Décret éco-énergie tertiaire - Bail commercial une co-responsabilité entre les bailleurs et les locataires

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Johanne Zakine, avocate au barreau de Paris
Zakine Avocats [1]

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Le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire a été modifié par le décret n° 2021-872 du 30 juin 2021[2], puis par la loi n° 2021-1104 du 22 août dite « Climat Résilience »[3] ainsi que l’arrêté du 29 septembre 2021 qui précise les modalités du dispositif.

Quels sont les assujettis, leurs obligations et les sanctions de l’inobservation de celles-ci ?

L’assujettissement

Le champ d’application du décret est précisé à l’article L.174-1, II du Code de la construction et de l’habitation. La liberté contractuelle y est préservée quant à la répartition des obligations de réduction de consommation énergétique entre propriétaire-bailleur et locataire-utilisateur. Cependant ils doivent agir de concert et se communiquer mutuellement les données de consommation.

❖ Seuil de 1.000 m2

Sont assujettis les bailleurs et les preneurs à bail de :

➢ Bâtiment hébergeant exclusivement des activités tertiaires sur une surface de plancher supérieure ou égale à 1.000 m2 ;

➢ Parties d’un bâtiment à usage mixte qui hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1.000 m2 ;

➢ Tout ensemble de bâtiments situés sur une même unité foncière ou un même site dès lors que ces bâtiments hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1.000 m2.

❖ Unité foncière

L’unité foncière est « un îlot de propriété d’un seul tenant, composé d’une parcelle ou d’un ensemble de parcelles appartenant à un même propriétaire ou à la même indivision » alors que le site correspond à un établissement comportant plusieurs bâtiments dont l’exploitation est assurée par la même entité juridique.

Si la superficie que le preneur loue est égale ou supérieure à 1.000 m2, il parait évident que ce dernier doit savoir qu’il est assujetti. Dans le cas contraire, seul le bailleur est en mesure d’apprécier l’assujettissement et c’est de ce fait à lui d’initier des concertations avec son locataire pour l’élaboration d’un plan d’action, la collecte des données de consommation et leur saisie sur la plateforme OPERAT dans le respect des stipulations du bail qui les lie.

Les obligations respectives des parties

❖ Objectif de réduction de consommation

Le bailleur et le cas échéant le preneur dont le bâtiment est assujetti devra mettre en œuvre des actions de réduction de sa consommation d’énergie pour parvenir à une réduction de 40% en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050 avec une année de référence qui ne peut être antérieure à 2010. Les plans d’actions doivent intégrer la performance énergétique des bâtiments mais également les comportements individuels des utilisateurs.

❖ Une nouvelle annexe obligatoire au bail

Il se déduit de l’article L.174-1, II du Code de la construction et de l’habitation que le bailleur devra désormais annexer au bail l’évaluation du respect de l’obligation de réduction énergétique.

❖ Elaboration d’un plan d’actions

Le bailleur doit faire établir un diagnostic de l’état de la performance énergétique des bâtiments pour élaborer un plan d’actions qui sera négocié avec le preneur en fonction des stipulations du bail.

❖ Obligations déclaratives (Article R 174-28 du CCH)

Chaque année et au plus tard le 30 septembre, chaque partie prenante doit déclarer sur une plateforme dédiée, « OPERAT », un ensemble d’informations lié à sa consommation énergétique. Cette obligation pèse sur le bailleur ou le preneur en fonction des stipulations du bail. Cependant, pour pouvoir respecter leurs objectifs de réduction, les parties doivent se communiquer mutuellement les informations qu’elles détiennent en matière de consommation.

❖ Charge des travaux

C’est le sujet épineux qui va certainement être le plus débattu devant les juridictions. La loi Pinel ne fixe pas en effet de répartition des rôles dans la relation commerciale entre le bailleur et le locataire mais demande à ce que celle-ci soit précisée au bail commercial.

Dans le silence du bail – et à condition que les travaux justifiés par la vétusté et la mise aux normes de l’immeuble n’aient pas été expressément transférés sur le locataire - les travaux Page 3 sur 3 relevant de la mise aux normes devront être supportés par le bailleur s’ils relèvent des grosses réparations de l’article 606 du Code Civil. Rappelons que pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 5 novembre 2014, date du décret d’application de la loi Pinel, les réparations et travaux pouvant être imputés au locataire sont limités à une liste définie au bail.

L’article R 145-40-1 prévoit que le bailleur doit communiquer au locataire un historique des 3 dernières années de travaux et un état prévisionnel des travaux sur 3 ans. Le bail commercial doit définir de façon précise et limitative les charges et travaux avec leur répartition entre le bailleur et le locataire.

Les sanctions

L’article R.185-2 du Code de la construction et de l’habitation donne compétence au préfet pour mettre en demeure les parties prenantes d’avoir à respecter l’obligation de déclaration dans un délai de trois mois, délai à l’expiration duquel la partie récalcitrante pourra être fichée sur un site internet public (pratique du « Name and Shame »).

Le préfet est également habilité à enjoindre au bailleur et le cas échéant au preneur d’avoir à établir un plan d’actions et à le respecter.

Après une première mise en demeure de 6 mois puis de 3 mois à compter de la première, l’assujetti sera également fiché sur le site dédié et peut se voir infligé une amende administrative de 7.500 euros pour les personnes morales. Il en est de même du non-respect du plan approuvé par le préfet.

En conclusion,
Il est vivement conseillé de prévoir dans le bail ou son annexe la répartition des rôles entre le bailleur et le locataire vis-à-vis du dispositif Eco Energie Tertiaire, les objectifs pris par chaque assujetti, le périmètre et la prise en charge des travaux « qui fait quoi » :

- Définir les rôles sur la saisie OPERAT
- Faire un zonage pour les parties communes et privatives
- Sous comptage pour définir le qui consomme quoi
- Audit énergétique
- Rythmer la périodicité de rencontre pour suivre les évolutions de chaque partie prenante (à minima une fréquence annuelle) ;
- Co-construire le plan d’actions pour réussir le décret tertiaire