fournisseur supportant la fabrication et l’expédition. Si l’influenceur n’est qu’un intermédiaire dans la vente, il sera responsable envers l’acheteur et devra :

  • informer l’acheteur potentiel de l’identité de son fournisseur,
  • vérifier que toutes les informations prévues par le code de la consommation sont bien communiquées,
  • vérifier que le bien est disponible et non contrefaisant et
  • vérifier l’existence d’un certificat de conformité aux normes européennes.

Jeux d’argent et de hasard

La publicité pour les jeux d’argent et de hasard est autorisée uniquement sur les plateformes en ligne ayant la capacité technique d’exclure l’accès aux mineurs et ayant effectivement activé le mécanisme d’exclusion, en conformité avec le référentiel de l’ARCOM.

Les influenceurs ont l’obligation de signaler l’interdiction du contenu aux mineurs de manière claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo, quel que soit le format de la promotion et durant toute sa durée.

Les contrats entre influenceurs et opérateurs de jeux d’argent et de hasard doivent comporter une clause par laquelle les influenceurs attestent connaître la règlementation de la publicité des jeux d’argent et de hasard et s’obliger à la respecter.

Tout manquement est puni d’une amende administrative allant jusqu’à 100.000 euros.

Formations professionnelles

La promotion des formations professionnelles, notamment via le compte personnel de formation (CPF), nécessite des mentions obligatoires.

Par ailleurs, est interdite toute vente ou offre promotionnelle d’un produit ou toute rétribution en échange d’une inscription à une formation.

Obligation pour les influenceurs à l’étranger de designer un représentant

Les influenceurs situés en dehors de l’Espace Economique Européen et de la Suisse doivent désigner par écrit un représentant légal dans l’UE qui est chargé de :

garantir la conformité des contrats d’influence commerciale sur le territoire français et répondre, en plus ou à la place des influenceurs, à toutes les demandes émanant des autorités administratives ou judiciaires compétentes, visant à la mise en conformité avec la nouvelle loi. Ce représentant doit avoir souscrit une assurance civile pour couvrir cette activité.

Le dispositif doit être complété par décret.

Influenceurs de moins de 16 ans

Les influenceurs de moins de 16 ans sont soumis aux règles du travail prévues par la loi n°2020-1266 [3] du 19 octobre 2020, désormais étendues à toutes les plateformes en ligne (plus seulement YouTube). Les parents doivent signer des contrats avec les annonceurs et consigner une part de leurs revenus (le pécule).

Cette loi crée plusieurs nouvelles sanctions administratives et pénales. Il sera intéressant de voir d’ici quelques mois si cela suffit à influencer les influenceurs dans le bon sens. On peut en tous cas s’attendre à une vigilance renforcée de la DGCCRF.