Déshériter ses enfants et contourner le principe de la réserve héréditaire par une loi étrangère (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Anthony Bem, avocat au barreau de Paris
Août 2018



Peut-on déshériter ses enfants par la conclusion d’un testament à l’étranger ?


Le droit international a pour objet principal de coordonner, unifier et rassembler au maximum certaines règles de droit.


Il s’agit principalement de faire appliquer une même loi et un même principe à des pays ayant pourtant un régime juridique différent.


Parfois, il existe des sujets plus sensibles que d’autres, plus moraux, avec des enjeux plus ou moins importants.


C’est le cas de la validité du testament conclu à l’étranger et de la question du « déshéritage » des enfants.


En effet, s’est posée la question de savoir si une personne de nationalité française, résidant à l’étranger, peut rédiger un testament qui exclurait les enfants de la succession et de l’héritage ?


En effet, il existe un principe en droit français selon lequel les enfants héritiers de leurs parents sont égaux face à leurs droits successoraux et celui de ne pas être déshériter par ces derniers.


Ainsi, le principe de la réserve héréditaire assure l’équilibre entre, d’une part, le respect des droits successoraux des enfants héritiers dits réservataires et, d’une part, la libre disposition du patrimoine par le défunt.


Selon la loi française, « la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires ».


Or, grâce à la différence de textes en droit international, il est possible à chacun d’utiliser les règles de droit en vigueur dans un pays étranger pour limiter ou anéantir des règles nationales françaises contraignantes ou défavorables.

En pratique, certains parents profitent de cette possibilité pour tenter de déshériter leurs enfants.


Ainsi, se pose la question de savoir dans quelle mesure le principe de la réserve héréditaire est une règle protégée par l’ordre public international français ?


L’ordre public international français est l’ensemble des principes de justice universelle intangibles et doués de valeur internationale absolue.


Ces principes de justice universelle comprennent l’ensemble des droits ayant pour objectif la protection de la personne humaine et de sa dignité, des droits fondamentaux, des fondements politiques, familiaux et sociaux de la société française.


En l’espèce, un français résident en Californie a conclu un testament soumis à la loi californienne.


En effet, selon la loi californienne, il pouvait disposer de tous ses biens en faveur d’un trust bénéficiant à son épouse, mère de leurs deux filles alors mineures, sans en réserver une part à ses autres enfants et ainsi contourner le principe de la réserve héréditaire français.


Un contentieux est né entre les héritiers afin de contester le testament et permettre un partage équitable de la succession entre l’ensemble des enfants du californien défunt.


Aux termes d’un arrêt rendu, le 27 septembre 2017, la Cour de cassation a jugé que :


« Une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;

Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice X... est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux Etats-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française » (Cour de cassation, Première chambre civile, 27 septembre 2017, n°16-17198 [1]).

Ainsi, les juges confirment qu’il est possible pour une personne de nationalité française de faire un testament à l’étranger pour déshériter ses enfants.


Néanmoins, la Cour de cassation a posé deux conditions cumulatives à respecter :


- Le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat du lieu de conclusion du testament et qu’il peut y justifier une installation ancienne et durable ;

- Les enfants « déshérités » ne doivent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin.


A défaut, les juges français permettront à ces héritiers de bénéficier de leur héritage, de manière égalitaire entre eux grâce notamment au principe de la réserve héréditaire.


Pour conclure, il est intéressant de garder en mémoire que le droit californien permet valablement la constitution de « family trust » auquel est transféré tous les biens pour qu’au décès ceux-ci ne soient pas laissés en héritage à certains enfants, non bénéficiaire du trust.