De la lutte contre les discriminations au management interculturel (fr)

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 De la lutte contre les discriminations au management interculturel.
 Cinq étapes possibles d’un processus de formation à « l’intelligence de l’autre  » (M. SAUQUET, 2007)



« Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui » (Montaigne, Les Essais).



Intervention de M. Philippe PIERRE [1] lors du colloque «L’ENTREPRISE FACE AU DROIT DE LA DISCRIMINATION : LES DÉFIS SOCIOLOGIQUES, ÉCONOMIQUES ET JURIDIQUES» (Plaquette de l’événement)
Le 31 Mars 2015



Résumé de l’intervention :

Mon intervention vise à réfléchir à une démarche de formation de salariés relevant de la lutte contre les discriminations et se nourrissant des apports des recherches dites interculturelles.

Il s’agit, plus précisément, de réfléchir à une démarche de formation de salaries relevant à la fois de la lutte contre les discriminations, de la gestion de la diversité́́ et du management interculturel. Nous décrivons cinq étapes clés d’un processus idéal typique qui articule nécessairement ces trois domaines d’action différents, parfois complémentaires, trop rarement articulés ensemble, en entreprise.

La discipline du management interculturel a beaucoup à apporter aux avocats et aux juristes.

Le management interculturel explore en quoi les mécanismes d’exclusion plongent leurs racines dans les profondeurs des consciences, dans l’histoire des peuples, des institutions et des entreprises. Ce domaine de recherche et d’action a la volonté de clarifier et faire clarifier les principes d’action, de justice - pourrait-on dire - sur lesquels s’appuient les personnes lorsqu’elles font des justifications et prennent des décisions.

Quand on évoque ces sujets, on a l’habitude distinguer en entreprise, trois domaines différents :

- Les métiers du champ de l’interculturel (propres plutôt à la gestion des expatriés, à la négociation commerciale, aux équipes-projets en plusieurs pays, aux phénomènes de rapprochement entre entreprises… mais aussi, plus récemment de la communication à distance dans des équipes déspatialisées ou le mouvement des universités d’entreprises présentes en différents endroits du globe).

- Les métiers du domaine de la lutte contre les discriminations (propres au droit du travail ou au droit des sociétés).

- Les métiers liés au champ de la gestion de la diversité (propres davantage au management des équipes et au déploiement d’un certain nombre d’outils de mesure et de pilotage supposés utiles et fréquemment portés par des « responsables diversité »). En France, on peut situer, au début des années 2000, l’émergence de la catégorie managériale de la diversité dans le monde des entreprises (Y. SABEG et L. MEHAIGNERIE, 2004).

Notre démarche prône le nécessaire développement de formations où la logique de la justice par le droit (lutte contre les discriminations) ne tende pas à s’effacer au profit d’une rhétorique de l’intérêt économique (gestion de la diversité) qui s’arrange pour gommer les rapports de pouvoir en entreprise entre groupes majoritaires et minoritaires et considère comme systématiquement plus performant le fonctionnement d’équipes diversifiées (plutôt « qu’homogènes ») sans prendre en compte la variable du temps nécessaire pour établir la confiance entre ses membres.

L’expérience interculturelle consiste à tenter de penser sa culture à partir de la culture d’une ou d’un autre. Nous distinguons habituellement une approche « monoculturelle » qui recherche l’égalité de traitement, une approche « multiculturelle » la valorisation, côte à côte, des variétés de compétences sans favoriser la coopération et une approche « interculturelle » la création d’apprentissages réciproques à partir de différences révélées et acceptées. C’est d’abord une expérience de dévoilement et d’arrachement à soi–même par le détour de l’autre.


Intervention :

En entreprise, tout semble concourir à aiguiser la question des différences culturelles et plus que jamais l’entreprise est une « affaire de société », comme aimait à le dire le sociologue Renaud Sainsaulieu. Plus que jamais, les entreprises ont partie liée avec une société dans laquelle l’enjeu est celui d’une lutte sur les deux terrains du social (contre la relégation) et du culturel (contre l’invisibilité sociale) de tous ceux qui ne sont pas « comme nous », qui ne pourront pas « réussir » avec nous, des associations de malades et de handicapés, des sans-papiers, des gens du voyage, des minorités dites visibles qui n’expriment pas toujours seulement des revendications monétaires et concrètes (B. EME, 2006, p. 41-43).

