De la notion d’exception inhérente à la dette

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Le 8 septembre 2022


Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 6 juillet 2022, 20-20.085 , Publié au bulletin [1]

Avec l’avènement de l’article 2298 nouveau du Code civil, issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021, on aurait tôt fait d’entonner un requiem pour la notion d’exception inhérente à la dette. Après tout, le nouveau texte ne prive-t-il pas d’intérêt cette rétive notion, en disposant que « La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur » ?

La conclusion serait hâtive, à double titre. D’une part, la dichotomie opposant les exceptions inhérentes à la dette (le debitum) et celles qui seraient personnelles au débiteur (l’obligation) subsiste dans le régime général de l’obligation, notamment quant à la cession de contrat (art. 1216-2), de créance (art. 1324) ou de dette (art. 1328) ou encore quant à la subrogation (art. 1346-5).

D’autre part, à ne raisonner que sur le seul terrain du cautionnement, siège de l’art. 2298 nouveau, il faut distinguer suivant la date de conclusion du contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’appliquant (sur ce point) qu’aux contrats conclus après le 1er janvier 2022, tous les cautionnements antérieurs relèvent encore de l’article 2313 ancien, lequel distingue bien entre les exceptions inhérentes à la dette et celles qui sont propres au débiteur.

En témoigne un récent arrêt (Cass. Com., 6 juillet 2022, n° 20-20.085).

Les faits de l’espèce étant passablement complexes, on les simplifiera à des fins didactiques.

Actionnée en paiement, une caution reprochait au créancier de n’avoir pas respecté le préalable de conciliation obligatoire institué par une clause du contrat de prêt. Question : s’agit-il là d’une exception inhérente à la dette, ce qui permettait à la caution d’en exciper, ou d’une exception personnelle au débiteur ?

Pour la Cour, « La fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d'une clause contractuelle qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, ne concerne, lorsqu'une telle clause figure dans un contrat de prêt (…), que les modalités d'exercice de l'action du créancier contre le débiteur principal et non la dette de remboursement elle-même dont la caution est également tenue, de sorte qu'elle ne constitue pas une exception inhérente à la dette que la caution peut opposer ».

La solution peut sembler logique. Néanmoins, l’explication ne convainc pas pleinement.

En quoi est-ce que la source de l’exception (ici le contrat de prêt) interdit d’y voir une exception inhérente à la dette ? Quid si le contrat de prêt comportait une clause relative à la prescription ? Ne serait-elle pas, au contraire, une exception inhérente à la dette ? Et que dire de l’art. 1216-1 précité, qui définit comme inhérente à la dette l'exception d'inexécution ou la résolution du contrat ?