Coup de tonnerre dans un ciel clair : le barème Macron jugé contraire à la charte sociale européenne

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Lisa Van Der Straaten, Tristan Girard-Gaymard & Virginie Cadouin [1]
Septembre 2022


Dans une décision adoptée le 23 mars 2022, mais rendue publique le 26 septembre dernier, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) affirme que le barème d’indemnisation prud’homale en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse constitue une « violation » de la Charte sociale européenne.

Bref rappel du débat

Introduit par l’ordonnance du 22 septembre 2017, le barème Macron a bouleversé les modalités d’indemnisation en cas de licenciement injustifié. Cette réforme emblématique supprimait la compensation minimale de six mois de salaire et fixait un plafond d’indemnisation maximale limité à vingt mois de salaires.

Ce barème a longtemps fait débat et a été, dès son introduction, vivement contesté. De nombreuses juridictions ont remis en cause son application, le considérant contraire à la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail et la Charte sociale européenne.

Néanmoins, par une décision particulièrement attendue, la Cour de cassation a affirmé le 11 mai 2022 la validité et l’applicabilité du barème Macron en droit français.

La Cour de cassation a donc récemment mis fin à toute incertitude, à tout le moins jusqu’à ce qu’une décision du CEDS, publiée le 26 septembre dernier, relance une nouvelle fois la discussion.

La relance de la controverse

Alors que la Cour de cassation a affirmé la licéité du barème, notamment au regard de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail, la décision rendue par le Comité européen des droits sociaux relance le débat.

Saisi par deux organisations syndicales, la CGT et la CGT-FO, le CEDS conclu, à l’unanimité, à l’illicéité du barème Macron. Il balaye les arguments de la France en considérant que les montants prévus par le barème Macron « ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur ».

À la lumière de ces éléments, l’instance européenne conclut que le système français ne permet pas de garantir le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24 de la Charte.

Alors que le débat à ce sujet s’était tari dans les prétoires, ce rebondissement interroge donc naturellement sur les conséquences pratiques de cette décision.

Conséquences pratiques : une décision sans effets ?

Par ses deux décisions du 11 mai 2022, la Cour de cassation a clairement affirmé que l’article 24 de la Charte sociale européenne était dépourvu d’effet direct. L’on sait en effet depuis le célèbre arrêt Van Gend & Loos de la CJCE que le droit européen primaire n’a d’effet direct que dès lors que les dispositions invoquées sont précises, claires et inconditionnelles, et qu’elles ne fassent pas appel à des mesures complémentaires, de nature nationale ou européenne.

Dans le second arrêt du 11 mai dernier (pourvoi n° 21-15.247 [2]), la Cour de cassation avait anticipé la décision du CEDS (à laquelle elle est en réalité postérieure) en prévoyant que les décisions que prendrait cette instance ne produiraient pas d’effet contraignant, la Charte étant dépourvue d’effet direct en raison de son caractère essentiellement programmatique.

En l’absence de décision judiciaire, la décision du CEDS est donc dépourvue d’effets en droit interne. Ce n’est ici que l’application de la jurisprudence de la Cour de Justice, en vertu de laquelle les décisions peuvent avoir un effet direct lorsqu’elles désignent un État membre comme destinataire, mais cet effet direct ne peut être que vertical (CJCE, 10 novembre 1992, aff. n° C-156/91, Hansa Fleisch Ernst Mundt GmbH & Co. KG contre Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg).

Les conséquences juridiques dépendront donc des suites données à ladite décision. Celle-ci sera, en effet, transmise au Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui pourra soit n’y donner aucune suite, soit adopter une résolution ou une recommandation.

Il appartiendra ensuite au gouvernement ou au législateur de déterminer les conséquences de cette décision. L’avenir du barème est donc, à ce jour, entre leurs mains.

Dans l’attente, le barème demeure applicable, les juges pouvant juridiquement continuer de s’y référer ou choisir factuellement de s’y référer pour conserver un certaine uniformité.

En revanche, cette décision pourrait conduire à une certaine résistance notamment car l’article 24 de la Charte sociale européenne est rédigé dans des termes similaires à l’article 10 de la Convention OIT qui, elle, est d’effet direct.

Il ne fait donc aucun doute que, malgré les décisions de la Cour de cassation, l’avenir du barème Macron dans notre corpus législatif interroge.

Une polémique que l’on pouvait croire éteinte est finalement relancée, mais il n’est pas certain que le coup de tonnerre que constitue la décision du CEDS augure d’un orage en droit du travail…