Nous venons de souligner avec Jean-François Chanlat que la différence culturelle renvoyait à deux problèmes fondamentaux autour d’authentiques demandes de reconnaissance : la question du rapport à l’autre (l’altérité comme principe d’interaction entre les individus) et la question du vivre ensemble (la socialité entre des individus qui expriment de constantes demandes de reconnaissance) (J. F. Chanlat et S. Dameron, 2009). J’ai intitulé ma communication « De la lutte contres les discriminations au management interculturel » pour éclairer les apports que représente la recherche interculturelle à la compréhension du monde du travail et des entreprises.

On sait que trois critères fondent généralement le principe d'une discrimination : l'existence d'un groupe ou d'une personne en situation défavorable, une différence de traitement en situation comparable et l'absence de justification de cette différence. C’est sur le sens même de la justification des acteurs et du sentiment d’injustice vécu que le management interculturel peut apporter des clés utiles à l’action.

Ce que souligne d’abord l’approche interculturelle est qu’à la racine des politiques de lutte contre les discriminations, il y a bien le constat de la persistance d’une discrimination structurelle, enracinée dans les mœurs et dans l’histoire des peuples, longtemps après son inscription dans les textes de loi (E. Deschavanne, 2005). Mais quelle est la visée exacte du management interculturel ?

Celle d’une possible science des effets de contextes qui se diversifient (migrations, extension des technologies, internationalisation des équipes et des implantations en différentes régions, en différents pays…). Un ensemble de connaissances validées par des méthodes scientifiques qui rappelle que « la différence provient plus souvent du regard du normal », de ses stéréotypes, de son ignorance et de ses craintes « que du comportement du différent » ainsi que l’écrit Norbert ALTER[2]

Au travers de quatre niveaux d’arguments, le grand psychologue C. CAMILLERI (1993, p. 43-50) a su souligner pourquoi « l’interculturel » - comme domaine d’étude des obstacles à la communication entre porteurs de cultures différentes - apparaîssait comme un enjeu croissant de nos sociétés de « modernité tardive » :

- « Arguments réalistes » : l’éducation au « pluriel » participe d’une société-monde en construction qui favorise un brassage ethno-culturel dans nos sociétés. Les situations de migrations, les nouvelles réalités diasporiques, les communautés virtualisées sur le net, les équipes déspatialisées de travail renouvellent les catégories traditionnelles de l’analyse.
- « Arguments scientifiques » : la culture est élément clé d’intégration. L’enfant, l’individu en général obtiennent de plus grandes chances d’intégration en terre étrangère si on « ménage la continuité avec le passé : c’est à dire, entre autres choses, avec la culture du milieu familial, spécialement, celle vécue dans la relation à la mère ».
- « Arguments éthiques » : chacun a droit au maintien de sa culture en accord avec les exigences d’un contrat social favorisant la liberté, l’égalité et la fraternité. L’interculturel « bien conduit » amène les individus à réfléchir sur leurs cultures et les conditions d’une préservation qui soit ouverture à « l’intelligence de l’autre » (M. SAUQUET, 2007).
- « Arguments philosophiques » : « beaucoup pensent enfin que la diversité culturelle est l’expression de la richesse de l’humain se dévoilant à travers le temps, et qu’il est donc avantageux d’en faire profiter tout le monde en ménageant l’accès de tous à cette diversité » (C. CAMILLERI, 1993, p. 44).

Avec E. MUTABAZI (2008, 2010), nous avons pu rappeler en différents livres que l’axiomatique générale du management interculturel conduisait à se demander comment utiliser des désaccords entre des intuitions différentes de ce que sont le changement, le temps, l’autorité légitime, tout simplement une identité professionnelle ou une apparence physique… La recherche interculturelle s’apparente à une « clairière dans une forêt de perplexités » pour reprendre la belle formule de Paul RICOEUR (2004) quand de plus en plus de personnes travaillent, en effet, dans une langue, vivent en famille dans une autre et cultivent des amitiés dans une troisième...

