De la nature personnelle ou réelle de l'action en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Il y a quelque temps déjà, nous avions relevé l’audacieuse position d’un plaideur qui soutenait que l’action en exécution forcée d’une promesse synallagmatique de vente était une action réelle, soumise à la prescription trentenaire. La Cour (Cass. Civ. 3e, 8 juillet 2021, n° 19-26342 [1]), relevant que le transfert de propriété ayant été subordonné à la réitération en la forme authentique, le bénéficiaire n’était pas encore propriétaire, de sorte qu’il n’exerçait pas une action en revendication mais une action personnelle, qui se prescrit par 5 ans. Nous exposions que la solution, logique, demeurait contingente en ce sens que tout dépendait de la rédaction de la promesse. Si les parties n’avaient pas stipulé que la propriété ne passerait que lors de l’acte authentique, la solution eût été différente.

Sur cet arrêt, voir L. Thibierge, « Promesses de vente : de l’exécution forcée », Revue des contrats 2022/1, p/ 49.

Voici un nouvel arrêt qui retient l’attention. En l’espèce (Cass. Civ. 3e, 2 mars 2022, n° 20-23602 [2]), le vendeur d’un bien immobilier n’avait pas été payé par l’acquéreur (dans le cadre d’une adjudication). La vente avait eu lieu en 2007. Impayé, il en réclamait la résolution en 2016. Pour accueillir l’action, la cour d’appel retient que « l'imprescriptibilité du droit de propriété emporte celle de l'action en revendication et que la résolution judiciaire de la vente aux enchères du 2 octobre 2007 pour défaut de paiement du prix d'adjudication ne constitue pas une demande en paiement du prix, mais est destinée à protéger la propriété et se trouve soumise à la prescription trentenaire ». Dit autrement, les juges du fond assimilent l’action en résolution de la vente à une action en revendication, parce qu’elle emportera in fine la restitution de la propriété au vendeur.

Cassation, justifiée à notre sens. L’action en résolution est une action personnelle, et non une action en revendication. Sauf à considérer que la nature de l’action en résolution varie en fonction du type de contrat (personnelle pour tous les contrats ; réelle pour les ventes immobilières), l’action en résolution, qui sanctionne l’inexécution d’une obligation (droit personnel) doit être qualifiée de personnelle.

En application de l’article 2224 C. Civ., l’action devait donc être exercée dans les 5 ans du jour où le créancier a connu les faits lui permettant d’agir, i.e. du jour où le prix aurait dû être payé.

Où l’on voit que la distinction des actions réelles et personnelles, conséquence de la summa divisio biens / personnes, loin d’être cantonnée aux arcanes doctrinaux, revêt un fort intérêt pratique.