L’interculturel est aussi suspension de la dispute par la présence d’un tiers ou d’un médiateur.

Disons le tout net. L’enjeu interculturel du management n’est pas de céder à une rhétorique consensuelle visant à mieux dénier les rapports de domination, à faire passer les axiomes du capitalisme néo-libéral (la recherche du profit maximum, les bienfaits de la concurrence libre et non faussée), l’incapacité économique de l’État… pour un horizon « rationnel » indépassable.
Parce qu’il n’y a de science que de ce qui est caché, un des enjeux trop souvent oubliés du management interculturel est de dévoiler des rapports cachés, déniés ou refoulés à propos de l’ordre social. Le sociologue et le psychologue s’associent à l’avocat et au juriste et l’enjeu est de rendre explicite et visible les constructions sociales et comment se légitiment les hiérarchies qui fondent les discriminations à l’œuvre :
- Pourquoi des années plus tard après un rapprochement entre deux entreprises, on continue de s’appeler mutuellement les « ex » de… ? Et que dans les couloirs, en formation… on continue de se nommer par exemple les « bleus » et les « rouges », en référence aux logos et aux histoires des entreprises.
- Pourquoi certaines personnes passées 45 ans – et que l’on appelle nous dit-on des « seniors » - vivent ce qu’un de nos collègues universitaires appelle un sentiment précoce de fin de vie professionnelle et font donc à tort un lien causal entre âge et incompétence, retrait volontaire des sphères de promotion ou même de formation ?

A quels terrains s’intéresse la discipline du management interculturel ?
Aux mobilités professionnelles, aux mobilités géographiques, aux situations de rapprochements d’entreprises par acquisitions, fusions ou alliances, aux créations et développements de filiales à l’étranger, et aussi à la coopération exigeante dans des équipes de travail diversifiées du point de vue des âges, des genres, des trajectoires et accidents de la vie, des métiers de base... De plus en plus de demandes d’interventions se portent sur les aspects intergénérationnels et la question de la transmission d’expérience entre jeunes et moins jeunes ainsi que sur les pratiques cultuelles et le rapport aux croyances religieuses dans l’espace même du travail et des entreprises.
Le management interculturel confirme l’hypothèse que l’entreprise est un « creuset » d’affirmation identitaire pour des individus qui ont tendance à s’opposer à la privatisation de leurs appartenances, de leurs croyances et donc de ce qu’ils considèrent comme une négation d’une dimension de leur existence. Il conduit à se demander comment, dès lors, prendre en compte les individus ou groupes dits « minoritaires » de manière plus équitable, quitter un modèle assimilationniste perçu comme étouffant pour entrer dans une dynamique de reconnaissance du pluralisme ?

Nous distinguons souvent, dans le traitement des discriminations, une approche « monoculturelle » qui assimile (« je te transforme en chose et la chose c’est moi. C’est pour ton bien »), « multiculturelle » qui insère et fait coexister (« je ne veux pas te connaître en tes différences et apports pourvu que l’on obtienne le résultat prévu. Organise toi comme tu veux ») et une approche « interculturelle » qui intègre c’est à dire qui n’élude pas les effets de fascination et de résistance à toute présence d’un autre en face de nous[3].

La discipline du management interculturel est à la fois un corps de doctrine visant une explication du monde du travail, une discipline universitaire et aussi une pratique pour l’action de cabinets conseil, de sociologues intervenants ou d’équipes de gestion des ressources humaines. Que penser de cette alliance étrange entre management et culture, domaine de la gestion et de l’anthropologie, laquelle n'est pas nouvelle en sciences des organisations (J. F. CHANLAT, 2015) ?

Le management interculturel part traditionnellement d’un quadruple postulat :

- Point 1, Il n’y a pas de modèle universel de gestion partout adaptable. Penser le contraire et « passer en force » crée de la résistance culturelle.

- Point 2, Les inégalités de notre société sont relatives largement à l’incapacité pour chacun de définir un sens à son expérience. La recherche interculturelle amène donc à lire les inégalités comme ce qui fait blocage, chez une personne, à une acquisition de compétences.

- Point 3, Ce sens et ces blocages interrogent les mécanismes de censure du système et d’autocensure de la personne qui dépendent des contextes culturels. Il n’est donc pas de réflexion pour le juriste sur les discriminations, le traitement équitable des individus et la subjectivité d’un sentiment d’injustice sans examen utile de ces contextes culturels et ajoutons-nous identitaires.

- Point 4, Nos institutions et entreprises accueillent et font travailler de plus en plus de personnes entre deux cultures nationales, quotidiennement entre deux villes, entre deux traditions familiales, entre deux systèmes de rôles professionnels selon les lieux et les interlocuteurs, entre deux langues… Ainsi, au temps de l’appartenance unique succèderait une posture distanciée et une culture de la distance à ses propres référentiels de sens. Nous ne développerons que peu cette dimension avec vous ce matin[4].

Autour de quelques interrogations issues du terrain et de nos pratiques, je veux souligner combien la discipline du management interculturel m’apparaît de profonde actualité :

- Comment favoriser, par la formation notamment, l’auto-déclaration des travailleurs ayant un handicap non visible (cécité, surdité, handicap moteur ; mais aussi trouble mnésique, fatigabilité, défaillance de l’écriture, problèmes temporaires d’élocution...) ?
- Comment faire face aux limites d’un discours de la performance refusant de garder dans son effectif une personne en situation de handicap qui ne « performe » pas ou pas tout de suite ou pas de la même manière que les autres ?
- Et comment faire si l’appréhension d’une personne handicapée n’est pas chose identique pour un Anglais, un Espagnol, un Brésilien, un Chinois et construire une politique commune en différents pays…
- Comment aider des équipes à recrutement à défendre des candidatures qu’elles jugent « atypiques », c’est à dire « transgressives », et cesser de proposer des candidats toujours susceptibles de plaire au client ou au supérieur hiérarchique, excluant de fait des candidats en fonction de préjugés tenaces ?
- Comment former du reste une aide soignante venue d’un pays lointain et qui prodigue des soins, lave, porte, soutient une personne âgée qui, pour sa part, n’a jamais pris ni train, ni avion, ni bateau ? Leur coprésence quotidienne les incite à chercher chez l’autre ce qui est signifiant et ce langage, parmi tous les signes communicants, passe largement par le corps et les affects. Elles se découvrent dans leurs manifestations d’émotion, et aussi d’indifférence, face à certaines formes d’inconfort. L’idée qu’elles se font du handicap et au devoir d’assistance semble différer.
- Quels arguments et moyens donner à un directeur d’établissement d’une maison de retraite face à des familles racistes qui ne veulent pas d’un contact physique entre leurs parents âgés et un personnel infirmier d’une autre couleur ?
- Comment mieux comprendre les demandes d’un salarié qui serait le premier à vouloir pratiquer le ramadan dans son entreprise ?
- Comment aider des organisations humanitaires qui internationalisent de plus en plus leurs équipes et adoptent des technologies de type « forum de discussion » ? Comment répondre à ce qu’elles ressentent comme une transformation des rapports d’autorité et de coopération au sein de l’institution comme avec leurs parties prenantes politiques en externe (modalités nouvelles de lobbying par exemple) ?
- Que penser d’un informaticien qui partage à distance, et depuis plusieurs années, quasi-quotidiennement, avec des collègues qu’il n’a jamais rencontrés physiquement et qu’il dit très bien connaître pourtant ? Il entend prolonger les dispositifs d’apprentissage par la mise en place d’un système de gestion des connaissances dans une dizaine de pays différents.
- Que dire quand des années après une fusion on continue de se nommer en réunion les « greffons… » ?

Un chef de chantier veut établir des relations efficaces dans un pays d'implantation marqué par des années de colonisation et des équipes qui ne parlent pas anglais et très mal sa langue. Son chantier regroupe sur un même lieu de travail plus de quarante nationalités et des individus dont le statut d’emploi est différent (salariés et travailleurs extérieurs). Il se demande, dans un pays où la lenteur est une marque de sagesse, et face à un siège qui s’impatiente et demande des comptes, comment pouvoir favoriser le transfert de compétences et l’apprentissage grâce à ces différences.

Une femme cadre commerciale négocie avec des partenaires étrangers les conditions d’un rapprochement entre deux équipes à la suite d’une fusion. Six hommes lui font face autour d’une longue table commune. Elle sera la seule femme cadre de l’entreprise. Il n’y en a jamais eu. Elle se demande comment créer une nouvelle culture d’entreprise et que signifie, en un tel contexte, « conduire le changement ».

Un jeune retraité, né à Paris, est appelé à former des managers de son ancienne entreprise qui se préparent à l’expatriation et est heureux de leur parler d’un pays et d’une culture dans lequel, lui et sa famille, ont vécu, au final, plus longtemps qu’en France. Il ne comprend pas les réticences des futurs expatriés. On devrait passer sa vie à voyager et à constamment s’interroger si cette idée qui est la nôtre, si ces mots qui sont nôtres ont un sens ou pas dans la culture de l’autre (M. SAUQUET et M. VIELAJUS, 2014) ?

Pour toutes ces situations de travail, et bien d’autres, on en appelle donc de plus en plus au management interculturel pour comprendre et agir.

Nous allons explorer avec vous deux pistes ce matin :

1, Comment construire et animer un dispositif de formation d'adultes visant à améliorer la compétitivité et la performance de l'entreprise en capitalisant sur les différences des personnes, de leurs styles d'interaction et de leurs modes de pensées ainsi que sur la pluralité de l'organisation qui les emploie (par ses implantations, ses métiers, ses cultures) ?
2, En quoi des actions de formation des adultes en entreprise reconnaissant certaines « différences » entre des individus (par ailleurs liés ou non à une appartenance à des groupes protégés par le droit) pourraient-elles contribuer à la performance de l’entreprise sans se réduire à de pernicieux effets d’annonces liés à la catégorie managériale de la diversité qui nous paraît flou et vide de toute valeur réellement normative ?[5]

Nous sommes convaincus que la formation peut jouer un rôle majeur dans la transformation des attitudes xénophobes, sexistes ou racistes face à la mise à l’écart de personnes handicapées, face aux attitudes de rejet entre générations différentes, face à l’absence de transmission entre membres différents d’une même équipe ou d’un même métier.

L’enjeu est non – selon nous - de « respecter » la diversité mais inventer une articulation entre unité et diversité, une articulation qui n’est pas cette limite où quelque chose cesse, mais bien, à partir de quoi quelque chose naît et commence à exister.

Le management interculturel tient de la co-construction et du dépassement d’une posture « défensive » qui se cantonne à la seule peur du gendarme ou à la seule prévention des risques de détérioration d’image d’une entreprise.

Cinq étapes clés nous paraissent à repérer au cœur d’un processus de formation à « l’intelligence de l’autre » et de mise en œuvre d’un management efficient des individus et des équipes diversifiées en contextes multiculturels (S. DAMERON et O. JOFFRE, 2007).

A chacune de ces 5 étapes, l’avocat ou le juriste ont, selon nous, à intervenir, apporter leurs connaissances et enrichir les débats.

Quelles sont ces cinq étapes ?[6]

- Etape 1, Etre conduit – en tant que personne qui participe à une formation interculturelle - à distancier son regard en prenant la mesure de ses propres stéréotypes et préjugés.
- Etape 2, Nommer et prouver les discriminations pour mieux les combattre.
- Etape 3, Dépasser le caractère fixiste d’une certaine conception de la « gestion de la diversité ».
- Etape 4 Faire en sorte de rendre plus intelligible les cadres symboliques dans lesquels les personnes opèrent. Lutter contre les discriminations consiste aussi à revenir aux causes, aux bonnes ou mauvaises raisons d’agir de chacun. Rappeler qu’il n’y a pas d’action de gestion qui ne soit pas située culturellement. Tel retard est ici accepté et là injurieux. Tel signe de la main est ici attendu, là d’abord refusé…
- Etape 5, Fonder les conditions d’un management interculturel sur le long terme.



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Références

  1. Sociologue, consultant, ancien DRH et co-directeur du Master de Management Interculturel de Paris Dauphine, www.philippepierre.com.
  2. N. ALTER, La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques, PUF, 2012, p. 23.
  3. Pour F. VARELA (1988), ce n'est pas son habileté à résoudre des problèmes qui rend une organisation intelligente, c'est l'habileté de ses membres à créer un « univers de significations partagées », un « acte cognitif qui implique d'écouter ses collègues et d'accueillir l'unique perspective de chacun». Pour que cet univers soit fertilisé, il faut que les employés aient envie de scruter constamment le monde pour découvrir l'expertise technique dans laquelle d'autres ont déjà investie, intégrer ainsi un savoir externe, créer une organisation « virtuelle de recherche » par des réseaux et des alliances. Cette façon de faire combine apprentissages et économies. Les ressources sont fournies aux employés pour créer des alliances et des réseaux.
  4. La recherche en management interculturel, jusqu’à présent, a fait assez peu de place à l’individu, au caractère pluriel de ses appartenances, aux dissonances et aux tiraillements identitaires, préférant se focaliser sur l’étude de différences comportementales culturelles issues de processus de socialisation liés aux Etats-nations. Une bonne part de notre travail universitaire, depuis vingt ans, consiste à rappeler que l’affirmation identitaire de quelqu’un en entreprise ne révèle pas a priori toujours une appartenance (stato-nationale) mais une intention de communication, un vouloir dire qu’il convient de décrypter, de co-construire (liant souvent niveaux locaux, régionaux, nationaux, internationaux… d’appartenance culturelle). Pensons par exemple, aux ancrages régionaux en Corse, Catalogne ou en Ecosse en Europe, du Québec en Amérique du Nord, aux pratiques religieuses de communautés de croyants présentes en plusieurs pays, aux préférences linguistiques en Flandre ou aux formes d’ethno-tribalisme en Afrique ou en Asie… Pour mesurer la distance de deux cultures, conviendrait-il de disposer d’une définition positive de chacune et d’un système de mesure des distances pertinent dans l’une et l’autre ? Chaque manifestation identitaire, sans recouper nécessairement l’espace de la culture, est bien au confluent de plusieurs interprétations possibles. Entre codes d’appartenance culturels hérités et codes de référence culturelle choisis, c’est bien au moins à trois ou quatre niveaux d’observation que devrait s’entendre l’analyse des faits et relations dits « interculturels » : le niveau de l’individu qui travaille, celui des équipes multiculturelles où il opère et celui de l’institution qui l’emploie, insérée elle-même dans une ou plusieurs cultures nationales. On ne pose pas sa culture à un porte-manteau même si l’on est amené à fréquenter les mêmes lieux supposés transnationaux, les mêmes hôtels et les mêmes avions. Il faut aussi se méfier du mythe selon lequel les groupes sociaux dominants, les « élites », les mobiles dans la mondialisation seraient composés d’individus parfaitement conformes et partageant des attributs culturels homogènes dans la mondialisation.
  5. Si les politiques de gestion de la diversité en entreprise visent à accroître la présence de membres de groupes dominés dans des lieux socialement valorisés, elles ne disent rien de la nature des moyens de traitements préférentiels choisis ou pire, confondent action positive et discrimination positive en surestimant le poids des appartenances ethno-raciales dans la quête de l’’égalité réelle par la mise en place souhaitée ou déguisées de quotas fondés sur l’origine. On parlera progressivement, par exemple, de personnes « issues de la diversité » plutôt que de «minorités », de « promotion de la diversité » plutôt que d’afficher clairement le but d’une « discrimination positive » inspirée de politiques anglo-saxonnes.
  6. Notre communication est structurée en trois domaines (lutte contre les discriminations, gestion de la diversité et management interculturel) qui renvoie à ces cinq étapes. La première et la deuxième étape renvoient à la lutte contre les discriminations, la troisième au domaine de la gestion de la diversité et les deux dernières se situent dans le champ du management interculturel.

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.